Voyage autour de Crussol

Docteur Francus

- Albin Mazon -

VI

Crussol

La constitution géologique de la montagne de Crussol. – Le marbre de Crussol. – Ste-Eulalie de Guilherand. – Le prieuré de St-Estève. – Les Granges. – Un poignard antique. – Le géant Cursolius. – Le château et les masures. – Fondation du château. – Les anciens seigneurs de Crussol. – Les premiers Crussol de la maison d’Uzès. – Le portrait de Monsieur Antoine. – Une lettre de Charles IX à sa cousine de Crussol. – Jacques d’Acier et son frère Jean de Crussol. – Les guerres religieuses dans la région de Crussol au XVe siècle. – Mistral reprend le château aux protestants. – Un combat sous Crussol en 1557. – Le baron des Gordes. – Les misères du temps racontées par le curé Laurent Rey. – Charges féodales. – Les derniers ducs d’Uzès.

Après Soion, la ligne des collines se relève et atteint son point culminant au rocher de Crussol qui fait face à Valence. Cette montagne de Crussol est un des plus curieux spécimens que la nature ait fournis aux géologues pour étudier à loisir tous les phénomènes des époques triasique et jurassique. La coupe, qui en a été faite par M. Sautier et qui a été vérifiée en 1854 par la Société géologique de France, nous montre superposés en granit perphyroïde, qui leur sert de base, tous les dépôts du trias, dépourvus de fossiles, puis les différentes couches jurassiques, ayant chacune sa bélemnite ou son ammonite caractéristique, correspondant aux terrains liasique, bajocien, callovien, oxfordien, jusqu’au corallien qui forme le sommet de Crussol et le massif de Châteaubourg et se retrouve au sud dans les marbres de Chomérac.

Le calcaire de Crussol est une sorte de marbre polissable, semblable à celui de Chomérac et fort estimé dans toute la région du Rhône. Il a servi à de grands travaux de maçonnerie ou d’architecture en Vivarais, en Dauphiné et même plus loin. Les beaux monolithes qui forment la colonnade du palais de justice, à Lyon, viennent en partie de Crussol.

Ovide de Valgorge croit que les Romains exploitaient la pierre de Crussol. Il dit avoir reconnu lui-même cette pierre à l’amphithéâtre d’Arles, et il assure « qu’on lisait encore, il y a peu d’années, sur l’une des parois de la carrière St-Estève, une inscription et un millésime latins qui prouvent que ces carrières étaient exploitées alors que les Romains faisaient construire à grands frais l’amphithéâtre d’Arles. »

On a essayé de faire des pierres lithographiques avec certaines couches de la montagne de Crussol, mais cette tentative ne parait pas avoir réussi.

La belle vallée, en demi-cirque, de St-Péray marque, de ce côté du Rhône, sauf le petit îlot de Châteaubourg, la séparation du terrain granitique et du terrain calcaire. Mais la montagne reprend à Cornas et, après avoir formé le massif de St-Romain-de-Lerp, se continue dans des conditions diverses de hauteur et surtout d’aridité, jusqu’au Doux.


En face de Valence, sous le rocher de Crussol, s’étend une charmante petite plaine qui produisait autrefois de l’excellent vin. C’est la commune de Guilherand (autrefois Ste-Eulalie). Voici ce qu’écrivait le curé de l’endroit vers 1760, en réponse aux questions de dom Bourotte :

« Sta Eulalia ou Guilhorandus. C’est le nom qu’on trouve dans les anciens actes de notaire écrits en latin en 1431, 1521 et 1526 ; c’est un lieu du mandement de Crussol, composé de quatre petits hameaux, le long et au pied de la montagne de Crussol, au milieu desquels hameaux et à quelque distance d’eux est située l’église paroissiale, qui a été bâtie depuis environ un siècle par suite de l’ordonnance de Mgr l’évêque de Valence, lequel, en 1633, faisant la visite générale de son diocèse et ayant trouvé l’ancienne église, qui était dans un emplacement différent, à l’extrémité de la paroisse du côté du midi, totalement ruinée, apparemment par le malheur des guerres civiles des calvinistes, ordonna que, pour la plus grande commodité des paroissiens, elle serait rebâtie dans le susdit endroit, comme au milieu des susdits hameaux qui composent le lieu de Ste-Eulalie.

