Voyage autour de Privas

Docteur Francus

- Albin Mazon -

II

La montagne d’Andance

La percée d’Alissas. – La montagne d’Andance. – Chomérac vu de haut. – Le grand chêne. – L’orage du 21 juillet 1880. – La vallée de Barrès. – La famille de Barrès du Mollard. – Le grand-père d’Henri Rochefort né au Bijou. – St-Vincent-de-Barrès. – L’histoire de Montélimar, du baron de Coston. – Le bois de la Treille. – St-Bauzile. – La différence entre le loup et l’homme. – Le château du Bois. – La famille de Bénéfice.

Nul n’est prophète dans son pays, pas même les montagnes – ce qui doit consoler un peu les hommes qui, à tort ou à raison, trouvent qu’ils ne sont pas convenablement appréciés par leurs concitoyens. Quoi de plus beau – excepté pour ceux qui le voient tous les jours – que le spectacle, vu de Privas, de l’imposante masse du Coiron détachant dans le ciel bleu son crâne chauve au-dessous duquel comme une barbe coupée court, s’étalent les bois taillis, et où les fontaines se manifestent même de loin par des traînées d’éclatante verdure.

La chaîne du Coiron et celle des Boutières se donnent la main à l’Escrinet pour former un vaste cirque que les courants diluviens ont éventré à Alissas et aux Fonts-du-Pouzin. Du sommet de Charay, qui formait une île enflammée au milieu du lac privadois, la vieille nature cévenole ressuscite en quelque sorte aux yeux du touriste géologue, et pas n’est besoin de beaucoup d’imagination en voyant ses vivants débris, pour évoquer les révolutions terrestres d’autrefois. Si, de plus, on est monté à Charay de grand matin, on peut assister à cette éternelle et toujours étonnante merveille du lever du soleil qui devrait suffire à ouvrir l’esprit des uns et à clore la bouche des autres. Je ne sais quel poète a dit :

Quand on fut toujours vertueux,
On aime à voir lever l’aurore.

C’est devenu trivial, mais c’est vrai. Les braves gens se lèvent généralement de grand matin. C’est le moment le plus favorable au travail, parce que c’est celui où la pensée, rafraîchie par le sommeil, va le plus droit son chemin. Tout le monde n’est pas en état de décrire le lever du soleil, dans un langage splendide comme Jean-Jacques Rousseau, mais je suppose que les athées les plus encroûtés ne sont pas sans éprouver quelque confusion et quelque embarras, quand ils se trouvent seuls, avec les chétives lueurs de leur petit cerveau, devant le magnifique incendie que Dieu allume chaque matin à l’Orient et qui fait tous les jours en vingt-quatre heures son tour du monde.

La percée d’Alissas est une des parties les plus intéressantes que présente de Privas le spectacle de la chaîne du Coiron. C’est un autre tableau, sur un second plan, que bleuit et vaporise l’éloignement, et par où les imaginations, qui se trouvent trop à l’étroit dans le bassin de Privas, peuvent s’envoler vers le Rhône et les contrées inconnues. Dans ce tableau apparaît le côté basaltique si pittoresque du Coiron, que l’action des éléments et le travail humain ont plus ou moins effacé sur le versant qui fait face à Privas. On aperçoit là-bas des pics couronnés de basaltes, rois pétrifiés, qui ont l’avantage, sur leurs confrères de la race d’Adam, de n’avoir affaire qu’aux révolutions atmosphériques beaucoup moins destructives que nos révolutions politiques.

Un de ces pics volcaniques surplombe la vallée de St-Bauzile. Un autre lui fait face sur la montagne d’Andance, et le voyageur qui passe de ce côté, par la route de la Treille, qui relie Chomérac à Meysse, peut apercevoir plus loin vers le sud trois autres noirs géants de pierres dont l’un a donné son nom au village de St-Pierre-la-Roche ; les deux autres sont le pic de Pampelonne et le Chenavari.

