Voyage aux pays volcaniques du Vivarais

Docteur Francus

- Albin Mazon -

XIII

Neyrac

Une école pour les fabricants de ciments. – Neyrac, il y a trente ans. – Etymologie de Neyrac. – Neyrac du temps des Romains. – Le rocher des Lépreux. – Faujas de St-Fond à Neyrac. – La source thermale découverte en 1780 par Mazon, jurisconsulte à Antraigues. – Guérison de M. Rattier. – Les diverses sources de Neyrac. – Les dissidences des chimistes au sujet de l’analyse de la source Jaune. – Le nouveau Tartare. – Les bains d’acide carbonique. – Ce qui empêche la prospérité de Neyrac. – Sur le pic de Soulhol. – Les eaux de Neyrac sont antérieures aux éruptions des derniers volcans vivarois. – Un hospice militaire à Neyrac et à St-Laurent-les-Bains.

Du Pont de la Beaume, on remonte la vallée de l’Ardèche par une pente douce jusqu’à une auberge, située sur la gauche, dont l’enseigne avertit le passant qu’il faut quitter en cet endroit la grand’route pour aller à Neyrac.

Nous traversons l’Ardèche sur un pont dont les culées portent sur le fameux travertin de Neyrac.

Ce travertin est formé par les dépôts calcaires des eaux minérales. Les fabricants de ciments n’ont qu’à venir en cet endroit ; ils verront que la nature est plus forte qu’eux. Les eaux de Neyrac ont pris les cailloux de granit et de basalte et les ont si bien soudés que la nouvelle pierre, formée par ces agrégations hétérogènes, se brise plus facilement dans ses parties granitiques ou basaltiques que dans la soudure calcaire qui les réunit.

L’œuvre incrustante dont il s’agit se poursuit même dans l’eau à la façon des ciments hydrauliques.

Nous sommes étonné que personne n’ait encore songé à employer la vertu de ces eaux dans un but industriel, comme le pratique si bien le propriétaire de la fontaine St-Allyre en Auvergne.

On monte à Neyrac par un chemin assez raide, mais on est bien récompensé, quand on a passé les quelques maisons qui forment le hameau, par le spectacle charmant que donne le petit bassin des eaux.

Il ne fut pas chercher à Neyrac les habitations fastueuses. Tout y est simple, frais et champêtre, comme il convient à une station naissante. On n’y trouve peut-être pas tout ce qu’on pourrait désirer en fait de confort, mais on y est passablement, on n’y est environné que de bonnes figures et les prix sont raisonnables. Et, comme dit la chanson,

Combien de villes dans le monde,
Ne pourraient pas en dire autant !

Je me souviens des premiers temps où l’on allait prendre les eaux à Neyrac. Comme il n’y avait ni hôtel ni établissement de bains, on se procurait une baignoire chez le paysan où l’on était logé, puis on envoyait chercher de l’eau minérale et on la faisait chauffer à pleins chaudrons. C’était primitif, mais l’on n’en obtenait pas moins des cures miraculeuses.

Les baigneurs généralement peu fortunés faisaient eux-mêmes leur popotte. Aujourd’hui encore cette pratique, si fort prisée des petites bourses, est en usage à l’auberge Roussier, à l’hôtel Dumas et ailleurs.

A cette époque il y avait une fosse méphitique ouverte dans chaque propriété du bassin de Neyrac, non par curiosité, mais par mesure d’hygiène agricole. Les paysans avaient remarqués, en effet, que les fosses donnaient une issue au gaz carbonique dont tout le sous-sol du bassin des eaux paraît imprégné, et que la terre, jusque là inféconde, pouvait alors nourrir les vignes et les mûriers.

Il y a aujourd’hui à Neyrac deux hôtels pour les voyageurs aisés : l’hôtel des Bains, affermé à M. Reymondon à Lacoste, d’Aubenas, et l’hôtel Fournier.

L’hôte des Bains a imprudemment lié sa fortune à celle d’un énorme châtaignier dont le tronc est incrusté dans un de ses murs. Si le vent renversait le châtaignier, l’hôtel serait anéanti.