« L’église est dédiée à sainte Eulalie, vierge et martyre, dont la fête se célèbre le 12 février.

« Elle dépend pour le spirituel de l’évêché de Valence. La collation de la cure appartient pleno jure à l’évêque de Valence. Le prieuré de ladite cure a été adjugé à Mme l’abbesse de Soion par arrest du Parlement de Toulouse, rendu le 4 mars 1729.

« Il y a environ 50 feux. Guilherand relève de la justice du duc d’Uzès en qualité de comte de Crussol. Cette justice s’exerce à St-Péray, chef-lieu de ladite comté de Crussol ; par appel, au bailliage d’Annonay ; delà, au présidial de Nimes et au Parlement de Toulouse. »

La lettre énumère ici un certain nombre de vignobles et de propriétés particulières. « Le domaine de Sapet appartient à noble Vincent de Mazade qui habite pour l’ordinaire à son château ou maison forte de Meyres, dans le territoire de la paroisse de Toulaud. Il y a aussi le port de Valence qui appartient pour un tiers au duc d’Uzès et pour les deux tiers au chapitre du Bourg-lès-Valence.

« Productions : vins communs, peu de blé (1). »

L’ancien monastère ou prieuré de St-Etienne ou Estève était sur le territoire de Guilherand. Le prieur, en vertu d’une charte de 1327, octroyée par le sire de Crussol, avait un droit de franchise sur le port de Valence.

Le prieuré fut remplacé par une communauté des Prémontrés relevant de la Chaise-Dieu, dont le dernier abbé, mort à Guilherand, s’appelait Etienne de Crussol (2). Ce couvent fut détruit sous la Révolution.

La chapelle de Ste-Eulalie de Guilherand est actuellement sur la commune de Soion.


Les Granges, le premier hameau vivarois à la sortie du pont de Valence, s’agrandissent à vue d’œil depuis la suppression du pont. Avant quelques années, c’est là que sera le chef-lieu de Guilherand et qu’il faudra transférer l’église. Les Valentinois y viennent le dimanche en partie de plaisir.

En 1501, on y vit passer un archiduc d’Autriche, Philippe le Beau, se rendant en Espagne. « L’archiduc dîna le samedi 18 mars aux Granges, à un ject d’arbalestre de Valence en Dauphiné, ville de grandeur de Courtray, assez bonne, située en bon pays sur Rhône et passa par dehors parce que la peste y estoit. » (3)

En 1548, le duc de Joyeuse interdit le séjour des Granges aux jeunes gens, étudiants de l’Université, qui avaient été chassés de la ville à cause de leur turbulence. (4)

En novembre 1595, les armées du duc de Guise se rendant en Provence, s’arrêtèrent aux Granges. (5)

On peut, à la rigueur, grimper directement de Guilherand à Crussol, mais il faut pour cela être fort leste et connaître les passages. Joseph Bonaparte, l’ex-roi d’Espagne, racontait un jour au baron de Coston, à Florence, qu’il avait voulu tenter cette ascension, alors qu’il était venu voir son frère, lieutenant d’artillerie à Valence, et qu’il était arrivé à un point où il lui était aussi difficile d’avancer que de reculer. Le roi Joseph aurait dû se rappeler plus tard cet avertissement providentiel et en faire profiter son illustre frère, car rien n’est si commun que cet incident dans la vie des gouvernants, qu’ils soient de droit divin ou de droit populaire. Et l’explication en est bien simple : autant il est de la nature des gouvernants d’abuser de leur pouvoir, autant il est de la nature des gouvernés d’abuser de leur liberté, en sorte que rien n’est plus difficile que de savoir saisir le point juste – s’il existe – où, sans abuser soi-même, on ne prête pas aux abus des autres. Au reste, pour peu qu’on ait réfléchi sur ces grosses questions, on est en droit de se demander si, de part et d’autre, les abus ne sont pas inévitables et si la destinée humaine n’est pas de courir les aventures et de ne se reposer, qu’à titre tout-à-fait provisoire et exceptionnel, dans ce que nous appelons droit, sagesse et justice.