La montagne d’Andance est un massif détaché du Coiron, que limitent les trois vallées de Chomérac, de St-Bauzile et de Barrès. Elle est entièrement volcanique.

Ici, ni grès ni calcaire, mais seulement du basalte et des cendres dont les influences atmosphériques et l’action du temps et des eaux ont fait une terre féconde. Aussi dit-on généralement dans le pays que le blé d’Andance l’emporte sur tous les autres et qu’il pèse trois kilos de plus par sac.

Voulant voir de près la montagne d’Andance, mon ami Barbe et moi, nous entreprîmes, un beau matin, en compagnie d’autres personnes, d’en gravir la pente rapide. Nous passâmes par la jolie chesnaye qui domine le château du Bois. La chaleur était très-forte et l’herbe on ne peut plus glissante. Si les parquets des villes sont perfides pour le campagnard qui s’y aventure, il faut avouer que le gazon des montagnes abruptes ne l’est guère moins pour le citadin qui s’y risque sans chaussures dûment clouées. Je ne me rappelle qu’une ascension plus fatigante, c’est celle, que j’avais faite, l’année précédente, de la montagne de Seray, au-dessus de Satillieu. Ici comme à Seray, il fallait s’accrocher aux genêts et aux arbres pour se maintenir en équilibre. Ici, comme à Seray, nous finîmes aussi par comprendre que le chemin le plus court n’est pas toujours la ligne droite et qu’en tournant la montagne nous arriverions probablement plus vite au sommet. Un sentier, une draye, tombant sous nos yeux, nous fit mettre aussitôt cette idée à exécution. Nous la suivîmes et elle nous conduisit doucement, gentiment, entre les herbes et les taillis, avec accompagnement d’oiseaux et de bruissements d’insectes, vers le but que nous visions tout-à-l’heure brutalement comme une citadelle à emporter de vive force. Et comme j’étais resté seul en arrière, un peu pour mieux lorgner au loin les montagnes et les vallées, un peu pour causer avec moi-même, il me sembla que la draye prenant un corps, cheminait avec moi et m’adressait un petit speech.

– Avoue, disait-elle, que tu as été passablement présomptueux. Ton assaut malheureux sur l’herbe glissante, c’est l’esprit novateur à l’excès, c’est le progrès inconsidéré. Moi, je suis la tradition, l’expérience, et c’est par moi que montent les pâtres et les chasseurs, tandis que les touristes inexpérimentés prennent seuls l’autre voie – et s’y cassent le nez !

C’est en effet ce qui avait failli arriver à mon ami Barbe, au moment même où il criait à une de nos compagnes de voyage : Attendez, je vais vous donner la main !

On m’appelait. La draye reprît sa forme naturelle. Je vis que j’avais fait un rêve éveillé – n’est-ce pas le cas de bien des gens qui ne s’en doutent guère ?

– Qu’avez-vous donc, docteur ? me dit-on.

– Rien.

– Je parie que vous rêviez ! répliqua une petite voix.

– Peut-être, mais un rêve et rien, c’est la même chose.

– Oh ! que non. Contez-nous votre rêve.

Je répétai ce que m’avait dit la draye. Tout le monde se mit à rire.

– Encore une de vos malices, docteur, dit mon ami Barbe. Gardez-vous au moins de la noter sur votre carnet de voyage.

– Car, par le temps qui court, ajouta gaîment un autre, on ne peut guère montrer son nez à la porte de son village, sans être accusé de faire de la polémique électorale.


Nous étions arrivés au sommet, ou plutôt à la dépression qui sépare les deux plateaux de la montagne d’Andance.

