Voyage aux pays volcaniques du Vivarais

Docteur Francus

- Albin Mazon -

XXII

Marcols

La montagne du Champ-de-Mars. – Le passage de Jules César dans l’Helvie. – La vallée de l’Erieux. – Les sources minérales de Marcols. – Les centenaires dans la vallée des Ours. – Fumées politiques et réveils de volcans.

A Mézilhac nous fûmes indécis sur la route à suivre.

Devions-nous continuer vers Privas par le Champ-de-Mars et l’Escrinet, ou descendre à Vals, ou bien visiter Marcols ?

L’ancienne vallée des Ours commençait à faire parler d’elle par ses exportations d’eaux minérales. Quelques-uns en faisaient déjà une rivale de Vals. C’est pour nous rendre compte par nous-mêmes de ses chances d’avenir – car nous savons combien les livres et les prospectus sont menteurs – que nous nous décidâmes à prendre la route de Marcols.

Il y a dix kilomètres de Mézilhac à Marcols – dix kilomètres d’une descente continuelle et parfois assez raide. La vallée est fort belle quoique très-resserrée. De nombreux bouquets de pins alternent sur le versant nord avec les prairies et les pâturages. Le fond de la vallée est très-frais et très-vert.

On aperçoit là haut à droite la route de Mézilhac à l’Escrinet d’où se détache, à un moment donné, le chemin qui descend à St-Pierreville.

A droite nous laissons le grand massif du Champ-de-Mars qui sépare la vallée d’Antraigues de la vallée de Marcols et où l’on croit avoir trouvé des traces d’un campement romain. On a soutenu que Jules César avait passé par là pour aller surprendre Vercingétorix en Auvergne. D’autres préfèrent l’hypothèse, adoptée par l’abbé Rouchier, qui fait passer le conquérant romain par Montpezat, le Roux, St-Cirgues et Chamblazère. On sait que c’est aussi l’avis adopté par la commission de la carte des Gaules. Mon opinion à moi, c’est que l’armée de Jules César, sinon César lui-même a passé par plusieurs endroits, car sans cela elle serait beaucoup trop longtemps restée en route : c’est ce qui explique qu’on ait retrouvé les traces de son passage dans plusieurs directions différentes.

Quand on monte du côté de Privas au Champ-de-Mars, on quitte la route à un endroit appelé los quatre vios (les quatre chemins). Du côté de Genestelle on y monte par un sentier connu sous le nom de mountado dos mouort

On aperçoit les ruines d’un vieux château sur la pointe volcanique de Don qui se dresse à notre gauche.

Quelques champs cultivés, des pâturages où les grandes gentianes dressent leurs têtes flétries au-dessus des bruyères et des genêts, quelques bouquets de pins, mais surtout des traînées de laves et des croupes de granit : tel est le paysage à travers lequel se déroule notre chemin, comme un interminable serpent devant lequel se dérobe sans cesse le fond de la vallée. A la fin cependant, on entre dans la région des châtaigniers ; on aperçoit quelques maisons à travers le rideau de feuillage qui couvre la rivière de Gleyre, puis, à un détour de la route, on se trouve tout-à-coup dans Marcols sans l’avoir aperçu d’avance.

L’aspect du village de Marcols est, du reste, fort gracieux, mais, pour en jouir, il faut venir du côté de St-Pierreville et non pas du côté de Mézilhac. Nous pénétrions à Marcols pour ainsi dire par le toit au lieu d’y arriver par la porte d’entrée.

C’est par la Voulte, les Ollières et St-Pierreville qu’on vient ordinairement à Marcols. La distance du Rhône à Marcols est de quarante-neuf kilomètres et, si la route est passablement accidentée et par conséquent fatigante, elle est aussi des plus intéressantes pour le touriste. La vallée de l’Erieux, beaucoup moins pittoresque que celle de l’Ardèche, est par contre, plus fraîche et plus riante. Elle a la poésie du granit qui vaut bien parfois celle du calcaire et des volcans.