Trêve de réflexions ! Moins aventureux qu’un Bonaparte, nous montâmes vers Crussol, en faisant prosaïquement le détour de St-Péray.

Deux mamelons, séparés par un ravin, constituent la montagne de Crussol, qui se présente avec un ensemble si imposant du côté du Rhône.

Le premier, que couronne le château de Crussol, surplombe Guilherand et la plaine de Valence d’une hauteur d’environ trois cents mètres, et les nichées du vautour dit catharte alimoche n’y manquent pas.

Le second, à l’ouest, invisible des bords du fleuve, quoique plus élevé, était occupé par le couvent des Prémontrés.

Encore une de ces positions qui devaient, bien plus que le monticule de Soion, tenter nos bons aïeux de l’âge de pierre ou de l’âge de bronze. Par suite, la découverte qu’on y fit le 9 février 1790, n’étonnera personne.

Ce jour-là, des carriers, en faisant jouer la mine, trouvèrent à 30 pieds de profondeur et à 300 pieds au dessus de la plaine du Rhône, un poignard en bronze, incrusté en quelque sorte dans la roche calcaire, qu’ils vendirent à M. de Rozières, ingénieur des fortifications à Valence. Cette arme antique passa entre les mains de M. Artaud, directeur du Conservatoire des Arts à Lyon, qui en a laissé une notice avec le dessin. Il est probable qu’elle est aujourd’hui au musée de Lyon.

« Ce poignard est de cuivre jaune trempé ; la poignée de même métal, fixée à la lame par six clous, a une teinte légèrement roussâtre, et les parties de cette arme, qui n’ont pas été altérées par le frottement, sa patina autrement dit, en général bistrée ou noirâtre, oxydée en certains endroits, offre plusieurs taches de sanguine forcée, ce qui a fait croire aux antiquaires de Valence que ce couteau était encore teint du sang de quelque victime. »

L’auteur de la Notice paraît avoir été frappé surtout de cette circonstance que le poignard de Crussol faisait corps avec la roche calcaire, et c’est ce qui a contribué évidemment à lui faire attribuer à cet objet une antiquité qui nous semble exagérée.

Il trouve « dans son ensemble une simplicité et une âpreté dignes de la rudesse de nos premiers Gaulois ; ses ornements, irréguliers et anguleux, décèlent un peuple dans l’enfance de l’art ; ils ressemblent, en général, à ceux que l’on remarque sur les armes des anciens Etrusques, des Indiens, des sauvages du Nouveau-Monde et de toutes les nations étrangères aux beaux-arts. Tels sont encore, ajoute-t-il, les compartiments que tracent naturellement sur le bois qu’ils façonnent, ces pasteurs modernes du mont Pilat qui n’ont d’autre guide que leur goût naturel et d’autre outil que la pointe d’un couteau. »

Il résulte du dessin et de la notice qu’une croix était gravée sur le pommeau du poignard. Or, malgré les raisons que donne M. Artaud pour ne voir dans ce signe qu’un simple ornement, et non pas un symbole religieux, nous serions fort disposé à penser que l’arme en question n’est pas antérieure à l’ère chrétienne, et nous pensons que M. Artaud lui-même aurait été de cet avis s’il avait su, comme nous le savons aujourd’hui, avec quelle rapidité les sucs lapidifiques opèrent, surtout dans les terrains calcaires. (6)

Tout ceci n’empêche pas, d’ailleurs, de supposer que le rocher de Crussol avait attiré l’attention des gens de guerre bien avant l’ère chrétienne, et l’on ne risque pas beaucoup de se tromper en affirmant que les Romains, et les Celtes avant eux, y avaient établi au moins un poste d’observation avant que le moyen âge y bâtit un château féodal.

La tradition populaire, qui attribue le nom et même la fondation de Crussol à un géant nommé Crussolius ou Cursolius, est évidemment basée sur les ossements d’éléphants, si souvent rencontrés en fouillant le sol dans cette partie du littoral rhodanien.

