Voyage autour de Privas

Docteur Francus

- Albin Mazon -

XXII

Baïx et le Pouzin

La vallée de Barrès. – Baïx-sur-Baïx. – Le Pouzin du temps des Romains. – La collection du docteur Lamotte. – La poule et ses poussins. – La chapelle St-Jean. – Les incidents de 1612. – Le siège de 1622. – L’héroïsme de Montchalin. – Le brave Brison gagne 40,000 écus. – Le siège et l’incendie du Pouzin en 1628. – Le capitaine Mezenc obtient l’autorisation de le reconstruire. – Les écroulements séculaires d’une montagne. – L’assassinat de M. d’Arbalestier, en 1789. – Une panique. – Chansons de conscrits. – Retour à Privas.

Derrière la montagne que longe la voie ferrée est la vallée de Barrés, une des belles vallées du département, dont les détritus volcaniques ont fait un terrain des plus fertiles.

Les principales communes du Barrés, sont : Saint-Vincent, St-Martin-le-Supérieur et St-Martin-l’Inférieur. Celle-ci s’appelait autrefois Saint-Martin-le-Souteiran ou Soub-le-Vent par opposition à l’autre St-Martin qui est sur le rocher et exposé au vent.

La montagne de Bergwise, qui domine le château de Pampelonne, appartenait avant la Révolution aux religieuses de St-Benoît, d’Aubenas, qui en tiraient un très petit revenu.

Le curé de St-Martin-l’Inférieur écrivait en 1762 :

« Nous n’avons rien de remarquable dans cette paroisse que mauvais pays, pays pénible, pauvre et misérable. »

Le Coiron finit à Baïx. Le Pouzin et Baïx sont posés comme deux sentinelles à l’entrée de la large trouée que la nature a faite en cet endroit à la grande muraille vivaroise des bords du Rhône, comme pour laisser voir aux curieux que l’intérieur du Vivarais n’est pas moins accidenté que son rebord rhodanien. On aperçoit, en effet, là-haut, à l’infini, des montagnes blanches, noires ou bleues, selon la saison ou le moment du jour, et l’on comprend fort bien que la facilité de l’accès ait fait de cet endroit le passage le plus ancien et le plus fréquenté du Rhône en Vivarais. C’est là, en effet, que la voie romaine allant à Privas se détachait de la voie principale qui longeait le Rhône, et il est bien probable que les Romains n’avaient fait que paver un sentier déjà tracé par les Gaulois.

Baïx s’est appelé autrefois Batiana, Baïcium et Bacxus. Aujourd’hui, les employés du chemin de fer l’appellent Bex. D’après la géographie de 1442, Baïx était un fort important. Il y avait deux châteaux, placés l’un sur l’autre, dominant tous deux le village, ce qui lui a valu son ancien nom de Baïx-sur-Baïx.

C’était la résidence habituelle de la comtesse Major, l’alliée de ce fameux Raymond de Turenne qui, de 1389 à 1399, fit la guerre au comte de Provence et au pape, résidant à Avignon. Raymond s’empara de Baïx à la fin de la guerre.

Baïx a généralement suivi le sort du Pouzin, allant comme ce dernier du pape à Calvin, du roi aux seigneurs rebelles, selon les vicissitudes de la guerre. Cependant, il sut se défendre, en 1575, contre le duc de Crussol, tandis que les catholiques soumettaient le Pouzin à l’autorité royale.

Le duc de Rohan prit Baïx en 1628, et en démolit les fortifications qui furent rétablies peu à peu par les catholiques après la prise du Pouzin.

La terre de Baïx fût achetée par le marquis d’Aulan en 1767.

Nous reviendrons sur les origines de Baïx, à propos du Pouzin qui lui fait face de l’autre côté de la large vallée qui sépare le Coiron des montagnes du Gras.

Il existe dans un ravin de Baïx une chapelle de Ste-Euphémie où il y a une Vierge noire, objet d’un pèlerinage qui dure huit jours, vers la fin de septembre.


L’Ouvèze se jette dans le Rhône au Pouzin et sépare ce bourg en deux parties. Dans la partie méridionale, en suivant une ligne qui, des dernières maisons, tendrait à la gare et de là au sud-est, on traverse successivement les quartiers de la Magdeleine, du Molar et de St-Vincent qui, d’après une vieille tradition, occuperaient l’emplacement d’une ancienne ville. Or, cette tradition est confirmée par les découvertes nombreuses qu’on y a faites et qu’on y fait encore tous les jours.

