Voyage autour de Privas

Docteur Francus

- Albin Mazon -

XVI

Les Balmes de Montbrul

Un conseiller ! – Notre-Dame-du-Lierre. – Nouvelle excursion au Coiron. – Le château de Cheylus. – Les anciens seigneurs féodaux. – Une écrevisse à dix-neuf pattes. – Taverne et Chaudcoulant. – La propriété foncière. – Comment on pourrait modifier le suffrage universel. – Disparition graduelle des propriétaires non cultivants. – L’abbé de Montbrun. – Berzème. – Les Balmes. – Un cénobite moderne. – Deux familles de Troglodytes. – Une chapelle dans les laves. – La religion est la philosophie du peuple. – Faujas de St-Fond aux Balmes.

Ecoutez ! me dit Barbe, je crois que nous ferions bien de retourner au Coiron. Nous n’en avons vu qu’un bout et il faut bien, puisque si peu de gens sont tentés d’y aller voir eux-mêmes, que vous leur en parliez.

– Je ne demande pas mieux, ami Barbe. D’ailleurs, c’est la saison où les anémones fleurissent là-haut, et vous me les montrerez.

– Volontiers. Mais il y a mieux que cela. J’ai rencontré tout-à-l’heure un aubergiste du Coiron – et si nous y allons demain, il nous fera manger un excellent conseiller.

Je fis un mouvement. Mon ami Barbe était-il devenu anthropophage ?

– Un conseiller !

– Ah ! répondit-il, vous ne savez pas ce que c’est. – Eh bien ! vous l’apprendrez. En attendant, si vous le voulez bien, nous allons descendre au jardin pour prévenir ma femme.

Je souris de ce prévenir qui voulait dire demander la permission, car mon ami Barbe est le modèle des maris, et ne fait rien, pas même une promenade au Coiron, sans consulter sa moitié.

Je ne sais si je vous ai dit que Barbe habite une jolie maisonnette aux abords de Privas, avec un jardin au midi. Il a la vue sur le Lac et le Coiron et trouve que rien ne vaut au monde ce magnifique panorama.

Mme Barbe, qui est très dévote, a placé une statue de la Vierge dans le mur tapissé de lierre qui est au fond du jardin. Elle y allume un lampion tous les samedis soirs, de façon que l’illumination dure toute la nuit en l’honneur de Notre-Dame du Lierre.

Le lampion brûlait ce soir-là et, comme Barbe aime assez à attaquer la superstition, je lui dis en souriant :

– Il me semble, ami Barbe, que votre philosophie n’a pas vaincu chez vous toutes les superstitions.

– Ce sont-là, me répondit-il avec beaucoup de bonhomie, des choses de sentiment sur lesquelles je ne me reconnais pas le droit de prononcer. Je condamne toutes ces petites pratiques de dévotion, mais j’avoue qu’elles sont en dehors du contrôle de la raison pure et qu’elles ne me regardent pas.

– Bien raisonné !

Nous étions arrivés devant le berceau de verdure où Mme Barbe allaitait son dernier enfant. Elle le caressait, l’élevait en l’air avec des allures de tendresse ravie. Elle l’appelait son chou, son chien, son petit lapin blanc, et autres appellations qui, sur le papier, deviennent puériles ou folles, et qui dans la bouche des mères, ont infiniment de charme.

Barbe contemplait ce spectacle avec bonheur, et sa femme ne parut nullement confuse en voyant qu’un autre que son mari l’avait entendue.

– Dis bonjour à Monsieur, dit-elle en joignant et agitant les petites mains du marmot.

Je la complimentai sur la bonne mine de son nourrisson. Nous parlâmes de notre projet du lendemain, et, comme on n’y fit pas d’objection, la permission se trouva naturellement accordée.

Quelques instants après, Mme Barbe fut appelée par la bonne dans la maison et nous restâmes seuls dans le jardin.

– Il me semble, dis-je à Barbe avec un peu d’ironie, que votre femme dépasse la mesure dans ses transports maternels. Est-ce que votre raison ne proteste pas et ne trouve pas ce débordement de caresses et de petits noms tout-à-fait absurde ?

– Sur quelle herbe avez-vous donc marché aujourd’hui ? répliqua-t-il, avec un peu d’humeur cette fois. Est-ce que l’amour maternel n’a pas eu toujours ses franches coudées, et de quel droit voudriez-vous lui imposer les formes et les mesures qui vous conviendraient à vous-même.

