Voyage au pays des Boutières

Docteur Francus

- Albin Mazon -

IX

La baronnie de Chalancon

Le château de la Tourette et ses seigneurs. – Chalancon. – Son ancienne cour de justice. – Diane de Poitiers. – La baronnie de Chalancon aux Etats du Vivarais. – Elle est achetée par le marquis de la Tourette (1671). – Les droits seigneuriaux. – Privilèges et franchises des habitants. – Les cent terres ou fiefs de la baronnie. – La pauvreté du pays. – Le général Dautheville. – Chalancon et Silhac. – Un Sully. – Les restes de l’ancien fort. – La tour carrée dite temple de Diane. – Le tombeau de M. de Glo de Besse. – Une lettre de Lafont de Savines à son ancien vicaire général. – Lafont de Savines éduquant un Dauphin. – La mort du poète Christophle de Gamon à Chalancon (1621). – La maison de Hautvillar. – Le château de Colans. – Les Chambaud. – Rochemure. – Gluiras. – La pomme de terre cultivée en Vivarais plus d’un siècle avant Parmentier. – Les aventures militaires de Chalancon. – Les tentatives camisardes de 1704 et 1709. – Les bons conseils du pasteur Corteiz et d’Antoine Court. – Quelques réflexions philosophiques.

En se dirigeant au sud de Vernoux, on monte sur une colline peu élevée d’où, en se retournant, on voit l’ensemble du paysage qui forme le cadre de cette petite ville et qui repose l’œil par sa verdure doucement vallonnée, ses petits cours d’eau ombragés par des aulnes, et la ceinture de montagnes couronnées de pins qui entoure le plateau.

Quelques pas de plus sur l’autre versant de la colline, et la scène change brusquement comme un décor de féérie. Le sol est déchiré par d’effroyables escarpements : à une immense profondeur, le torrent de Dunière se fraie un passage en suivant les contours d’une vallée affreusement tourmentée. Perché au bord de l’abîme, à l’endroit le plus sauvage, un bloc de granit supporte le château de la Tourette.

Ce château, le vrai centre féodal du pays, est un type frappant de notre ancienne architecture militaire provinciale. Il est presqu’entièrement entouré par la rivière de Dunière et on ne pouvait y arriver qu’en traversant deux larges ponts-levis. D’après la tradition locale, il aurait été bâti par les Sarrasins.

La gravure de l’Album du Vivarais donne une idée assez exacte des ruines, bien que le temps ait depuis continué son œuvre de destruction. Mais ce que l’artiste n’a pu rendre, c’est l’horreur de ce site désolé qui atteint le sublime du genre.

Avant la révolution, le château était intact. Dans ma jeunesse, écrit M. de Lubac, j’ai vu des vieillards qui m’ont parlé d’une grande salle, ornée de tentures de cuir, dans laquelle, une fois dans l’année, la bourgeoisie de Vernoux se réunissait pour danser. La famille de la Tourette possède des lettres et des documents remontant à l’époque de Louis XIV, faisant connaître qu’à cette époque on arrivait au château par des carrosses à deux chevaux (par quels chemins, grand Dieu !), qu’on y menait large vie, et qu’on s’y procurait les livres nouveaux donnant la primeur des œuvres de nos grands classiques. Il existe un inventaire détaillé du mobilier de l’époque, dans lequel figure un beau portrait de Turenne, donné par lui au marquis de la Tourette. Ce portrait existe encore dans la galerie des tableaux de la famille, à Tournon.

A l’époque révolutionnaire, la toiture du château fut enlevée, et la ruine commença. Plus tard, sous la Restauration, le marquis fut obligé de vendre ses biens du Vivarais. La Tourette fut acquis par un fort honnête homme, qui n’avait malheureusement pas le culte des traditions. Dès lors, le château devint une carrière ouverte où puisèrent largement tous ceux qui avaient besoin de pierres de taille pour construire ou réparer leurs maisons. Cette époque de la Restauration fut désastreuse au point de vue de l’art architectural, et le nouveau propriétaire suivait l’esprit d’un temps qui a tout gâté, soit par la destruction des monuments les plus intéressants, soit par les lourdes constructions d’un style pseudo-grec dont elle a affligé nos regards.

Heureusement, la famille de la Tourette a pu racheter son antique domaine il y a quelques années, et conserver les restes encore imposants du manoir féodal. Les assises indestructibles semblent faire corps avec le granit qui les supporte, et sont couvertes comme lui de lichens d’un jaune ardent, tandis que les vieux lierres montent à l’assaut des machicoulis.

Le son rocher isolé, le château était relié à une cour en terrasse par un pont-levis, et de l’autre côté de cette cour était la ferme, construction du XVIe siècle, qui existe toujours. La terrasse se prolonge longuement en dehors de la ferme, soutenue par un mur en pierres de taille, et terminée par un angle en encorbellement, sous lequel existe l’ouverture d’un souterrain. Cette terrasse était sans doute plantée d’arbres, et formait une belle promenade, suspendue sur le précipice où l’on suit le vol des oiseaux de proie qui hantent cette contrée sauvage.

Mais nous plaignons les châtelaines qui, souvent, ne devaient pas avoir d’autre distraction, et nous partons, le cœur serré par l’horreur de cette solitude qu’il faut avoir vue pour la comprendre.


Les seigneurs de la Tourette sont connus depuis l’an 1240. Le dernier de ce nom fut Hugon de la Tourette, qui avait épousé, en 1327, Alix, fille de noble Gérenton de la Marette. Il fut tué à Tournay en Flandre en 1330 et ne laissa pas de postérité.

Hugon de Chambaud, le fils de sa sœur Alix, lui succéda ; mais l’héritage de la Tourette fut bientôt divisé (en 1371) entre les Chambaud et les Caume (Calma).

En 1420, Antoine de Chambaud hérita de Raymond de Caume, coseigneur de la Tourette et en devint seul seigneur.

L’an 1421, ledit Antoine de Chambaud et Astor son fils transigèrent avec Lancelot de Poitiers.

Au siècle suivant, les biens des Chambaud appartiennent à Guillaumette de Chambaud, qui en rendit hommage à Diane de Poitiers, baronne de Chalancon, en 1553. Guillaumette avait épousé, en 1548, Louis de Presles, seigneur de Vausèche, chevalier de l’ordre du Roi, commandant pour le Roi en Vivarais en l’absence du duc de Montmorency et du seigneur de Joyeuse, qui mourut en 1577. Leur fils, Claude de Presles, fut tué au camp de Bays en 1575, laissant une fille posthume, Marie, qui épousa en 1593 Guillaume de Ginestoux, seigneur de la Bastide.

Just Henri de Ginestoux, fils de Claude, marquis de la Tourette, seigneur de Vernoux, Châteauneuf, Vausèches, Durfort, St-Fortunat et Gluiras, épousa en 1632 Antoinette de Luc. Il en eut un fils qui mourut, ne laissant qu’une fille. L’héritage revint alors à Angélique, fille de Just Henri, mariée en 1666 à Nicolas Joseph de la Rivoire, baron de Vocance, comte de Chadenac, seigneur de Baumes.

Just Antoine de la Rivoire, fils du précédent, épousa, en 1717, Marie de Portales de la Chèze.

François Alphonse de la Rivoire, issu de ce mariage, épousa, en février 1750, une Beauvoir du Roure et siégea aux Etats du Languedoc dès 1756, comme baron de la Tourette, en vertu de la donation que son père lui avait faite de cette seigneurie. Il est l’auteur du Mémoire sur la baronnie de Chalancon, dont nous aurons à parler plus loin, et d’autres Notices historiques sur l’origine du premier grand maître des Templiers, sur la ville, les seigneurs et la baronnie de Tournon, etc., qui, dit le chanoine Rouchier, « accusent un savoir étendu, une sagacité de critique et une patience d’investigations dignes des Bénédictins auxquels elles étaient adressées ».


De Vernoux, on descend puis on remonte à Chalancon par une belle route qui traverse la commune de Silhac. Les bois de châtaigniers ont un charme particulier dans cette région, surtout quand on les traverse, comme nous, par une belle journée d’été. Notre compagnon de voyage nous montra une masse noire comme étant les restes de la tour d’Arlendes, un ancien fief possédé autrefois par la maison Monteil de Corsas. Un de Corsas rendit hommage, en 1553, à Diane de Poitiers, baronne de Chalancon.

L’antique bourg de Chalancon (Calanco en latin) est là-haut. On l’aperçoit, le jour, comme une cocarde blanche au sommet de la vallée verte. Dans la nuit, on le devine et la solitude et le silence ne donnent que mieux l’essor à l’imagination chargée, à défaut de données positives, de scruter les origines romaines ou même celtiques de cet ancien siège d’une baronnie qui n’a pas su même rester chef-lieu de canton. Si, en effet, Vernoux est la capitale moderne et le centre commercial de la vallée, le bourg important du moyen-âge, la résidence du seigneur et du pouvoir judiciaire, était Chalancon.