Neyrac, y compris bien entendu les maisons de paysans, peut loger à la fois jusqu’à 200 personnes. On évalue à 6 ou 700 la moyenne annuelle de ses visiteurs.


Quelle est l’étymologie de Neyrac ? Les uns la trouvent dans le mot ac, eau, acqua, et Nereia, Nérée, Dieu des eaux. Les autres pensent qu’elle vient de aqua et de Neyre, noir, trouble (eau trouble).

L’auteur d’un très-intéressant article sur le culte de Mithra, publié dans l’Annuaire de l’an XI, et qui n’est autre probablement que M. de Laboissière, croit que Nérac signifie rocher des Bains de deux mots celtes : car ou carn pierre dont par inversion on a fait roc et de Naë eau. Le mot de Cornevi, qui désigne un endroit de la rivière de Charalon près Privas où existait, à ce qu’on croit, une ancienne piscine gauloise, se rattacherait à la même étymologie.

D’après la tradition, il existait autrefois à Neyrac une église bâtie en l’honneur de St-Lager ou Léger, évêque d’Autun, martyrisé à Neyrac ou ailleurs, mais ceci paraît de la légende plutôt que de l’histoire, et il se pourrait fort bien, comme le pense M. Dalmas, que le nom de St-Lager ne fut qu’une corruption de St-Lazare, le mendiant lépreux de l’Evangile.


Neyrac a été une station thermale romaine. Cela résulte des restes de constructions romaines aussi bien que des médailles d’empereurs et des fragments de poterie qu’on y a retrouvés.

En 1852, feu M. Reymondon, architecte du département et propriétaire de Neyrac, en faisant faire des fouilles sur les indications d’un vieux paysan qui lui avait dit qu’en cet endroit existait l’ancienne chapelle de St-Lager, trouva :

1e Une maçonnerie moyen-âge en gros cailloux dégrossis ;

2e Des vestiges d’incendie ;

3e Au-dessous de la maçonnerie moyen-âge, un mur souterrain de 7 mètres de longueur, en petites pierres de granit (opus recticulatum) de l’époque romaine.

Ces mêmes fouilles firent découvrir des médailles de l’empereur Antonin le Pieux, d’Adrien, de Gordien III, deux fragments de pots étrusques avec figures, etc.

Il y a là le sujet de recherches intéressantes pour un archéologue. Pour moi qui ne suis qu’un touriste observateur, je me borne à constater que la piscine romaine était au-dessus de la piscine du moyen-âge.

Dans le village on peut voir encore l’ancienne maison, aux fenêtres byzantines, qui paraît avoir servi de maladrerie, et tout à côté, contre un rocher, le banc des ladres où les lépreux, sortant du bain, allaient se sécher au soleil.

Il est donc bien certain que les vertus des eaux de Neyrac ont été appréciées sous les Romains et au moyen âge ; mais, bien que le docteur Morin (1) parle d’un acte notarié, en date de 1340, où il serait question des bains et des eaux de Neyrac, il est certain aussi que cette station avait été complètement oubliée, puisque vers la fin du siècle dernier, lorsque Faujas de St-Fond se rendit à Neyrac, pour visiter, non pas les eaux dont il n’était plus question, mais les fosses méphitiques dont il avait entendu parler à Aubenas par des paysans, c’est par hasard qu’il aperçut la piscine moyen-âge. Son attention fût attirée par les bulles de gaz qui s’en dégageaient, et il but de son eau malgré les paysans qui voulaient l’en empêcher en lui disant qu’elle était dangereuse.

Quelques années après, Soulavie, alors vicaire à Antraigues, visita également Neyrac.