– Calmez-vous, cher ami ; c’est tout simplement cet aveu que je voulais obtenir de vous. Voudriez-vous bien maintenant me dire eu vertu de quel droit vous imposeriez à l’amour des choses divines, au sentiment qui nous rattache à l’Etre suprême et au monde surnaturel, des mesures et des formes qui ne sont pas les siennes ? Est-ce que nous sommes compétents, nous, philosophes, pour juger ces matières ? Pourquoi voudrions-nous empêcher les cœurs d’avoir de ce côté, la liberté d’expansion et d’allures qui ne nous choquent pas dans les manifestations de l’amour maternel ? Je pense souvent comme vous, ami Barbe, qu’il y a superstition dans telle ou telle pratique religieuse, mais je ne reconnais à personne le droit d’en empêcher ou même d’en taquiner l’exercice, parce que le droit à la superstition est aussi intimément lié à la liberté du culte que celle-ci l’est à la liberté de conscience. J’ajoute que je n’use qu’avec infiniment de réserve de mon droit de blâmer ce que je juge être une superstition, parce que je suis profondément convaincu de l’incompétence de notre raison en ces matières, comme vous le disiez fort justement tout-à-l’heure à propos de Notre-Dame du Lierre.

– Où diable allez-vous chercher ces comparaisons ? répliqua Barbe.

Et il ajouta sentencieusement, ce qui était presque toujours chez lui l’aveu d’une défaite :

– Les comparaisons, entendez-vous bien, docteur, ce ne sont pas des raisons.

– Excepté, lui dis-je, quand elles sont parfaitement raisonnables. Vous y repenserez ce soir avant de vous coucher. A demain !


Nous partîmes à pied, le lendemain de grand matin, pour le Coiron. – Une canne, un léger pardessus en prévision de la fraîcheur sur les sommets, et un petit havre-sac, composaient le bagage de chacun de nous. On ne voyage plus guère à pied aujourd’hui, c’est dommage. Il est vrai que le chemin de fer fait gagner du temps, mais que de choses il empêche de voir ! En résumé, s’il est bon pour le commerçant, il ne l’est guère pour l’observateur et le philosophe.

Nous passons rapidement le pont d’Ouvèze, sans rencontrer d’autres personnes que cinq ou six paysannes qui apportent des paniers d’œufs ou de fromages au marché de Privas. Du reste, il est à peine jour, et les chiens aboient encore dans les granges : c’est leur manière de saluer le soleil. Nous laissons à gauche le Lac et nous entreprenons vaillamment la montée du Coiron. Privas dort encore là-bas perché sur sa colline comme un oiseau sur sa branche, tandis que le soleil dore le sommet de Charay. Bientôt nous entrons dans la région lumineuse. Mais, bon Dieu ! que cette première partie de la route est aride ! C’est à peine si quelques broussailles végètent à travers les fissures du terrain marneux. Tous les arbres sont restés là-bas dans la plaine.

Plus haut, la terre prend une physionomie meilleure. C’est que la marne commence à s’amender par le mélange des détritus volcaniques. Nulle part peut-être, on ne voit mieux qu’à cette montée du Coiron, l’action fertilisante du sol volcanique quand le temps et les éléments l’ont suffisamment décomposé. Tout-à-l’heure, nous cheminions tristement à travers les aridités et les nudités grises. Nous voici maintenant au milieu d’un terrain gras portant de magnifiques châtaigniers et où l’on sent, pour ainsi dire, la fécondité bouillonner dans le sol. La route traverse quelques champs de culture, mais la plus grande partie des propriétés sont en bois à cause de la déclivité du terrain.

Barbe me montre Chabanais. Un de ces jours, dit-il, nous irons boire du lait chez le fermier. C’est un rendez-vous d’été pour les Privadois qui aiment les goûters de campagne.

Un peu plus haut, la route coupe un dépôt d’ocre rouge formé par la décomposition des cendres volcaniques. Un petit berger est assis gravement sur un bloc de basalte, occupé à se faire des moustaches avec cette argile, tandis que son chien le regarde avec un étonnement mêlé d’inquiétude. Le berger nous salue d’un air vainqueur et Barbe, qui connaît son monde, fait le bonheur du petit homme en lui répondant : Bonjour, cuirassier !


Nous nous retournons une dernière fois pour contempler le bassin de Privas. Barbe me montre dans la grande échancrure de Freyssenet les ruines du château de Cheylus qui fut pris et brûlé par le duc de Montmorency en 1628.

– Avez-vous remarqué, dit-il, que les vautours, les aigles et tous les oiseaux de proie perchent toujours sur les rochers plus ou moins inaccessibles ?

– Oui, c’est la conséquence de leur taille et de leur vie de rapine. La nature les y pousse de même qu’elle porte les petits oiseaux à s’abriter les uns sur les branches d’arbres, les autres dans les trous de murailles et les poules sur les perchoirs des basses-cours.

– Nous avions autrefois, reprit Barbe, nos barons de meurtre et de rapine qui perchaient aussi sur des rocs inaccessibles, comme celui de là-bas (en montrant Cheylus). Si la nature les portait à écraser le peuple, elle a porté aussi ce dernier à renverser ses tyrans.

– Vous choisissez mal vos exemples, répliquai-je. Ce n’est pas le peuple qui a détruit Cheylus, à moins que vous ne vouliez considérer – ce qui, d’ailleurs, serait assez rationnel le roi Louis XIII et le cardinal de Richelieu, au nom desquels agit Montmorency, comme les vrais et légitimes représentants des intérêts populaires et nationaux au dix-septième siècle.

Barbe se mordit les lèvres.

