Voyage … le long de la rivière d’Ardèche

Docteur Francus

- Albin Mazon -

X

Madame Vierne de Baladun

Donations de 1220 et 1228. – Vierne et Viernette. – Baladun et Balazuc. – Traditions locales. – La gran piado du cheval Bayard. – Le château de la Fère. – Le crâne de la châtelaine. – Les bois du Lôou et la chanson de Mme Vierne.

Les données historiques sur dame Vierne de Baladun et sa famille se réduisent jusqu’ici aux points suivants, relevés sur les vieux parchemins qui existent à la mairie de Saint-Marcel :

1° En décembre 1220, dame Vierne, veuve de noble Guillaume de Baladun ; Viernette, fille de feu Pierre de Baladun, et Dragonet de Baladun, son mari, concèdent aux Hospitaliers de St-Jean de Trignan tous les créments qui se forment à la rivière d’Ardèche, près les Condamines.

2° En 1228, le 10 des kalendes de février, Dragonet et dame Vierne de Baladun (Draconetus et domina Vierna de Baladuno),

Donnent en fief franc aux co-seigneurs de St-Marcel, pour eux et leurs héritiers, et aux habitants dudit St-Marcel et de l’île de Frémigères :

Bidon avec ses dépendances ;

Le bois Queyrelen avec ses dépendances ;

Veulent et accordent que les bœufs, brebis et autres bestiaux pourront paître à Péreyral, à Soubeyradel, au bois de Pinsane et jusqu’à l’Ardèche,

Réservant leurs droits seigneuriaux et à leur maison de Baladun la seigneurie directe,

Sous la condition qu’il sera prêté fidélité à eux et à leurs héritiers et service en temps de paix et de guerre et qu’il leur sera fourni l’alberge de trois soldats chaque année s’ils sont requis.

Les témoins de l’acte sont : Milon de Vernon, Pierre de Lille, Pierre de Lafare, Bertrand de St-Marcel, Jean et Raymond, prêtres.

3° En 1242, le 3 des ides d’avril, Guillaume de Naves et Vierne de Baladun, mariés (Villelmus de Navis et Vierna de Baladuno vir et uxor) accordent en accapt perpétuel à Bertrand de Montaigu, commandeur des Hospitaliers de St-Jean d’Artignan, leur métairie (bastidam) qui est entre le village de St-Just et la rivière d’Ardèche, avec tous les droits et dépendances, le tènement de Tonano, de Crozilla, de Pontu et le droit de pêche avec les écluses de l’Ardèche (piscarium cum esclausaris Ardechiœ).

Ils reçoivent pour prix de cet accapt dix mille sols W (?) ou de monnaie équivalente. Acte reçu Pierre Lunier, notaire.

4° En décembre 1250, Guillaume de Naves, mari de dame Vierne, et Guillaume de Baladun, fils de ladite dame, ratifient l’inféodation de 1228. Cet acte est encore reçu par Lunier, notaire, et les témoins sont : Guillaume de Gras, Jean d’Audigier, Pons de Joyers, Roustand de Mirabel, Etienne de Jean, médecin, et Pierre de Montredon.

5° En 1269, Guillaume de Baladun, fils de Dragonet et de Viernette, donne en bail emphythéotique à Raymond de Libra, commandeur des Hospitaliers de St-Jean de Trignan, tout ce qu’il a dans le mas de Trignan.

6° Le Kalendarium de la Chartreuse de Valbonne mentionne, mais sans désignation de date, Vierne de Baladun, dame de Frudar, veuve de Guillaume de Baladun, parmi les bienfaiteurs du monastère.

Il résulte évidemment de ces actes dont nous devons la communication au docteur Gilles et à M. Bruguier-Roure, du Pont-St-Esprit, qu’il y a eu à St-Marcel deux dames Vierne :

La première, déjà veuve d’un Guillaume de Baladun en 1220, paraît être décédée avant 1228.

La seconde, fille d’un Pierre de Baladun, mort également avant 1220, et probablement nièce de la précédente, figure, comme femme de Dragonet, dans les actes de 1220 et de 1228, et reparaît en 1242, comme femme de Guillaume de Naves.

L’acte de 1250 nous la montre encore avec son second mari, Guillaume de Naves, mais cette fois accompagnée de Guillaume de Baladun, son fils à elle, c’est-à-dire issu de son premier mariage avec Dragonet de Baladun.

