Voyage aux pays volcaniques du Vivarais

Docteur Francus

- Albin Mazon -

X

Les volcans modernes

Les mastodontes sous les basaltes du Coiron. – Les troglodytes de la pierre polie sous les coulées boueuses de Denise. – Les dernières manifestations volcaniques du Vivarais en 468. – Etablissement des Rogations. – De nouvelles éruptions volcaniques en Vivarais ne sont pas probables, mais n’ont rien d’impossible. – Les noms des volcans vivarois. – Progrès de la végétation sur les terrains volcaniques. – L’extinction complète des volcans du Vivarais est plus récente qu’on ne le croit. – Volcans actifs. – Eruptions boueuses et poissonneuses. – Petits hommes et petits volcans. – Volcans artificiels. – La terre, animal vivant. – Nous retombons à Ventadour.

Il est certain aujourd’hui que l’homme a été le témoin des éruptions volcaniques de la France centrale.

Dès le siècle dernier, comme le constate Soulavie (1), on avait trouvé sous les laves des volcans d’Auvergne « des restes d’ouvrages de l’homme, mais des restes bruts, grossièrement façonnés, comme tous les premiers essais de l’homme réuni à l’homme en société ».

Dès cette époque-là aussi, on avait trouvé sous les coulées du Coiron (Darbres et Mirabel) des ossements de mastodontes et d’autres prouvant que de grands animaux, dont l’espèce est aujourd’hui disparue, vivaient dans nos montagnes à l’époque plus ancienne des éruptions pyroxéniques.

En 1844, on découvrit les ossements de plusieurs individus de l’espèce humaine dans une coulée boueuse du volcan de Denise près du Puy, qui est de la même époque que nos derniers volcans vivarois. Ces ossements qu’on peut voir au musée du Puy, paraissent se rapporter à l’âge de la pierre polie immédiatement après le diluvium qui a ouvert l’époque quaternaire.

Aucune découverte de ce genre n’a encore été signalée dans l’Ardèche, mais uniquement peut-être parce qu’on a moins bien cherché qu’en Auvergne. En effet, puisque ce dernier pays avait alors des habitants, il est évident que notre ancien sol, placé dans des conditions climatériques meilleures, avait aussi les siens, ce qui est, d’ailleurs, prouvé par les découvertes récentes faites dans la grotte de Soyons et celles des environs de Vallon. Nos ancêtres les troglodytes habitaient surtout les innombrables cavernes du terrain jurassique sur les bords de la basse Ardèche, du Chassezac et de leurs affluents. Les mêmes localités furent occupées plus tard par le peuple à dolmens dont l’origine asiatique est constatée par la ligne non interrompue de dolmens qui, partant du Caucase, vient par la Pologne et les bords de la mer Baltique, aboutir à la Bretagne et rayonner dans les parties montagneuses du centre de la France. Or, si l’on observe que, dans nos contrées, les dolmens sont partout à distance respectueuse des terrains volcaniques, on est en droit de conclure que, de leur temps, les derniers volcans étaient en activité.

Mais ne l’étaient-ils pas encore à une époque beaucoup moins éloignée, et l’histoire ne mentionne-t-elle pas l’écho de leurs dernières explosions ? C’est ce que nous allons examiner.

Soulavie a réuni dans son Histoire naturelle de la France méridionale (2), des extraits de saint Grégoire de Tours, de saint Sidoine Apollinaire et d’autres écrivains relatant des faits dans lesquels il nous paraît impossible de ne pas voir un indice des dernières manifestations volcaniques de l’Auvergne et du Vivarais.