– Vous ne nierez pas, dans tous les cas, répondit-il, que la destruction du régime féodal n’ait été un progrès ?

– Un progrès encore plus grand, dis-je, serait de ne pas se payer de mots et de juger sans passion les époques aussi bien que les hommes.

Sans doute, mon cher ami, la suppression de la féodalité a été un progrès, comme la féodalité elle-même avait été un progrès sur l’anarchie qui suivit la destruction de l’empire romain. La royauté plus ou moins absolue a remplacé avec avantage la féodalité et a été améliorée elle-même par le régime constitutionnel. Est-ce une raison pour jeter la pierre aux précédents régimes, auxquels nous devons, en somme, les nouveaux progrès dont nous nous enorgueillissons aujourd’hui ?

Pour juger équitablement le passé, ami Barbe, il faut se représenter la nation ou même l’humanité comme une personne qui a été jeune et folle et qui l’est peut-être encore, quoiqu’un peu moins qu’autrefois.

Quand on se borne à constater que le présent vaut mieux, sous bien des rapports, que le passé, il n’y a rien à dire. Mais quand on jette la pierre à ce dernier bêtement, et l’on peut dire ingratement, sans reconnaître qu’en somme le passé est le père du présent, on fait preuve d’ignorance et d’étroitesse d’esprit. Je n’aime pas plus que vous les petits tyrans féodaux, mais je reconnais en eux une triste nécessité de l’époque et une préparation aux temps meilleurs qui ont suivi. Il ne faut pas oublier qu’ils représentaient seuls la patrie et la défendaient vaillamment contre l’étranger, de même que le clergé en résumait la science et les vertus chrétiennes. Le peuple n’était qu’un enfant, sans conscience et sans force, que l’un protégeait et que l’autre enseignait. Et ce n’est la faute de personne, mais simplement le résultat de la force des choses, s’il faut compter l’éducation des nations par siècles et non par années. Dans tous les cas, il est facile de voir, par l’exemple des pays encore sauvages, que le progrès n’y marche pas plus vite qu’il n’a marché parmi nous.

Voilà comment je comprends l’histoire, ami Barbe, et il me semble que cette façon est non-seulement plus propre à l’élévation et à l’apaisement des esprits, mais encore plus conforme à la vérité des faits. Ce n’est pas ici le lieu de parler de la famille de Cheylus ; qu’il suffise de dire que c’est une des plus anciennes du Vivarais. Elle se subdivisa en plusieurs branches établies dans le Valentinois, le Dauphiné et Comtat-Venaissin. Elle est aujourd’hui éteinte en Vivarais.


Le Coiron est comme une énorme écrevisse qui sort des Cévennes et qui tient dans ses serres le Teil, Rochemaure, Baïx et Cruas, tandis que ses pattes, rayonnant au nord et au sud, portent chacune quelque village : d’un côté, Freyssenet, Rochessauve, St-Pierre-la-Roche ; de l’autre, Aubignas, St-Pons, St-Jean-le-Noir, St-Gineis, Mirabel, Darbres et St-Laurent.

Le dike central qui forme l’épine vertébrale, de la bête a lancé dix-neuf rayons de basalte entre lesquels coulent dix-neuf ruisseaux qui, parfois, deviennent torrents. Chaque rayon se termine par un cap escarpé. Mettez un fort sur chacun, et vous auras un camp retranché sans pareil pour une armée de cent mille hommes. C’est au sud que les rayons sont plus nombreux, parce que l’inclinaison générale de la montagne y a favorisé la formation d’un plus grand nombre d’échancrures.

Soulavie dit que sous le gouvernement des anciens Helviens, le territoire du Coiron formait une des grandes divisions de l’Etat, et qu’il est distingué des autres parties de la province dans tous les titres.

La route que nous avons prise va d’une patte nord à une patte sud, en traversant par Taverne et Berzème toute la largeur du dos de la bête. Tout sent ici le volcan, les noms de lieux comme la terre et les pierres.

– Comment s’appelle ce quartier à gauche ?

– Combechaude.

– Et le quartier à droite ?

– Lichemaille, Freyssenet est là-bas derrière.

La montée du Coiron (du Lac au plateau) a une longueur de cinq kilomètres. La route est ensuite relativement plane sur toute la largeur du plateau (environ dix kilomètres). Elle traverse trois endroits habités : Taverne, Berzème et Montbrun.

Taverne n’est qu’un hameau de quelques maisons, mais son nom lui donne un parfum d’antiquité qui concorde, du reste, parfaitement avec sa position topographique, car il est bien évident qu’une voie romaine a dû traverser le Coiron dans la direction de Villeneuve à Privas, et le nom de Taberna indique sans doute l’auberge où l’on pouvait manger, boire et se reposer à mi-chemin. Je ne sais pourquoi Faujas l’appelle Maltaverne, peut-être parce qu’on n’y faisait pas des dîners de Lucullus.

La large dépression qui est sur la droite entre Taverne et Berzème s’appelle Chaudcoulant. On y voit généralement la bouche du plus grand volcan du Coiron. Faujas dit que ce sont des moines industrieux qui l’ont métamorphosé en un vallon fertile.