Ovide de Valgorge évalue à plus de trois mille les médailles romaines en argent trouvées au Molar, médailles reproduisant les types bien conservés de tous les empereurs, depuis Auguste jusqu’à Posthume, mais où dominent cependant les effigies d’Alexandre Sévère, de Gordien, de Gallien, de Claude-le-Gothique et de Posthume. Le savant archéologue lyonnais, Comarmond, avait visité le Pouzin et y avait acquis beaucoup d’objets antiques, entr’autres une belle bague représentant le berger Pâris. Ovide de Valgorge raconte qu’entre le Rhône et le Molar, il existait, de plus, une construction romaine, composée de plusieurs pièces, dont le plancher, au lieu de reposer sur des colonnes, s’appuyait sur de larges et épaisses amphores renversées et alignées les unes à la suite des autres. Cette construction était aussi pourvue d’un calorifère romain dit hypocostum.

La collection de notre ami, le docteur Lamotte, est là, du reste, pour convaincre les plus incrédules de l’antique importance du Pouzin. C’est au Molar, dans une partie que n’avait pas explorée Comarmond, que le docteur Lamotte a fait ses plus nombreuses découvertes. Molar est un mot celte ou gaulois qui signifie cimetière. Dès les premiers coups de pioche, le docteur Lamotte exhuma des vases gallo-romains ayant servi aux funérailles. Il en a recueilli une centaine offrant soixante types différents. Les vases en verre ont des formes très gracieuses, mais on les retrouve partout, sauf un qui est encore pourvu de la chaînette de bronze au moyen de laquelle on le portait suspendu à une agrafe. Le plus grand nombre ne possèdent que la couleur magique de la patine, mais il y en a de bleus, de jaunes et de violets.

Les vases en terre attestent, du moins quelques-uns, le travail d’un artiste. La couleur des terres varie : rose, rouge, jaune et bleu. Ce sont toutes des poteries tendres. Des guirlandes d’épis de blé, de feuilles de lierre et de fougères, des chasses, le tout en relief, ornent leurs formes élégantes. Un de ces vases a trois anses entre lesquelles se trouvent trois médaillons spinthriens. Quelques-unes de ces poteries portent le nom du potier ou les initiales du propriétaire. Les usages de ces vases étaient très variés ; quelques-uns étaient munis de serrures pour protéger leur contenu. Les plus petits dans lesquels on mettait du lait, du vin, du sang et tout ce qui pouvait apaiser les mânes, se trouvaient renfermés dans de plus grands avec les cendres du mort.

Nous avons encore vu dans la collection du docteur Lamotte, une statuette de Vénus, une de Diane et un chien lévrier, le tout en bronze. Parmi les autres objets en bronze, intacts ou brisés, mentionnons des miroirs, des aiguilles, peut-être des instruments de chirurgie, beaucoup de débris de petites chaînes aussi capricieusement ouvragées que celles qui attachent aujourd’hui nos montres, des agrafes, des bracelets, des anneaux même en or, des fibules, des pierres gravées. Ajoutons un fragment de corne émaillée de verre bleu et un fragment d’argent portant le nom de Cloulia qui, après avoir été une monnaie, avait servi de bijou.

Quelques-unes des monnaies recueillies avaient servi d’amulette : elles étaient à l’effigie de Caligula, Claude, Domitien. L’usure du clou de cette dernière montre qu’elle avait été portée longtemps.

Enfin deux grandes raretés : une dactyliotheca, écrin à bagues, représentant une poule, et une coupe en onyx. La couleur des veines de la coupe est éclatante et excite l’admiration des connaisseurs. C’est le vase murrhin des anciens. Elle a une anse ou oreille de chaque côté, ce qui a dû coûter beaucoup de travail.

Si à tous ces objets, la pensée ajoute ceux qui, recueillis autrefois, ont été détruits ou dispersés, et si l’on songe aussi aux nombreuses pierres tumulaires trouvées dans ces parages, il est difficile de ne pas conclure à l’existence d’un important centre de population ancienne sur ce point.

Quelle était cette ville ? Le docteur Lamotte a compulsé, pour la découvrir, les itinéraires anciens et n’a trouvé que Mutatio Vantionis, d’après Wesseling, et Batiana, selon la Table théodosienne (nom que Valckenaer traduit par Bance vis-à-vis Baïx), qui puisse y répondre.

Le docteur Lamotte pense que ce mot de Batiana, donné par la colonie phocéenne, indique la facilité qu’on avait en ce lieu à traverser le Rhône (batos aisé, praticable, ana à travers), grâce au grand nombre d’îles, indiquées dans tous les plans, que le fleuve formait en cet endroit.

Batiana possédait donc un bac pour traverser le Rhône et un relai de chevaux (Mutatio Vantionis). La ville était assise sur les deux rives du fleuve et peut-être aussi dans les îles. Elle s’étendait obliquement du nord-ouest au sud-est, c’est-à-dire depuis l’embouchure d’Ouvèze jusqu’à Bance, vis-à-vis Baïx et elle subsista jusqu’à l’invasion des Vandales. Elle fut détruite à la même époque qu’Alba et Cruas, c’est-à-dire en 411. Les monnaies d’Arcadius qui occupa le trône impérial de 395 à 408, sont les dernières monnaies romaines recueillies au Pouzin par le docteur Lamotte au milieu des débris incendiés, et rien ne sert mieux que les monnaies à fixer approximativement les dates.