Il résulte des lettres et homélie de saint Avit, évêque de Vienne, que les Rogations furent établies par saint Mamert à l’occasion de nombreux prodiges qui, en 468, effrayèrent la ville de Vienne et la détruisirent en partie : … dum urbs illa multis terreretur prodigiis. Nam terrœ motu frequenter quatiebatur : sed et cervorum atque luporum feritas portas ingressa per totam urbem nihil metuens, oberrabat. Cumque hœc per anni circulum gererentur …

Saint Sidoine Apollinaire, évêque de Clermont, écrivant à saint Mamert, au sujet des Rogations qu’il a également établies en Auvergne, parle ainsi de ces mêmes phénomènes : Nam modo scenœ mœnium publicorum crebris terrœ motibus concutiebantur. Nunc ignes sœpe flammati caducas culminum cristas, superjecto favillarum monte tumulabant : nunc stupenda foro cubilia collocabat audacium pavenda mansuetudo cervorum …

L’historien de l’église de Vienne, Charvet, qui écrivait avant même qu’on soupçonnât l’existence de nos volcans éteints, résume, sur la foi de ces antiques témoignages, les terribles phénomènes qui épouvantèrent la ville de Vienne et probablement les bassins du Rhône tout entier :

« Des tremblements de terre continuels jetèrent la terreur dans la ville de Vienne. Des spectres affreux qui semblaient sortir des enfers se présentèrent sous mille figures effrayantes. On entendit des cris, des hurlements que la nuit rendait plus épouvantables et des voix lugubres répandues dans l’air. Des volcans s’ouvrirent de tous côtés ; les sommets des montagnes, emportés par la violence des matières enflammées, tombèrent les uns sur les autres et changèrent la face de la nature. On vit en plein jour des loups, des ours, des cerfs courir les rues et se jeter au milieu de la foule sur les places publiques. La nuit de Pâques, tout le monde étant assemblé dans l’église de Vienne, effrayé de tous ces phénomènes, sortit avec précipitation, les uns pour éteindre le feu, les autres pour veiller à leur maison. Saint Mamert demeura seul, et, plein de confiance en Dieu, prosterné aux pieds de l’autel, par ses prières en arrêta le progrès. Ce prélat résolut alors d’instituer les Rogations. Cinq ans après, en 474, saint Mamert assembla les évêques de la province en concile à Vienne, où ils approuvèrent l’établissement des Rogations. »

Voici encore un témoignage de Grégoire de Tours :

Regnantibus Guntrando, Childeberto II et Clotario II hoc anno tantus terris, nocturno tempore, splendor illuxit, ut medium putares diem : sed et globi similiter ignei per noctis tempora sœpius per cœlum curcurisse mundumque illuminasse visi sunt… terrœ motus factus est magnus XVIII Kal. mensis quinti, die IV primo mane, aquœ autem nimium invaluerunt : Albam vivariensem seu Helviorum, Arvenicamque urbem graviter lues inguinaria devastavit.

Nous ne citerons pas les auteurs modernes, qui tous nécessairement ont dû puiser aux mêmes sources. Mais ces témoignages nous semblent suffisants pour démontrer qu’en l’année 468, les volcans de l’Auvergne et du Vivarais donnèrent encore quelques signes d’activité, car cela seul peut expliquer l’ensemble des faits signalés dans les extraits que nous venons de citer.

Il ne faut pas oublier que les volcans restent quelquefois éteints pendant des siècles pour se réveiller ensuite. Avant l’année 63 de l’ère chrétienne, les écrivains latins parlaient du Vésuve comme nous pourrions le faire de la coupe d’Ayzac ou de la Gravenne de Montpezat. Le cratère du volcan était planté de châtaigniers comme ceux de Jaujac et d’Antraigues, et les villas romaines s’étalaient insoucieuses sur ses flancs. On aurait ri de celui qui aurait annoncé son réveil, absolument comme on rirait de nous si nous disions qu’il n’y aurait rien d’impossible à ce que la Gravenne ou la coupe d’Ayzac se missent à vomir de nouveau des flammes et des scories. Et cependant le Vésuve se réveilla et ensevelit les villes imprudentes qui avaient trop compté sur son éternel sommeil. Je me hâte de faire observer que, fort heureusement pour nous, la mer ne baigne plus les pieds de nos montagnes, et que si, depuis 125 ans, on a noté 139 grandes éruptions, 98 provenaient de volcans situés dans des continents, mais toujours assez rapprochés de la mer. Il est certain qu’il faudrait de bien terribles dislocations pour provoquer de nouvelles conflagrations souterraines dans un sol aussi profondément oxydé que le sol vivarois ; cependant cela n’est pas impossible, et la science, loin de rassurer les sceptiques contre la fin du monde, est obligée d’avouer que rien ne prouve une diminution d’intensité des actions souterraines qui ont produit les cataclysmes géologiques. D’où il suit que « l’idée d’une fin du monde ou d’un renouvellement des choses d’ici-bas, idée religieuse et tout aussi répandue que celle d’une grande inondation passée, pourrait également trouver un appui dans les lois mêmes qui semblent régir le monde ». (3)