Aujourd’hui, il en sort non pas du feu, mais de l’eau. En effet, c’est là qu’est la source de Claduègne que les anciennes cartes désignent sous le nom de Ladvègne.

Sur le plateau du Coiron, les bois ont fait place aux pâturages. La route court, comme un serpent brun, à travers les champs ou les pâturages verts tachés de basaltes noirs. Ce n’est pas là qu’on risque d’être aveuglé par la poussière qui foisonne dans les bas-fonds calcaires. Il y a, d’ailleurs, dans ces régions, un balayeur qui ne s’arrête jamais : le vent. Bien qu’en plein été et en plein soleil, sa fraîcheur matitinale est assez vive pour nous obliger à prendre nos pardessus.

Plus loin, on trouve çà et là quelques frênes et, à côté des granges, quelques pruniers. Faujas de St-Fond constate la fertilité de la terre volcanique du Coiron, formée par une pouzzolane d’un brun rougeâtre, et qui produit d’excellentes récoltes en grains, mais, ajoute-t-il, comme ce sol n’a tout au plus que cinq ou six pouces de profondeur, et qu’il est assis sur des basaltes ou sur des laves dures, on ne peut y élever aucun arbre ; toutes les clôtures des champs sont formées avec des murs de basaltes grossièrement construits.

Cette observation de Faujas me semble inexacte pour la plus grande partie du Coiron, où les arbres pourraient fort bien venir, si les paysans ne préféraient pas les grains et les pâturages qui sont d’un rapport, plus commode et surtout plus prompt.

Les prairies et les cultures remplissent toutes les dépressions de la montagne, dont la terre noire et grasse atteste une fertilité peu commune. Il faut la voir pour bien comprendre ce que signifie dans la bouche d’un bourgeois d’Aubenas ou de Privas, cette parole orgueilleuse : J’ai un domaine au Coiron !

– Autrefois, dit Barbe, quand on disait un domaine au Coiron, on en avait plein la bouche. A travers ces quatre mots on voyait les prairies luisantes, on entendait la sonnaille des troupeaux, on aspirait l’odeur des fromages et le beurre fondait dans la bouche. Aujourd’hui, on dirait volontiers à celui qui parlerait ainsi : Vous voudriez bien trouver un acquéreur ?

La conversation tomba naturellement sur les causes de la dépréciation de la propriété foncière.

La plus importante est le développement extraordinaire de l’industrie à notre époque, et par suite la création d’une richesse mobilière qui n’existait pas autrefois et dont le maniement est plus commode, sinon plus sûr, que celui de la propriété foncière.

Personne n’ignore les inconvénients que présente celle-ci, surtout pour le propriétaire qui ne cultive pas lui-même.

Le fermier dont les idées sur la propriété ne procèdent guère des doctrines des économistes et sont, au contraire, fort obscurcies par l’intérêt personnel, sans compter les fatales suggestions de l’ignorance et de la misère, trouve souverainement inique d’avoir, soit à payer un fermage au propriétaire, soit à partager avec lui les fruits de la terre, il se dit : « Sans mon travail, ces fruits n’existeraient pas, » oubliant que, sans la terre, dont la propriété est aussi le fruit du travail du propriétaire ou de ses aïeux, ces fruits n’existeraient pas davantage. Il considère donc le propriétaire comme un voleur ou peu s’en faut, et croit exercer un droit naturel en lui laissant la plus petite part possible dans, les produits du domaine.

C’est ainsi que le propriétaire va forcément au devant d’une longue série d’ennuis et de déceptions, qu’il se dégoûte de la terre et finit tôt ou tard par l’échanger contre des valeurs mobilières.

La politique n’a pas médiocrement contribué à la dépréciation des terres. Outre l’aggravation des difficultés naturelles qu’elle apporte au sort des propriétaires non cultivants, par les idées fausses et dangereuses qu’elle propage parmi les paysans, elle a eu le tort de rompre trop complètement le lien qui doit toujours exister entre la possession de la terre et l’administration du pays.

Il ne peut pas sans doute être question de revenir à l’époque du régime censitaire, où il fallait payer deux cents francs d’impôt pour être éligible ; mais il me semble qu’on eût agi sagement en laissant aux propriétaires du sol un certain privilège politique.

– Qu’entendez-vous par là ? dit Barbe.

– Ceci, par exemple : tandis qu’on laisserait aux vagabonds sans feu ni lieu le droit de vote que leur confère le suffrage universel, pourquoi ne donnerait-on pas un double vote à tout propriétaire ou plutôt à tout citoyen inscrit à l’une des quatre contributions ?

Il me semble que ce serait sage, attendu que le propriétaire de biens au soleil, ayant plus à perdre que les autres, est naturellement plus intéressé au maintien du bon ordre et à la prospérité publique. De plus, ce serait juste, parce que la propriété, représentant du travail accumulé, a sur l’administration de la fortune publique un droit naturel que ne peuvent avoir au même degré, ceux qui ne représentent que la prodigalité, ou l’imprévoyance.

