Voyage autour de Crussol

Docteur Francus

- Albin Mazon -

I

En guise de préface

Ouvrages faits et à faire. – L’Encyclopédie de l’Ardèche. – Un appel à des collaborateurs … rares et à un éditeur … imaginaire.

En attendant que M. le chanoine Rouchier se décide à terminer sa belle Histoire du Vivarais, nous continuons la chronique ancienne et moderne du pays. Voici notre huitième volume de Voyages. A quoi ont servi les autres ? Quelques personnes nous ont fait l’honneur de penser que nos publications avaient pu contribuer, non-seulement à instruire nos concitoyens, mais encore à influer sur leur esprit, à modifier des sentiments faux, à redresser des sentiments erronés. D’autres nous ont adressé des reproches de divers genres, notamment celui de faire de la politique, sans vouloir reconnaître l’impartialité et le caractère essentiellement philosophique de nos digressions sur ce terrain.

Est-il bien nécessaire de répondre à ces critiques ? Nous écrivons comme nous pensons, très fier de l’approbation des gens sensés, sans nous dissimuler que ces derniers n’ont jamais formé qu’une infime minorité, et très-indifférent au suffrage de ceux qui reçoivent leur opinion toute faite, d’un journal, d’un voisin ou d’une coterie quelconque. A vrai dire, nous tenons beaucoup plus à la satisfaction de notre propre conscience, qu’à celle du monde entier, bien certain, d’ailleurs, que si l’on pesait les voix au lieu de les compter, le résultat n’aurait pour nous rien d’humiliant.

Nous tâchons de réaliser pour notre compte cette indépendance d’esprit, que tant de gens cherchent vainement ailleurs, et nous confions au temps le soin de nous donner raison.

En laissant de côté certaines productions de jeunesse, dont les exemplaires restants ont été détruits, nous avons la satisfaction de penser que l’ensemble de nos ouvrages ne sera pas sans utilité pour l’histoire de l’Ardèche. Nous croyons avoir recueilli beaucoup de faits et noté un certain nombre de traditions locales qui étaient probablement à la veille de tomber dans un éternel oubli. La destinée nous a fait venir à une époque de transition entre un monde ancien et un monde nouveau – car le mouvement de fusion, on pourrait dire aussi de confusion, occasionné par l’emploi de la vapeur comme moyen de locomotion, et de l’électricité comme porte-voix, est un évènement aussi considérable que la Révolution de 1789 – et il s’est trouvé que nous avions précisément le goût de l’observation et de la réflexion, propre à nous faire saisir le contraste des deux époques, à nous donner le désir de conserver les traits et l’expérience du passé pour l’instruction des présomptueux du jour.

Si l’on veut bien nous permettre la récapitulation des études locales déjà publiées et de celles qui doivent suivre, nous leur dirons qu’après les Voyages :

Aux pays volcaniques du Vivarais, Autour de Valgorge, Autour de Privas, Dans le Midi de l’Ardèche, Le long de la rivière d’Ardèche, Au pays Helvien, Au Bourg-St-Andéol, Autour de Crussol (le présent volume),

Après les Petites Notes Ardéchoises (1870 et 1873),

Marguerite Chalin et la légende de Clotilde de Sur ville,

La Notice sur Achille et Christophle de Gamon,

Les Notes sur la Commanderie des Antonins d’Aubenas,

Et enfin le petit opuscule sur nos anciens Muletiers,

Notre intention, si Dieu nous prête vie, est de publier (abstraction faite de certains travaux d’un caractère plus général), beaucoup d’autres études locales, dont voici les principales :

Le Voyage au pays des Boutières (de Vernoux à St-Agrève),

Le Voyage autour de Tournon,

Deux autres volumes, et peut-être trois, sur Annonay et la région environnante, y compris le mont Pilat,

Un volume sur la région d’Aubenas, Antraigues et Burzet,

Des notes sur l’histoire de Largentière,

La Vie et les Œuvres de Soulavie,

Une Notice sur les conventionnels Gamon et Gleizal,

Le Tableau du Vivarais pendant la guerre de Cent ans (1340 à 1450),

Et enfin l’Encyclopédie de l’Ardèche, c’est-à-dire le dictionnaire général géographique, historique, biographique, statistique, etc., de notre département.

Mais, nous dira quelqu’un, non sans raison, vous avez donc l’espoir de vivre aussi longtemps que Mathusalem et de garder jusqu’au bout l’activité et la verdeur d’esprit nécessaires à l’accomplissement d’un si vaste programme ?

A cela nous ferons observer que les éléments de ces publications, patiemment recueillis pendant une période de plus de trente ans, n’attendent pour la plupart qu’un travail de coordination et de vérification, qui pourrait aller fort rapidement le jour où nous aurions un peu plus de loisirs.

Nous avons aussi l’espérance de voir s’augmenter le nombre de nos obligeants collaborateurs, à mesure que les volumes parus marquent mieux le sens et la portée de notre œuvre. Et c’est pour cela surtout que nous venons faire appel au public intelligent de l’Ardèche.

Nous nous trouvons aujourd’hui, au moins par l’étendue de notre entreprise, dans une situation analogue à celle des anciens Bénédictins qui nous ont laissé l’Histoire du Languedoc.