En thèse générale, tant qu’un pays est sujet aux tremblements de terre, il peut s’y produire aussi des phénomènes volcaniques, car les tremblements de terre sont le premier symptôme des feux souterrains dont les volcans sont la manifestation palpable. Or, nous avons quelquefois des tremblements de terre, et le dernier (en 1873) a laissé sur quelques localités des bords du Rhône des souvenirs qui ne sont pas encore effacés.

Le fameux tremblement de terre de Lisbonne en 1755 eut un contre-coup en Vivarais. Les eaux de la Fontaine du Malheur, près du volcan de Coupe (Antraigues), sortirent rouges et épaisses quoi qu’il n’eût pas tombé de pluie. Le lendemain, les paysans annoncèrent des déplacements de terres. On aperçut une fente verticale de la largeur de deux pouces au voisinage de la montagne de la Coupe (4).

Soulavie rapporte au même phénomène la perte des eaux du Lignon qui eut lieu à la même époque du côté de Fay-le-Froid. On découvrit qu’il s’était produit une fente granitique dans laquelle les eaux de la rivière disparaissaient. La fente fut bouchée et la rivière continua à couler comme par le passé. Ces pertes d’eaux courantes sont fréquentes en Vivarais et dans nos contrées montagneuses. Le même phénomène s’est produit à Largentière, à Annonay et plus souvent encore sur les Pyrénées.

Un fait plus remarquable est cité par M. de Gensanne comme ayant coïncidé avec le tremblement de terre de Lisbonne. Le ciel s’obscurcit subitement du côté de Meyrueis ; un globe de feu éclata près de la rivière de la Jouante ; un tas de roches sortit de la terre ; les montagnes se fendirent depuis Meyrueis jusqu’à Florac, sur une étendue de près de six lieues. C’est M. de St-Sauveur, commandant à Meyrueis, qui observa ce phénomène (5).

Soulavie fait une observation fort judicieuse sur la question des dernières éruptions de nos contrées : c’est que les plus anciennes montagnes volcaniques de l’Auvergne et du Vivarais ont des noms indifférents ou corrompus qui ne rappellent en rien l’action du feu, comme Rochemaure, Roche-Maillas, Roche-Jastrié, Rochenoire, Gourdon, Mézilhac, la Champ-Raphaël, Ray-Pic et généralement tous les dikes pyroxéniques du Coiron, tandis que les volcans les plus récemment éteints ou les quartiers qui les avoisinent portent ordinairement des noms où l’on retrouve l’empreinte de l’effroi traditionnel qu’ils ont inspiré. Soulavie cite les noms de Chaud-Coulant (près de Berzème), de Montchaud, Montbrül, Chaudeyrolle, Gueule-d’Enfer, Tartar ou Tartas, Fourmagne, les Infernets, Mont-Usclat (montagne brûlée), Combe-Chaude, Coste-Chaude, Peyrebaille (Peyrabeille), Peire-Vole, Pas-d’Enfer, Mont-du-Diable, etc. Le cratère d’Agde est environné d’une grande et d’une petite Cremade. Les volcans de Provence sont appelés Caudière (chaudière), Pierrefeu, etc. ces noms seuls ne suffiraient-ils pas à prouver que l’homme a assisté aux dernières manifestations volcaniques de nos contrées ?


L’année dernière, nous avons visité quelques terrains volcaniques que nous n’avions pas revus, depuis une trentaine d’années, notamment Craux et les deux Gravennes, et nous avons été frappé de la rapidité avec laquelle la végétation les envahit.