Chalancon doit être un lieu d’habitation très antique, comme semble l’indiquer le radical cha ou ca, qui est l’indice d’une localité située sur une hauteur bonne pour la défense, et vient peut être du latin caput ; on dit encore en patois lou cha del serre pour le sommet de la montagne.

Aux lointaines et néfastes époques où la guerre était pour les uns une véritable industrie, et où les nécessités d’une forte défense s’imposaient aux autres par dessus tout, on comprend que le bourg de Chalancon, perché sur un mamelon fortifié, comme une sentinelle vigilante entre la vallée de Vernoux et celle de l’Erieux, à cheval sur l’ancienne route des Boutières, calquée sans doute sur une voie romaine (1), était une position bien autrement enviée que le plateau de Vernoux, lequel, d’ailleurs, n’a dû se couvrir d’habitations que bien longtemps après.

La baronnie de Chalancon est l’une des plus anciennes de notre pays. Elle comprenait dans le principe environ quatre-vingt clochers, reddibles à chaque mutation de seigneur ou de vassal, mais la plus grande partie avait été démembrée de temps immémorial pour en faire des fiefs ou arrière-fiefs.

Elle a appartenu successivement à la maison de Poitiers, aux ducs de Savoie, aux rois de France, à la branche des Poitiers seigneurs de St-Vallier, à la maison de Lorraine, ensuite aux maisons de Tournon, Ventadour, Genestoux, et finalement aux Rivoire de la Tourette jusqu’à la Révolution.

Nous avons rappelé ailleurs (2) les difficultés auxquelles donna lieu la situation bizarre des terres valentinoises de la rive droite du Rhône, relevant comme fief delphinal du Parlement de Grenoble, et, d’autre part, à raison de la souveraineté du roi de France, héritier des comtes de Toulouse, justiciables en appel du sénéchal de Beaucaire et du Parlement de Toulouse. Chalancon était l’endroit le plus important et le chef-lieu judiciaire de cette partie des anciens domaines des comtes de Valentinois.

Le baron de Chalancon avait droit de juridiction sur ses vassaux en première instance, et sur leurs hommes en cas d’appel. En 1321, il fut reconnu que le comte de Poitiers (baron de Chalancon) avait son juge d’appeaux. Il résulte des registres du greffe de Chalancon que de 1399 à 1454 la cour de Chalancon avait statué sur trois cent vingt deux causes. Les requêtes qui lui étaient adressées portaient : Nobilibus et honorabilibus viris dominis metuendis dominis prœsidentibus curiœ castri Chalanconis et res sortorum ejusdem. Cette cour tomba en décadence, dans la période des seigneurs de St Vallier, parce que les principaux vassaux, hostiles à la juridiction du Dauphiné, s’adressaient de préférence aux juges du Vivarais et du Velay. Elle n’existait plus au siècle dernier, mais cela n’empêchait pas le baron de Chalancon d’en rendre hommage au Roi dans tous ses dénombrements.

Le roi de France, qui avait hérité de Louis de Poitiers en 1422, remit Chalancon en 1456 à Charles, fils de Louis. Au siècle suivant, Jean de Poitiers, le père de la fameuse Diane, étant condamné à mort pour crime de félonie, Chalancon revint à la couronne (1523). Mais sa fille obtint sa grâce et Jean fut rétabli, en 1527, en possession de Chalancon, de Privas, de St-Vincent-de Barrès et de ses autres terres.

Après sa mort, Diane devint baronne de Chalancon et de Privas, où, d’ailleurs, elle ne paraît pas avoir mis les pieds, ce qui ne l’empêchait pas de recevoir par procuration l’hommage de ses nombreux vassaux.

On sait que cette célèbre reine de la main gauche, née en 1499, avait épousé, en 1514, Louis de Brézé, dont elle resta veuve en 1531. Elle figure, comme baronne de Chalancon et de Privas, dans beaucoup d’actes d’hommages de 1559 et 1553.

A cette époque, nous trouvons la baronnie de Chalancon, formant, avec celle de Privas, une des dix baronnies de tour du Vivarais, sous le nom de Saint-Vallier. Le Livre des Assiettes et Etats particuliers du Vivarais, commencé par le greffier Jean Broé en 1536, énumère ces baronnies dans l’ordre suivant : Saint-Vallier, Annonay, Brion, Crussol, Montlor, la Voulte, Tournon, Viviers, Lestrange, Joyeuse.

La baronnie de Saint-Vallier était représentée chaque année aux Etats par le bailli du seigneur qualifié, tantôt bailli de Saint-Vallier, tantôt bailli de Chalancon, et le plus souvent cependant bailli de Privas, et de plus par les consuls de Privas et de Chalancon. Il est probable que Chalancon était le titre primitif de la baronnie, mais une longue réunion dans les mêmes mains de Chalancon et Privas avait en quelque sorte fusionné les deux seigneuries, et c’est comme baronne de Chalancon et de Privas que Diane figure, non seulement dans les hommages de ses vassaux du Vivarais, mais aussi dans son tour de baron tous les dix ans aux Etats du Vivarais.

On sait que le baron de tour convoquait ordinairement les Etats au chef-lieu de sa baronnie, mais, vu les difficultés d’accès de Chalancon, on comprend qu’il ait presque toujours préféré Privas à Chalancon. Nous ne trouvons qu’une seule réunion tenue à Chalancon : c’était le 10 septembre 1527, dans la maison du procureur, Me Burino, sous la présidence de M. de Joanas, subrogé de M. de Saint-Vallier, baron de tour.

Parmi les consuls de Chalancon, indiqués dans les procès-verbaux des Etats comme ayant assisté aux Assiettes, nous avons relevé les suivants : Alexandre Gautier (1517), Alexandre Ronchevol (1524), Jacques Nicolas (1629), Guigon Gautier (1537), Pierre Gamon (1538), François Vernet, notaire, 14539-1842), François Gibelin (1543-1546), Jean Gautier (1547-1554), Jean Combier (1555), Sébastien Salhens (1558), Durand Veya (1560), etc.

Diane de Poitiers mourut au mois d’avril 1566, laissant la baronnie de Chalancon à la cadette de ses filles, Louise, qui avait épousé, en 1546, Claude de Lorraine, duc d’Aumale. L’ainée, Françoise, qui avait épousé Robert de la Marche, comte de Maulevrier, eut dans son lot la baronnie de Privas.

L’ancienne baronnie de St-Vallier se trouvant ainsi dédoublée, il y eut deux barons et deux baillis alternatifs, chacun d’eux n’étant de tour qu’une fois tous les vingt ans.

En 1570, le bailli de Privas était noble. Laurent de Guillomon, et celui de Chalancon M. de Hautvillar, et le premier qui, par suite des évènements n’avait pas encore siégé aux Etats du Vivarais, déclarait qu’il entendait siéger pendant autant d’années que l’avait fait M. de Hautvillar.

Deux ans auparavant, le 28 juin 1568, M. de Hautvillar s’était présenté aux Etats tenus à Largentière comme le subrogé du duc d’Aumale et avait exhibé le contrat de partage fait entre les deux sœurs. Il est question de l’autre gendre de Diane (Robert de la Marche) dans plusieurs endroits de la Confession de Sancy, comme d’un homme de cour, entremetteur de plaisirs d’Henri III et, de plus, grand amateur de bonne chère et de bon vin. Ce genre de vie n’arrangea pas ses affaires et il vendit la baronnie de Privas en 1899 à Jacques de Chambaud, avec le demi-tour de la baronnie dont il avait hérité de sa belle-mère. L’autre demi-tour, resté au duc d’Aumale, fut vendu, avec la baronnie de Chalancon, aux comtes de Tournon, et passa ensuite à leurs héritiers, les ducs de Ventadour, qui la cédèrent, en 1671, aux marquis de la Tourette.

A l’Assiette de 1615, les consuls de Chalancon et de Privas se disputant la procuration pour aller aux Etats généraux, l’assemblée « conclud que ladite procuration sera passée au consul de Chalancon en qualité de consul diocésain, attendu que c’est son tour alternativement avec le consul de Privas, tout de mesme que la séance de rang et tour de baron est alternative entre Mgr de Tournon (baron de Chalancon) et M. de Chambaud (baron de Privas), et de mesmes, pour l’entrée et séance en l’Assiette, des baillifs de Privas et de Chalancon ».

L’inventaire des biens de la maison de Tournon, après le décès de Just-Louis en 1617, donne les résultats suivants pour Chalancon :

Item la baronnie, terre, seigneurie et mandement de Chalancon, n’y ayant que les vestiges et masures du chasteau qui y solloit estre,

Et ladite baronnie, onze paroisses en toute juridiction, haute, moyenne et basse ;

Et le revenu consiste és rentes contenues és terriers et lièves, droits de lods, muages, taillabilité és cinq cas et autres devoirs seigneuriaux accoustumés ;

Le greffe et amendes,

Le péage par terre,

Le droit de leude,

Le four banyer.