Un courrier part tous les matins à neuf heures de la Voulte, à l’arrivée de l’express ; il arrive à St-Pierreville vers deux heures et à Marcols une heure après. Il y a aussi une diligence qui part à midi de la Voulte mais qui ne va qu’à St-Pierreville. Au reste, quand on songe qu’on a vu, il y a peu de temps, un service de voiture entre Aubenas et le Cheylard par Vals et le col de Mézilhac, je ne vois pas pourquoi il ne s’y joindrait pas un service d’omnibus entre Mézilhac et Marcols le jour où celui-ci serait devenu une véritable station d’eaux minérales. Les buveurs de Vals pourraient ainsi facilement aller passer une après-midi à Marcols et revenir coucher le soir à leur hôtel.

Et réciproquement pour les buveurs de Marcols.

Il y a à Marcols une excellente auberge tenue par Sanial où l’on est toujours sûr de trouver du gibier et des truites.


Les sources minérales de Marcols sont dans le lit même de la Gleyre, à dix minutes en aval du village.

Il y en a quatre :

La St-Julien,

La Croix,

La Gauloise,

Et la Giraud.

La St-Julien, la seule anciennement connue, est encore aujourd’hui la seule exploitée. De temps immémorial, elle était renommée dans le pays pour ses propriétés bienfaisantes. De toutes les communes voisines, les paysans accouraient pour y remplir des bouteilles. Elle sortait alors du gneiss en décomposition de la rive droite et, à chaque crue du torrent, elle disparaissait sous le sable et les cailloux.

Cette source est ainsi nommée d’un monastère de ce nom qui existait dans le voisinage et qui en était propriétaire. Il est bien entendu que les moines ne songèrent jamais à y faire aucun travail de captation : on avait alors à penser à bien autre chose qu’aux eaux minérales. Des moines elle passa au prieuré de Marcols qui ne s’en occupa pas davantage. En 1869 seulement, le propriétaire actuel, M. Jacques Giraud, entrepreneur de maçonnerie, exécuta certains travaux pour capter la source, en même temps qu’il faisait creuser en face sur la rive gauche où apparaissaient aussi des indices d’eau minérale. Ces travaux eurent pour résultat assez inattendu de faire passer la source de l’autre côté de la rivière, c’est-à-dire que l’ancien filet qui sortait sur la rive droite tarit subitement et fut remplacé par une source de même nature et beaucoup plus abondante sur la rive gauche.

Cette source fut protégée par une solide construction en maçonnerie contre les crues de la rivière, et c’est cette installation, encore fort modeste, qui sert aujourd’hui de principal établissement à l’industrie naissante de l’exportation des eaux de Marcols.

Le passage de la St-Julien d’une rive à l’autre ne se fit pas sans trouble. Elle resta un an avant de reprendre ses sens, c’est-à-dire son gaz. Depuis lors, elle est aussi gazeuse et aussi agréable à boire que n’importe quelle eau de Vals ou de Vichy. Sa température est de 6 à 7 degrés. Elle est d’une limpidité parfaite, sans odeur, d’une saveur aigrelette, d’abord piquante puis légèrement alcaline. Elle débite de deux à trois litres à la minute, mais on pourrait lui faire débiter beaucoup plus en plaçant plus bas son point d’émergence (1).

Une dizaine d’hommes au moins, quand nous avons visité l’établissement (en 1875), étaient occupés à remplir, boucher et emballer des bouteilles. On expédiait chaque jour près de vingt caisses de cinquante bouteilles chacune. Il avait été vendu, l’année précédente, 50,000 bouteilles et l’on espérait atteindre cette année là, un chiffre plus élevé.


Les trois autres sources sont situées sur la rive droite de la Gleyre, en amont de la St-Julien, c’est-à-dire en se rapprochant du village.