Il y a trente ans, le cratère de la Gravenne de Montpezat était absolument nu. A peine quelques digitales au milieu des cendres qui cédaient sous les pieds, ce qui en rendait la sortie pénible et difficile. Aujourd’hui, il y a des châtaigniers et des pins.

La Gravenne de Thueyts est entièrement couverte par les vignes ou les arbres fruitiers.

Pour la montagne de Craux, le spectacle est frappant quand on se place sur la montagne qui lui fait face, de l’autre côté du ruisseau de Bize. Les amas de blocs de laves, appelés dans le pays graveyras, montrent ce qui était autrefois le flanc tout entier de la montagne. Peu à peu, la nature, en décomposant les sables volcaniques et aidée probablement par l’homme, a jeté dans certaines cavités de la terre où il a poussé de l’herbe, puis des arbustes, puis des arbres. Ces îles de verdure se sont étendues graduellement et aujourd’hui ce sont les graveyras qui sont réduits à l’état d’îles ; les châtaigniers, les genêts et l’herbe ont recouverts la plus grande partie de la montagne, et les progrès de la végétation depuis trente ans font présager qu’avec un peu d’aide des propriétaires, les graveyras auront entièrement disparu dans un demi-siècle.

Or, en présence de cette extension rapide de la végétation sur nos anciens volcans, il nous semble que si leur extinction complète remontait aussi loin qu’on le croit, ils seraient aujourd’hui entièrement recouverts par la terre végétale, d’où nous concluons que leur extinction complète est peut-être encore plus récente que ne l’a supposé Soulavie d’après les témoignages cités plus haut. Il ne faut pas oublier, d’ailleurs, que le volcan de Neyrac est encore à l’état de solfatare et que des émanations de gaz acide carbonique ont aussi été signalées sur certains points de la montagne d’Ayzac.

On pourrait peut-être trouver un indice de l’époque des dernières manifestations volcaniques de nos contrées, dans une étude attentive des plus anciennes voies de communication, romaines ou autres, qui avoisinent les cratères les plus récents. Si, par exemple, il était démontré, comme quelques personnes l’assurent, que la voie romaine du pont de la Beaume à Montpezat, au lieu de prendre la direction la plus courte et la plus naturelle, s’est détournée aux approches des deux Gravennes pour aller passer au Cros de Laval, on serait en droit de supposer que les feux de ce côté n’étaient pas encore entièrement éteints.


Les volcans sont restés comme des soupapes de sûreté partout où l’oxydation du sol continue.

Il y en a encore plusieurs centaines en activité sur la surface du globe, – sans compter ceux, bien plus nombreux probablement, qu’on ne connaît pas.

Il y a une quarantaine d’années, on en connaissait 303, dont 24 en Europe, 11 en Afrique, 46 en Asie, 114 en Amérique et 108 en Océanie. Sur ce total de 303, il y en avait 109 sur les continents et 194 dans les îles.

On doit en connaître aujourd’hui plus du double.

L’Europe n’en compte que trois grands : le Vésuve en Italie ; l’Etna en Sicile ; et l’Hécla en Islande.

Ce dernier vient d’avoir, en 1875, une éruption qui a couvert un espace de 800 kilomètres carrés d’une pluie de cendres de 5 à 6 centimètres de hauteur (soit un total de 4,000 tonnes de cendres).

L’Océanie et les îles d’Asie sont semées de volcans actifs. L’île de Java à elle seule en compte une quarantaine. La terrible éruption du Gallung Kung en 1822, fit périr 4,000 personnes.

Les volcans d’Océanie et des îles d’Asie ont souvent donné lieu à d’épouvantables catastrophes où les victimes se comptent par dix et vingt mille âmes, et même davantage.

En 1793, après un tremblement de terre effroyable, le mont Illigigama, dans l’île de Kiou-Siou, au Japon, vomit d’abord une énorme quantité de rochers dans la mer, puis un torrent d’eau qui fit périr environ 53,000 personnes.