Nous nous avançons au nord sur le sommet qui domine Chomérac. Nous remarquons une foule de genêts tués par le froid excessif de l’hiver précédent. La chaleur du soleil est tempérée par un vent frais et vif. De ce point, la vue est magnifique. On a la vallée de Chomérac à ses pieds et l’on embrasse d’un coup d’œil ses usines, ses châteaux et ses belles propriétés, comme un paysage qu’on tiendrait dans la main. On sent la vie au nombre et à l’importance des habitations, mais la distance, en éteignant le bruit et en ne laissant aux hommes que des tailles de fourmis, donne au tableau un cachet calme et reposé. Et dire pourtant qu’on votait ce jour-là à Chomérac ! Voilà ce que c’est que de voir les choses de haut et de loin ! La vallée de Chomérac gagne, du reste, de toutes les façons à être vue des hauteurs d’Andance. Sur le passage du chemin de fer, on dirait un pays aride et pierreux, tandis que de là haut on assiste à une véritable fête de la nature verdoyante.

En face de nous se dresse le Gras, ce fragment isolé du cercle montagneux qui retenait autrefois les eaux du lac ou plutôt de la chaudière que faisait bouillir la flamme sous-marine du mont Toulon et du mont Rome. Le Gras produisait, il n’y a pas encore bien longtemps, un vin délicieux. Le phylloxera n’a laissé à ses intrépides cultivateurs que les yeux pour pleurer.

Au delà du Gras, on aperçoit la montagne de Gruas ou de St-Quentin qui se dresse entre l’Ouvèze et l’Erieux. Cette montagne est le grand récipient des eaux du ciel qui alimentent les fontaines de quatre communes : St-Cierge-la-Serre, Flaviac, St-Julien et St-Vincent-de-Durfort. Beaucoup de protestants dans cette partie des Boutières.

Le Gras nous cache Privas, mais nous apercevons le Ruissol – et, au-delà, la montagne de Charay semblable à une immense mitre d’évêque plantée au beau milieu de la vallée ; – au delà enfin la ligne bleue des Boutières qui court de Gruas à Mézilhac en passant par le col de la Fayolle.

A l’est, le Rhône coupe de sa ligne de vif-argent la verdure de la plaine de Valence. Le chemin de fer file droit et noir à côté, tandis que les Alpes dauphinoises semblent se recueillir au loin dans une gaze bleue que fait miroiter le soleil.

Un paysan nous aperçoit.

– Vous venez sans doute, nous dit-il, pour voir le beau roure.

– Sans doute.

– Eh bien ! le voilà, là bas, derrière la ferme.

Ce chêne vaut à lui seul l’ascension d’Andance. Il mesure à sa base environ cinq mètres de circonférence et est élevé en proportion. Malheureusement, une de ses grosses branches a été brisée par la foudre. Je n’ai vu qu’un plus beau chêne dans notre région ; c’est celui du château de Salettes (Drôme), propriété de M. Aimé Champin, le grand importateur de vignes américaines. Ce dernier mesure à sa base sept mètres de circonférence. Des actes, qui remontent à 400 ans, le qualifient déjà de vieux chêne. On évalue son âge à douze ou quinze siècles. Celui d’Andance doit en avoir huit ou dix.

Il y a de belles cultures sur le plateau d’Andance, mais la récolte avait été totalement détruite cette année par l’orage et la grêle du 21 juillet 1880. Plusieurs des grêlons avaient la grosseur d’un œuf ; nous vîmes au château du Bois, des arbres à fruits dont les branches étaient lacérées comme si on avait tiré à balles, et le métal des gouttières bosselé comme si les enfants les avaient prises à coups de pierres.

Vous figurez-vous, lecteurs, le désespoir du pauvre cultivateur assistant impuissant à cette lapidation du champ qu’il a fécondé de ses sueurs et se disant : Comment nourrirai-je mes enfants cet hiver ? Il me semble qu’une politique qui songerait un peu plus aux cultivateurs dans la détresse, et un peu moins à taquiner les prêtres, serait raisonnable et humaine et obtiendrait l’approbation unanime de tous les partis.