Cette filiation est confirmée par l’acte de 1269, dans lequel Guillaume de Baladun, fils de Dragonet et de Viernette, traite pour un bail emphythéotique avec frère Raymond de Libra, commandeur des Hospitaliers de Saint-Jean.

Après cela, du moins dans les actes venus à notre connaissance, silence complet sur les Baladun. La famille s’est-elle subitement éteinte ou bien n’a-t-elle fait qu’abandonner le pays ?

La première idée qui se présente naturellement à l’esprit, quand on veut éclaircir ce point d’histoire locale, est celle-ci :

N’y aurait-il pas identité entre les Baladun de St-Just et de St-Marcel et la puissante famille des barons de Balazuc qui a joué au moyen-âge un rôle si considérable dans le Vivarais ?

Or, il est certain que les noms de Baladun, Balazuc, Balaün et même Balanuc (tout autant de variétés notées dans les vieux titres) se traduisent en latin par le terme unique de Baladunum et paraissent tous s’appliquer à la même baronnie et à la même famille. Dans de vieilles traductions des actes de St-Marcel, Baladunum est toujours traduit par Balazuc. Au reste, la généalogie de la noble maison de Balazuc, qui se trouve au tome 103 de la Collection du Languedoc, le constate en termes formels : « La différence, dit l’auteur de ce document, que l’on aperçoit entre les noms de Baladun et de Balazuc ne doit pas surprendre, parce que dans tous les titres de famille latins Balazuc est traduit Baladuno, ce qui a autorisé ces historiens à dire Baladun au lieu de Balazuc que la famille et l’usage ont retenu en françois. »

Notons encore, d’après une remarque de M. Massip, le savant archiviste du département de l’Ardèche, que s’il a existé une famille spéciale de Baladun dans le bas de l’Ardèche, les auteurs des dictionnaires de fiefs, de noblesse, de géographie l’ont ignorée ; les inventaires des Archives de l’Ardèche n’en parlent pas, non plus que l’édit de 1767 où sont pourtant désignées les plus petites localités du Vivarais. On ne trouve Baladun que dans du Mège ; il écrit Baladun pour la terre, Balazun pour la famille, et ne nous apprend rien de nouveau. L’Armorial du Languedoc de la Roque tranche sans détour la question : « Balazuc, alias Baladun ; d’argent à trois pals de sable, au chef de gueule, chargé de trois étoiles d’or ».

Rapprochons maintenant des faits authentiques résultant des chartes de Saint-Marcel, les données fournies par la généalogie des Balazuc.

Le plus ancien membre connu de cette famille est noble et puissant seigneur Girard de Balazuc qui, le 10 septembre 1077, reçoit hommage en fief franc et noble de Petronet de Perrin, damoiseau de Saint-Montan, pour certaines censes et domaines de sa mouvance aux lieux de Saint-Montan et Larnas, – acte reçu Etienne de Noyer (Nux), notaire de l’évêché de Viviers.

Ce Girard eut pour fils Pons de Balazuc, le chevalier croisé qui écrivit avec Raymond d’Agiles l’histoire de la première croisade.

Jordan, fils de Pons, épousa, en 1120, Aymette de Jalsac et en eut Pierre de Balazuc qui reçut, le 7 mars 1140, l’hommage des terres de Montréal et Jalsac, à cause de son château et seigneurie de Balazuc.

Le fils de ce Pierre, également appelé Pierre, épousa, le 7 septembre 1189, Catherine de Vierne et en eut un fils nommé Guillaume que nous voyons avec sa mère recevoir, en 1252, l’hommage de noble Audibert de Vogué, de Rochecolombe. La généalogie indique aussi ce Guillaume comme ayant épousé, en 1273, Fredolette de Montjus ; mais il semble qu’il devait être alors bien vieux et, comme presque tous les fils aînés des barons de Balazuc portent ce nom de Guillaume, on est en droit de croire qu’il y a ici confusion de personne.

Nous connaissons un acte de partage du devois de Baynes (près Viviers), passé en 1313 entre Louis, évêque de Viviers, Guillaume Icard d’Aps et noble Guillaume seigneur de Balazuc. Ce Guillaume était-il un descendant de Guillaume de Naves et de Viernette ? Est-ce le même que mentionne Culombi comme ayant rendu hommage à l’évêque de Viviers en 1330 ?