Si l’on observe enfin que, sur plus de quatorze millions de cotes foncières qu’indique la statistique pour 1880, il y en a environ treize millions, variant de un à cent francs, réparties entre neuf ou dix millions de propriétaires, on est bien obligé de reconnaître que ce privilège – si privilège il y a – reposerait sur une base largement démocratique. Ces réserves faites, il est évident que le mouvement d’élimination du propriétaire non cultivant, mouvement qui ne date pas de ce siècle, est devenu, dans les conditions de la société moderne, encore plus vif et plus irrésistible. Espérons avec mon ami Barbe que la terre, en tombant aux mains du paysan, n’en sera que mieux cultivée et que la fortune publique y gagnera. Il est, d’ailleurs naturel que la terre porte plus de profit à celui qui vit avec elle, qui la conquiert à force de travail et la féconde de ses sueurs, qu’à celui qui la traite, en étrangère et n’en perçoit les fruits que grâce au travail de ses ancêtres, est ainsi que la force des choses, dans laquelle il convient de reconnaître les desseins divins, corrige les conséquences extrêmes du principe de propriété et rappelle à tous que, née du travail, c’est aussi par le travail que la propriété doit se maintenir.


Il faisait un vent très vif et très frais quand nous traversâmes Berzème. Il paraît, d’après mon ami Barbe, qu’il en est toujours de même, ce qui ferait de cet endroit un séjour exceptionnellement favorable en temps d’épidémie. La vue vers le sud y est fort belle ; malgré l’altitude, le raisin mûrit à Berzème au moins dans les lieux abrités, car nous pûmes en voir dans le jardin de la cure.

Le marquis de Jovyac, dans ses lettres à dom Bourotte, en 1763, lui apprend que sa sœur Suzanne, qui habite le château de Berzème, a épousé noble Fayon, baron de Montbrun, seigneur du Clap.

Dans une autre lettre, il lui dit : Ma sœur s’appelait, il y a quelque temps, madame du Clap comme son mari, mais elle a voulu prendre le nom de l’ancien château de Montbrun ruiné, qui est dans sa belle terre de Berzème, laquelle comprend deux paroisses et presque tout le Coiron.

Dans l’ouvrage de Faujas, paru en 1780, nous voyons que le château de Berzème appartenait alors à l’abbé de Montbrun qui, dit Faujas, est un homme de beaucoup d’esprit, se faisant un plaisir d’accueillir les honnêtes gens. « Comme il y a des objets très-curieux à voir dans cette partie, ajoute Faujas, il est bon de savoir qu’un galant homme vit en philosophe dans cette solitude élevée, où les pauvres naturalistes seraient fort embarrassés en cas d’orage ou de mauvais temps, s’ils ignoraient qu’on peut en toute assurance et sans déplaire au maître du château, lui demander l’hospitalité. »

Soulavie parle aussi de l’abbé de Montbrun comme préparant un ouvrage sur les mœurs des Vivarois. Il est fâcheux qu’il ne l’ait pas écrit.

M. de St-Andéol a cru reconnaître Duzillac (près de Berzème) dans la métairie de Deciate, donnée au VIe siècle par l’évêque Eumaque à la cathédrale de Viviers, avec Saduaco, Caucolumne, Cartennaco et Luguilano. Il ignore où se trouve Saduaco, mais il voit dans Caucolumne la Borie de Chocoulan dont le nom de Borie indique la provenance ecclésiastique, dans Cartenac le village de Seautres, et dans Luguilano la métairie de Gulle, sur le petit ruisseau de la Gulle qui traverse l’ancien théâtre d’Alba-Augusta.

Toutes ces indications, extraites du Charta Vetus ou vieille charte des donations de l’église de Viviers, sont assez vagues et supportent des interprétations fort diverses. C’est ainsi que l’abbé Rouchier lit Beciate au lieu de Deciate (et par suite Bessas au lieu de Berzème).

Celui qui, le premier parviendra à éclaircir le Charta Vetus et le Cartulaire de St-Chaffre, qui contient aussi une foule d’indications précieuses sur l’ancien Vivarais, aura rendu un grand service à l’histoire de notre pays. Ce travail aurait été singulièrement facilité par le Dictionnaire topographique de l’Ardèche dont il a été question, il y a quelques années, et pour lequel un questionnaire avait même été dressé. Toutes les cartes, à commencer par celle de l’état-major, sont à ce point de vue, d’une insuffisance manifeste, et Dieu sait les découvertes que pourrait faire un homme intelligent s’il passait une journée dans chaque village, à faire parler les gens de l’endroit ! Heureux ceux qui ont le temps de voyager ! Il est vrai que la plupart de ceux qui l’ont ne connaissent pas leur bonheur et gaspillent dans des cercles ou des cafés, un temps et un argent qu’ils pourraient employer beaucoup plus utilement et plus noblement ailleurs.