La population de Batiana, échappée au massacre, revint au bout d’un temps impossible à préciser, et rebâtit la ville par dessus les ruines laissées par les Vandales. Cette nouvelle ville fut détruite vers 735 par les Sarrasins qui ravagèrent à cette époque toute la vallée du Rhône jusqu’à Lyon.

Quelques centimètres de terre recouvrent deux étages de ruines superposées. Blé, millet, ossements divers et très nombreux, débris de toutes sortes, le tout plus ou moins calciné, et par dessus une voie romaine bordée de restes de maisons bien alignées, parement extérieur des murs en moellons, parement intérieur à mortier rose : voilà ce qu’ont démontré toutes ces fouilles, et ce qu’il est encore facile de vérifier.


Une seconde fois, le Pouzin sortit de ses ruines, mais alors, connaissant le danger des invasions, les habitants jugèrent à propos de se fortifier. A la population phocéenne qui avait fondé la ville était venue se joindre peu à peu une population d’origine latine. Les intérêts s’étaient confondus, mais il n’en était pas de même des races. En abandonnant ses anciens foyers, la race grecque s’établit plus au sud, vis-à-vis Bance, sur la rive droite du Rhône, c’est-à-dire à Baïx. La race latine jeta sur les rochers qui sont au nord de l’Ouvèze les fondations du Pouzin actuel.

Les habitants de Baïx ont conservé avec les habitudes patriarcales, le type grec du visage. Soit que les deux localités aient reçu leur nom de l’étranger, soit qu’elles se le soient donné mutuellement dans un esprit de jalousie ou de dérision, il est à remarquer, d’après le docteur Lamotte, que les deux noms ont, chacun dans la langue des habitants, une signification identique.

Baïx viendrait du grec baios, peu considérable, et le Pouzin de pusillus, très petit, chétif.

Dans Baios nous retrouvons la prononciation rude du pays ; il a suffi de la suppression de l’o.

Les habitants de Baïx sont surnommés Leis Kerneteis. On a cru à tort que c’était parce qu’ils faisaient dessécher beaucoup de fruits. Le docteur Lamotte retrouve là un mot grec qui veut dire les pauvres ou les artisans.

Pusillus, de son côté, devint Pousillou et par inversion lou Pousi, ce qui est son nom patois actuel, devenu en français le Pouzin ou le Poussin.

La langue latine, employée pour les actes publics au a moyen-âge, ne sachant comment traduire ce nom, le jugea synonyme de petit poulet, mais n’osant traduire pullus gallinaceus, forgea le mot de Puletum. C’est ce Puletum qui figure dans le diplôme que Charles-le-Chauve accorda en 875 à l’évêque Etherius, et c’est dans le territoire de ce Puletum que la charte de fondation du monastère de Rompon en 977 mentionne la donation de quelques terres. Il parait que ce mot de Puletum n’avait jusque-là trouvé d’autre traduction que celle de pouillé. Un fait qui nous paraît donner complètement raison à cette interprétation du docteur Lamotte, c’est le choix fait par les anciens habitants du Pouzin pour leurs armes parlantes ; ces armes se composent, en effet, de trois poulets ou poussins. La comparaison fut poussée plus loin. A l’époque des guerres civiles, le Pouzin, point de réunion de toutes sortes de fuyards protestants, fit construire un fort pour se protéger contre les troupes royales. On lui donna le nom de Poule. La poule n’est-elle pas le défenseur naturel de ses petits ? Un bras du Rhône qui passait devant ce fort a gardé le nom de bras de la Poule. Enfin les derniers seigneurs d’une ville toujours en révolte contre le souverain avaient aussi des armes parlantes ; c’était un renard – le roi – s’approchant d’un nid rempli d’œufs de poule (armes de Belin de Laréal).

Les premières habitations du nouveau Pouzin s’élevèrent sur un rocher disloqué, situé au bord de l’Ouvèze. Du côté de la rivière, une muraille couronnait l’escarpement naturel qui se dressait sur ses bords et la préservait de toute attaque. Cette muraille aboutissait à la porte d’Ouvèze sur la route de Privas. De là, elle se dirigeait vers le nord, sur la montagne, où elle rencontrait une crevasse large et profonde, défense naturelle qui, n’étant pas encore cependant jugée suffisante, fut surmontée d’une muraille qui s’étendait jusqu’à la porte de Lavoulte.

Sur le sommet de la montagne, un pont-levis mettait la ville en communication avec les champs du Duc dont on avait coupé les bois afin d’éviter toute surprise.

La porte de Lavoulte, formant l’entrée principale, se trouvait aux abords de la place actuelle du bourg. De ce point, les murs se dirigeaient vers l’Ouvèze, où se trouvait une poterle par où s’écoulaient les eaux pluviales en ravinant le sol ; c’est aussi par là que passaient les habitants pour conduire leurs bestiaux aux pastis communs, le grand et le petit, remplacés aujourd’hui par les hauts-fourneaux. Le long de cette muraille existait un fossé large et profond sur les bords duquel passait la route de Lavoulte à Baïx.