Je relève dans son ouvrage le passage suivant d’une lettre écrite par l’abbé Bartre, curé d’Antraigues, en date du 1er décembre 1780 :

« M. Mazon ayant été par occasion à Neyrac voulut s’assurer si effectivement il y a une source d’eau minérale thermale, comme vous l’avez écrit, malgré qu’on vous l’ait contesté, et pour cet effet il plongea son bras tout le long de la rigole qui arrose la prairie située au-dessous des fameuses fosses méphitiques où vous avez tant fait d’expériences : et à environ une portée de fusil de ces fosses, il trouva, dans un endroit de la rigole, une eau, si chaude au fond, que malgré le mélange des eaux froides, il fut obligé de retirer promptement le bras. Il fit appeler le propriétaire du terrain auquel il fit part de sa découverte. Sur son avis, le propriétaire a donné de l’écoulement aux eaux voisines et par là il a mis à découvert, dans ce même endroit, une source abondante d’eau aussi chaude que celle de St-Laurent. Plus de cinquante personnes ont bu de cette eau l’été passé pour remède et s’en sont bien trouvées. » (2)

Ces lignes indiquent avec précision l’auteur et la date de la découverte de la grande source des bains. On sait que la température de cette source est aujourd’hui de 27° centigrades, ce qui est à peu près celle des eaux du puits artésien de Grenelle. Elle a donc baissé depuis lors, à moins que la différence ne résulte – ce qui est possible – du mélange des eaux froides.

Quelques médecins du pays se sont toujours depuis occupés de Neyrac.

Le docteur Embry, d’Aubenas, dans l’Annuaire de l’an XI (1802), constate qu’il y guérit un lépreux et prédit que ces eaux deviendraient célèbres par la guérison des maladies cutanées.

Neyrac, en effet, continua d’opérer de temps en temps des miracles sur des personnes assez courageuses pour venir les prendre.

L’un des faits les plus remarquables et qui fit grand bruit à l’époque, bien que tous les prospectus aient oublié de le mentionner, fut la guérison d’un ancien négociant de Paris, M. Rattier, le beau-père de M. Couchies qui acheta une partie des domaines de la Chavade.

C’était en 1844. M. Rattier, qui depuis deux ans, ne pouvait plus marcher par suite de rhumatismes invétérés, fut arrêté, par je ne sais quel incident, près du pont de la Beaume. On lui parla des eaux de Neyrac. Il y alla, prit un bain et, étonné de l’amélioration survenue dans son état, voulut en prendre un second le lendemain. A la suite de ce second bain, il put marcher, sans l’appui de son domestique, et au bout de huit jours, il grimpait sur les montagnes comme un jeune homme.

Les eaux de Neyrac furent achetées en 1830 par M. Reymondon. Le premier établissement de bains date de 1851.


Les sources connues du bassin de Neyrac sont au nombre de huit, savoir :

1e La source Jaune (grande source des Bains ou source Dupasquier),

2e La source des Lépreux (piscine des Croisés ou source Lazare),

3e La source Ossian Henry,

4e La source Mazade,

5e, La source Célestine,

6e La source Mofetta (découverte en 1875),

7e et 8e Les deux sources Arzalier.


La grande source des bains sort d’un granit porphyroïde rose et son débit est de 257 litres à la minute. Si on ne donne point de bains, elle arrive à la surface du sol. Quand on en donne de 200 à 250 par jour, elle faiblit dans le récipient de 2 m. à 2 m. 50, la profondeur jusqu’au rocher étant de 4 m. 20. Les sources qui l’avoisinent conservent alors leur niveau habituel, ce qui prouve qu’elle ne leur emprunte rien. Son eau est ferrugineuse, acidulée et gazeuse. Elle est trouble, légèrement teintée de jaune, ce qui lui a valu le nom de source jaune. Aux équinoxes elle paraît claire, mais elle donne alors exactement le même précipité que lorsqu’elle est trouble. Elle laisse un dépôt ocracé qu’on prépare en pommade et qui est excellent, dit-on, pour calmer les douleurs et cicatriser les plaies. On l’emploie en boisson, en douches et surtout en bains. Elle a été analysée par M. Ossian Henry en 1832 et par M. Mazade en 1853. L’analyse de ces deux chimistes, mais surtout celle de M. Mazade, produisit dans le monde médical une certaine sensation à cause des principes nouveaux, signalés dans les eaux de Neyrac, et qui n’avaient été encore signalés dans aucune eau minérale. (3)

Les corps découverts pour la première fois dans les eaux de Neyrac, par M. Mazade, étaient le Molybdène, le Tungstène, le Tantale, le Titane, la Zircone, le Nickel, le Cobalt, le Cérium, l’Yttria, la Glucyne et l’acide Mellitique.