Le marquis de la Tourette acheta la baronnie de Chalancon en 1671, au prix de 52.000 livres. Les droits seigneuriaux de tout genre qu’elle conférait et surtout le droit d’entrée qu’elle donnait aux Etats du Vivarais et du Languedoc, expliquent ce prix qui, d’après une lettre de cette époque, citée par le baron de Coston, correspondait presque au denier cent (1 0/0) (3). Cette acquisition fut notifiée à l’Assiette tenue à Pradelles le 2 mai 1672. L’acquéreur était Just-Henri de Ginestoux, marquis de Durfort, fils du marquis de la Tourette. Et comme ce dernier se trouvait à ce moment à Pradelles, le syndic, observant que « ledit marquis était fort éclairé et pouvait donner de bons conseils dans l’occurence des affaires à traiter », proposa de l’inviter à venir dans l’assemblée, ce qui fut adopté, et le marquis vint alors s’asseoir près du vicomte de Beaune, baron de tour.

Le mémoire du marquis de la Tourette dit que le seigneur de Chalancon avait droit de prélation et de lod au 4e denier pour les biens nobles, au 5e pour les ruraux, dans toute l’étendue de la baronnie et de ses mouvances, et aussi droit de chasse, de pêche, de fouage, d’épaves, four banal, de leyde, de langue et autres.

Les habitants du mandement de Chalancon étaient exempts de tous droits de péage, de leyde et autres subsides dans toute l’étendue des terres du seigneur de Crussol, avec pouvoir de passer et repasser le Rhône à Valence sans rien payer, en vertu d’une vente passée auxdits habitants par le seigneur de Crussol le 13 décembre 1380, moyennant la somme de 80 florins une fois payée.

Le seigneur de Chalancon levait autrefois un péage par terre dans l’étendue de son mandement, mais ce péage avait été supprimé en 1747 (4).

M. Mirabel-Chambaud, notaire à Chalancon, possède un rouleau de parchemin de trois mètres de long, contenant une transaction passée entre le seigneur et les habitants de l’endroit, reçue maître Feugier, notaire, en date de 1443. Il y est question des droits de chasse et de pêche que le châtelain, noble Artaud de Colans, ou son lieutenant, voulaient interdire aux habitants de la baronnie. Après beaucoup de péripéties, le résultat fut en faveur des habitants et une sentence sanctionna leurs réclamations. Le lieutenant du châtelain déclara qu’après examen des titres et spécialement des privilèges accordés aux habitants par les comtes de Diois et de Valentinois, il les confirmait dans l’usage de pêche et de chasse et défendait qu’on les inquiétât à cet égard sous peine de dix livres tournois (5).

Faisons ici un erratum. Nous avons dit dans un autre ouvrage (6), que l’évêque du Puy, Guillaume de Chalancon, qui reçut Charles VII en 1422 et en 1424, était de la famille des barons de Chalancon en Vivarais. Les historiens du Languedoc sont cause de notre erreur. Ils ont constamment confondu la baronnie de Chalancon en Vivarais avec la famille noble de Chalancon du Velay, qui n’était autre que celle des Polignac. Le mémoire du marquis de la Tourette relève cette erreur trop souvent répétée et nous supposons que les auteurs de la nouvelle édition de l’Histoire du Languedoc n’ont pas manqué de la rectifier.

Les marquis de la Tourette, devenus barons de Chalancon, rachetèrent en 1712 le demi-tour pour le droit d’assister aux Etats, qui avait été démembré de cette baronnie à la mort de Diane de Poitiers, en faveur de la terre de Privas, et le placèrent en 1735 sur le château et terre de la Tourette, en sorte qu’à partir de cette époque le marquis de la Tourette put assister tous les douze ans (7) aux Etats généraux du Languedoc, une fois comme baron de Chalancon et l’autre fois comme baron de la Tourette.

Parmi les cent terres ou fiefs qui relevaient jadis de la baronnie de Chalancon, le Mémoire du marquis de la Tourette cite comme les principales :

La seigneurie et mandement de la Tourette ;

La seigneurie et mandement de Savinas ;

La seigneurie de Gluiras (Gloriaci) ;

La seigneurie du bourg de Vernoux et dépendances ;

La seigneurie du château de Vausèches ;

La seigneurie de Châteauneuf-de-Vernoux ;

La seigneurie de St-Apollinaire-de-Rias, appelée jadis St-Apollinar ;

Le fief d’Arlende (à Silhac) ;

La seigneurie de St-Fortunat, etc.

Parmi les autres mouvances principales, le mémoire nomme :

Boulogne, baronnie de tour du Vivarais ;

La baronnie de la Gorce ;

La baronnie et commanderie de Devesset ;

Le mandement de la-Roche-en-Reynier ;

La seigneurie d’Ozon et la baronnie de Retourtour ;

La seigneurie de la Mastre ;

La chartreuse de Bonnefoy, comme seigneur des Etables, du Mézenc et des Péages de Malpas ;

La seigneurie de Grozon;

La seigneurie de Solignac et de St-Barthélemy-le-Pin ;

La seigneurie de Rochemoire ;

Les seigneuries et mandements d’Allier, Montbrun et St-Geniez-en-Coiron ;

La seigneurie de Châteauneuf-des-Boutières (aujourd’hui St-Julien-Boutières);

La seigneurie de Chambarlhac ;

La terre et seigneurie du mas de Chabanes (près de la Bâtie-d’Andaure ;

La seigneurie et parerie de Montagut et fortalisse de Craux ;

La seigneurie de Contagnet et Borée ;

La seigneurie du mandement de Talaron (près du Cheylard);

Le mandement de Sardiges (près de Mézilhac) ;

La maison forte de Fontréal (près St-Jean-Chambre) ;

La co-seigneurie de Vernoux à la part du prieur, etc.

Toutes ces terres et beaucoup d’autres dans le Velay ont été maintes fois hommagées au roi ou aux comtes de Valentinois, ad causam baronniœ Chalanconis.

Parmi les mouvances détachées, le Mémoire cite :

Les comtés de Brion, de Crussol et de Bouzols ; les seigneuries de Fay, de Beauchastel, St-Agrève, Don, Mézilhac, Montagut, St-Alban et St-Vincent-de-Barrès.

Au siècle dernier, la baronnie de Chalancon n’avait plus que onze clochers, savoir : Silhac, St-Maurice, St-Michel de-Chabrillanoux, St-Jean-Chambre, Cluac, Mounens, St Julien-la-Brousse, les Nonnières, St-Preyt (St Prix) et le Pouzat, mais elle s’étendait encore sur une partie des paroisses d’Arric (le Cheylard), St-Cierge, St-Jean-Roure et Desaignes, dont les clochers n’appartenaient pas au baron de Chalancon.


Il y avait jadis un hôpital à Chalancon, puisqu’on trouve cet établissement porté dans le testament de Louis de Poitiers (juin 1419), avec les hôpitaux de Privas et de Bays, pour un legs de dix florins chacun.

En avril 1551, à la demande de Diane de Poitiers, Henri II établit à Chalancon quatre foires annuelles et un marché par semaine.


Tandis que le marquis de la Tourette, dans son Mémoire, fait mousser l’antique gloire et les privilèges de sa baronnie, la lettre du curé de Chalancon à dom Bourotte en 1762 nous ramène aux réalités du présent.

Ce curé, appelé Besson, était certainement un homme intelligent, mais fort peu enthousiaste du pays, dont il fait ressortir crûment les misères :

« Ce misérable endroit, dit il, porte encore le nom de ville. L’église paroissiale est dédiée à St Pierre, apôtre. L’évêque de Viviers nomme à la cure et au prioré simple. Il n’y a pas d’autre bénéfice, excepté une chapelle de Ste-Catherine, dans l’église, dont M. Esclausas, viguier du lieu, est le patron.

« Chalancon est tout à la fois baronnie, comté et viguerie. Elle a son bailli, son viguier et son juge, avec les autres offices accoutumés. M. le marquis de la Tourette en est baron.

« Les productions du pays sont quelques châtaignes, fort peu de seigle, quelques menus fruits, et, dans un petit coin de la paroisse, un peu de vin qu’on ne peut boire que lorsqu’on est bien altéré ».

Le curé énumère ensuite toutes les localités dépendant de la paroisse de Chalancon :

« Chalancon, était anciennement, dit-on, une petite ville, mais aujourd’hui ce n’est qu’un très mauvais village tout rempli de pauvres.

« Chambaud est un vieux château abandonné, appartenant à M. de Montgont, qui habite l’Auvergne.

« Nougairet est une petite cabane, située sur un rocher qu’on appelle Châteauvieux, et ceux qui l’habitent ne peuvent que mourir de faim.

« La Routisse est une petite maison couverte de genêts, où habite un garçon tout seul qui a souvent besoin de l’aumône.

« Le Petit Presle consiste en deux petites maisons habitées par des pauvres.

« Les Péaleyres renferment deux cabanes où vont se réfugier des mendiants qui ne savent où passer… »

Et ainsi de suite.


