Voyage au pays Helvien

Docteur Francus

- Albin Mazon -

XIII

Le clocher et les églises de Viviers

La cathédrale. – Sa destruction en 1567 et sa reconstruction en 1598. – Le précempteur François Monnier. – La fête de St-Vincent. – Le clocher. – La chapelle de l’archange St-Michel. – L’ancienne église de St-Julien. – Un monastère bâti avec des cercueils. – La Joannade. – Drin-drin.

La cathédrale de Viviers est fort ancienne. S’il est vrai comme le disent les chroniqueurs, que St-Venance l’ait agrandie et restaurée au VIe siècle, elle doit remonter, ou peu s’en faut, à l’époque de l’installation des évêques à Viviers. Le chanoine de Banne croit que la première église du Viviers se trouvait dans le bâtiment qui formait, de son temps les caves du chapitre. On y voyait encore des traces de vieilles peintures et de notes de musique.

Consacrée d’abord à St-Vincent, la cathédrale de Viviers passa sous l’invocation de la Vierge au XIIe siècle, après avoir été rebâtie sinon fondée par l’évêque Léodegaire, et le monument de cette époque existe encore dans ses bases et dans le gros œuvre. C’est alors qu’elle fut solennellement consacrée par un pape ou tout au moins par un archevêque.

Le Livre du Maître de Chœur indique la date de 1107 et le nom de Calixte II. On en a conclu à une erreur de nom, car c’est Pascal II qui était pape en 1107 et il était précisément en France cette année là. D’autres pensent que l’erreur est plutôt dans la date et que c’est bien le pape Calixte II qui consacra l’église de Viviers, mais seulement en 1119 ou 1120, alors que du siège archiépiscopal de Vienne, il passa au siège pontifical. Les chroniqueurs constatent qu’en travaillant au chœur de l’église, l’évêque Léodegaire découvrit un grand nombre de reliques qui avaient été réunies et placées là par ses prédécesseurs.

Mais la restauration de la cathédrale fut surtout l’œuvre de Claude de Tournon et l’on peut voir dans de Banne la description de ce qu’était alors ce magnifique bâtiment. Il y avait, entr’autres choses, sur l’entrée du chœur, une tribune ou jubé où l’on chantait l’Evangile, et sur cette tribune un autel dédié à St-Martin. En ce temps-là, l’église était à trois nefs supportées par six gros piliers et à chaque pilier il y avait un autel.

En 1567, les huguenots maîtres de Viviers, détruisirent les trois nefs, et le chœur, dont on avait aussi commencé la démolition, ne fut sauvé que par un accident arrivé à l’un des démolisseurs. Celui-ci ayant fait une chute mortelle, ses compagnons, frappés de terreur, ne voulurent plus, malgré les excitations d’Albert Noé, continuer leur œuvre.

Les huguenots démolirent aussi en 1567 toutes les maisons du château, excepté cinq qui appartenaient à des chanoines ayant des parents parmi eux.

A partir de 1598, les chanoines firent relever la cathédrale dont le chœur était resté. C’est le précempteur François Monnier, de Pierrelatte, qui fut chargé de ce soin et qui s’en acquitta avec un zèle et une intelligence remarquables. Les murs furent bientôt réédifiés et l’on couvrit la nef d’un plafond en bois auquel fut substituée seulement en 1755 la voûte de pierre actuelle. Il fallut ensuite faire le pavé. Bref, l’œuvre de reconstruction dura six ou sept ans et ce ne fut qu’en 1605 que le service divin, que l’on célébrait jusque là dans la chapelle St-Jean, put être transféré de nouveau à la cathédrale. L’évêque Jean de l’Hôtel ne se distingua pas en ces circonstances, car on eut grand peine à le faire contribuer à la dépense nécessitée par une si grosse entreprise, et le chapitre dut même la commencer avec ses seules ressources.

On ne s’étonnera pas, après tant de vicissitudes, que tous les âges aient laissé leur trace dans les remaniements successifs dont la cathédrale de Viviers a été l’objet, et l’on s’étonnera moins de voir une large nef à plein cintre accolée à un chœur ogival.

Le précempteur François Monnier composa l’inscription suivante qui devait rappeler la destruction et la réédification de la cathédrale :

Has aedes sacras qvae anno dni
mdlxvii rabie haereticorum qui ab exordio
hereseos Lutherani exinde huguenots
vulgo appellabantur diruptae fuerant
restaurarunt R. in Chro Pater Dns Joannes
Delhostel epus Vivarien et ejus
capitulum cv universitate hujus
ecclie anno dni mdlxxxxix.

La cathédrale de Viviers ayant été rendue depuis le XIe siècle au culte de St-Vincent, la fête du saint y est encore célébrée solennellement chaque année, le 21 janvier. Comme c’est la fête du diocèse, l’évêque officie. Les vignerons apportent à l’église un beau cep de vigne, chargé de raisins, qu’on a eu soin de faire passer préalablement à travers la terre d’un grand vase, afin que les raisins se conservent plus frais. L’évêque adresse une allocution aux vignerons.