L’abbé Mollier croit que l’église de St-Pierre de Berzème (comme celles de Mirabel et de St-Gineis) est postérieure au Xe siècle. Il suppose qu’elle fut fondée par les Bénédictins de l’abbaye des Chambons qui possédaient le domaine de la Borie et de Taverne avant la fin du XIIIe siècle (1).


Le hameau de Montbrun – je ne sais pas pourquoi on dit aujourd’hui Montbrul, car tous les anciens actes portent Montbrun – est perché au sommet du versant méridional du Coiron, au-dessus de St-Jean-le-Centenier. C’était autrefois le siège du mandement dont la paroisse de St-Gineis faisait partie. Aujourd’hui, c’est un simple hameau de la commune de St-Gineis. – La terre de Montbrun et de St-Gineis devait l’hommage aux barons de Chalancon.

Faujas de St-Fond signale, au village de Montbrun, entre deux grandes coulées de basaltes, une couche d’ocre semblable à celle que nous avions remarquée le matin à la montée du Coiron. « Cette lave altérée, dit-il, chaux de basalte, douce et savonneuse au toucher, est d’un rouge brillant presque aussi vif que celui du minium ; on y distingue une multitude de paillettes de schorl noir. »

Ces couches d’ocre ne sont pas rares dans nos montagnes volcaniques. Du côté du Mézenc, entre cette montagne et Bonnefoy, nous en avons constaté un bon nombre dont les couleurs voyantes tirent l’œil.

La grande crevasse volcanique où sont les Balmes est au-dessous du village de Montbrun. Elle part de la première maisonnette qu’on trouve à droite au bord de la route. Sa profondeur est d’environ cent cinquante mètres et sa plus grande largeur, de cent. Il dut y avoir là une bouche latérale du grand foyer souterrain du Coiron, peut-être un véritable cratère que les érosions de la rivière de Claduègne ont miné par le bas, tandis que les eaux torrentielles l’élargissaient par le haut et le transformaient en ravin escarpé. Les hommes sont venus ensuite profiter du travail des éléments et de la nature spongieuse de la roche lavique pour s’y creuser des habitations et profiter des cavités naturelles qui existaient déjà. Peut-être le travail humain n’est-il pas étranger à la formation de la grande paroi de droite, perpendiculaire comme un mur de maçonnerie, dont le sommet supportait une sorte de fort, qu’on appelle encore le château. Ce point, qui forme un promontoire élevé entre le volcan et Claduègne, avait été rendu également inaccessible du côté du nord par une large brèche faite dans le mur volcanique, sur laquelle existait probablement un pont-levis.

La crevasse de Montbrun est un des endroits les plus pittorresques qu’on puisse imaginer. Entre ses deux grands murs de lave poreuse, on voit un jardin, un pré et quelques échamps, entremêlés de buttes et de débris de colonnes laviques qui lui donnent l’aspect d’un vieux monument en ruines. Un de ces échamps contient six cerisiers, et il nous semble que rien ne doit être joli comme ces arbres fleurissant au printemps au milieu des laves qui, nulle part, peut-être, n’offrent une telle variété de couleurs qu’à Montbrun, depuis le gris de lin jusqu’au rouge tendre, au violet et au bleu de Prusse. Ailleurs, nous avons remarqué un frêne, des figuiers, des poiriers, et partout sortant des fissures volcaniques, des buis et des tithymales. La crevasse se perd dans les profondeurs de la rivière Claduègne, d’où émergent de magnifiques noyers. Il est à remarquer enfin, que cette énorme projection de laves poreuses repose sur une coulée de basalte dur et compacte.

Mais le plus curieux, ce sont les balmes, c’est-à-dire les baumes, en patois baoumo, qui ont servi d’habitation humaine à diverses époques. Baoumo vient du provençal baou, rocher, et signifie une caverne habitée. Il y en a une quinzaine environ de chaque côté. Quelques-unes sont entièrement creusées dans la lave et d’autres sont fermées par un mur à chaux et à sable. Plusieurs se trouvent à une certaine hauteur au-dessus du sol, et il faut une échelle ou une corde pour y arriver.

Un brave ecclésiastique, d’une honorable famille du Comtat, l’abbé Brochery, s’était installé dans une de ces dernières, il y a quelques années, pour y vivre de la vie de cénobite qu’il avait déjà essayée dans les environs de Privas. Sa nourriture était des plus frugales, car elle se composait uniquement de dix centimes de pain et une tome par jour. Ses amis et ses confrères craignirent l’effet de ce régime et de la solitude sur sa santé et sur son esprit, et on parvint à l’arracher de sa balme.

Deux de ces balmes sont encore habitées, une de chaque côté.

Dans celle de droite, exposée au sud-est, est une pauvre famille composée du père qui a quatre-vingts ans, de la mère qui en a quatre-vingt-deux, et d’une fille aveugle ou à peu près, qui en a cinquante. Ces pauvres gens, au moment où nous entrâmes, mangeaient une soupe d’orge et des figues. Leur habitation était naturellement noire et enfumée. Ils n’en ont jamais eu d’autre. Ce sont peut-être les seules maisons du département où l’on n’ait affaire ni à un propriétaire, ni au percepteur.