Notre impression en visitant Chalancon ne fut pas celle que pourrait faire supposer la lettre qui précède. Il est vrai que nous y étions un jour de foire. La place était couverte d’hommes et de bestiaux, et l’animation qui régnait partout semblait indiquer, non moins que la physionomie générale de l’endroit, plutôt l’aisance que la misère. Le bourg de Chalancon, politiquement déchu, semble donc, au point de vue commercial, dans une situation meilleure qu’autrefois, ce qu’il doit évidemment à l’amélioration des routes qui le mettent en communication rapide et facile, non plus seulement avec Vernoux et St-Agrève, mais aussi avec la vallée de l’Erieux.

C’est ici le lieu de rendre hommage au brave général Dautheville qui a tant contribué, à ce point de vue, au développement économique et à la prospérité du pays. De son temps, on bavardait moins, mais on s’attachait plus aux œuvres fécondes ; on ouvrait des routes et non pas des clubs ; on parlait moins de justice et de liberté, mais sous bien des rapports, on les pratiquait davantage ; le régime était loin d’être parfait, mais il cherchait à apaiser les dissentiments politiques et religieux, et l’on n’a jamais vu le général, malgré sa situation éminente dans le protestantisme français, abuser de son influence pour vexer ses concitoyens catholiques ; ce n’est pas lui qui aurait jamais eu l’idée d’ouvrir, sous le nom de laïcisation, une de ces campagnes de sectaires qui nous ramènent violemment à l’époque des persécutions religieuses. Ce n’est pas son rude bon sens qui se serait laissé prendre à ce système insensé d’éducation en dehors de toute idée religieuse, et d’instruction à outrance, qui ne tient compte ni de la nature humaine, ni des nécessités sociales, ni des finances de l’Etat, et qui ne peut avoir pour résultat que de créer une véritable anarchie intellectuelle et des déclassements fâcheux pour le bon ordre et la moralité publique. Ce n’est pas enfin la loyauté de ce brave officier qui, cédant à des défaillances déshonorantes, eût permis l’expulsion de tant de saintes filles des écoles et des hôpitaux. Quand la postérité, plus impartiale que ne saurait l’être la génération actuelle, comparera la vie politique de l’ancien député, dont Chalancon s’honore d’avoir été le berceau, à celle de ses successeurs politiques, nous craignons bien qu’elle ne juge ces derniers encore plus sévèrement que nous ne le faisons nous-même.

Deux mots de biographie seulement sur le général Dautheville. Il était né à Chalancon le 8 mai 1792. Deux de ses frères étaient morts sur les champs de bataille. Il entra à l’école polytechnique en 1811 et en sortit sous-lieutenant du génie en 1813. Il se distingua à la prise d’Alger, au siège d’Anvers et dans les campagnes d’Afrique, où un rapport du général Changarnier, en 1840, citait le lieutenant colonel Dautheville en première ligne. Aux journées de juin, il dirigeait l’attaque de la grande barricade du faubourg St-Antoine et il y reçut une blessure.

Après avoir représenté la circonscription de Privas au Corps Législatif de 1854 à 1870, il est mort à Chalancon le 9 mai 1875.


Sur la grand’place de Chalancon, on voit encore un Sully ; l’arbre qui fut planté dans toutes les communes de France lors de la conversion d’Henri IV ; c’est un magnifique ormeau de six mètres de circonférence. Souhaitons à nos arbres de liberté une aussi belle venue. Souhaitons surtout au bon peuple français de mieux comprendre la liberté et les devoirs qu’elle impose.

L’ancien fort ou château de Chalancon était considérable. Il était flanqué de trois tours, dont on voit encore les fondations. La reconstitution en a été faite, d’après les anciens plans, par M. Desbrus et on peut en voir le dessin chez lui à Chalancon.

Du côté de l’Est, Chalancon s’arrêtait brusquement à la ligne des fortifications.

Une autre ville lui était accolée et s’étageait dans la vallée qui regarde Vernoux. C’était alors le chef-lieu de Silhac, ville qu’on prétend avoir compté 6.000 feux et avoir été la plus populeuse du Vivarais. Elle avait son église sur la place, encore appelée Notre-Dame, qui est à l’entrée du bourg actuel de Chalancon. Cette église relevait de Saint-Barnard, de Romans. Elle fut donnée à cette abbaye par Guy, fils de Silvion de Chalancon. Gontard, évêque de Valence (1063-1099) figure comme témoin dans l’acte (8).

Chalancon à une époque lointaine n’était donc qu’un fort et la ville était Silhac, dominée par ce fort. Il est à remarquer que, dans les Pièces fugitives du marquis d’Aubays, Silhac tient la quatrième place parmi les villes du Vivarais, suivant l’ordre suivant :

Desaignes, 683 feux,

Bourg-Saint-Andéol 625 feux,

Villeneuve-de-Berg, 477,

Silhac, 443.

Le chef-lieu de la paroisse de Silhac fut transporté plus tard dans un lieu plus central, c’est-à-dire au hameau formé par quelques maisons groupées autour de la petite église.

Le fort de Chalancon ne présente plus aujourd’hui que quelques misérables pans de murs, soit que les ordres de démolition y aient été plus rigoureusement exécutés qu’ailleurs, soit plutôt que les habitants – ce qui se comprend encore mieux dans un pays pauvre – en aient plus soigneusement utilisé les matériaux ; mais le bourg lui-même a gardé quelque chose de son ancienne physionomie de place forte, et le mur d’enceinte est encore visible presque partout.

La rue montante qui va d’une des anciennes portes de la ville au temple protestant a conservé son cachet du XVIe siècle, et si l’on voyait tout-à coup sortir des maisons qui la bordent quelque vieil arquebusier huguenot, cela ne semblerait pas étonnant. Comme nous y étions un jour de foire, nous y avons vu simplement circuler des paysans avec des vaches, et nous avons assisté à une pache précédée des gestes et des jurons les plus énergiques, comme s’il s’agissait non d’un accord, mais d’une bataille.

Au-dessous de l’église, il y a une rue des Morts, qui aboutit à la maison carrée ou tour carrée, qui contient le monument le plus curieux du pays. C’est une écurie à porcs, dans laquelle Poncer a cru voir un temple de Diane, et voici la description qu’il en fait.

« Cet appartement de forme carrée est éclairé du côté du levant par une meurtrière. Il occupe un espace de seize pieds environ ; quatre colonnes de cinq pieds de hauteur, placées aux angles, soutiennent des voûtes à plein cintre et d’une solide construction. Les bases et les chapiteaux des colonnes ne sont revêtus d’aucune architecture ; seulement, au-dessus de chaque colonne paraissent en saillies des formes de coquilles qui sont d’un travail soigné. Au-dessus, on aperçoit deux fenêtres de deux pieds de hauteur qui prennent jour au nord et au levant ; l’étage s’élève en forme de cheminée ronde et se termine par une trappe. Au dehors de la maison, on remarque, à la hauteur de deux pieds au-dessus du sol, des pierres de taille de forme ronde, creuses dans l’intérieur et formant un canal qui aboutit à la rue, lequel, selon toute vraisemblance, servait d’écoulement au sang des victimes. Nous présumons que cet édifice est de construction romaine, qu’il fut consacré aux sacrifices des dieux, et que l’appartement supérieur où existe la trappe fut consacré à ceux qui, pour certaines expiations, devaient recevoir la fumée des victimes (9) ».

M. de Valgorge fait aussi allusion à ce monument où il a cru reconnaître l’art romain. « Il y a là, dit il, des colonnes avec socles et chapiteaux, des reliefs en pierre ouvragée avec un sentiment exquis de l’ornementation, des pans de murs appareillés avec une admirable précision qui tous ont, avec les édifices nombreux que nous a légués le peuple roi, un air de famille qu’on ne saurait méconnaître. Ces débris faisaient sans nul doute partie d’un monument gallo-romain dont la destination nous est tout-à-fait inconnue (10) ».

Nous serions tenté de croire que ce prétendu temple de Diane n’est pas autre chose qu’un ancien tombeau gallo-romain. Il est construit sur une crypte dont les pierres sont très régulièrement appareillées, et qui devait contenir l’urne funéraire. Au-dessus était un édicule à jour, soutenu par quatre colonnes. Les coquilles, dont parle Poncer, ne sont autre chose que des supports en saillie. La surface supérieure est plane et devait porter quelque chose, des statues ou des lampes. Dans des temps postérieurs, on a empâté les colonnes dans des murs et on a élevé le bâtiment pour des usages divers. Les murs qui remplissent le vide des arceaux, quoique très anciens, paraissent, en effet, postérieurs. La porte et les fenêtres sont à plein-cintre et très étroites. Il y a deux petites fenêtres superposées au nord et une à l’ouest. Celle-ci donne sur la rue des Morts, Le sol est pavé, et il existe une rigole qui aboutit également à la rue des Morts par l’ouverture que signale Poncer.

Le propriétaire nous a raconté qu’il avait employé une dalle couverte de fines sculptures et peut-être d’inscriptions pour daller le foyer de sa cuisine. Nous avons vu cette pierre, mais la partie sculptée est en dessous. C’est peut-être un heureux moyen de conservation qui permettra un jour de connaitre la destination de l’édifice.