Si nous cherchons maintenant à concilier les deux généalogies, il faut nécessairement admettre une branche cadette des Balazuc dont la trace manque dans la généalogie de ces derniers, généalogie d’ailleurs fort sommaire au début, comme toutes celles qui sont antérieures au XVe siècle. Le représentant de cette branche nommé Guillaume, pouvait être le frère de Pierre de Balazuc et avoir épousé comme lui une Vierne, peut-être la propre sœur de Catherine. On peut supposer encore qu’un partage avait eu lieu entre les deux frères, l’aîné gardant les terres principales, c’est-à-dire le château de Balazuc et les fiefs adjacents, et le cadet recevant les terres les plus éloignées, c’est-à-dire St-Marcel et St-Just.

La coexistence du nom de Vierne à la même époque dans les documents de Balazuc et dans ceux de St-Marcel est, en effet, significative et, accompagnée, comme elle l’est, de la coexistence d’un Pierre de Baladun à St-Marcel et d’un Pierre de Balazuc à Balazuc, qui tous deux répondent à la personnalité unique du père de Viernette (la seconde dame Vierne), on peut en déduire que celle-ci était fille de Pierre de Balazuc et de Catherine Vierne, mariés en 1189 et que Dragonet, fils de feu noble Guillaume, était son cousin.

Guillaume, fils de Dragonet et de Viernette, vivait encore en 1269 ; il est à présumer qu’il mourut sans postérité ou que ses fils périrent aux croisades – ce qui répond aux traditions locales – et cette extinction jointe aux ventes ou donations faites par lui ou ses prédécesseurs dans la région de St-Marcel, explique suffisamment le silence qui se fait, de ce côté, à partir du XIIIe siècle, sur la famille de Baladuno.

Au risque d’être accusé de tomber dans le domaine des pures fictions, nous dirons ici quelques mots du troubadour Guillaume de Balaün que des écrivains de notre pays ont rattaché un peu légèrement aux Balazuc du Vivarais. Ce Balaün aima la dame d’un château du Gévaudan que les savants cherchent encore, car les vieux manuscrits laissent aussi bien lire Janac que Javiac, Joviac et Jaujac. C’est cette dernière version qu’a choisie, on ne sait trop pourquoi, M. Charvet dans ses notices sur les Troubadours d’Alais au XIIe et au XIIIe siècles. Il paraît que la dame en question s’appelait Guillaumette et qu’elle combla de faveurs l’ingrat troubadour, lequel ne s’empêcha pas pour cela de la rebuter et même de la battre, afin, disait-il, « d’esproar sil jois de recobrar amor de domna era tan grans com lo jois del gazaing premier… » Guillaumette trouva naturellement le procédé peu délicat et tint fortement rigueur à son tour quand on voulut revenir. La paix se conclut finalement, mais à une dure condition pour Balaün : celle de se faire arracher l’ongle du petit doigt.

Balaün était l’ami d’un autre troubadour nommé Pierre de Barjac, dont il reste une pièce de vers adressée à sa belle qui l’avait congédié. Or, cette cruelle s’appelait Viernetta. Est-ce la nôtre ? Hélas ! la chose est peu probable, bien qu’il s’agisse d’un troubadour du XIIIe siècle, puisque la chronique désigne encore une châtelaine du Gévaudan.

Notons, enfin, que Guillaume de Balaün est représenté comme un gentil castellan de l’encontrada de Monpeslier et ne semble conséquemment avoir rien de commun avec les Balazuc du Vivarais. Néanmoins, comme tous ces vieux contes recouvrent probablement quelques vérités lointaines plus ou moins défigurées, on trouvera raisonnable que nous les ayons indiqués, avec les réserves de droit, à côté des parchemins authentiques de Mme Vierne de Baladun.

Au reste, nous croyons qu’il y a dans les vieux titres du Bourg-Saint-Andéol, Saint-Just et Saint-Marcel, tous les éléments d’une précieuse page d’histoire locale, et nous espérons bien qu’elle sera faite un jour. Les nouvelles données authentiques qui ressortiront du dépouillement complet des chartes échappées aux rats, pourront modifier nos conclusions en ce qui concerne dame Vierne et la famille de Baladuno, mais il est probable qu’elles nous montreront dans les cessions de bois de la noble châtelaine une confirmation du mouvement général qui se produisit alors, nous voulons dire le grand nombre de ventes ou cessions de biens nobles aux particuliers et aux communautés, pour subvenir aux dépenses des chevaliers qui partaient pour l’Orient, d’où l’on peut conclure que le fameux Pons de Balazuc n’est pas le seul membre de cette famille qui soit allé aux croisades.