Comme pour chasser ces tristes pensées, des œillets, des mauves et même des chardons nous sourient de leurs fleurs rouges parmi les herbes du sentier. La nuance de ces fleurs est infiniment plus vive sur les hauteurs que dans les vallées. Il y a entre le rouge des œillets d’Andance et celui des œillets de Chomérac la différence de la fleur du grenadier à la rose.

L’achillée, qui, dit-on, servait à Achille à panser ses blessures, semble bien pâle ici près de ses rivales rouges. Malgré la différence des couleurs, les pauvrettes vivent en paix. Oncques on n’ouït dire que l’œillet ait refusé de vivre sur la même motte que la marguerite ni que le bouillon blanc ait juré la mort d’un chardon écarlate voisin. Je ne sais pas si les plantes comprennent qu’elles jouent chacune un rôle dans le plan de la création ; dans tous les cas, elles remplissent leur destinée simplement et dignement, tandis que les rouges et les blancs, parmi les hommes, sans compter les bleus, les verts et compagnie, semblent n’avoir reçu la raison que pour montrer qu’ils en sont indignes. La plupart s’imaginent jouer un rôle choisi par eux-mêmes, tandis qu’ils ne sont, dans une certaine limite, que les instruments d’une œuvre que leurs sens comme leur raison sont impuissants à comprendre. Je me figure parfois l’ensemble des opinions morales, politiques et religieuses comme un grand pré où chaque être humain étale pompeusement la couleur que la nature et les circonstances lui ont donnée, en s’en attribuant le mérite. Prenez vos lunettes, bonnes gens, et regardez bien au fond de vos consciences. Vous y verrez que vous êtes rouges ou blancs, parce que la main divine a semé la terre humaine d’œillets et de marguerites. Vos congénères fleurs ont sur vous l’avantage du silence et de la modestie.

– Tout cela est peut-être vrai, dit mon ami Barbe, mais toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire.

– Bah ! à 546 mètres au-dessus du niveau de la mer ! Autant en emporte le vent !

Nous voici sur le rebord oriental qui domine la vallée de Barrès. Celle-ci court vers le sud parallèlement au Rhône, dont elle est séparée par un contrefort du Coiron, sur lequel M. du Solier a reconnu les traces d’un campement romain. De nouveaux pics basaltiques se dressent à l’horizon. Le Chenavari surgit au loin dans l’échancrure de la montagne, et, de ce côté, le pic de St-Pierre-la-Roche semble se pencher pour échanger un regard avec lui. La vallée de Barrès, la plus belle du Coiron, par sa largeur, par ses pittoresques perspectives et par sa fertilité, s’étend à nos pieds. Le village de St-Vincent se détache, du milieu des prés et des cultures, avec ses maisons blanches et grises. Nous apercevons avec notre lunette une vieille tour. A côté est un château délabré où néanmoins, nous dit-on ; la mairie est installée.

La vallée de Barrès (Barresium) a été désignée autrefois sous le nom de Corcon, Corgon ou Corgonay. Vers 1243, elle fut l’objet d’une contestation entre Aymard de Poitiers, comte de Valentinois, et l’évêque de Viviers. Aymard voulait être seul maître de Barrès et de Rochessauve dont il ne possédait que la cinquième partie. Il avait construit le château de Chomérac, malgré l’évêque Nicolas qu’il haïssait mortellement. Le roi d’Aragon et le prince d’Orange se trouvant à Viviers, apaisèrent cette querelle en se prononçant, d’ailleurs, en faveur de l’évêque. (1)

En ce temps-là, la partie du Vivarais, du Bourg à Cruas, était sous la mouvance des évêques de Viviers, tandis que la partie de Cruas à Tournon relevait des évêques de Valence. La vallée de Barrès était sur la limite. De là, des contestations aggravées par les relations intimes qui existaient entre le comte de Valentinois et le comte de Toulouse, lequel, on le sait, était dans les plus mauvais termes avec l’évêque de Viviers par suite de la protection qu’il accordait aux Albigeois.