Près de la porte de Lavoulte était un puits, encore existant, où se désaltéraient ceux qui n’avaient pas le droit d’entrer dans la ville et les gens de passage lorsque les portes étaient closes,

A l’intérieur des murs et non loin de la porte d’Ouvèze se trouvait une enceinte de murailles renfermant des maisons et quelques champs arides : c’était le fort de la Salle. Au dessus était le Château bien fortifié et dominant tout le pays. La rue du Mauxpas les séparait, Au levant du fort se trouvait la rue ou place de la Lauze où était l’auberge de la Mule-Blanche. C’est par les fenêtres de cette auberge que les huguenots pénétrèrent dans le fort et s’en emparèrent en 1574. Aussi lorsque Philiponis qui en était propriétaire, vendit à l’aubergiste Cordier en 1605, il réserva que « si par le moyen de la guerre on prenait passage par ledit chazal pour entrer au fort de la Salle comme en a été par le passé, ledit Cordier ne pourra demander aucune garantie. »

La grande rue conduisait au Temple et à la Maison-de-Ville, près desquels se trouvait la place du Temple où prenaient leurs ébats les compagnons joueurs de paume chargés de son entretien. Au nord était le cimetière.

Presque en même temps que la ville s’était élevée la chapelle St-Jean près de la porte du ravin d’Ouvèze ; mais déjà, dès la fin du XVIe siècle, elle était en ruines pour cause de vétusté. Les habitants catholiques, devenus rares, allaient entendre la messe à la chapelle de la Marie-Magdeleine, bâtie sur les ruines d’un temple de Jupiter et qui plus tard devint l’église paroissiale. L’abbé Rouchier croit que l’église Ste-Marie de Exobredio donnée par l’évêque de Viviers en 1112 au prieur de Rompon, n’est autre que celle de la Magdeleine. Dans le langage local, on dit encore aller à la Magdeleine pour se faire enterrer, parce que le cimetière était autour de l’église.

Lorsque les guerres civiles eurent détruit cette église ainsi que l’église collégiale élevée par les religieux de Rompon au hameau de Payre, le curé du Pouzin obtint (24 décembre 1610) l’autorisation de célébrer les offices dans la maison que M. Imbert de Vaux venait de construire sur les ruines de la chapelle St-Jean et d’y dresser un autel.

Voici ce que dit de cette chapelle dom Fournol, chargé de la desservir :

« En ouvrant la porte, on aperçoit deux lits garnis, une table et plusieurs coffres et meubles servant au ménage. C’est dans cette salle qu’on mangeait et buvait ordinairement, et lorsqu’on voulait célébrer le service divin, on fermait les fenêtres qui regardaient sur la voie publique et dans une embrasure on plaçait la table qui, ce jour-là, servait d’autel. Tout auprès se trouvait un bénitier d’étain. »

La nouvelle église date de 1865. La Vierge trône sur le fronton. Mais la Madeleine est au-dessous, lavant les pieds du Christ. Nous devons à l’insistance du docteur Lamotte ce souvenir de l’ancienne église,


Par sa position aux bords du Rhône et à l’entrée de la vallée d’Ouvèze, le Pouzin était naturellement appelé à jouer un rôle pendant l’époque troublée des guerres religieuses.

C’était en quelque sorte la sentinelle avancée des protestants des Boutières.

Le Pouzin fut pris le 17 mars 1622 par Lesdiguières, commandant des troupes royales. Le duc de Rohan avait envoyé des renforts, mais le comte de Montréal les avait battus à leur passage à Villeneuve-de-Berg. Ce n’est pas sans peine, d’ailleurs, que Lesdiguières vint à bout du Pouzin. Il avait expédié d’abord un petit corps d’armée, sous les ordres du comte de Maugiron, qui descendit le Rhône en bateaux, de Valence à Baïx. Malheureusement, Maugiron fut tué dès la première rencontre. Un gentilhomme, Montchalin, de la maison de la Balme, se signala par un acte d’héroïsme qui lui valut d’être complimenté, en présence de toute l’armée, par Lesdiguières. Montchalin qui était enseigne, se trouvant en danger de perdre son drapeau, s’enveloppa dans ses plis et aima mieux se laisser couper la main que de le remettre volontairement. La place, où commandait Mathieu de Chambaud, résista bravement. Mais Rohan, comprenant l’impossibilité de la conserver, envoya Blacons qui détermina Chambaud à se rendre. Ce succès rendit la liberté au commerce du Rhône.

Pierre de Boissat, gentilhomme de Vienne, qui devint dans la suite membre de l’Académie française, et qu’on surnomma Boissat-l’Esprit, était volontaire dans l’armée que Lesdiguères conduisit au siège du Pouzin et en a consacré le souvenir dans une narration latine appelée : Puzinensis Obsidio.