La commission d’hydrologie médicale de Paris nomma, en 1856, une commission composée de MM. Chevalier, Ossian Henry père, Gobley, Réveil et Lefort. C’est ce dernier qui fut chargé du rapport, et ce rapport publié en 1857, paraît anéantir les conclusions de M. Mazade.

A la suite de ce travail, M. Lefort a fait aussi l’analyse de la source des bains. (4)

Après avoir constaté les merveilleux effets des eaux de Neyrac dans les maladies de la peau malgré l’absence de tout composé sulfuré, M. Lefort ajoute :

« Lorsque nous comparons les effets thérapeutiques de l’eau de Neyrac avec ceux des eaux boueuses et sulfureuses de St-Amand, nous ne pouvons nous empêcher de nous demander si c’est bien par les principes minéralisateurs dissous dans l’eau qui fait le sujet de ce travail ou ceux tenus en suspension quand elle agit. Il y a là évidement pour la médecine toute une série d’expériences sur lesquelles nous appelons d’une manière particulière son attention. »

Dans une lettre adressée à M. Reymondon, le 5 mars 1858, M. Ossian Henry fait ses réserves sur le travail de M. Lefort, constate que les eaux de Neyrac sont riches en éléments minéralisateurs connus, bicarbonates, alcalins terreux et ferrugineux, manganésiens, en acide carbonique, en principes arsénieux, etc. ; qu’elles doivent ces vertus à ces divers principes et que l’existence du titane, du tantale, etc., annoncée par M. Mazade, et qu’il croit lui-même réelle, ne saurait être considérée jusqu’à présent que comme un point purement chimique, digne d’intéresser les sciences naturelles, mais qui ne paraît pas se rattacher sérieusement à l’action thérapeutique de ces eaux.

Adhuc sub judice lis est.


La source Lazare (autrement dite source des Lépreux ou des Croisés) est encore ou à peu près ce qu’elle était au moyen-âge avec ses gros blocs granitiques à peine dégrossis, et ses bancs de chêne faisant corps avec la maçonnerie. Son débit est de 12 litres à la minute. Son eau est froide (18°), acidulée, alcaline, très-gazeuse et limpide avec un arrière-goût métallique. On la croit fortement arsénicale. Elle est très-employée en lotions par les gens des environs qui en font des provisions pendant l’hiver.


La source Mofetta sort à vingt pas de la précédente, sous une des anciennes fosses méphitiques à laquelle on peut accéder aujourd’hui par une galerie latérale, en s’immergeant dans le gaz à la hauteur que l’on veut.

Le bassin où coule la source Mofetta et ses abords sont toujours recouverts, au moins en été, d’une véritable croûte de cadavres d’insectes, mouches, guêpes ou abeilles, qui sont venus imprudemment se placer sous l’action asphyxiante du gaz acide carbonique. L’eau de cette source est réputé dangereuse, et l’on croit qu’il suffirait d’en boire deux ou trois verres pour tuer un homme bien portant. Cette eau développe, dès qu’elle est tant soit peu chauffée, une énorme quantité d’acide carbonique.


La source Ossian Henry et la source Mazade coulent à côté de la grande source des Bains sans se confondre avec elle et paraissent avoir les mêmes propriétés. Elles sont froides et ne diffèrent entre elles que par la couleur de leurs dépôts.


La source Célestine, du nom de feue Madame Reymondon, est froide (14°), gazeuse, limpide et abondante (12 litres à la minute). Elle paraît n’être qu’un écoulement d’eau ordinaire traversé par un courant d’acide carbonique. Elle sert à quatre maisons du hameau de Neyrac et n’est distante de la source des Bains que de 7 à 8 mètres.

Toutes les sources dont il vient d’être question appartiennent à M. Reymondon.