Le château de Barre se trouve parmi les nombreux châteaux du Vivarais dont Aymar II fit hommage en 1239 au comte de Toulouse.

Ce château figure aussi dans le nombre de ceux que le roi de France fit saisir en 1390 sur la comtesse de Valentinois, mais qu’il lui rendit deux ans après.

Au XVe siècle, le Barrès formait un mandement spécial qui comprenait plusieurs paroisses.

Ce pays fut le théâtre, en octobre 1624, d’une série d’escarmouches fort vives entre l’armée catholique du duc de Ventadour, qui avait retiré de Chomérac deux pièces de canon pour les conduire au siège de Montauban, et M. de Blacons qui commandait, à St-Vincent, un corps de douze ou quinze cents protestants. La marche des catholiques fut très laborieuse. Les deux canons s’avançaient au centre, tandis que quatre régiments les protégeaient en avant et en arrière, à droite et à gauche. L’ennemi était de tous les côtés. Il fallut tirer sur lui deux volées de canon pour le tenir à distance respectueuse. Les catholiques passèrent mais ne purent gagner Rochemaure à cause de la nuit et durent camper dans la montagne. Ce fut, dit le chroniqueur, une des plus grandes escopetteries qu’il y eût en Languedoc, sans que la perte se soit trouvée de plus de cent hommes morts ou blessés des deux côtés.


Barrès est une ancienne baronnie – et la famille noble de Barrès une des plus anciennes du pays. Un Genton de Barrès prit part à la première croisade avec d’autres seigneurs du voisinage. Pithon-Curt, l’historien de la noblesse du Comtat Venaissin, cite d’autres membres de cette famille au XIIe et au XIIIe siècle. Vers 1380, l’héritière de la baronnie, appelée Blonde de Barrès, se maria à Bertrand de Taulignan. – Les seigneurs de Taulignan ont toujours porté, depuis cette époque, le titre de barons de Barrès. Les Barrès du Molard sont une branche cadette qui alla s’établir au Pouzin, vers la fin du XVe siècle et y a possédé jusqu’à la Révolution le fief du Molard. La généalogie de cette branche est parfaitement établie depuis le milieu du XIVe siècle.

En 1427, noble Hélis de Barrès, veuve de Vital de Floyrac, et tutrice de sa fille Marguerite, vend à Périnet Lambert de Privas, une vigne au prix de huit moutons d’or. Parmi les témoins figure noble Guillaume Flocart, châtelain de Privas, pour la maison de Poitiers. L’auberge de la Fleur de Lys à Privas, appartenait à Vital de Floyrac.

Guillaume de Barrès, dit le capitaine Barrès, était en 1591 capitaine, c’est-à-dire gouverneur du Pouzin ; son fils Elie de Barrès, fit les campagnes de 1637 et 1639 contre les Espagnols.

Alexandre de Barrès était aux sièges de Mortare et d’Alexandrie en Piémont ; il abjura le protestantisme entre les mains de Daniel Cosnac, évêque de Valence, le 16 août 1683.

Nous trouvons dans de vieux actes, que noble Charles Elie de Barrès s’installa en 1698 au lieu de Limouze, paroisse de St-Julien-en-St-Alban et que le 9 juin 1727, il se démit des biens qu’il tenait de Jacques Perrier, en faveur de sa fille Angèle de Barrès, laquelle épousa, le même jour, noble Louis Aimé de Guion de Gyes de Pampelonne sieur de Larzalier, habitant en son domaine de Gourdes, paroisse de St-Julien.

Scipion Laurent de Barrès, qui émigra en 1792, avait été lieutenant-colonel d’artillerie et s’était distingué par son zèle pour la cause royale au commencement de la Révolution. Il prit part à la descente de Quiberon, rentra en France en 1804 et mourut à Chomérac en 1809.