Les aventures belliqueuses du Pouzin étaient loin d’être terminées. Le 1er janvier 1626 avait été fixé par Rohan pour le soulèvement général du Languedoc. Ce jour-là, les habitants du Pouzin, réveillés par la cloche et par le cri public du sergent ordinaire du lieu, se réunirent dans la maison consulaire et Jacques Rey, l’un des consuls, leur apprit que la nuit dernière, le sieur de Brison s’était saisi de la ville et sommait les habitants de prendre les armes pour l’aider à forcer la garnison qui était dans la forteresse. L’assemblée protesta de ses sentiments de fidélité au Roi, mais c’était là probablement une comédie. Et Brison en jouait une autre à l’insu de ces braves gens, car la surprise du Pouzin, qu’il avait réalisée de concert avec Bavas et Charrier, n’avait d’autre but que d’obtenir de meilleures conditions en cédant cette place au roi. Il y gagna, en effet, quarante mille écus, plus une amnistie complète pour lui et les siens. Lesdiguières fit raser les fortifications du Pouzin, ainsi que celles de Baïx. Le sieur de Percy fut chargé de la démolition des murailles du Pouzin et reçut de la comunauté cinquante pistoles de gratification « pour épargner les environs. »

Des bruits de guerre ayant recommencé à circuler, le 1er août 1627, les habitants du Pouzin s’empressèrent de nouveau de jurer fidélité au Roi en présence de Chambaud, capitaine châtelain, ce qui n’empêcha pas la ville de se rendre sans résistance, au duc de Rohan, en avril 1628.

Les religionnaires ne gardèrent pas longtemps leur facile conquête. Le duc de Montmorency accourut avec des forces considérables. Le siège commença le 25 mai 1628 et des deux côtés on se battit avec une extrême vigueur. Les assiégés, dit le Soldat du Vivrais, « allèrent recevoir les assaillants plus de demi-lieue dans le mauvais pays, et de poste en poste allaient disputant jusqu’à un rocher, une muraille ou un ruisseau ». La place fut battue par huit pièces de canon. Chabreilles qui commandait à Privas, voulut secourir les assiégés et s’approcha avec treize ou quatorze cents hommes par la vallée de St-Alban. Mais M. de Montréal l’obligea à rétrograder.

Quelques jours après, Chabreilles parvint, à la faveur de la nuit, à faire pénétrer une centaine d’hommes dans le Pouzin. Finalement, les catholiques ayant tout préparé pour l’assaut, les défenseurs du Pouzin jugèrent prudent de se soumettre et rendirent la place le 4 juin avec huit drapeaux, quatre canons et toutes les munitions de guerre. « Il fut tiré à ce siège six cents volées de canon ; les assiégés eurent environ cent hommes morts ou hors de combat, et il en sortit encore en très bon état six cent cinquante ; _il fut hors de tout moyen d’empêcher les soldats de mettre le feu en ce lieu qui fut en deux jours entièrement brûlé. » (1)

Le 3 octobre 1629, sur la place publique, par devant noble Mathieu de Chambaud, capital-châtelain, les consuls du Pouzin demandèrent qu’il fût dressé un acte de la prise, pillage et brûlement des maisons du Pouzin, afin d’en léguer la mémoire à la postérité.

Le 2 août 2632, la population réfugiée dans les huttes et cabanes autour de l’hôpital, implora le Roi pour pouvoir rentrer dans ses foyers. Une grande partie des habitants étaient morts, et la misère avait été telle qu’il avait fallu emprunter pour acheter du blé destiné à nourrir ces malheureux.

Le capitaine Alex. Mezenc, qui faisait la guerre en Italie sous les ordres de Lesdiguières, était venu au Pouzin soigner son vieux père malade et qui, lui aussi, avait été capitaine. Il le transporta à Livron où le vieillard mourut. Le docteur Lamotte, qui possède les papiers de Mezenc, y a trouvé qu’après la mort de son père, ce personnage fut délégué par les habitants du Pouzin pour aller solliciter auprès du Roi l’autorisation de rebâtir le bourg. Le capitaine Mezenc se rendit en Italie auprès de Lesdiguières qui lui fit accorder cette autorisation, mais à la condition que les maisons n’auraient qu’un rez-de-chaussée, ou que du moins un cavalier à cheval aurait vue sur le toit.

Quelques habitants construisirent de petites maisons, et il en existe encore une de cette époque, mais il n’y a pas bien longtemps qu’on pouvait en voir un certain nombre autour de l’hôpital. Ne pouvant s’étendre en haut, on s’étendait en bas, en creusant le sol, ce qui rendait ces habitations humides et malsaines.