Les belles tapisseries des Gobelins, représentant des scènes du nouveau Testament, qu’on remarque à la cathédrale, sont un don de Mgr Guibert.


Le clocher qui est séparé de la cathédrale, comme c’était jadis l’usage, est un monument d’un grand intérêt archéologique qui remonte au IXe ou Xe siècle. Ecartons encore ici une légende de l’abbé Baracand, qui semble lui avoir été inspirée par les manuscrits de Flaugergues, d’après laquelle la base de cet édifice ne serait autre qu’un ancien temple d’Hercule et d’Isis. L’imagination de notre jeune historien y avait même vu gravés les signes du Zodiaque et le chiffre mystérieux d’Isis (un i dans un sigma grec) que nous y avons vainement cherchés. Quelques pierres de la base présentent, il est vrai, des marques de tailleurs de pierre qu’on retrouve dans tous les monuments de cette époque, et c’est là sans doute ce que l’abbé Baracand aura pris pour des hiéroglyphes.

La tour du clocher est carrée jusqu’à une certaine hauteur, où, à une époque postérieure, on l’a couronnée de créneaux. Il est aisé de voir aussi que la partie octogonale, qui surmonte la partie carrée, est également de date postérieure : sa physionomie indique le XIVe ou le XVe siècle, mais il faudrait la faire remonter au XIIIe, s’il est vrai que l’évêque Hugues de la Tour d’Auvergne en soit l’auteur. Quoi qu’il en soit, la tour carrée est visiblement faite d’un seul jet et procède d’un plan unique. Elle est admirable par ses proportions et présente une grande analogie avec celle de la cathédrale de St-Front à Périgueux. Un étroit escalier pratiqué dans l’épaisseur du mur conduit de la base au sommet de l’édifice et il nous semble difficile d’admettre que cet escalier ait été bâti après coup.

Cet escalier donne accès au premier étage, dans une chapelle dont l’abside est aujourd’hui masquée par un mur moderne, qu’on devrait bien détruire si cela ne doit pas nuire à la solidité de l’édifice. Sur le côté opposé à cette abside, et à côté de l’ouverture du petit escalier, est une fenêtre qui a bien pu servir autrefois de porte, à en juger par les trous où étaient fixés les gonds et ceux plus larges et plus profonds dans lesquels on faisait glisser la barre de sûreté. Ici, comme dans la plupart des tours de cette époque, la porte était au premier étage et on y arrivait, non par un escalier, mais par une simple échelle qu’on retirait à soi dans l’intérieur de la tour, après s’en être servi. La coexistence dans le clocher de Viviers de l’escalier intérieur et de la porte du premier étage peut s’expliquer par le double caractère de l’édifice : l’escalier était pour les fidèles qui venaient à la chapelle, et la porte en était sans doute murée quand les nécessités de la défense obligeaient à n’en permettre l’accès que par la porte-fenêtre du premier étage.

D’après feu M. l’abbé Bourg, curé de Cruas, qui a publié une intéressante monographie sur le clocher de Viviers, la coupole de la tour carrée formait la voûte même du portique qu’on avait élevé devant la cathédrale pour lui servir et d’atrium et de baptistère, et la chapelle n’aurait été construite qu’ultérieurement pour recevoir le trésor de l’église. Un récent examen des lieux ne nous permet pas de partager cette manière de voir ; la chapelle est visiblement aussi vieille que la tour elle-même, et peut-être faut-il y voir une de ces chapelles dédiées à l’archange St-Michel que l’on retrouve si souvent sur la porte occidentale des anciennes cathédrales. Voici ce que dit à ce propos M. de Caumont :

« Au-dessus de la porte centrale de quelques grandes églises, et au-dessus du porche, quand il en existait un, on consacrait un autel à St-Michel archange. S’il y avait deux tours à la façade, l’une pouvait recevoir un autel dédié à l’archange Gabriel, l’autre à l’archange St-Michel. Mais le plus ordinairement St-Michel était vénéré seul. On trouve sa chapelle au-dessus du portail occidental à Tournus, à Brioude, à la cathédrale d’Autun, à St-Benoit-sur-Loire, etc. etc. Dans beaucoup d’églises, la chapelle St-Michel était établie au premier étage des tours : St-Germain-des-Prés, St-Pierre-sur-Dives, etc.