D’après les traditions locales, le mari de la première dame Vierne serait mort en Palestine. Mais, vu la poussière séculaire qui couvre encore la plupart des documents dont il s’agit, il n’est pas étonnant que les traditions locales sur cette antique personne soient des plus contradictoires. On nous racontait dernièrement à St-Just que dame Vierne – car pour le peuple il n’y en a qu’une – avait vécu à la cour où sa conduite aurait laissé à désirer. Elle se serait ensuite retirée à Baladun, près de St-Just. Les habitants ne l’aimaient pas, et c’est pour cela qu’elle se cachait dans ses voyages et faisait ferrer ses chevaux à rebours. Comme elle était fort riche, elle fit construire son château de la Fère sur le bord de l’Ardèche, mais un jour des voleurs l’y surprirent et, après l’avoir dévalisée, la pendirent elle-même dans une des tours.

Nous n’insisterons pas sur le caractère invraisemblable de cette version. Une châtelaine du Vivarais allant faire des escapades à la cour du roi de France au XIIIe siècle est chose trop extraordinaire pour être admise sans preuve, et il y a évidemment ici, comme nous l’avons déjà constaté à propos de Jacqueline de la Borie, une de ces confusions, si fréquentes dans les traditions populaires, avec les souvenirs plus modernes de la cour de Louis XV.

Nous aimons mieux et nous trouvons moins invraisemblable le récit d’un garde-champêtre de la contrée à qui nous demandions un jour pourquoi dame Vierne faisait ferrer ses chevaux à rebours.

– Ah ! nous répondit-il avec un accent de profonde conviction, c’était pour échapper à ses persécuteurs. La chose est certaine, un berger m’a encore montré l’autre jour sur l’ancien chemin du Bourg à Bidon, un peu au-delà de l’endroit où débute le sentier de Fontayne à Notre Dame de Chalon, la piado (trace des pieds), la gran piado, la seule vraie, du cheval de madame Vierne.

Il nous raconta alors que cette noble dame se trouvant, par l’absence et la mort présumée de son fils parti pour les croisades, maîtresse d’une immense fortune, était recherchée en mariage par plusieurs seigneurs des environs. Pour vaincre ses refus, l’un d’eux réussit à l’enlever et à l’enfermer dans un manoir des bords du Rhône. Mais un fidèle et dévoué serviteur parvint à la faire évader. Pour assurer sa fuite, il lui avait amené jusque sous les murs de sa prison son palefroi appelé Bayard (en souvenir sans doute du cheval des quatre fils d’Aymon). Bientôt l’évasion fut découverte et le ravisseur se mit à poursuivre la proie qui lui échappait. Les traces du pied gigantesque de Bayard étaient faciles à reconnaître ; elles indiquaient qu’il était venu directement par le chemin de Bidon et qu’il était reparti par la route qui longe le Rhône. C’est de ce côté qu’on se dirigea. On avait compté sans la finesse des gens de Mme Vierne qui, pour la circonstance, avaient ferré Bayard à rebours et l’avaient amené au pied du donjon par un grand détour. Or, tandis qu’on courait après lui, sur le chemin par lequel il était venu, Bayard ramenait fièrement sa dame en son castel à travers monts et vallées. Arrivé sur la lisière de la forêt du Lôou, il sentit qu’il n’y avait plus rien à craindre ; alors il poussa un hennissement de triomphe et, frappant violemment le rocher, y laissa l’empreinte de son large sabot. Aco’s la piado, la grand piado dou Chivâou Bayar. L’empreinte s’arrondit du côté du Rhône, comme si le coursier allait dans cette direction, tandis que c’était en sens contraire.

– Mais qu’était donc cette dame Vierne ? demandâmes-nous au garde champêtre.

– Gn’a que disoun qu’ér’uno fâdo, répondit-il ; ieôu crèse qu’éro’no santo ! (Il y en a qui disent que c’était une fée ; moi je crois que c’était une sainte !)

D’après une autre version dont nous n’avons pu contrôler l’exactitude, Dame Vierne avait pour frère un Belzunce de Baladun, qui était prieur des Hospitaliers à Baladun, cette métairie que nous avons vu donner en 1242 par Guillaume de Naves et sa femme aux Hospitaliers de St-Jean.

On voit encore sur une des pierres de la façade de cette maison une grande croix de Malte.