Or, comment ces illustres devanciers – plus graves et plus savants que nous, sans doute, mais dont nous continuons, quoique dans un autre genre, les traditions historiques – ont-ils pu mener à bonne fin l’œuvre colossale qui fait encore l’étonnement et l’admiration des érudits ? – C’est par l’appui des Etats de la province, qui facilitaient par tous les moyens leurs recherches et invitaient les autorités locales à leur fournir les informations nécessaires. C’est aussi par le concours des religieux de leur ordre, travailleurs obscurs autant qu’infatigables et consciencieux, qui leur épargnaient tous les travaux de détail, fouillaient pour eux les vieux livres, déchiffraient les manuscrits et ne leur laissaient que la tâche supérieure, celle qui consiste à faire le triage des éléments ainsi réunis, à coordonner les matières en les assaisonnant des notes qui les éclairent et des jugements qui en font comme l’accompagnement philosophique.

Demander un encouragement quelconque aux pouvoirs publics, élus ou non élus, du quart d’heure, serait de notre part un peu naïf, car, en admettant qu’ils y missent de la bonne volonté, chacun sait que les querelles politiques, les laïcisations et le reste absorbent et au delà leurs préoccupations et leurs ressources, sans compter que toute œuvre indépendante – dispensée conséquemment de leur faire des compliments – ne peut que leur déplaire

C’est donc uniquement à nos compatriotes de bonne volonté, aimant les études locales et soucieux de l’honneur et des intérêts du pays, que nous pouvons demander une collaboration officieuse, sans laquelle bon nombre de nos travaux resteront nécessairement inachevés.

En énumérant, comme nous venons de le faire, au risque d’être taxé de folie vaniteuse, nos projets de publications futures, nous avons voulu fixer l’attention et les idées de ceux de nos lecteurs qui peuvent aider nos recherches, et peut-être aurons-nous réussi de la sorte à donner à plus d’un possesseur ignoré de documents inédits, à plus d’un observateur curieux, à plus d’un collectionneur de traits de mœurs ou de traditions précieuses, l’idée de nous les communiquer.

Comme exemple des résultats qu’on pourrait obtenir, au moyen du concours que nous sollicitons, prenons un des ouvrages futurs énumérés plus haut : Le Tableau du Vivarais pendant la guerre de Cent ans. Ce sujet est venu, pour ainsi dire, tout seul sous notre plume, en étudiant l’histoire des Roussillon, seigneurs d’Annonay. Le rôle anglophile d’un de ces personnages et les hauts faits des Routiers dans cette région, nous ont amené à grouper tout ce que nous avions recueilli des calamités de cette période sur divers points du Vivarais. Ce noyau d’étude a fait l’objet de plusieurs articles dans l’Annonéen. Ces articles, fort incomplets sans doute, forment comme un centre d’attraction où viendront converger, se complétant et s’éclairent les uns les autres, tous les faits nouveaux que nous pourrons découvrir, soit dans des mémoires inédits, soit dans les généalogies particulières et les traditions locales. Sans doute les documents, qui remontent à l’époque de la guerre de Cent Ans sont rares, mais on peut être sûr néanmoins qu’il en est encore beaucoup d’ignorés ou d’inaperçus.

Une source, trop négligée jusqu’ici, est celle des vieux registres de notaires.

L’autre jour, un de nos obligeants compatriotes, qui venait de lire l’opuscule sur la Commanderie des Antonins d’Aubenas, a bien voulu nous communiquer le tableau des notaires de l’arrondissement de Privas, dressé en 1884, qui donne un aperçu des minutes existant dans chaque étude.

Or, deux de ces études, celle de M. Olivier à Viviers, et celle de M. Bauthéac à Aubenas, possèdent un assez grand nombre de registres remontant au XIVe siècle.

Il y a tout lieu de croire que l’on trouverait, dans ces vénérables bouquins, de nombreux détails, non seulement sur les mœurs de cette époque, mais encore sur les évènements contemporains. Dans ce cas, il serait aisé de faire avec eux une œuvre de valeur, c’est-à-dire riche de documents originaux et de faits inédits.

Dom Vic ou dom Vaisselle, en pareille situation, n’auraient pas été embarrassés : deux ou trois Bénédictins se seraient chargés de ce travail de recherches et, au bout de quelques semaines ou de quelques mois, sans avoir eu à discontinuer leurs autres occupations, ils se seraient trouvés avoir en main tous les éléments d’une étude dont ils n’avaient plus qu’à établir les proportions et à ajuster ensemble les diverses parties.

Est-ce que nous ne finirons point par trouver, parmi nos compatriotes résidant sur les lieux, quelques nouveaux Bénédictins, ecclésiastiques ou laïques, qui, animés comme nous de la flamme historico-patriotique, voudront faciliter notre tâche ?

Quant au dernier ouvrage, auquel nous avons fait allusion, l’Encyclopédie de l’Ardèche, nous nous bornerons à faire observer que cette publication, nécessairement de longue haleine, pourrait être entreprise dès aujourd’hui, par livraisons mensuelles ou trimestrielles, grâce aux notes que nous serions en état de fournir, avec le concours de quelques collaborateurs et amis, s’il existait dans l’Ardèche un établissement typographique présentant toutes les garanties de durée, d’activité, de bonne exécution et d’application constante, que comporterait un si important travail.

Nous avons fait volontiers, et nous continuerons de faire les frais de nos autres publications, qui – on peut le croire – ne sont pas de brillantes spéculations de librairie, mais constituent une propagande d’instruction et de bon sens, en dehors de tout esprit de parti, à laquelle tôt ou tard nos adversaires eux-mêmes rendront justice ; mais, tout en espérant que le public lettré de notre pays, pourrait, vis-à-vis de l’Encyclopédie de l’Ardèche, secouer un peu sa torpeur habituelle, en raison de l’utilité de l’œuvre, on nous permettra d’en laisser l’initiative et la responsabilité à un éditeur hardi et… jusqu’ici purement imaginaire.