La vieille nous demanda si nous voulions voir la chapelle, car une des balmes a été transformée en chapelle, et c’est cette famille qui en a la clef. Sur notre réponse affirmative, nous pensions qu’elle allait nous y conduire elle-même, mais ce fut, à notre grand étonnement, sa fille, l’aveugle, qu’elle chargea de ce soin. Celle-ci prit ses sabots, un bâton, et la voilà marchant devant nous par des sentiers impossibles. Nous primes à droite et sortîmes du cratère par la brèche qui servait de fossé au château. Cette brèche a été faite en partie double et elle est coupée au milieu par un mur de laves taillé à pic d’une façon très-régulière. Peut-être ce mur indique-t-il l’existence d’un double pont-levis.

Ce passage nous conduisit sur le rebord extérieur du volcan qui domine un affreux précipice au fond duquel roule – quand il y a de l’eau – la rivière de Claduègne. L’aveugle allait d’un pas sûr en suivant un sentier à peine tracé où nous n’avancions nous-mêmes qu’avec précaution.

– Vous devez voir, nous dit l’aveugle, la lucarne de la chapelle.

En effet, Barbe me fit apercevoir un petit vitrage carré dans une fissure de rocher. Quelques pas plus loin, nous nous trouvâmes devant la porte de la chapelle dont les abords ont été taillés de main d’homme.

L’aveugle nous en ouvrit la porte. Cette chapelle est dédiée à Sainte-Catherine. Abandonnée à diverses reprises, elle a été rendue au culte en 1864, par le curé de Saint-Gineis qui vient de temps en temps y dire la messe. Avis en est donné, le dimanche précédent, dans les églises de St-Jean, St-Gineis et Berzème, afin que tous les habitants des hameaux voisins puissent y assister.

Cette chapelle, qui peut contenir une quinzaine de personnes, est d’une ornementation fort primitive. Il y a un autel orné de deux chandeliers et de quelques images qui n’ont rien moins qu’une valeur artistique.

Dans une niche près de l’autel, nous vîmes une fiole contenant l’eau bénite et à côté une sonnette. Une douzaine de chaises étaient éparpillées, et l’une d’elles, qui avait l’allure d’un vieux fauteuil, nous fut désignée par l’aveugle comme servant de confessionnal.

Comme on nous avait dit, à Montbrun, que la pauvre aveugle disait des neuvaines pour les personnes qui le lui demandaient, nous lui laissâmes une petite offrande.

– Il faut bien prier le bon Dieu ! nous dit-elle. Que deviendrions-nous sans lui ?

Elle se mit à genoux dans la chapelle et pria dévotement, tandis que nous admirions de la porte les croupes pelées de St-Gineis.

– Encore une occasion que vous manquez, dis-je à Barbe, de protester contre la superstition !

– Hélas ! répondit-il, si la superstition est permise, à quelqu’un au monde, c’est bien à ces pauvres gens, puisqu’ils y trouvent une consolation et qu’il n’est guère possible de leur en donner d’autres.

– Vous venez de dire en d’autres termes, ami Barbe, ce qu’a écrit il y a bien longtemps une des notabilités républicaines de notre temps qui est aussi un savant illustre et un penseur profond. Ce mot, que je me suis souvent rappelé, surtout dans ces derniers temps, est-celui-ci : _La religion est la philosophie des peuples ! (2). Je vous engage, et beaucoup d’autres aussi, à le méditer.


Faujas de St-Fond, qui visita les Balmes en 1775, dit qu’elles ont été habitées depuis des temps très-reculés ; il y reconnut divers fragments de poterie antique. « On me montra, dit-il, la plus considérable de ces habitations souterraines et profondes qui subsistent en entier et qu’on nomme la prison ; elle est formée de deux étages oblongs posés l’un sur l’autre ; il parait que le premier étage était la demeure du geôlier ; la prison était au-dessus, on y montait par un escalier étroit pratiqué dans la lave. Cet horrible cachot, qui n’a de jour que par une triste et petite lucarne, parait avoir été jadis destiné à renfermer un assez grand nombre de prisonniers qu’on y tenait enchaînés à des anneaux dont on voit encore des vestiges ; un des habitants qui s’est emparé de cette prison pour en faire un grenier à foin, m’a dit avoir arraché depuis peu, plusieurs de ces anneaux qui restaient encore et qui étaient d’un volume et d’un poids considérables. »

Du temps de Faujas, comme aujourd’hui, deux des balmes seulement étaient habitées. Les autres avaient été abandonnées par suite des accidents que les pluies et les fortes gelées occasionnaient en faisant rompre et détacher des blocs considérables de laves à l’intérieur des habitations.