Dernièrement, un enfant proposa à l’instituteur de St-Just de lui montrer le tombeau de Mme Vierne. M. Chiron accepta et il fut conduit devant une de ces tombes dites sarrasines comme on en trouve beaucoup dans les landes de St-Marcel et de St-Remèze. Il en remua la poussière et en tira un crâne qui se trouve maintenant dans sa collection. Est-ce bien celui de la fameuse châtelaine de la Fère ? Personne n’oserait l’affirmer, mais le hasard est si grand…

Notons ici qu’il existe dans les archives de la mairie de St-Marcel deux cartes de 1228 où figurent tous les bois donnés par dame Vierne à St-Marcel et à Bourg-St-Andéol. M. Chiron a fait une fort belle copie de ces cartes qui lui valut un prix à l’exposition géographique de Lyon. On y voit figurer, sur les bords de l’Ardèche, le château de la Fère muni de quatre tours, avec le colombier à deux cents mètres plus loin : c’est le bâtiment dont les ruines à l’embouchure du Louby sont encore désignées par tous les pêcheurs sous le nom de château de Mme Vierne.

Un jour de l’été dernier, au Bourg-St-Andéol, en passant dans la rue Bombe-Cul (une rue très montante et qui oblige ceux qui la gravissent à se pencher en avant), nous entendîmes un vieux brave homme qui chantait, sur l’air de la Carmagnole, une chanson qui nous frappa à cause du nom de Madame Vierne revenant à chaque refrain. Nous sommes parvenu, depuis, à nous procurer ce petit échantillon de poésie locale. En voici le texte :

Madâmo Viêrno nous digué (bis)
De béoûco béoûré dé café. (bis).
    Nous aoûtré diguérian :
    Sian pas tant gros gourmans.
    Vivo madamo Viêrno ! }
    Vivo lou Loôu,              } bis
    Qué noui lou fôou !       }

Anaren à la crous dou Lôou,
A qui vounté faï lou pirôou ;
    Faren un grand festin,
    Mongeoren fòuorço lopin.
    Vivo madamo Vierno, etc.
(Nous irons á la croix du Lôou
Là où le terrain fait un chaudron, etc.)

Iço’y lou gardo de Loouzùn,
Qu’és en paou trop impourtùn.
    Vaï béoûré lou vinou
    Di paouré grongieïrou
    Vivo madamo Vierno, etc.

Madamo Vierno nous a dit :
Enfan, vous fâou ben diverti.
    Lou Lôou vous l’aï douna,
    Vous lou foou portogea,
    Vivo madamo Vierno, etc.

Quand l’oouren portogea,
Li onoren promena.
    Y sémoren de bla,
    Embé de gros bla.
    Vivo madamo Vierno ! etc.
(Nous y sèmerons du blé
Avec du gros blé (maïs).

Y plontoren d’obricoutié
Sans oublida lis omenlié ;
    Nostis pichos enfan
    Y vondron en cantan :
    Vivo madamo Vierno ! etc.

D’où venait à la bonne dame cette popularité inattendue et, à coup sûr, un peu tardive ? Simplement d’une manœuvre électorale. On avait fait entendre aux gens du Bourg, aux pauvres diables du moins, qu’on allait leur partager les bois du Lôou, cédés jadis à la communauté par Mme Vierne.

Fort heureusement, ce projet de partage était de pure imagination. Supposons qu’il fût devenu une réalité ; n’est-il pas évident que le lendemain ou peu après les riches auraient acquis toutes les parts des autres ? Et alors, les pauvres n’ayant plus de bois communal pour aller faire paître leurs troupeaux et prendre une charge de bois sec, eussent été réduits à la misère absolue. En admettant qu’ils eussent gardé leurs parts, est-il nécessaire d’être sorcier pour savoir qu’ils auraient immédiatement coupé leurs bois et qu’il n’y aurait plus depuis longtemps à la place qu’une lande inculte et pierreuse ; bon nombre de fontaines des bas fonds auraient, par suite, disparu, et les inondations seraient plus à craindre que jamais. Grâce au caractère de propriété communale, qu’on a eu le bon esprit de leur conserver, les bois du Lôou sont exploités d’une façon normale et régulière. La commune du Bourg afferme aussi la glandée et la recherche des truffes. Celle-ci lui rapporte un millier de francs par an. Mais le revenu provenant des coupes de bois est beaucoup plus considérable, bien que chaque habitant puisse aller y prendre du buis ou de la bruyère à des époques déterminées, et c’est ce qui a permis jusqu’à présent à la commune de ne pas s’imposer un octroi.