Les écroulements du mamelon rocheux sur lequel fut bâti le Pouzin après l’invasion des Sarrasins au VIIIe siècle, sont de date fort ancienne. Le docteur Lamotte suppose que la scissure qui sépare ce mamelon de la montagne fut le résultat des anciennes secousses volcaniques et se rattache peut-être à la poussée volcanique de Rompon (rumpere ?) – Il est probable que de temps à autre, quelque rocher désagrégé se détachait. Nous en avons la preuve pour l’année 1614.

« Le 20 mars de cette année, noble Pierre Dalard et Collet informent Guillaume Barrès, sieur du Molard, qu’au dessus de leurs maisons un gros rocher est en danger de tomber et, si cela arrivait, pourrait démolir et ruiner leurs maisons, être un danger pour leurs personnes ; que, pour éviter ces dangers, il serait bon de rompre ces rochers et de vouloir bien y contribuer pour leur part. »

Le 28 avril 1772, Catherine Vernet fut écrasée par un quartier de rocher au chemin qui va du pont d’Ouvèze au bourg.

En 1827, un jour de foire, le tailleur Crumière fut écrasé par une chute de rocher.

A qui le tour ?


Barbe s’était arrêté sur la passerelle de l’Ouvèze, admirant le beau bâtiment que l’on construit pour l’école primaire. Il voulait m’associer à son admiration.

– Avouez, lui dis-je, qu’il vaudrait mieux des enfants bien élevés dans des taudis que mal élevés dans des palais. Voilà où nous conduit le matérialisme plus ou moins latent qui nous envahit comme une lèpre fatale. Belles bâtisses, mais pauvreté morale ! Arsenaux pleins, mais armée et peuple démoralisés ! Institutions ronflantes, mais caractères abaissés !…

Je m’arrêtai, car Barbe venait de faire un faux pas sur la passerelle et peu s’en fallut qu’il ne tombât dans l’Ouvèze.

Il me semble que rien ne fait mieux comprendre l’histoire générale que l’histoire locale. C’est dans celle-ci, en effet, que l’on peut en quelque sorte toucher du doigt les mobiles des hommes et le secret des évènements. A ce titre, personne, pas même mon ami Barbe, je l’espère, ne me blâmera d’emprunter aux papiers du Pouzin le récit de quelques incidents de 1789.

Au mois de juillet de cette année, la population du Pouzin et des environs était très surexcitée par le bruit que des brigands piémontais avaient envahi le Dauphiné et approchaient de Loriol. M. d’Arbalestier, officier de marine, qui habitait le château de Lagardette, près de Loriol, étant venu au Pouzin pour calmer les esprits et démentir ces bruits absurdes, fut indignement assassiné. Voici une pièce qui peint bien le temps et le pays :

« Nous, Louis Marcon, avocat au Parlement, juge du Pouzin, arrivant de Villeneuve-de-Berg audit Pouzin, le 29 juillet 1789, sur les 8 heures du soir, avons trouvé dans un fossé, qui est à la gauche du chemin royal de cette dernière ville a Baïx et à Chomérac, à une portée de fusil de l’hôpital dudit Pouzin, un cadavre étendu dans ledit fossé, de la grandeur de cinq pieds un ou deux pouces, couvert d’un habit gorge de pigeon, et près dudit cadavre, M. Guillaume de Labarge, ancien officier de la légion royale, Charles Gautier, procureur fiscal en notre juridiction, Jean-Louis Blanchon, greffier de la même juridiction, Charles Garnier, maître chirurgien, tous habitants dudit Pouzin, lesquels nous ont assuré qu’ils ne s’étaient rendus dans cet endroit qu’en tremblant, parce que tous ceux qui approchaient du dit cadavre étaient guettés et menacés de perdre la vie par une troupe de gens inconnus qui avaient déjà annoncé qu’ils mettraient le feu au Pouzin si on inhumait ce cadavre. De suite, nous leur avons fait prêter serment. Après quoi, ils nous ont affirmé : 1° qu’ayant visité tous trois ledit cadavre, ils ont reconnu qu’il est sans vie depuis plus de trois heures et qu’il est couvert d’une quantité prodigieuse de blessures qu’ils n’ont pas bien pu vérifier, de crainte d’être assassinés ; 2° qu’ils reconnaissent parfaitement le cadavre pour être celui de M. d’Arbalestier, officier dans la marine de France, résidant dans son château de Lagardette près de Loriol.

« Le lendemain, 30 juillet à 9 heures du matin, vu que les menaces d’incendie durent encore, malgré que nous ayons ramené plusieurs personnes au devoir, avons ordonné, sur les réquisitions du sieur procureur-fiscal : 1° Que le cadavre du sieur d’Arbalestier, déjà puant et infect, sera inhumé de suite en terre sainte sans que l’on sonne les cloches ; 2° qu’il sera de suite, après que le calme sera un peu rétabli, enquis devant nous de l’assassinat commis sur la personne du sieur d’Arbalestier. »

Le crime du malheureux officier était d’être royaliste. L’assassin, ou du moins le chef de la bande des assassins, était parfaitement connu, mais il ne fut jamais poursuivi.