Le bon Aymard de Rivail raconte, dans son histoire des Allobroges, que ce Cursolius ou Briardus (peut-être une réminiscence de Briarée) avait été, après le déluge, roi des peuples qui formèrent plus tard la nation des Allobroges. Il avait vingt-deux pieds de hauteur, comme en faisaient foi ses ossements longtemps conservés à l’église des Dominicains de Valence, avant qu’on se fût avisé qu’ils avaient appartenu, non à un être humain, mais à un mastodonte.

Le château de Crussol, dont nous voyons les ruines, était inaccessible au levant, et fort bien défendu des trois autres côtés par une double ceinture de murailles, avec forts et bastions.

Le grand mur d’enceinte, formant l’ancien castrum et renfermant ce qu’on appelle les masures de Crussol, est encore assez bien conservé dans sa partie occidentale avec le chemin de ronde et les tours en encorbellement. Les masures sont disposées principalement sur le côté nord-est et ont pu servir à la fois de lieux de refuge, ce qui avait valu à Crussol le nom de Villette, et de postes de défense. Avant la Révolution, il y avait encore là un ermite logé dans la case la plus voisine du portail. En guise d’ermite, nous y trouvâmes un berger qui nous montra l’endroit où avait eu lieu récemment un épouvantable suicide. Une femme était venue s’asseoir là un matin et, après avoir avalé du pétrole, avait mis le feu dans sa bouche avec une allumette. Par quelles tortures avait dû passer cette malheureuse avant de se résoudre à une résolution aussi désespérée ! Un papier trouvé sur elle fit connaître que c’était la femme d’un ancien préfet et l’on put ainsi aviser la famille qui se hâta de venir chercher son corps.

Le château, proprement dit, avait une enceinte particulière, en partie conservée, renfermant trois belles citernes et une grande cour où la garnison pouvait faire ses exercices militaires. Il formait un parallélogramme de trente un mètres de long, sur douze de large, avec une élégante tourelle à cul de lampe à chaque angle. A l’ouest, se dressait la grande tour carrée servant d’escalier au reste de l’édifice et couronnée par un poste d’observation. Le 3 octobre 1855, les ouvriers de l’entrepreneur-carrier Wingard firent sauter le quart environ de ce principal corps de logis, formant façade du côté de Valence, et comprenant un des pignons aigus appelés Cornes de Crussol. Il ne reste plus maintenant que la corne du nord, sauvée à grand’peine d’une semblable destruction par l’intervention du duc d’Uzès, qui en 1864, acheta le reste de ce quartier de montagne pour sauver les derniers débris du château.

La grande tour carrée ou donjon avait été détruite bien avant cette époque, avec l’avant-corps de logis qui protégeait la porte d’entrée, et les énormes blocs de maçonnerie concaves qui jonchent la plateforme, montrent qu’ici comme à Mantailles et à Pierrefonds, la poudre a joué son rôle dans l’œuvre de destruction.

Le nom de Bonaparte est inscrit, parait-il, sur la cheminée d’une salle du premier étage, cheminée qu’on aperçoit là haut, mais que l’effondrement d’une voûte a rendue inabordable. Plusieurs personnes nous ont affirmé l’y avoir lu. Il est certain que Bonaparte, en garnison à Valence, a visité plus d’une fois les ruines de Crussol, puisqu’il en avait mesuré la hauteur. Est-ce une raison pour qu’il y ait mis son nom ? Nous pencherions plutôt – sauf vérification du contraire – à penser que la simple vue d’une foule de noms vulgaires l’en aurait empêché. De son temps, comme au nôtre, on connaissait le dicton local, plus fort de raison que de rime :

Le nom des fous
Se trouve partout.


A quelle époque remonte le château de Crussol, et quel a été son fondateur ?

Le Cartulaire de St-Chaffre mentionne une charte de 1060 où il est question d’une villa Artis située sous le château Crucioli. La preuve qu’il s’agit bien ici de Crussol, c’est que le lieu d’Artis figure encore dans le cadastre de St-Péray, comme étant sur le penchant nord de Crussol. Mais les traces du château du XIe siècle ont depuis longtemps disparu ; on comprend aisément que, dans un endroit aussi en vue que celui-ci, un ouvrage fortifié ait passé, dans le cours des temps, par plus de péripéties que les châteaux de Seray et de la Tourette, constructions féodales de la première époque, mieux protégées par leur éloignement de la vallée du Rhône, champ de bataille séculaire de tant d’ambitions nationales ou internationales.