La tour carrée appartenait à M. Desbrus, qui en a surélevé le sommet pour en faire un pigeonnier. Il l’a vendue récemment à un paysan de l’endroit. On raconte dans le pays que cette tour a été occupée par les religionnaires peu de temps avant la Révolution, et qu’ils en furent délogés par le capitaine Vallon, de la famille de la Baume alliée aux d’Apchier, mais peut-être n’y a-t-il là qu’une confusion avec la tentative de 1704.


On voit à Chalancon, dans l’ancien cimetière qui touche l’église, le tombeau de M. de Glo de Besses, le vicaire général de l’évêché de Viviers, qui résista à son évêque, le trop fameux Lafont de Savines. M. Glo de Besses mourut les 25 janvier 1826. Voici une lettre inédite adressée à ce vénérable ecclésiastique par son ancien évêque :

A l’hospice de Charenton, 6 octobre 1807.

Monsieur, je vous fais d’humbles excuses des torts que j’ai eus envers vous dans tout le cours de la Révolution. Celui qui vous estimait et vous respectait si sincèrement autrefois a oublié, dans un état d’aveuglement inconcevable, combien il eût été heureux, s’il se fût conduit par vos avis et vos exemples. Agréez cette faible réparation comme un témoignage de mes profonds regrets et de la continuité des sentiments qui vous sont dûs et qui furent autrefois si bien gravés dans mon cœur. Je désire de savoir encore une fois de vos nouvelles par vous-même, et je vous prie de ne pas me refuser une réponse qui m’assure que vous me pardonnez mes torts et qui m’apprenne quel est l’état actuel de votre santé et de vos occupations dans le saint ministère.

Je suis, Monsieur, avec ce qu’ajoute aux sentiments qui vous sont dûs le regret de m’en être écarté, votre très humble et très obéissant serviteur

Savine, ancien évêque de Viviers.

On voit par cette lettre (11) que, bien longtemps avant sa mort, arrivée à Embrun en 1814, l’ex-évêque de Viviers avait reconnu ses erreurs et déploré ses fautes. Le malheureux Lafont de Savine, disons-le en passant, fut encore plus à plaindre qu’à blâmer. Il fit son possible pour empêcher les rigueurs exercées contre le clergé de Viviers, et l’on a dit de lui, non sans raison, qu’il avait une tête de linotte et un bon cœur. Ses erreurs sont imputables avant tout à une faiblesse d’esprit dont il donna encore plus tard une preuve indubitable (1802), en prenant au sérieux un jeune imposteur nommé Hervagault, le fils d’un tailleur de St-Lô (qui se prétendait le Dauphin, fils de Louis XVI, échappé du Temple), et que notre ex-évêque avait naïvement entrepris d’éduquer et de moraliser. C’est cet incident qui lui valut d’être enfermé à Charenton. Les papiers saisis chez lui lors de son arrestation se trouvent aux Archives nationales (12) et prouvent tout au moins une simplicité de premier ordre.

C’est à Chalancon que mourut, en 1621, le poète Christophle de Gamon, fils de l’historien Achille Gamon – probablement au lieu de Chomenas, dont il était co-seigneur. Christophle avait épousé Anne de Bourdier, de Chalancon, dont il eut une fille appelée Madeleine, mariée en 1630 à noble Jacques de Chervil (13).


Les environs de Chalancon sont couverts de châteaux d’allures généralement modestes d’ailleurs – ou de maisons fortes, dont bon nombre rappellent des souvenirs historiques.

Le château de Hautvillar est dans la commune de Silhac, sur la route de ce village à St-Maurice. La carte du diocèse de Viviers et celle de Cassini indiquent à cet endroit deux hameaux ou mas contigus sous les noms de Lhautvillard et le Vilard. La carte de l’état-major porte seulement le Villard. C’est là probablement l’Alt-Villard, village des Boutières dont parle des Préaux, l’un des biographes de St Bénézet (14), comme l’une des localités qui réclament l’honneur d’avoir été le berceau du constructeur du pont d’Avignon, car il n’y a pas, dans la région des Boutières, d’autre village de ce nom.

Constatons, en passant, que la question nous semble depuis longtemps résolue en faveur du Villard, hameau de Burzet. Si cependant, il y avait encore des incrédules, les doutes seraient vite dissipés par la lecture de l’intéressant opuscule du chanoine Mollier, l’auteur des Recherches historiques sur Villeneuve de Berg et le Bas-Vivarais (15).

Le château de Hautvillar porte la marque de plusieurs époques, du XIe siècle à la Renaissance, en passant par le gothique. Il y a un bel escalier qui paraît dater de la Renaissance. Dans la salle principale, se trouve une cheminée monumentale, d’un beau travail artistique. Le panneau central représente une Victoire ailée, assise sur une cuirasse que recouvre une peau de lion. A côté sont des attributs guerriers : casques, épées, canons, etc.

La Victoire écrit sur un cartouche lequel est soutenu par un guerrier à genoux. Dans le lointain, on aperçoit une ville fortifiée, celle sans doute qui a été prise d’assaut. On y distingue une échelle d’assaut. De chaque côté, sont des syrenes en cariatide et deux autres panneaux avec des têtes de lion. Au dessous du sujet principal est un médaillon figurant Neptune armé de son trident, au milieu de monstres marins. Quel est le seigneur de Hautvillar dont les hauts faits ont inspiré l’artiste et quelle est la ville ainsi prise d’assaut ? Serait-ce sa voisine, l’hérétique Chalancon ?

La famille de Hautvillar serait une des plus anciennes du Vivarais s’il était démontré que Hugues de Hautvillar, inscrit le premier sur la liste des fondateurs de la Chartreuse de St Hugon, était un de ses membres.

En tous cas, le nom de cette famille reparait souvent à partir du XIVe siècle. Les jugements de noblesse de M. de Besons indiquent comme premier auteur connu de la filiation Claude, qui vivait au milieu du XVe siècle. Il était marié à Lyonnette de la Marette, dame de Pierregourde. Au siècle suivant, on trouve les Hautvillar, baillis de Chalancon, de père en fils : Claude, qui rendit hommage à Diane de Poitiers en 1551 ; Joseph, son fils ; puis Annet, qui, en septembre 1626, présenta aux Etats du Vivarais, réunis à Lavoulte, ses lettres de provision de l’office de bailli de Chalancon devenu vacant par la mort de son père Joseph de Hautvillar.

Il y avait au château de Hautvillar beaucoup de vieux parchemins, dont M. de Lubac a tiré les éléments d’une petite notice sur la maison de Hautvillar pleine d’intéressants détails. On y trouve, entre autres choses, un récit contemporain des hauts faits de Marcellin de Hautvillar, pendant les guerres de religion. Quand la conversion d’Henri IV eut rendu la paix au pays, Marcellin de Hautvillar revint dans son château, où il fonda une chapelle de N.-D. du Carmel. Il institua en même temps, sous le même vocable, une confrérie dont il fut le premier prieur, et où l’on voit figurer une partie de la noblesse locale. Elle comprenait dix sept confrères et autant de confréresses. La prieure était dame Claire de St-Point, la veuve du fameux baron de St-Vidal, gouverneur du Velay, que Marcellin avait épousée après la mort de son mari. Marcellin mourut au Puy en 1605.

La Notice donne aussi un aperçu des livres de raison d’Annet et d’Olivier de Hautvillar (1609 à 1648), qui sont fort curieux au point de vue des mœurs du temps, et principalement des difficultés financières dans lesquelles se débattaient la plupart des familles nobles.

Gabrielle, une des filles d’Annet, épousa, à Chassiers, en 1646, Michel Mazade, sieur de Martinen. Elle mourut en odeur de sainteté, et il fallut l’enterrer de nuit, car Chassiers et Largentière se disputaient son corps.

Son frère, Olivier de Hautvillar, fut maintenu dans sa noblesse par jugement du 14 janvier 1669. Il ne laissa que des filles dont l’ainée épousa, en 1655, Jean d’Apchier, baron de Vabres. Nous avons raconté, à propos de Vernoux, l’héroïsme de Mlle d’Apchier, qui fit le voyage de Lyon pour sauver son père arrêté comme suspect pendant la Révolution et qui parvint à le sauver.

La dernière descendante de la maison d’Apchier était la grand’mère de M. de Longevialle, le propriétaire actuel du château de Hautvillar.


Le château de Colans, situé, comme celui de Hautvillar, sur la commune de Silhac, appartient aujourd’hui à la famille de M. de Glo de Besses. Il était, il y a cent cinquante ans, la propriété de M. de Retz.

Il paraît avoir été jadis plus important que celui de Hautvillar par ses dimensions et ses défenses. Nous avons déjà dit qu’Artaud de Colans était seigneur de Chalancon en 1446. Au siècle précédent, un seigneur de Colans fonda une chapelle à l’église de St-Pierre de Vernoux, avec une dotation assez importante. Au XVe siècle, une femme de ce nom, Béraude de Colans, ajouta à cette dotation de nouvelles libéralités.