Depuis cinq à six ans, un autre établissement de bains s’est élevé à côté de celui de M. Reymondon. Il est dû à l’initiative du propriétaire voisin, M. Arzalier. Celui-ci dispose de vingt cabinets et donne jusqu’à 80 bains par jour. L’établissement de M. Reymondon en donne jusqu’à 250.

Les deux sources de M. Arzalier ont été analysées en 1874 par M. de Montgolfier. (5)


Il y a encore deux sources à proximité de Neyrac, l’une dans le lit de l’Ardèche, en amont du pont de Neyrac, et l’autre sur la grand’route. Celle-ci s’appelle la Bienfaisante et appartient à M. Giraud (6). Elle est froide et a un débit de 1 litre et demi à deux litres par minute. Ces deux sources sont alcalines et très-gazeuses. Elles paraissent convenir contre l’anémie et passent pour essentiellement anti-dyspeptiques. On les vante aussi pour leurs bons effets contre les maladies des femmes.


Nous avons déjà dit qu’une des anciennes mofettes, la principale, avait été transformée en une galerie couverte. Les merveilles de la fameuse grotte de Pouzolles sont ici singulièrement dépassées. Quand on y entre, le gaz carbonique vous chauffe d’abord les jambes, puis le reste du corps ; si on avance encore, on est asphyxié. C’est une chaleur sui generis, quelque peu diabolique, qui provoque presque instantanément la sueur. On cite un Espagnol qui n’avait pas sué depuis dix ans et qui, ayant pénétré dans ce tartare, fut, au bout d’un quart d’heure, transformé en une fontaine ambulante. Il faut naturellement n’avancer dans la mofette qu’avec précaution, car on serait vite asphyxié. Aussi la galerie est-elle soigneusement tenue fermée à clé pour éviter les accidents.

M. Reymondon attache, non sans raison, une grande importance à cette source inépuisable de gaz acide carbonique dont il est possesseur et se propose de l’employer en bains partiels ou en inhalations, comme cela se pratique dans plusieurs stations allemandes, notamment Marienbad, Neuheim, Carlsbad, Kissingen. Le docteur Contantin James constate dans son Guide des Eaux, les excellents effets produits par ces sortes de bains dans les affections rhumatismales.


Les analyses d’eaux, nous l’avons déjà dit, valent ce qu’elles valent. La chimie a, d’ailleurs, obtenu de notre temps d’assez beaux succès pour qu’on lui pardonne quelques erreurs. Ce n’est donc pas aux analyses, mais à l’expérience, qu’il faut demander un jugement sur les eaux de Neyrac qu’un de nos illustres confrères de Lyon, le docteur Soquet, présente comme un type à part et uniques dans leur genre.

Or, l’expérience est éminemment favorable à Neyrac et pour ma part je lui ai vu opérer des cures remarquables dans certaines maladies cutanées et rhumatismales. Parmi les faits récents, on peut citer la guérison de quelques Espagnols atteints de la lèpre ou de la pellagre. Aussi peut-on voir à Neyrac toutes les années de nouveaux péninsulaires qui viennent demander à ces eaux bienfaisantes, et jamais en vain, le renouvellement du miracle opéré sur leurs compatriotes.

Nous sommes donc convaincu qu’un bel avenir est réservé à la station de Neyrac. Ce sont des difficultés d’un ordre purement industriel qui en ont jusqu’ici ajourné la réalisation.

Toute maison divisée, dit l’Evangile, doit périr. Or, Neyrac est très-divisé. M. Reymondon possède deux hectares dans le bassin formé par l’ancien cratère. Le reste est réparti entre une foule de petits propriétaires qui tous élèvent des prétentions plus ou moins exorbitantes et qui empêcheront toujours, si elles se maintiennent, la formation d’une société sérieuse capable de prendre en main la direction de tous les éléments de prospérité dont la nature a si libéralement doté ce petit endroit.

Je constate un fait en passant, c’est que le tremblement de terres qui s’est fait ressentir si violement en 1873 à Châteauneuf et à Viviers, n’a eu aucun contrecoup sur les eaux de Neyrac, bien que Neyrac, par ses mofettes, soit aujourd’hui l’un des rares points du Vivarais en relation directe avec le foyer ardent des décompositions chimiques du sous-sol.