Les restes du château de Crussol semblent indiquer deux constructions différentes. M. d’Albiousse, le nouvel historien des ducs d’Uzès, fait remonter cet édifice au XIIe siècle. Cela peut être vrai des substructions qu’est venue recouvrir une architecture plus récente, caractérisée par l’ogive et les fenêtres en croix et conséquemment postérieures au XIIIe siècle. La bâtisse est solide, avec une épaisseur de deux mètres dans les fondements, mais d’un travail grossier. Au moyen-âge, les constructions étaient plus soignées, l’appareil était plus régulier.


En faisant un énorme saut dans l’histoire, ou plutôt en sautant de la fable à l’histoire, on trouve une vieille famille de Crussol dont on ne sait rien, pas même le nom, si ce n’est qu’elle possédait Crussol, car le nom de l’homme s’effaçait alors dans celui de la seigneurie. L’héritière de ces anciens Crussol aurait épousé un noble Giraud-Bastet qui vivait en 1110.

Pons, le fils ou le petit fils de ce personnage, accompagna Philippe-Auguste à la croisade de 1195.

Un autre Giraud-Bastet, sans doute le fils de Pons, paraît avoir joué un rôle considérable dans la région au XIIIe siècle. En 1217, les Valentinois firent une tentative pour conquérir leurs libertés municipales, et Gontard, seigneur de Chabeuil, prit la défense de leur cause. Mais le belliqueux évêque, Humbert de Miribel, battit son adversaire, avec l’appui des principaux seigneurs du Vivarais dont il avait acheté la fidélité par de riches présents. Parmi ces seigneurs se trouvait Giraud-Bastet, qui reçut, en retour, de l’évêque de Valence le château de Charmes avec ses dépendances (7).

Les Valentinois recommencèrent sous Guillaume de Savoie, successeur de Miribel. Ils obtinrent, cette fois, un triomphe momentané en chassant l’évêque et ses officiers de la ville. Ils se constituèrent, alors en commune dans la « maison de la confrérie. »

Le sire de Crussol, cette fois, paraît s’être borné à un rôle de conciliateur. « Il faisait sentir à Guillaume de Savoie qu’il ne s’était attiré la haine de ses sujets que par l’excessive sévérité de sa conduite, et le dissuadait d’armer contre eux, de peur que, venant à cimenter leur révolte par l’effusion de leur sang, ils n’en fussent que plus attachés à la conservation de ces nouvelles franchises achetées au prix de tant de labeurs. D’autre part, il faisait envisager aux Valentinois tous les désastres de la guerre qu’ils auraient à soutenir contre leur seigneur et ses nombreux partisans, composés du comte de Savoie, du dauphin, du comte de Valentinois et de tous les vassaux, de l’empire en deçà du Rhin et des Alpes. Il leur dépeignit Guillaume de Savoie courroucé par une longue résistance, les livrant dans sa fureur implacable aux rigueurs des plus affreux châtiments. Les Valentinois touchés, sinon de repentir, du moins de la crainte que leur inspiraient les préparatifs de la guerre, s’en rapportèrent à la décision des arbitres proposés par le sire de Crussol. Ces arbitres étaient : Guillaume, comte de Genève ; Raymond Béranger, prince de Royans ; Roger de Clayrieux, Pierre de Bucion et Ponce de Durand. Le traité de paix conclu le 29 octobre 1229 stipulait le rasement de la maison de la confrérie (hôtel-de-ville), la défense des assemblées, sans la permission de l’évêque, et une amende de 6.000 marcs d’argent (8). »

On connaît un certain nombre de transactions de ce Giraud-Bastet : avec Aimard de Poitiers, au sujet du péage d’Etoile, en 12l5, et au sujet de la seigneurie de St-Marcel-de-Crussol, en 1232 ; avec le chapitre de St-Pierre du Bourg-lès-Valence, au sujet d’un droit de péage au port de Valence en 1238, etc.