On va voir par d’autres pièces authentiques, tous les bruits ridicules qui circulaient alors au Pouzin, à Privas et aux environs et tout le mouvement qu’ils provoquèrent.

Les procès-verbaux des délibérations de la ville de Privas, du 29 juillet 1789, portent que les habitants de tous les ordres de la ville et communauté de Privas furent assemblés ce jour-là, à 1 heure du matin, et que le maire et premier consul, M. Teissonnier-Ducros, tint le discours suivant :

« Je vous ai assemblés ici pour vous communiquer la lettre que j’ai reçue hier soir dû sieur Nier, premier consul du Pouzin. Il me marque que dix mille hommes piémontais ont fait une invasion en Dauphiné, qu’ils ravagent tout et avancent à grands pas vers la côte du Rhône, ce qui fait craindre de leur part le dessein de débarquer en Vivarais pour y commettre les mêmes rayages. Par la même lettre, le sieur Nier demande des munitions de guerre et de bouche. »

Il fut nommé une commission qui, le même jour, à 3 heures du matin, résolut d’envoyer quatre cents hommes au Pouzin. Des exprès partirent pour toutes les communes voisines qui furent invitées à mander, de leur côté, des hommes et des provisions au Pouzin.

Les deux compagnies privadoises arrivées à Coux reçurent une lettre du curé de Loriol annonçant que les brigands s’étaient retirés. Elles retournèrent à Privas où elles arrivèrent à 11 heures du matin. On expédia de nouveaux exprès aux communes pour les rassurer et contremander les préparatifs.

Mais le même jour, à midi, le conseil permanent reçut successivement plusieurs exprès du Pouzin pour presser l’envoi des secours demandés, attendu que les brigands avaient reparu sur les bords du Rhône. (Peut-être tout cela avait-il pour objet de dissimuler l’assassinat de d’Arbalestier.) Les compagnies privadoises se remirent immédiatement en marche et l’alarme fut donnée de nouveau aux communes.

Le même jour, à 2 heures, M. de Belin, seigneur du Pouzin, demanda des approvisionnements de pain, en annonçant que le Dauphiné était réellement dévasté. La ville de Privas envoya dans la nuit trois charrettes chargées de pain bis.

Le même jour (30. juillet), à 4 heures du soir, les communes voisines firent savoir qu’elles avaient levé au moins huit mille hommes, prêts à se porter au Pouzin, « tous armés comme ils ont pu, de fusils, de pistolets, de sabres, de haches, de fourches, etc., et munis de provisions de guerre et de bouche, et qu’elles n’attendent que le signal. »

A 11 heures du soir, les compagnies étaient de retour à Privas. Elles avaient été renforcées par mille hommes armés des communes de St-Priest, Veyras, Freyssenet, Darbres, Coux, Flaviac, St-Vincent-de-Durfort et Lyas. Ce corps s’étant présenté au Pouzin, le consul avait dit que les craintes venaient d’être dissipées ; un exprès venu de Loriol aurait annoncé que les armements du Vivarais avaient tellement effrayé les Piémontais, qu’ils s’étaient enfuis précipitamment.

Comment tous ces braves gens auraient-ils refusé de croire une chose si flatteuse pour leur amour-propre ? L’imprudent qui aurait cherché à les dissuader, aurait couru grand risque d’avoir le sort du pauvre d’Arbalestier.


Le bac du Pouzin était fort important au siècle dernier. Nous voyons par les lettres du marquis de Jovyac que vers 1700, quatre charrettes y passaient à la fois chargées de pierres du Vivarais destinées à la construction du pont sur la Drôme.

Le pont en fil de fer du Pouzin sur le Rhône fut construit en 1846. Le maire, M. Lamotte, avait commencé les démarches dès 1832. Quand il eut réuni des souscriptions suffisantes, Lavoulte s’émut et proposa de coopérer à l’entreprise, à la condition que le pont fût placé à égale distance des deux bourgs. L’offre fut rejetée. La place du pont était naturellement au Pouzin. Mais il a bien perdu de son importance depuis le chemin de fer.

Nous fîmes une assez longue promenade au bord du Rhône, en attendant le train du soir qui devait nous ramener à Privas. Il faisait sombre, et çà et là seulement dans le ciel quelques faibles clartés d’étoiles jaillissaient des profondeurs du firmament.

Par extraordinaire, la soirée était silencieuse, et les clapotements de l’eau du Rhône accompagnaient seuls de leur sourde basse les sifflets aigus que jetait parfois un train filant à toute vitesse sur la grande ligne. Barbe participait de la sombreur du temps et il y avait certainement de la tristesse dans son silence.