Je dis « l’un des rares » et non pas « le seul » parce qu’il existe, paraît-il, près du volcan d’Ayzac d’autres fissures par lesquelles le gaz acide carbonique s’échappe, à l’état naturel, des profondeurs de la terre.

Il n’y a pas de cratère au sommet du Soulhol, mais on y jouit du plus admirable des panoramas. On est sur un volcan et l’on aperçoit distinctement tous les derniers volcans vivarois, c’est-à-dire les deux Gravennes, Ayzac et Jaujac. Sous ce rapport, le spectacle est unique au monde, et compense amplement les petites fatigues de l’ascension.

On a pour ainsi dire sous les pieds toute la magnifique vallée de Thuyets, la plus pittoresque certainement qui existe en France, et on domine, à l’Est, les belles ruines de Ventadour. Un peintre lyonnais Ponthus-Cinier a peint Ventadour. Ce même sujet a été traité par Jules Thibon, de Jaujac.

On peut voir dans la rivière d’Ardèche au-dessous de Neyrac que les eaux de Neyrac sont antérieures aux éruptions des derniers volcans vivarois. On sait que ces eaux forment un dépôt qui se solidifie à la longue en formant ce qu’on appelle un travertin. Or, un peu après les fabriques Tarendon jusqu’au pont de Neyrac, une couche de travertin de 2 ou 3 mètres d’épaisseur se trouve placée au dessous d’une coulée volcanique laquelle est ensuite recouverte par une autre couche de travertin.

Il a été souvent question de l’établissement d’un hospice militaire à Neyrac. Il n’est pas probable que ce projet puisse se réaliser avant que la station ait été réorganisée par une société puissante.

Neyrac et St-Laurent-les-Bains sont deux stations qui méritent particulièrement l’attention de l’administration militaire.

Le célèbre chimiste prussien Mistcherlich, le successeur de Berzélius à l’Académie de Berlin, s’étant trouvé à Neyrac en 1857, avec MM. Ossian Henry et Dalmas, leur dit :

« Si nous avions en Allemagne une semblable richesse d’eaux minérales à exploiter dans un site aussi ravissant et un climat aussi doux, l’on y dépenserait des millions. »

  1. Notice sur les eaux de Neyrac. Valence 1870.

  2. Histoire naturelle de la France Méridionale, t. 6, p. 283.

  3. Analyse de mille grammes d’eau de Neyrac par Ossian Henry :

    Résidu fixe 1 gramme 56 pour 1,000 grammes.
    Acide carbonique libre 1/9 ou 1/8 du volume.
    Acide avec un peu d'oxygène, indéterminé.
    Le résidu se compose ainsi :
    Bi-carbonate de chaux  . . . . . . . . . gram.  0.847
         ----       magnésie . . . . . . . . . . .  0.285
         ----       soude anhydre  . . . . . . . .  0.466
         ----       potasse anhydre  . . . . . . .  0.150
         ----       fer  . . . . . . . . . . . . .  0.014
         ----       manganèse  . . . . . . . . .  sensible
    Sulfate de soude et de chaux anhydres  . . . .  0.130
    Chlorure alcalin . . . . . . . . . . . . . . .  0.039
    Iodure alcalin . . . . . . . . . indices peu sensibles
    Silicate d'alumine . . . . . . . . . . . . . )
       ----  de soude et de potasse  . . . . . . )  0.058
       ----  de zircone  . . . . . . . . . . . . )
    Oxyde de titane sans doute uni à du fer. . . )
    Nickel et cobalt sans doute carbonatés . . . )
    Arsenic uni à du fer . . . . . . . . . . . . )  0.110
    Phosphate terreux  . . . . . . . . . . . . . )
    Matière bitumineuse et perte . . . . . . . . )
                                              --------
                                 Total . . . . . .  2.099
    

    Voici l’analyse de M. Mazade :