La Croix est protégée, comme la St-Julien, par une construction en maçonnerie. Elle a été forée, à vingt mètres de profondeur, dans un rocher granitique semé de taches de protoxyde de fer. Elle débite environ un litre à la minute, mais avec une pompe on croit qu’elle serait inépuisable. Son eau a un léger goût de soufre. Sa température est de 10 degrés.

La Giraud n’est qu’à 50 mètres en amont de la Croix. Elle sort d’une roche quartzeuse semblable à du marbre blanc. Son débit est de deux à trois litres à la minute. Elle est très-gazeuse et sans doute aussi très-ferrugineuse, car elle trouble le vin, ce que ne font pas les précédentes. Elle laisse un léger dépôt blanc dans les bouteilles. Sa température est de 11 degrés.

La Gauloise sort à côté de la Giraud dans le même puits de maçonnerie. Son débit est aussi de deux à trois litres par minute. Il est sujet à une sorte d’intermittence : pendant 20 ou 30 secondes, elle semble s’arrêter, puis tout-à-coup elle se remet à couler avec plus de force.

Les travaux de captation continuent pour ces trois dernières sources qui ne sont nullement exploitées et dont l’analyse est à faire.

Il y a encore d’autres indices de source minérale, le long de la rivière, notamment sur la rive gauche, à 450 mètres en amont de la St-Julien. On avait baptisé du nom de St-Joseph la petite source qui coule en cet endroit, mais son faible débit l’a fait abandonner.

Dans le lit de la rivière en face de la Gauloise et de la Giraud, on a bouché avec du ciment les fissures du granit, pour empêcher l’eau minérale et les gaz de s’en aller, et l’on assure que ce hardi moyen a donné de très-bons résultats.

Le docteur Constantin James range les eaux de Marcols parmi les eaux ferrugineuses, en leur attribuant le privilège unique de posséder toutes les qualités essentielles de ces eaux sans avoir aucun de leurs inconvénients. Et il explique ainsi la chose :

« Les eaux de Marcols sont saturées de gaz acide carbonique, ce « passe-port du fer, » puisqu’il en facilite l’absorption. Le fer y existe à l’état de carbonate, qui est une des faunes les plus assimilables, et il y est à la dose de 56 milligrammes par litre. D’autre part, grâce sans doute à la quantité notable de carbonate de soude qui s’y rencontre (2 grammes ½ par litre), elles ne provoquent pas l’excitation et la pléthore qui sont trop souvent le résultat des eaux purement ferrugineuses. Enfin, loin de constiper, elles seraient plutôt laxatives, ce qui serait dû aux sulfates et aux chlorures qu’elles renferment à la dose de 245 milligrammes. »

Le docteur Constantin James ajoute qu’elles sont souveraines contre l’anémie, et il fait des vœux pour le prompt établissement à Marcols d’un établissement thermal qui lui paraît devoir nous affranchir de l’humiliant tribut que nous avons payé jusqu’ici à Schwalbach et Spa

Marcols est situé entre deux montagnes volcaniques : la Graveyre et le Don, toutes deux ayant de 1,200 à 1,300 mètres de hauteur.

En somme, nous avons été agréablement surpris par ce que nous avons vu à Marcols et nous ne désespérons pas aujourd’hui de voir cette localité devenir une station sérieuse. Comme Vals, sa fortune commence par une entreprise d’exportation d’eaux, mais elle doit se continuer par des travaux d’embellissement et d’utilité publique qui permettent aux étrangers de venir prendre les eaux sur place. Il y était venu cette année-là (1875) trois buveurs, mais il paraît qu’une centaine au moins s’étaient fait annoncer et avaient dû renoncer à leur projet en apprenant que Marcols était encore bien loin d’être prêt à les recevoir.