Nous présumons, d’après la gravure contenue dans l’ouvrage de Faujas, que la principale balme habitée de son temps, est précisément la même où nous avons trouvé une famille de trois personnes. Celle-ci est exposée au sud-est et assainie dans une certaine mesure par le soleil, tandis que celles du côté opposé sont humides et malsaines. L’une d’elles est néanmoins habitée. Nous y trouvâmes une femme d’une cinquantaine d’années occupée aux soins du ménage. Son mari était allé à Villeneuve vendre des chèvres. Elle nous dit qu’ils avaient des terres et qu’ils en tenaient à ferme. Ainsi, voilà des propriétaires qui habitent des cavernes, des troglodytes qui paient des impositions !

Les troglodytes de Montbrun ne sont pas les seuls du département. Nous avons signalé dans un précédent chapitre, ceux de la Jaubernie, et dans un autre opuscule ceux du lac d’Issarlès, dont l’habitation est creusée, comme à Montbrun, dans la lave (3).

Tout le monde connaît ceux de la Grange de Baumier, près de Mirabel. Ce sont des propriétaires aisés qui, pour être logés sous un toit de basaltes, n’en ont pas moins une maison complète avec cuisine, salle à manger et salon.

M. Jules de Malbos cite une grotte du bois de Païolive qui était habitée de son temps par Tastevin, un brave homme qui a été notre guide au bois de Païolive.

On peut voir enfin dans le très curieux mémoire de M. de Malbos, qu’a publié récemment le Bulletin de la Société d’Agriculture, combien de cavernes de la région de Païolive ont été habitées à diverses époques.

Ne soyons pas si fiers de nos maisons actuelles. Nos aïeux ont tous habité des baumes et le grand nombre de noms propres, qui en portent encore la trace dans l’Ardèche : Beaume, Labeaume, Beaumel, Balmelle, etc., prouve que le troglodytisme s’est perpétué encore plus longtemps dans nos pays qu’ailleurs, ce à quoi, du reste, la nature vivaroise se prêtait beaucoup mieux que celle des pays de plaines. Les grottes naturelles de la région calcaire ont été les plus anciennement habitées, mais là, les premiers troglodytes vivaient plus ou moins isolés. Les baumes de l’Ardèche et du Chassezac ont dû abriter des individus, des familles, mais la première cité troglodyte, le premier endroit de nos montagnes où l’homme ait dû vivre en société, tout en habitant des cavernes, a été probablement Montbrun.

Les Balmes de Montbrun ne méritent donc pas seulement d’être visitées au point de vue géologique ; elles présentent de plus, un très grand intérêt archéologique, puisqu’elles constituent la plus ancienne ville du Vivarais.

Au moyen-âge, Montbrun devint une seigneurie, et le château qui se dressa au dessus des Balmes servit à protéger non-seulement le peuple des cavernes, mais encore celui des villages environnants. Ce château dut être détruit à une époque fort éloignée, puisque l’histoire ne nous en a pas conservé le souvenir.

Ah ! si les Balmes de Montbrun pouvaient parler, que de choses elles nous apprendraient sur la vieille histoire de notre pays ! Il est bien probable, en effet, ami Barbe, qu’elles furent la première étape des troglodytes de la région calcaire s’avançant vers le nord et quelles l’abritèrent contre les bêtes et contre ses semblables.

Nos aïeux de la centième génération y cherchèrent un abri contre le flot vainqueur des armées romaines et ceux de la soixantième contre les hordes barbares qui vinrent brûler à quelques lieues d’ici, l’Albe des Helviens.

Nos aïeux de la vingtième génération s’y réfugièrent pour éviter les supplices destinés aux Vaudois et aux Albigeois.

Plus tard, ce lieu servit de refuge aux protestants qui, selon l’expression emphatiquement erronée de Napoléon Peyrat (4) (car les Balmes sont bien plus vieilles que les protestants) « se creusèrent dans les vastes pores de ses gigantesques scories en forme de tours, une multitude de petites cellules, et, abeilles évangéliques, firent leurs alvéoles des soupiraux mêmes du volcan. »

Ce fut ensuite le tour des fuyards de l’armée de Jacques Roure, battue à la Villedieu en 1670, puis celui des prêtres pourchassés sous la première Révolution ; on peut bien supposer, enfin, que plus d’un proscrit du 2 décembre y chercha comme dans les grottes des environs de Vallon, une cachette contre les gendarmes…

– Espérons, dit Barbe, que cette lugubre procession est bien finie et que personne, si ce n’est désormais les voleurs et les assassins, n’aura plus besoin d’y chercher un refuge.

– Qui sait ?

Et comme Barbe protestait au nom du progrès moderne, ce qui est le plus accentué de ses dadas, je lui rappelai les vers de Boileau :

De Paris au Pérou, du Japon jusqu’à Rome,
Le plus sot animal à mon avis, c’est l’homme.

– En effet, dit Barbe, nous sommes des sots, car nous oublions l’heure du dîner. Remettons-nous bien vite en chemin, si nous ne voulons pas qu’on mange le conseiller sans nous.

  1. Recherches historiques sur Villeneuve-de-Berg, p. 44.
  2. Mahomet, par Barthélemy-St-Hilaire.
  3. Voyage aux pays volcaniques du Vivarais.
  4. Histoire des Pasteurs du désert.