Nuit, ténèbres, silence, deuil, tristesse : on dirait que ces idées s’associent dans les idées de tous les peuples. Notre quasi-compatriote, Jean Baudoin, de Pradelles (ancienne cité vivaroise) – l’auteur d’une foule de lourds volumes – et un académicien, s’il vous plaît – nous montre dans son Iconologie le silence sous la figure d’une femme vêtue de noir. « Cet habillement, dit-il, est un symbole de constance et de fermeté, d’autant que cette couleur n’en prend jamais d’autre. »

Dans le même ouvrage, le personnage qui représente la Simonie a la tête couverte d’un voile noir, « d’autant que c’est coutume, explique toujours Baudoin, de couvrir de faux prétextes les actions noires, afin de les mieux autoriser. »

« Le noir est le signe du deuil, dit Rabelais, parce que c’est la couleur des ténèbres, et l’opposé du blanc, qui est la couleur de la lumière et de la joie. »

Je ne suis pas tout à fait de l’avis de Baudoin et de Rabelais. La nuit, les ténèbres, le silence ne me paraissent pas fatalement associés à la tristesse et au deuil, pas plus que le blanc à la lumière et à la joie. Pour l’homme réfléchi, la plus grande lumière se fait précisément dans le noir et le silence, c’est-à-dire dans la nuit et la solitude. C’est en fermant les yeux qu’on voit le mieux les réalités de la vie. Et ce sont les joies factices et passagères du monde qui lui en rappellent le mieux le néant.

Barbe me donna à ce moment une preuve des bonnes idées qui naissent dans la nuit et le silence. La confusion des monnaies d’autrefois, dont nous avions parlé assez longuement, chez le docteur Lamotte, à l’occasion des anciens droits du Pouzin, l’avait horriblement agacé. – Il trouvait que les anciens monnayeurs auraient bien dû se préoccuper des embarras qu’ils devaient causer aux archéologues futurs. – Et qui sait, ajouta-t-il, si dans cinq ou six siècles d’ici, on ne se plaindra pas aussi de la vanité et de la confusion de nos monnaies actuelles. J’admets qu’on y trouve le nom de la monnaie, le pays et la date, mais je voudrais bien qu’on y ajoutât le poids en grammes.

Nos enfants sauraient ainsi que cinq francs d’argent pèsent vingt-cinq grammes, et que vingt francs d’or pèsent six grammes quarante-cinq centigrammes. Ils sauraient que le gramme d’argent, vaut vingt centimes et le gramme d’or trois francs dix centimes. Ils apprendraient le système décimal sans s’en apercevoir.

– Excellente idée, ami Barbe, à mettre avec celle que j’ai exposée dans un récent opuscule pour apprendre la géologie aux enfants. Vous savez que j’ai conseillé de faire figurer dans la construction du mur public le plus apparent de chaque commune, les diverses pierres, dans l’ordre des couches géologiques, mais ni vous ni moi n’avons grande chance d’être écoutés par le temps qui court. Ah ! si vous proposiez quelque bonne petite ou grosse insanité, par exemple, l’érection d’une Marianne monumentale sur tous les clochers du pays, ou le remplacement du Christ dans les écoles et les tribunaux par la statue de Voltaire, ou bien encore l’obligation aux curés de chanter la Marseillaise à la place du Credo et aux bedeaux de porter une culotte tricolore, vous pourriez fort bien réussir et y gagner une place de député aux prochaines élections. Ce que je ne vous souhaite pas cependant, car il vaut mieux ne rien être et conserver l’estime des honnêtes gens.

Notre train finit par arriver et nous nous hâtâmes de le prendre ; cette course de trois jours autour du Coiron nous avait fatigués et nous désirions autant l’un que l’autre, tout en affectant des airs dégagés, retrouver les douceurs et le repos du chez soi.

Dans notre vagon se trouvaient des conscrits dont les voix avinées répétaient des refrains naïfs ou brutaux :

Quand la campagne sera faite,
Je reviendrai, je t’épouserai…
Si les femmes sont belles par ici,
Nous y passerons la nuit.
     Ceux qui voudront
     Y resteront.
Encore un petit verre de vin
     Pour nous mettre
     Pour nous mettre
Encore un petit verre de vin
     Pour nous mettre en train !\

– Il me semble, dit Barbe, en s’adressant aux conscrits, que vous êtes assez en train déjà comme cela !

Les chanteurs se tournèrent tous contre lui. – Qu’est-ce qu’il veut, ce vieux-là ? De quoi se mêle-t-il ?

Barbe voulut leur prouver que, dans un siècle de progrès comme le nôtre et sous la République, il est indigne d’un citoyen de se griser et de chanter des chansons bêtes et grossières. Il parla si sagement et d’un ton si sérieux, que les conscrits le prirent pour un fou et, cessant de s’en prendre à lui, se contentèrent de le narguer indirectement en recommençant sur un ton formidable les chansons de tout-à-l’heure et en y ajoutant tout ce qu’il y avait de plus grivois dans leur répertoire.

  1. Commentaires du Soldat du Vivarais.