Aujourd’hui que Vals va, grâce au chemin de fer, devenir une grande ville d’eaux, il est vivement à désirer qu’elle trouve dans l’Ardèche même un successeur à qui laisser la partie de son ancienne clientèle qui n’aime ni le bruit, ni la foule, ni la grosse dépense. Et Marcols semble admirablement disposé pour recueillir cet héritage. Sans entrer dans le mérite de leurs eaux respectives – discussion que je laisse à de plus compétents que moi – Marcols a sur Vals l’avantage fort apprécié aujourd’hui d’une altitude plus élevée. Le climat, dans l’ancien pays des Ours, est encore plus sain, il faut bien l’avouer, que dans nos basses vallées de l’Ardèche. Les centenaires y sont plus nombreux qu’ailleurs. On a enterré, il n’y a pas longtemps, à Marcols, un aubergiste nommé Tournay qui, à l’âge de 105 ans, grimpait encore sur les arbres et ne manquait pas une foire de Mézilhac ou de la Champ-Raphaël.

La vallée de Marcols est assez large, bien ombragée, et le futur établissement sera d’autant plus facile à organiser que toutes les sources avec les terrains environnants sur les deux rives de la rivière, depuis Marcols jusqu’à la St-Julien, appartiennent au même propriétaire, M. Jacques Giraud, celui qui a traité avec la compagnie d’exportation des eaux.

On ne peut donc que désirer vivement, dans l’intérêt de Marcols comme dans celui de L’Ardèche, de voir le souhait du docteur Constantin James se réaliser bientôt. Pour nous, depuis que nous avons visité Marcols, le succès n’est pas douteux ; ce n’est qu’une question de temps et de circonstances sur lesquelles il est encore impossible de se prononcer.


Nous remontâmes assez rondement vers le col de Mézilhac, où nous revîmes la ligne du Mézenc, mais cette fois sous un autre aspect. Les nuages, qui le matin lui formaient une couronne agitée et menaçante, avaient disparu, et le soleil couchant faisait au roi des Cévennes comme à tous ses courtisans un lit d’or et d’argent. Au lieu de la majesté grise et orageuse du matin, nous avions une majesté dorée, calme et souriante, la majesté d’un roi qui a bien dîné et qui s’endort, non pas en pensant aux tribulations du trône, mais aux cheveux blonds de ses petits enfants. Adieu, Mézenc, tâche d’avoir cette heureuse physionomie le jour où nous nous déciderons de nouveau à escalader ton large flanc.

Deux tours de roue, et tout ce magnifique horizon des Cévennes a disparu à nos yeux derrière les buttes de Mézilhac. Nous voici sur le versant de la vallée d’Antraigues. Le volcan de la coupe d’Ayzac, éclairé par le soleil couchant, se détache au loin dans les brumes bleues comme un immense fer à cheval chauffé au rouge. Mais, n’est-ce pas une illusion ? Une épaisse colonne de fumée semble en sortir. Le vieux volcan se serait-il réveillé ? C’est la pensée qu’expriment tout haut deux jeunes gens, deux collégiens, arrêtés à la croisée de la route du Cheylard, qui contemplent comme nous ce magnifique spectacle. Notre cocher sourit et pique son cheval et, quand les collégiens ne peuvent pas nous entendre, nous dit simplement : C’est la fumée d’un yssard ! En effet, la fumée se déplaçait à mesure que nous avancions. Tout à l’heure, elle était sur la coupe d’Ayzac, et maintenant elle planait sur Antraigues.

Que de fumées d’yssards, en politique surtout, on prend pour des réveils de volcans !

  1. Analyse de la St-Julien :

    Bicarbonate de soude  . . . . . . . 2 460
         ----      magnésie . . . . . . 0 259
         ----      chaux  . . . . . . . 0 315
         ----      protoxyde de fer . . 0 056
    Chlorure de sodium  . . . . . . . . 0 203
    Sulfate de soude  . . . . . . . . . 0 042
    Silice  . . . . . . . . . . . . . . 0 040
                                       -------
                                        3 375
    Acide carbonique libre  . . . . . . 1 072