Son fils, Fleury de Barrès, avait épousé en 1800 Jacqueline-Rosalie de Rochefort, fille du baron de Rochefort, ancien capitaine d’infanterie, et de Louise Moreton de Chabrillan. Il en eut neuf enfants. Cette vieille famille était encore représentée l’année dernière à Chomérac par le vicomte Amédée de Barrès, mort depuis.

Jacqueline de Rochefort était la sœur cadette de Paul de Rochefort, né au Bijou, le 24 janvier 1771, lequel épousa Mlle de Fontenay, fille de l’ambassadeur de France auprès des cours du Nord. De ce mariage naquit Arthur de Rochefort, mort il n’y a pas longtemps colonel de cuirassiers, et père d’Henri Rochefort.

Paul de Rochefort fut baptisé le 24 janvier 1771, dans la chapelle de Mont-Bijoux, par Loine, vicaire de Chomérac. Le parrain fut messire Charles de Moreton de Chabrillan, son oncle, et la marraine Magdeleine de Chabrillan, sa tante, mais tous deux étaient absents, et ils furent représentés par messire Paul-Jean Malet, écuyer, avocat, capitaine, châtelain de la tour de Chomérac, Rochemaure et mandement de St-Alban, habitant de Chomérac, et haute et puissante dame Marianne Bouvé, baronne de Rochefort, habitant audit château de Mont-Bijoux. Les témoins furent le baron de Rochefort, père du baptisé, et sieur Jean Buffet, inspecteur des manufactures de la province de Languedoc, habitant au mas de Trouillet (aujourd’hui propriété Gamon).

Les Barrès sont donc les cousins du célèbre pamphlétaire, directeur de L’Intransigeant.

Le vicomte Barrès du Molard, probablement le fils aîné de Jean Scipion Fleury, car une décision royale de 1814 avait conféré à ce dernier le titre de vicomte héréditaire, a publié à Lyon en 1842 des Mémoires sur la guerre de la Navarre et des provinces basques, de 1833 à 1839.


St-Pierre-la-Roche s’appelait autrefois St-Pierre-de-Barry. Au milieu du siècle dernier, il y avait quarante feux, et à St-Vincent-de-Barrès cent vingt.

St-Vincent était entièrement clos de murs. La collation de la cure appartenait à un Bénédictin résidante Paris. Ce village était habité par trois familles nobles : du Solier, Pichon et d’Alayson. La lettre du curé à dom Vaissette, à laquelle nous empruntons ces détails, ajoute : Il y a deux conseils élus par la communauté, qui conservent leurs fonctions « jusque ce qu’on veuille les changer. »

Il parait que cela se passait ainsi autrefois. – Les conseils renouvelables en droit, ne l’étaient guère en fait et, comme les révolutions étaient plus rares qu’aujourd’huî, les fonctions de maire s’éternisaient souvent dans les mêmes mains. – Au reste, ces fonctions étaient moins courues qu’on ne pourrait le croire, puisque dans beaucoup d’endroits, il avait fallu rendre passibles d’une amende tous ceux qui n’accepteraient pas les charges municipales. – Nous trouvons dans l’Histoire de Montélimar du baron de Coston (un livre intéressant et curieux s’il en fut, au point de vue des mœurs et des coutumes de notre région), qu’à Montélimar, une amende de 50 marcs d’argent (représentant environ 7,500 fr. de notre monnaie) était infligée à ceux qui n’acceptaient pas les fonctions de consuls et de conseillers.

St-Vincent relevait de la justice seigneuriale de l’évêque de Viviers, et St-Martin-l’Inférieur de celle du marquis de Pampelonne.


Nous descendons par le bois de chênes de la Treille, un des jolis bois de la contrée. Nous aurions bien voulu aller voir à Champautier (Campus altus) le camp romain dont parle M. du Solier, mais il était tard. Et puis on est si bien sur les vertes pelouses du bois de la Treille ! L’herbe y verdoie, mais sans excès d’humidité, comme il convient à un sol drainé naturellement par la pierraille volcanique qu’il recouvre. Çà et là des rochers blancs ou noirs percent le gazon comme pour donner de la diversité au paysage. Une chèvre était montée sur un de ces piédestaux, et là, s’étant accroupie, nous regardait d’un air d’indéfinissable curiosité.