Il y a deux ans, un lac bouillant a été découvert au sommet d’une montagne de l’île Dominique, dans les Petites-Antilles. Ce lac a environ 200 mètres de long sur 400 mètres de large. Il a l’apparence d’un gigantesque chaudron recouvert de vapeur à travers laquelle, quand la brise de la mer écarte ce voile par moments, on aperçoit une masse confuse de vagues qui s’entrechoquent, courant furieusement dans tous les sens, un vrai chaos d’eaux bouillantes. Ce lac est situé à 2,400 pieds d’altitudes (à peu près la hauteur du plateau du Coiron).

C’est dans l’Amérique méridionale que les manifestations volcaniques sont le plus grandioses.

Le Pérou et le Chili, qui sont les pays de l’or, sont encore plus les pays du feu.

Dans la chaîne des Andes où la cîme des volcans dépasse presque toujours la région des neiges, les vastes glacières qui se forment sur leur revers ou même sur leur sommet dans les intervalles de repos, se fondent lorsque les volcans commencent à agir et produisent de fréquentes et désastreuses inondations.

Toute la partie élevée de Quito, ainsi que les montagnes avoisinantes, semblent reposer, selon M. de Humbold, sur un énorme souterrain volcanique qui s’étend du sud au nord et qui occupe un espace de 600 milles carrés.

Les principales bouches enflammées de cette chaîne sont le Sangay et le Tunguragua qui ont plus de 5,000 mètres de hauteur, l’Antisana et le Cotopaxi qui ont 6,000 mètres.

Ce dernier, le plus effrayant de tous, ressemble, le soir, à un immense fanal dont l’éclat est d’autant plus vif que la ceinture blanche et glacée de la montagne réfléchit constamment la flamme. Ce cratère atteint presque la hauteur qu’aurait le mont Vésuve si on le supposait en feu sur le Mont-Blanc !… En 1738, la flamme de ce soupirail gigantesque s’éleva à 1,000 mètres au-dessus de la cîme la plus haute, et en 1742, époque à laquelle des académiciens français mesuraient un degré du méridien, ils furent témoins d’une éruption qui s’éleva à 500 mètres au moins au-dessus de Cotopaxi.

Cette fois, la neige couvrant la montagne fut fondue généralement et forma un épouvantable torrent, suivant les escarpements de cette montagne et inondant la plaine à plusieurs lieues à la ronde. Le feu et l’eau ravagèrent alors cette contrée. Le savant Alexandre de Humbold affirme qu’en 1803, se trouvant à Guayaquil, ville de la république de l’Equateur, éloignée de 52 lieues de la montagne du Cotopaxi, il entendit les mugissements réunis de l’éruption et de l’inondation.

Un fait curieux – et auquel on ne s’attendait guère, – c’est que les grands volcans d’Amérique vomissent parfois… des poissons. C’est ce qui arriva, dans la nuit du 19 au 20 juin 1798, lorsque la cîme du Carguaraizo, montagne haute de 6,000 mètres au nord de Chimborazo, s’écroula : toutes les campagnes environnantes, dans un rayon de deux lieues carrées, furent couvertes de boue et de poissons.

Le Cotopaxi, et d’autres volcans des Andes, vomissent également des poissons qui proviennent évidemment des lacs souterrains placés dans les diverses parties de la montagne.

La rareté des éruptions de ces grands volcans sert à expliquer ce phénomène.

Quand le cratère d’un volcan a été transformé en lac et que l’eau y a séjourné pendant un siècle ou un demi-siècle, il n’y a rien d’étonnant qu’il lance des poissons à son premier réveil.

Si le volcan qui occupait autrefois la place du lac d’Issarlès se réveillait demain, – ce qu’à Dieu ne plaise, – il lancerait des poissons, tout aussi bien que le Carguaraizo et le Cotopaxi.

Plus les volcans sont grands et élevés, plus leurs éruptions paraissent rares. Le Cotopaxi, le Tanguragua, le Sangay offrent à peine une éruption dans l’espace d’un siècle.

Le pic de Ténériffe, qui a une hauteur de 4,000 mètres, n’a pas bougé depuis 1798.