    Acide carbonique : 0.636.
    Azote et oxygène : titre inapprécié
    Carbonate de glucyne : Sensible
    Matière bitumineuse : Variable
    Bi-carbonate de potasse  . . . . . . . . gram.  0.045
         ----       soude  . . . . . . . . . . . .  0.519
         ----       lithine  . . . . . . . . . .  sensible
         ----       chaux  . . . . . . . . . . . .  0.840
         ----       strontiane . . . . . . . . .  sensible
         ----       magnésie . . . . . . . . . . .  0.145
    Carbonate de fer . . . . . . . . . . . . . . .  0.010
         ----    manganèse . . . . . . . . . . . .  0.003
    Chlorure de sodium . . . . . . . . . . . . . .  0.017
    Sulfate de chaux . . . . . . . . . . . . . . .  0.030
    Oxyde stannique probablement uni à de la soude  0.001/3
    Acide molybdique . . . . . . . . . . . . . . .  0.001/2
    Acide tungstique et tantalique . . . . . . . .  0.002
    Arsénite de nickel et de cobalt  . . . . . . .  0.001/2
    Silice et alumine  . . . . . . . . . . . . . .  0.125
                                                   --------
    Total des principes fixes pour 1,000 grammes
    d'eau de la source des bains de Neyrac . . . .  1.737
    
  4. Voici l’analyse de M. Lefort :

    Tableau synoptique des diverses combinaisons salines anhydres attribuées hypothétiquement à 1 litre d’eau de Neyrac, source des bains.

    Acide carbonique libre . . . . . . . gram.  1.813
    Bi-carbonate de soude  . . . . . . . . . .  0.648
         ----       potasse  . . . . . . . . .  0.129
         ----       chaux  . . . . . . . . . .  0.781
         ----       magnésie . . . . . . . . .  0.373
         ----       protoxyde de fer . . . . .  0.080
         ----       manganèse  . . . . . . . . traces
    Sulfate de soude . . . . . . . . . . . . .  0.025
    Chlorure de sodium . . . . . . . . . . . .  0.012
    Phosphate de soude . . . . . . . . . . . .  0.007
    Arsenite de soude  . . . . . . . . . . . . traces
    Silice . . . . . . . . . . . . . . . . . .  0.182
    Alumine  . . . . . . . . . . . . . . . . . traces
    Matière organique  . . . . . . . . . . . . indices
    Poids des combinaisons salines anhydres, les
     sels étant à l'état de bi-carbonates  . .  4.000
    Poids des combinaisons salines anhydres, les
     sels étant à l'état de carbonates neutres  1.626
    L'expérience nous a donné  . . . . . . . .  1.707
    
  5. Voici le résultat :

                              Source n° 1  Source n° 2
                                  ----         ----
         Température               30°          27°
         Débit à la minute      160 lit.      64 lit.
    
    Bicarbonate de Soude         1, 1250      1, 2341
         ----      Potasse       0, 1251      0, 1476
         ----      Lithine       0, 0120      0, 0128
         ----      Chaux         1, 1526      1, 1922
         ----      Magnésie      0, 4127      0, 4764
         ----      Fer           0, 0247      0, 0318
    Sulfate de Soude             0, 0663      0, 1901
    Chlorure de Sodium           0, 0158      0, 0175
    Silice                       0, 1317      0, 1360
    Arsenic                      indices       traces
    Acide phosphorique           indices       traces
    Matières organiques           traces       traces
                                ---------    ---------
         Total matières fixes    3, 0659      3, 4385
    Acide carbonique libre       1, 0030      1, 0750
                                ---------    ---------
                                 4, 0689      4, 5135
    
  6. Voici l’analyse de la Bienfaisante, d’après M. Glénard (de Lyon) :

    Bicarbonate de soude       1 gr. 191
         ----      potasse           180
         ----      lithine        traces
         ----      chaux             738
         ----      magnésie          458
         ----      fer               008
         ----      manganèse         003
    Sulfate de soude                 039
    Chlorure de sodium               033
    Alumine                       traces
    Silice                           070
                              -----------
                               2 gr. 713
    Acide carbonique libre     1 gr. 070