D’après une légende du pays, qui se rapporte à une époque indéterminée, un sire de Colans ayant invité à dîner deux seigneurs voisins, un Pierregourde et un Montagut, après un copieux repas, les fit entrer dans une tour, referma la porte sur eux et mit le feu à un baril de poudre placé au dessous. La tour sauta ensevelissant les deux convives sous ses débris. La cave qui était sous la tour existe encore. Peut-être cette légende cache-t-elle un fait exact qu’il serait intéressant de préciser.


A dix minutes de Chalancon, en inclinant vers la vallée de l’Erieux, on voit les ruines du château de Chambaud, berceau des seigneurs de ce nom qui étaient puissants dans la contrée. D’après une tradition locale, le sire de Saint Agrève était leur vassal et, comme tel, était tenu de leur apporter chaque année un œuf, sur une charrette attelée de deux paires de bœufs, qu’il devait conduire lui même ; mais, comme on ne trouve rien de pareil dans les papiers de St-Agrève, et que les seigneurs de St-Agrève ont toujours été de plus puissants personnages que leurs voisins de Chambaud, il y a tout lieu de penser que la tradition en question est un simple produit de l’imagination populaire.

D’après quelques auteurs, les diverses familles de Chambaud, mentionnées dans l’histoire du Vivarais, seraient sorties de là :

1° Une première branche, fondue dans la maison d’Auteroche en Auvergne ;

2° La branche des seigneurs de la Tourette, dont le dernier membre, Jacques de Chambaud, acheta la baronnie du Privas ;

3° La branche des seigneurs de Bavas et de St-Quentin, qui se fit catholique sous Louis XIII, mais dont un rameau protestant alla s’établir à Berlin ;

4° La branche des Chambaud, seigneurs de St-Lagier.

Il semble résulter cependant des armoiries que firent enregistrer ces derniers dans l’Armorial général de 1696, que les Chambaud de St-Lagier et de Bavas n’avaient rien de commun que le nom avec ceux du château de Chambaud près de Chalancon.


Entre Chalancon et St-Julien-la-Brousse sont les ruines du château de Rochemure, sur les limites des communes de Chalancon et de St-Jean-Chambre. Pour y aller, on laisse la voiture à Seyssouing.

Un nobilis vir Guillelmus de Ruppemoira figure comme témoin dans une concession royale de péage faite à Aymar de Poitiers en 1299. Le même personnage reparaît sous le nom de Guilhermus de Ruppe-Moyria, miles dans l’acte de confirmation des Libertés de Privas en 1309.

S’agit-il de Rochemaure, sur le Rhône, ou du vieux château de Rochemure ci-dessus mentionné ? On peut alléguer, à l’appui de la première supposition, le séjour plusieurs fois constaté d’Aymar III de Poitiers au château de Rochemaure, ce qui ferait supposer que ledit Guillaume était son vassal. Mais il est à remarquer, d’autre part, que ce nom de Ruppemoira ou Ruppemoria revient surtout, dans les documents de cette époque, à propos des barons de Retourtour et de Beauchastel, beaucoup plus voisins de Rochemure que de Rochemaure (Voir Valbonnais).


Gluiras, une ancienne dépendance de la baronnie de Chalancon, située de l’autre côté de l’Erieux, n’avait plus de château au milieu du siècle dernier. « Il y avait seulement, dit le Mémoire de la Tourette, une masure appelée St-Jean qui, selon la tradition du pays, était l’habitation seigneuriale, laquelle fut rasée pendant les anciennes guerres civiles, mais on ne sait à quelle époque ».

Cette terre renfermait les fiefs nobles et maisons fortes de Goys, la Marette, Chervil, Extremianoux. Les prieurs de St-Michel-de-Chabrillanoux, de Charay et de Gluiras, y avaient des cens, rentes et directes. Le tout se mouvait de Chalancon et en arrière-fief du roi.

La terre seigneuriale de Gluiras, qui formait une seule paroisse, sous le vocable de St-Apollinaire, avait été vendue, en 1259, à Aymar de Poitiers par Gittin Mallet, chevalier. En 1375, Aymar, comte de Valentinois, aurait donné le fief de Gluiras à Aynier ou Eynier, du Puy en Velay. Cette seigneurie fut divisée ensuite en deux portions, dont une alla dans la maison de Joyeuse et fut acquise en 1488 par noble Antoine de Chambaud, seigneur de la Tourette. L’autre alla à une branche de la maison de Tournon et fut achetée, en 1657, par le marquis de la Tourette, déjà propriétaire de l’autre partie, comme héritier des Chambaud.

Le plus ancien personnage de Gluiras – dont le marquis de la Tourette n’a pas eu connaissance – est un Etienne de Gluiras, qui figure dans le Cartulaire de St-Chaffre, comme ayant donné à cette abbaye, à une date qu’on suppose être le 19 mai 1034, « tout ce qu’il possédait ou percevait justement ou injustement dans l’église et la villa d’Escolen et dans le mas des hommes d’Arcens ». Il reçut, en retour, de Ganilon, obédiencier de la vallée de l’Erieux (Erodone), un mulet valant cent sols valentinois, et en outre 126 sols de la même monnaie. Ce marché reçut l’approbation de Gauceran, évêque de Viviers, et de ses neveux Guigues de Montagut et Guillaume, chanoine.

L’Escolen, dont il s’agit ici, est un hameau de la commune de Pranles, en face des Ollières, où existait jadis une célèbre chapelle de St-Andéol.

La commune voisine, St-Maurice sous-Chalancon, est une fort ancienne paroisse, puisque l’église de « St-Jean et St-Maurice-en-Boutières » figure dans la dotation du patrice Antherius à l’église de Viviers. Elle a été supprimée depuis, une partie donnée à Chalancon, et l’autre à Saint Michel-de-Chabrillanoux,

Le curé de St-Maurice, écrivant à dom Bourotte en 1762, indique, parmi les productions du pays, « des truffes rouges ou pommes de terre, du blé, du seigle, etc. un peu de très mauvais vin ».

Le curé de St-Michel-de-Chabrillanoux (Chabrillonensis), après avoir constaté que sa paroisse est habitée par des mendiants pour la plupart, ajoute de son côté : « Une récolte qui est fort utile pour les pauvres est celle des truffes rouges ».

Nous pourrions citer beaucoup d’autres paroisses de l’Ardèche où l’on cultivait la pomme de terre au milieu du XVIIIe siècle, et il en était de même dans le Velay. Le Livre de raison de Tourton, bourgeois d’Annonay, nous a, du reste, appris qu’avant la fin du XVIIe siècle (en 1694), par conséquent une centaine d’années avant Parmentier, la pomme de terre était marchandise courante sur le marché d’Annonay (16). Cette plante est décrite enfin sous le nom de Cartoufle, au livre sixième du Théâtre d’agriculture, et Olivier de Serres dit qu’elle a été apportée, depuis peu de temps, de Suisse en Dauphiné. On sait aujourd’hui qu’elle est un résultat de la grande découverte de Christophe Colomb. Elle était cultivée sur le littoral américain, quand les Espagnols y débarquèrent pour la première fois en 1492. Clusius, naturaliste d’Arras, professeur à Leyde, en reçut deux tubercules en 1583, que le légat du pape avait donnés à un de ses amis, et les décrit dans son Histoire des plantes rares. En France, préconisée par Gaspard Bauhins, elle se propagea vers 1592 dans la Franche-Comté, les Vosges et la Bourgogne, d’où elle se répandit dans les Cévennes, malgré un arrêt du Parlement de Besançon, qui la déclarait pernicieuse et comme pouvant donner la lèpre.

C’est sous la maison de Lorraine, que la région de Chalancon eut à traverser ses moments les plus critiques.

Toute la contrée étant devenue protestante, le chef-lieu de la baronnie, qui, d’ailleurs, était une bonne position stratégique, fut naturellement l’objectif des deux parties belligérantes.

En 1573, du Peloux, qui commandait dans le haut Vivarais, envoya son frère Charles, sieur de Colaux, au secours de Chalancon assiégé par les huguenots. Le sieur de Colaux, dit Gamon, « alla faire lever le siège et eust du meilleur en une charge donnée à ceux qui venoient secourir les assiégeants, tellement qu’ils furent contrains d’abandonner le lieu avec leurs pertes et honte ». La paix fut signée en décembre de cette même année. Toutes les places occupées par les huguenots furent rendues à leurs seigneurs légitimes et ensuite démantelées. Mais Chalancon fut épargné, à la prière de dame Claude de la Tour de Turenne et de Hautvillar, dame de Tournon.

En 1574, Chalancon, assiégé de nouveau par les huguenots, sous les ordres de Pierregourde, fut obligé de capituler, et cette fois les fortifications furent rasées.