– Ah ! si j’étais peintre ! dit mon ami Barbe. J’ai remarqué, ajouta-t-il, que les chèvres, comme les chats, grimpent toujours aux points les plus élevés, surtout pour dormir.

– Il me semble, objecta un de nos compagnon, que les hommes qui s’efforcent de grimper haut, comme les chèvres et les chats, ou sont bien imprévoyants, ou ne tiennent pas à dormir, car, dans notre état politique et social, on dort d’autant moins qu’on est plus élevé.

La grand’route de Meysse à Chomérac que nous rejoignîmes bientôt passe à St-Bauzile.

Le chef-lieu de la commune se compose uniquement de l’église, de la mairie et d’une auberge : le cœur, la tête et le ventre. Les membres sont disséminés au loin comme s’il s’agissait d’un mille-pieds, dans les arbres et les rochers. Je ne sais rien de St-Bauzile. Et vous ? Heureux les villages qui n’ont pas d’histoire, d’histoire politique au moins. Souhaitons-leur de ne jamais en avoir ! Chomérac, que nous apercevons là-bas, en a une histoire politique des plus intéressantes, car elle a été prise et reprise aussi souvent qu’Annonay pendant les guerres religieuses. Je suppose que les pauvres gens qui se sont mutuellement torturés, assassinés, brûlés, pendus et volés, – la plupart certainement sans bien savoir ce qu’ils faisaient, d’un côté comme de l’autre, – auraient bien voulu qu’on les laissât tranquilles comme les campagnards de St-Bauzile. – On fait de singulières réflexions sur la destinée humaine, toutes les fois qu’on pense à cette habitude, en quelque sorte invincible chez les hommes, de se chercher querelle et de se déchirer sous les prétextes les plus insensés. Homo, homini lupus.

– Vous parlez du loup, dit mon ami Barbe, qui s’était emparé de ma lunette. Ou je me trompe fort, ou en voilà un qui file là-haut entre les chèvres et le mur basaltique. C’est bien cela ! Entendez-vous les cris des bergers et les aboiements des chiens ?

– On a bien tort, dis-je, de hurler ainsi après cette pauvre bête. Il ne mange que des moutons et respecte ceux de son espèce. Voilà la plus notable différence qui existe entre lui et nous !

– Vous avez peut-être raison, dit mon ami Barbe, mais je doute que ce raisonnement fût suffisant auprès des pâtres et des paysans.


L’auteur des commentaires du Soldat du Vivarais nous apprend qu’après la prise de Chomérac en 1628, les châteaux de Cheylus, de Vaneille et de Mauras furent détruits par ordre du vainqueur, et que le château du Bois fut épargné parce que son propriétaire était allié de M. de Montréal, le chef catholique le plus important du Vivarais.

Le château du Bois appartenait de temps immémorial à la famille de Bénéfice (de Beneficio), une des plus anciennes de la contrée. Nous ignorons si sa généalogie se trouve dans quelque recueil nobiliaire, et nous en sommes réduits, pour le moment, aux quelques mentions que nous avons glanées çà et là dans de vieux registres de notaires.

Le 8 novembre 1403, Pierre de Bénéfice assistait au mariage d’Antoine de Moreton, premier seigneur de Chabrillan, avec Bonne de Maillan, fille de Pons de Maillan et de Guigonette de Bénéfice, alors remariée à Durand de la Champ (de Calma).