Les éruptions de l’Hécla et de l’Etna sont moins fréquentes que celles du Vésuve.

Par contre, le Stromboli, dans les îles Eoliennes, qui est le plus petit des volcans, est continuellement en éruption. Son cratère est toujours rempli d’une lave en fusion qui se tuméfie, s’élève jusqu’aux bords en forme de cloche, fait une explosion bruyante et lance dans les airs une partie de la matière fondue, de la fumée et des cendres ; peu à peu, la lave s’affaisse et redescend, pour remonter comme auparavant, après un quart d’heure ou une demi-heure d’intervalle.

Les petits volcans, comme les petits hommes, sont perpétuellement endiablés. Les grands ne se mettent pas souvent en colère, mais quand cela arrive, c’est pour de bon.


Un chimiste français nommé Lémery, voulant prouver que le feu central n’était pas nécessaire pour expliquer les éruptions volcaniques, composa, avec du soufre et de la limaille de fer, une pâte qu’il enferma dans un récipient et qu’il déposa sous le sol à plusieurs pieds de profondeur. Quelques jours après, la terre se souleva et notre chimiste eut la satisfaction de voir jaillir la flamme d’un petit volcan en miniature.

Des savants sont partis de là pour considérer les volcans comme de véritables piles de Volta, ou de vastes conduits qui renferment les matériaux chimiques les plus riches, qui aspirent l’eau par leur base et l’air par leur sommet et qui sont toujours en travail sous la double action de l’électricité négative de la terre et de l’électricité positive de l’atmosphère.


Des savants encore plus hardis ont assimilé le globe à un animal ayant sa vie propre et ses développements particuliers. Ils en donnent pour preuve qu’il a progressé, qu’il s’est modelé, embelli suivant les lois d’une physiologie spéciale et en vertu d’une activité qui lui est propre. Ils comparent l’émersion et la soudure des continents, ce qu’ils appellent l’ossification du corps terrestre, au travail qui se développe pendant l’évolution embryonnaire des animaux. Pour eux, l’eau et la terre ne sont pas des choses mortes soumises exclusivement aux lois de la physique ; ils considèrent le globe terrestre comme un véritable organisme et l’eau comme un fluide vivant analogue au sang et aux autres fluides qui circulent dans le corps des animaux. Les matières sédimentaires sont, à leurs yeux, de véritables sécrétions semblables à celles au moyen desquelles quelques animaux se donnent des coquilles et des carapaces. L’électricité dont le globe est plein, et dans laquelle ils voient le fluide vital par excellence, leur apparaît comme la preuve irréfutable de la vie de notre planète. La terre, comme l’homme, comme les animaux, comme les plantes (selon la démonstration récente de M. Dalmas) est une pile en activité incessante. On sent déjà tout le parti que les partisans de cette hypothèse tirent du magnétisme terrestre, des aurores boréales, etc., etc.

Mais peut-être tout cela est-il plus ingénieux que vrai, et s’il ne me paraît pas inutile d’avoir ouvert à mes lecteurs la fenêtre qui s’ouvre sur cette gigantesque hypothèse, je crois qu’il est sage de ne pas y rester plus longtemps pour ne pas prendre le vertige. A dire vrai, je soupçonne les auteurs de ce système, bien qu’ils se réclament de Platon comme chef de file, d’être encore plus poètes que savants et de s’adresser plus à l’imagination qu’à la froide raison.

De toutes façons, je reconnais qu’il est dangereux de trop parler des volcans. Les nôtres, quoique éteints, nous ont lancés plus haut et plus loin que toutes les scories que roule l’Ardèche. Tâchons de retomber sur nos pieds sur les ruines de Ventadour où l’éruption nous a saisi, et reprenons bien vite notre course vers la montagne.

  1. Histoire naturelle de la France méridionale, t. 3, p. 83.
  2. Tome III, p. 119 à 126.
  3. Beudant. Manuel de Géologie.
  4. Soulavie – Histoire de la France méridionale, t. 2, p. 195.
  5. Idem, t. 3, p. 216.