Lors de la visite générale des églises en 1583, le grand vicaire Nicolas de Vesc arriva le 2 août à Chalancon. Son procès-verbal contient cette phrase, qui revient sans cesse, avec une variante plus ou moins accentuée, selon l’état des ruines : avoir trouvé le temple d’illec rompu et démoli. Depuis vingt ans, le service divin a cessé dans le bourg, mais la population le demande, car elle est en majorité catholique. Il n’y a pas de curé. On dit que M. Thyon est prieur. Les revenus du prieuré et de la cure, on les ignore. Enfin, il y a à Chalancon quatre chapellenies, dont une porte le nom de La Mastre et une autre celui de Chambaud. Le visiteur rencontre à Chalancon M. Jean Boys, qui lui a été signalé à Pranles comme prieur de ce lieu et demeurant à Chalancon. Il lui demande s’il est bien le prieur de Pranles, quel est le revenu de ce bénéfice, et pourquoi il ne réside pas dans ce prieuré, selon les saints canons, les ordonnances du Roi et le désir des habitants catholiques. Jean Boys répond que, s’il ne réside pas à Pranles, c’est « par peur et crainte qu’il a de ceux de la religion prétendue réformée, qui sont tout à l’entour du dit prieuré ». Il demeure auprès de Chalancon chez le sieur de Chambaud, auquel il arrente son bénéfice.

En 1587, le chef protestant Chambaud, chassé de Desaignes et de Charmes, essaya de se fortifier à Chalancon « villette démantelée où, se trouvant attaqué par ses ennemis, tandis qu’il la faisait rétablir à pierre sèche, il soutint un combat de dix-huit heures, pendant lequel le soldat était souvent obligé, pour se défendre, de jeter à l’ennemi la pierre qu’il avait destinée à bâtir ».

Ce petit détail fait honneur à l’imagination de d’Aubigné, qui a voulu faire mousser son héros, mais les maçons qui nous liront feront certainement la réflexion que, pour bâtir à pierre sèche, il faut des pierres d’un certain calibre qui ne sont pas faciles à jeter à un ennemi quelconque.

Le 23 février 1623, les sieurs de Lacroix et de Chabreilles, commissaires du Roi, exécuteurs de l’Edit de paix de Montpellier (18 octobre 1622), remirent le château de Chalancon entre les mains de noble Anne de Hautvillar, bailli de Chalancon pour le comte de Tournon, après avoir reçu la soumission des protestants, et particulièrement de noble Antoine de St-Agrève, sieur de Cluac, qui avait fait réparer les fortifications du château et du bourg pour l’utilité du parti protestant ; les commissaires en ordonnèrent en même temps la démolition, ainsi que le rétablissement du service divin, ce qui fut exécuté sans opposition (17).

Le château de Chalancon dut néanmoins être réoccupé ensuite par les protestants, puisque Marcha le nomme parmi ceux qui firent leur soumission en 1629, après la prise de Privas.

Un arrêt des Cent jours, du 22 octobre 1666, donné par le Journal de Baudoin, concerne Chalancon et Silhac.

L’arrêt, rendu sur la requête du procureur général, porte que les prétendus réformés de la paroisse de Silhac contribueront par imposition réelle à la réparation de l’église, construction du clocher, achat de cloches et remboursement des frais et avances. Les parties sont : d’un côté, M. de Hautvillar de la Motte, avec tous les catholiques du lieu, et de l’autre, les consuls de Silhac, Pierre Charbonnier et Pierre Crouzet, avec les protestants de l’endroit. Ces consuls sont désignés indifféremment comme consuls de Chalancon ou consuls de Silhac.

Il y a eu des synodes protestants à Chalancon en 1649 et 1672.

La démolition du temple protestant de Chalancon fut occasionnée par le mouvement insurrectionnel de 1683. C’est le 26 septembre de cette année que les soldats du duc de Noailles détruisirent ce bâtiment. Une relation contemporaine dit qu’ils brûlèrent la Bible et que la cloche (il y en avait donc une) fut transportée au château de la Tourette.


L’église de Chalancon faillit être brûlée le vendredi 24 février 1704 – ce qui nous oblige à revenir sur les tentatives camisardes de cette année et des suivantes que nous avons, à propos de Vernoux, mentionnées un peu trop brièvement, et sur lesquelles un nouveau témoignage contemporain nous permet de donner de plus amples détails (18).

Une première manifestation huguenote s’était déjà produite l’été précédent, dans la paroisse de Silhac. Le 30 août 1703, une trentaine de fanatiques armés s’étaient montrés au village de la Valette. Astier, lieutenant de la bourgeoisie de Chalancon, accourut avec un peloton de seize hommes, mit les rebelles en déroute et fit trois prisonniers qui furent conduits à Privas et ensuite ramenés à Vernoux pour y être jugés avec quatre prophétesses, dont deux arrêtées précédemment en ce même lieu de Silhac. L’un des prisonniers, nommé Duplantier, de Boffres, coupable d’avoir tiré sur le bourgeois de Chalancon qui l’avait arrêté, fut condamné à être rompu vif, un autre fut pendu, et le troisième dut à sa jeunesse d’être simplement fouetté dans les rues de Vernoux. Deux des prophétesses furent pendues et les deux autres simplement fouettées. Le tout fut exécuté à Vernoux un jour de foire. Il est à remarquer qu’on avait trouvé sur Duplantier 25 louis d’or et quelque monnaie d’argent, ce qui fait supposer que le fanatisme local était encouragé ici comme ailleurs par l’argent des puissances protestantes alors en guerre avec la France.

Un mouvement plus sérieux fut tenté, au mois de février suivant, par trois chefs camisards, savoir :

Abraham Charmasson du lieu d’Arc, près de Vallon, qui avait pris pour la circonstance le nom de Cavalier ; Dortial, dit St-Jean, de Chalancon, dont le vrai nom était Esparon ; enfin, un troisième, connu sous le nom de Descombes, mais dont le vrai nom, selon Antoine Court, était Louis Mercier.

La relation du témoin oculaire précise beaucoup mieux qu’on ne l’avait fait jusqu’ici le caractère et la marche de l’insurrection. Celle ci comprenait environ deux cents hommes, dont les trois quarts de la contrée même, et le dernier quart venu des Cévennes du Gard.

Les insurgés commencèrent à se montrer publiquement, dès le 18 février, et se signalèrent par des assassinats de prêtres et des incendies d’églises. C’est à Gluiras qu’ils commencèrent leurs sinistres exploits. Ayant pénétré par surprise dans la maison curiale, ils massacrèrent les deux frères Vantalon, curé et vicaire du lieu, et brûlèrent l’église.

Le curé de St-Maurice-sous-Chalancon n’échappa que par miracle aux suites des blessures qu’il reçut de ces forcenés.

Il parait que le curé de St-Julien-la-Brousse, nommé Vérot, montra alors un courage et une résolution qui exercèrent dans le pays une salutaire influence. Il dressa un corps de 200 hommes et fortifia les abords de sa paroisse, qui put servir de refuge à bon nombre de catholiques menacés.

Les fanatiques, après avoir brûlé l’église de St-Maurice, se dirigèrent sur St-Fortunat, où ils détruisirent les ornements de l’église, et ensuite la maison du notaire Retourna, nouveau converti qu’ils accusaient de trahison. Ils brûlèrent aussi l’église de St-Julien-le-Roux. Les curés de ces deux paroisses, heureusement pour eux, avaient pu se sauver à temps et se réfugier au château de la Tourette.

Le 20, un corps de 400 hommes partit de Vernoux, sous les ordres du sieur Demonteil, pour dissiper les rebelles, mais on le fit revenir en arrière, sur les instances d’un M. Lardivon, qui croyait qu’on pourrait avoir raison d’eux avec de bonnes paroles ; ce qui n’empêcha pas nos fanatiques de brûler, la nuit suivante, les églises de Bruzac et de St-Barthélemy-le-Pin.

Le 21, ils tuèrent deux ou trois hommes à Combier, dans la paroisse de St-Apollinaire-de-Rias, et en firent d’autres prisonniers. Néanmoins, ces derniers obtinrent leur délivrance en se chargeant d’une lettre destinée au commandant de la province.

Le même jour, les fanatiques brûlèrent l’église de St-Jean-Chambre et entrèrent enfin à Chalancon en chantant des psaumes. Ils pénétrèrent dans l’église et se disposaient à y mettre le feu, quand les bourgeois, au moins une trentaine d’entre eux, qui s’étaient postés dans la maison de M. de Saint-Giney, derrière l’église, commencèrent à tirer sur eux et en abattirent un certain nombre. S’ils avaient été soutenus par un autre corps de bourgeois armés, qui s’étaient réfugiés avec le prieur Laplanche dans la maison Chambarlhac, c’en était fait de tous les fanatiques ; mais les bourgeois du second groupe mouraient de peur, à ce qu’il semble ; les uns cherchaient à se sauver par la cave et les autres par le grenier, et l’on raconte même que, l’un d’eux (le notaire Esclausas, d’après une version, et, d’après une autre, le curé) se serait, comme un autre Diogène, caché dans un tonneau. Pendant ce temps, les Camisards s’enfuyaient, du côté des Chaussières, sautant et roulant des murs de la hauteur de deux hommes, se croyant tous perdus. Au reste, leurs vainqueurs eux-mêmes ne paraissaient pas encore à ce moment bien rassurés, car ils n’osaient pas sortir de la maison qui les abritait, et ils tirèrent encore de là plusieurs coups de fusil sur des individus qui se trouvèrent être des catholiques, et dont un fut tué et un autre dangereusement blessé.