Ce même Pierre de Bénéfice figure dans plusieurs actes du Manuale Notarum d’Antoine Brion, notaire à Privas en 1427-28. A cette époque, il était en procès devant le Parlement de Toulouse, siégeant alors à Béziers, avec noble Flandine de Trabe, mère du seigneur de Ville près d’Aubenas. Celle-ci étant morte en 1429, son fils, Jean de Trabe, continua le procès, dont nous ignorons, d’ailleurs, et l’objet et l’issue,

Antonia, une des filles de Pierre, était mariée à noble Guillaume de Poensac. En 1428, deux Privadois, Pierre Chauland, et Pierre Lasselve, barbier, reconnaissent tenir d’elle en emphythéose perpétuelle leur maison et leur jardin à Privas.

Une Elise de Bénéfice épousa le 25 juin 1450 noble Telmon Darbon, de Montélimar, dont elle eut Marguerite, mariée à Antoine de Marsanne. Il paraît que les mauvaises langues ne manquaient pas plus alors qu’aujourd’hui, car nous trouvons mentionné dans l’Histoire de Montélimar, du baron de Coston, le bruit qu’Antoine aurait gagné un procès, grâce à l’intérêt tout particulier que sa femme aurait inspiré au Dauphin (Louis XI). La famille Telmon Darbon existait encore à Montélimar et à Rochemaure au XVIe siècle.

Un Claude de Bénéfice, de Privas, avait, en 1477, des terres à Rochemaure, et possédait même une partie du port d’Ancone qu’il affermait pour la somme annuelle de sept-vingt livres.

Il y avait aussi des Bénéfice à Boulogne. Le 6 octobre 1509, nous voyons noble Hébrard du Cheylard, seigneur de la Champ, qui habitait Vesseaux, donner sa procuration à Louis de Bénéfice, de Boulogne pour un hommage à prêter au seigneur de Lestrange.

Un arrêt rendu le 5 février 1667 par la cour des Grands Jours de Languedoc « condamne Louis du Bénéfice de Montargues, juge de Privas, à servir le Roy dans ses gallères pendant dix ans, et Jean Crespin, notaire, au bannissement pour cinq ans de la sénéchaussée de Nismes, et chacun à six mille livres d’amende ». Le Journal de Baudoin, publié par Paul Leblanc (Paris, Dumoulin 1869) qui rapporte cette condamnation, n’en indique pas les motifs.

Au siècle dernier, le château du Bois était le séjour de M. de Chambaud qui partageait avec M. de Bénéfice de Cheylus, l’autorité judiciaire à Baïx et St-Lager-Bressac.

Au commencement de ce siècle, il était habité par des Bénéfice. Nous avons sous les yeux le mémoire publié par l’un d’eux, M. Henri-Frédéric de Bénéfice, en 1819, contre sa cousine, Camille de Cheylus, qui, profitant de blancs-seings obtenus par un abus de confiance, avait fabriqué un acte de donation et une lettre missive à l’appui, en vue de s’emparer de son héritage. Le mémoire est très-violent contre la demoiselle de Cheylus dont il fait un triste portrait. M. de Bénéfice perdit son procès à Privas où le président du tribunal était M. Gaillard, beau-frère de la demoiselle de Cheylus, et il semble aussi l’avoir perdu à Nîmes. Le mémoire insinue que la demoiselle de Cheylus a cherché à s’emparer de sa personne et une phrase fait même supposer qu’il l’accuse d’un précédent attentat dirigé contre lui. (Les chauffeurs envahirent un jour le château du Bois et lui brûlèrent les pieds pour lui faire déclarer ses trésors).

Ce dernier rejeton des Bénéfice se maria à l’âge de quatre-vingts ans avec Mlle Avond. Il en eut une fille mariée d’abord à M. Grel, et ensuite (ce premier mariage ayant été déclaré nul) à M. de Vercors. Elle eut un enfant tué dans ses bras par la foudre. Le château du Bois fut acheté par M. de Saint-Romain qui le revendit plus tard à M. Marfoure. M. Roure en est devenu propriétaire il y a quelques années, et en a fait une charmante habitation.

  1. Columbi. De rebus gestis episcoporum vivariensium, p. 124.