« M. Albert Lenoir fait observer que la persistance du culte de St-Michel, dans une des tours de l’église, était due sans doute à ses fonctions de conducteur des âmes, ce qui aurait contribué à conserver son culte auprès du parvis près de la façade sur laquelle on représentait le pèsement des âmes et le jugement dernier… Les tours étaient, d’ailleurs pour l’église des propugnacula qui pouvaient avoir leur utilité en temps de troubles, et il était logique de placer l’autel du chef de la milice céleste dans ces espèces de donjons pour qu’il protégeât l’église, la cité sainte, la maison du Seigneur… »

Ce qui est bien certain, c’est que le clocher de Viviers, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, c’est-à-dire à la chapelle du premier étage, contient plusieurs colonnes ou chapiteaux de marbre, de jaspe ou de porphyre, qui proviennent évidemment d’un édifice plus ancien dont ces débris font présumer la magnificence. Le chanoine de Banne, se basant sur la vie de St-Venance qu’il a trouvée « dans un Bréviaire à l’usage de Viviers, escript sur du velin en lettres gothiques, escripte à la main, et c’estoit en l’an de grâce mil cent et sept », après avoir constaté d’après ce document que St-Venance avait fait construire une magnifique église dédiée à St-Julien, présume que c’est de là que viennent les pièces rapportées que l’on remarque au clocher de Viviers. Il nous apprend que cette église de St-Julien, dont il ne restait plus qu’une petite chapelle, à moitié détruite par les huguenots, était située au delà de l’Escoutay, au pied de la montagne de Cogianos. Il y avait là autrefois de belles vignes. « Le sieur Rostier, ajoute-t-il, m’a assuré qu’en faisant planter une vigne près de la chapelle, ses manœuvres en fouillant la terre, trouvoient au dessous quantité de masures et quantité de murailles et mesme que lui y trouva une pièce d’un tuyau de plomb. »

De Banne présume encore qu’on bâtit avec ces débris la grande tour de l’évêché.

Il nous apprend enfin que les églises aujourd’hui disparues de St-Aule, N.-D.-du-Rhône et Ste-Croix étaient aussi ornées « de plusieurs colonnes de marbre gris, blanc, et pierres communes sans ordre d’architecture », ce qui fait aussi croire qu’on avait employé à leur construction des débris provenant d’autres édifices.

Quand on construisit le couvent des Dominicaines sur l’emplacement de l’ancienne église de Notre-Dame-du-Rhône, on trouva plus de cent tombeaux « faicts en cercueils de pierre, tout d’une pièce, dans l’un desquels on trouva une épée et dedans tous les autres (ayant osté leur couvert qu’estoit aussi tout d’une pièce) on trouva de petites urnes ou pots de terre et des ossements. On trouva aussi quantité de briques fort longues et larges. On trouva aussi un fragment ou large pièce de marbre blanc qu’estoit le couvert d’un tombeau où il y avoit en escript, en langue latine, que celui qui gisoit là dedans estoit un seigneur puissant, qu’il avoit quitté l’hérésie. Les noms de ce seigneur et de l’hérésie estoient brisés, mais ensuite il estoit escript qu’il avoit ramené plusieurs personnes avec luy à la croyance de la Très Sainte Trinité On inferoit par là que ce seigneur estoit du temps de St-Augustin, y ayant alors une heresie qui ne croyoit pas à ce sainct mystère de la Ste-Trinité… La pierre desdits cercueils fut d’un grand espargne, car il y eut pour faire toute la pierre de taille dudit monastère. »

C’est en 1624 que la demande pour l’établissement des religieuses Dominicaines à Viviers fut faite au chapitre par MM. Barthélemy Faure Lafarge, secrétaire de l’évêque, et Chenivesse, apothicaire et consul de Viviers. Elle fut bien accueillie et l’on donna aux religieuses l’enclos et l’église de Notre-Dame-du-Rhône situés hors des murs. La vieille église fut aussitôt réparée. Il y avait une chapelle de St-Clair où l’on accourait de bien loin pour les maladies des yeux. Les religieuses, qui venaient du couvent du Puy, arrivèrent en janvier 1625. Elles étaient au nombre de cinq, dont une Hautefort de Lestrange. Elles furent logées en attendant chez demoiselle Françoise de la Baume d’Uzer, veuve de noble Jacques de Beaulieu. Leur installation dans le monastère bâti d’une façon si funèbre eut lieu l’année suivante.

Le vieil orme que l’on voit sur la place de la cathédrale, est un Sully : c’est le nom réservé à l’arbre qui fut planté dans chaque paroisse de France lors de la conversion d’Henri IV. Il y en a un fort beau à Dompnac. La plupart sont tombés de vieillesse. On a mis à celui de Viviers, pour qu’il n’en fasse pas autant, une forte ceinture de fer.

La colline qui domine Viviers et où l’on aperçoit au sommet une statue de la Vierge, s’appelle la Joannade. On suppose que ce nom vient des feux de la St-Jean qu’on y allumait autrefois. Une colline du Bourg, voisine de Tourne, porte le même nom.

Sur la colline de Planjaux, il y avait un abîme appelé Drin-drin à cause du bruit sonore que faisaient les cailloux que l’on y jetait, en rebondissant d’un rocher à l’autre à une profondeur infinie.