Les fanatiques, malgré leur échec, n’en continuèrent pas moins, en fuyant, leurs exploits habituels, puisqu’ils brulèrent le même jour l’église de St-Sauveur-de Montagut. Puis ils allèrent se coucher à Franchessin, hameau de Pranles, où ils se trouvaient encore le surlendemain.

Dans l’intervalle, le brigadier Julien (un protestant converti), prévenu de la présence des fanatiques, s’était avancé de Privas avec 300 hommes du régiment de Hainaut, trois compagnies de dragons et trois compagnies de miquelets.

Cet officier prit habilement ses dispositions pour couper la retraite aux rebelles, puis il les attaqua et les mit promptement en complète déroule. Une soixantaine d’entre eux restèrent morts sur la place. Les troupes poursuivirent les fuyards pendant plus de trois heures et en tuèrent encore bon nombre. Le village de Franchessin fut pillé puis livré aux flammes. Ainsi finit cette triste échauffourée.

Le brigadier Julien, afin de prévenir de nouveaux soulèvements, fit publier, dans toutes les communes, que celles chez qui les révoltés se retireraient et qui n’en donneraient pas avis immédiatement, seraient traitées plus sévèrement encore que le village de Franchessin. Il obligea les municipalités à rétablir les églises brûlées, aux dépens des nouveaux convertis. Il déclara que la tête des nouveaux convertis répondrait de la vie et de la sûreté des prêtres catholiques, et que toute communauté qui laisserait brûler une église serait traitée avec la dernière rigueur. Il mit en même temps à prix la tête des trois chefs : mille écus pour celle de Charmasson, 500 pour celle de St-Jean, et autant pour celle de Descombes ; mais il ne paraît pas que cette promesse ait amené la capture des trois chefs fanatiques.

Toutes ces sévérités n’empêchèrent pas la tentative de 1709, dont nous avons raconté le dénoûment tragique sur la montagne de Leyris, et qui fut heureusement la dernière aventure sanglante des protestants vivarois. Ceux-ci, nous sommes les premiers à le reconnaître, avaient été odieusement persécutés, et, à notre point de vue moderne, c’est-à-dire avec le progrès, bien réel celui-là, des idées, qui a mis au-dessus de toute discussion la liberté de conscience, la conduite des gouvernants d’alors était inexcusable ; mais, il faut bien le dire, ce principe était encore, au commencement du siècle dernier, absolument inconnu, aussi bien des persécutés que des persécuteurs, qu’on avait vus à tour de rôle, depuis le début des guerres religieuses, rivaliser de cruauté et d’intolérance.

Cela dit pour expliquer les errements gouvernementaux de l’époque, nous devons dire aussi, à l’honneur des protestants, que le plus grand nombre d’entre eux étaient loin d’approuver les atrocités commises par des coreligionnaires égarés, et nous sommes heureux de relever dans les Mémoires de Corteiz (19), les démarches que fit ce prédicant, au temps de la guerre des Camisards, pour empêcher Johanny, un de leurs chefs, de tuer les prêtres, et de brûler les églises. Corteiz chercha aussi à empêcher la tentative de 1709, qui eut lieu en Vivarais sous la conduite d’Abraham Mazel. « Ah ! leur dit-il, à quoi a abouti l’entreprise de MM. Cavalier, Larose, Laporte et Johanny, sinon à désoler et à détruire le pays, et vous voyez le malheureux fruit qu’a produit ce qu’on vient de faire dans le Vivarais ? Nous avons un peu de calme, on ne force personne d’aller à la messe ; ne nous rendons pas davantage suspects à l’Etat, et n’obligeons pas nos gouverneurs à nous faire massacrer ».

Ceux qui sont disposés à voir dans les chefs camisards autant de héros, n’ont qu’à lire la relation inédite publiée par Marius Tallon, sous ce titre : Un fragment de la guerre des Camisards. Ce nouveau témoignage ne nous apprend aucun fait nouveau pour le Vivarais, mais il est d’un grand intérêt pour l’histoire des évènements qui se sont passés de 1701 à 1704 dans les Cévennes du Gard et de la Lozère, qui ont été le principal théâtre de la guerre des Camisards. Le document en question, trouvé dans les archives de M. Fuzet du Pouget, présente un cachet de vérité qui lui donne une haute valeur historique ; son auteur, dont le nom est resté inconnu, expose simplement ce qu’il a vu ou ce qu’il tient d’autres témoins contemporains, et il le fait sans passion, ce qui est assez rare pour l’époque. Il faut donc savoir gré à M. Tallon d’avoir exhumé de la poussière ce vénérable manuscrit, et il faut aussi rendre hommage au courage civil dont a fait preuve notre compatriote, dans sa préface, en osant, lui républicain, se montrer impartial, et juger comme ils le méritent les chefs camisards.

Les diverses péripéties par lesquelles a passé le protestantisme, dans le cours du XVIIe siècle, comportent un enseignement qu’on n’a peut-être pas assez mis en lumière, et qui, dans tous les cas, ne sera pas sans intérêt pour nos lecteurs vivarois. Après l’échec de toutes les entreprises sanglantes du début du siècle, nos concitoyens protestants se convertirent tout au moins à des idées plus saines que celle d’enseigner la morale chrétienne au moyen du massacre des prêtres et de l’incendie des églises. Les vues à la fois plus politiques et plus évangéliques, déjà soutenues par Corteiz et qu’Antoine Court passa sa vie à répandre dans les Cévennes et en Vivarais, finirent par prévaloir, et de là certainement l’influence croissante que les protestants intelligents, plus ou moins confondus dans les rangs libéraux, exercèrent en France jusqu’à la Révolution.

Pourquoi faut-il qu’alors cette influence, au lieu de s’exercer dans le sens de la modération, ait passé au service de la nouvelle tyrannie qui, après avoir renversé la royauté, n’avait rien trouvé de mieux que de l’imiter ?

Quelque philosophe que l’on soit, on ne peut se défendre des plus amères réflexions et des plus tristes pressentiments, quand on voit les excès se suivre et se ressembler, et les victimes de la veille devenir invariablement les bourreaux ou les oppresseurs du lendemain. Un exemple entre tous que nous empruntons au savant auteur de l’Histoire de Montélimar :

« En 1687, le protestant Menuret, de Montélimar, expirait à la suite des horribles traitements que lui avait infligés d’Hérapine, le féroce recteur de l’hôpital de Valence, parce qu’il refusait de devenir catholique. Cent cinq ans après, son petit-neveu, Menuret, curé de Montélimar et plus tard supérieur des prêtres de St-François-de-Sales, à Issy, était massacré aux Carmes. Ainsi va le monde, et les vues de Dieu sont impénétrables » (20).

D’où l’on est en droit de se demander si, dans l’ordre supérieur des choses, la folie et la tyrannie – qu’il faut, d’ailleurs, détester et repousser constamment, quand on a l’esprit de les comprendre – ne sont pas les ressorts providentiels, ou si l’on veut la contre-partie aussi nécessaire qu’incompréhensible, de ce qu’il peut y avoir en nous de justice et de raison.

  1. Voir Rouchier, Hist. du Vivarais, T. 1, p. 116.
  2. Voyage autour de Crussol, p. 27 et suivantes.
  3. André Lafaïsse, par le baron de Coston.
  4. Collection du Languedoc, t. XXV.
  5. Voir la Revue du Vivarais, mars 1895.
  6. Voyage autour de Privas, p. 551.
  7. Deux nouvelles baronnies (Aps et St-Remèze) avaient été ajoutées vers 1620 aux dix baronnies de tour du XVIe siècle.
  8. Bulletin d’archéologie de la Drôme, 1887, p. 105.
  9. Mémoires sur Annonay, t. I. p. 99.
  10. Souvenirs de l’Ardèche.
  11. L’original de cette lettre fait partie de notre collection.
  12. Carton F 613.
  13. Voir notre Notice sur la vie et les œuvres d’Achille Gamon et de Christophle de Gamon, Lyon 1885, et le supplément publié en 1894 dans la Revue de Vivarais sous le titre : Les Gamon d’Annonay.
  14. La Vie de saint Benoit, fondateur du pont d’Avignon, vulgairement dit saint Bénézet, 1675.
  15. La patrie de saint Bénézet, Avignon 1889.
  16. Voir notre opuscule : Velay et Vivarais, deux livres de notes journalières au XVIIe siècle. Annonay, Hervé 1890.
  17. Poncer. Mémoires sur Annonay, t. I, p. 99.
  18. Lettre publiée en 1882 dans le Bulletin d’histoire ecclésiastique et d’archéologie religieuse, du chanoine Ulysse Chevalier, de Romans.
  19. Les Mémoires de Pierre Carrière dit Corteiz ont été publiés à Strasbourg en 1871.
  20. Baron de Coston. Hist. de Montélimar, III, p. 256,