Giraud-Bastet fut pris pour arbitre entre le dauphin Guigues et Aimar de Poitiers sur un différend survenu entre eux, et sa sentence, rendue à Romans en 1250, se trouve aux archives de la chambre des comptes (9). Le testament de ce Giraud-Bastet, en date de 1264, est reproduit dans l’ouvrage de l’abbé Garnodier. On y voit figurer des legs aux couvents de Bonnefoy, de la Seauve, de Bellecombe et de St-Péray, ainsi qu’aux chapelains de St-Marcel-de-Crussol, de Charmes, de Soion, de Toulaud et de St-Estève. Au reste, la généalogie des Crussol se trouve dans tous les nobiliaires, ce qui nous dispense d’en parler longuement. Nous remarquerons seulement que, comme on n’a guère conservé d’eux que des testaments, où abondent naturellement les legs pies, on peut les supposer plus religieux qu’ils ne l’étaient en réalité.

Jean Bastet, qui fit son testament au château de Charmes en 1337, avait épousé Béatrix de Poitiers qui lui apporta la terre de Beaudiné dont il fit hommage à l’évêque du Puy. Beaudiné était un fief situé sous le château de Crussol.

Son fils Guillaume abandonna le nom patronymique de Bastet pour prendre celui de sa seigneurie. Il est aussi le premier que l’on voit se qualifier du titre de baron de Crussol et de Beaudiné.

Au XIIIe et au XIVe siècles, Crussol était une des douze baronnies du Vivarais. Le baron de Crussol est nommé, avec les barons de Montlaur, de Joyeuse, de Tournon et de la Motte-Brion, dans les lettres de convocation de Charles VII pour les Etats de Chinon. Le Vivarais eut neuf représentants à cette assemblée nationale.

La terre de Crussol fut érigée en vicomté en 1486, puis en comté, mais son nom n’arrive à un retentissement historique qu’au XVIe siècle, à cause du rôle considérable que ses seigneurs, devenus ducs d’Uzès, jouèrent dans les guerres civiles.

La vieille maison d’Uzès prit fin vers 1480 par la mort de Jean d’Uzès qui, de son mariage avec Anne de Brancas, n’eut qu’une fille nommée Simonne, laquelle épousa Jacques de Crussol, le 24 juin 1486. Celui-ci était déjà, lors de son mariage, grand-chambellan et gouverneur du Dauphiné. Il fut ensuite (1506) sénéchal de Beaucaire et de Nismes et capitaine de deux cents archers de la garde royale. Il avait pris part à toutes les guerres d’Italie, sous Charles VIII et Louis XII, et avait été blessé à Fornoue, quand la mort vint le prendre en 1524.

Charles de Crussol, son fils, lui succéda dans presque toutes ses charges et dignités, et fut, de plus, gouverneur du Languedoc. Il épousa en 1523, Jeanne de Genouillac, fille de Genouillac dit Galiot, seigneur d’Assier (10) et de Capdenac, grand-maître de l’artillerie du royaume, sénéchal d’Armagnac et de Quercy et grand écuyer de France.

Jeanne de Genouillac avait été élevée au château d’Amboise avec Marguerite de Valois dont elle resta l’amie. Aussi lorsque plus tard, cette princesse se rendit dans le Midi et notamment à Nimes, elle pria Jeanne de Genouilhac de l’accompagner dans cette ville : « Et faisait beau voir, dit un auteur du temps, ces deux grandes dames se promener ensemble parmi les monuments antiques, et en discourir à plaisir comme les plus doctes. »

Une chronique d’Uzès, en vers patois, que nous aurons plus d’une fois l’occasion de citer, parlant de Jeanne, dit :

Quand per cas se trobo à la Cour
Ié brillo coumo lou souléou dou miédjour…
La sur d’aou reï, la reino Marguerito,
L’aïmo coumo sa favourito. (11)

Charles de Crussol mourut en 1546. Il avait eu de son mariage avec Jeanne de Genouillac (qui d’ailleurs se remaria) douze enfants, dont sept (cinq garçons et deux filles) survécurent. La chronique patoise parle ainsi des cinq garçons :

Moussu Antoino n’es l’aïna
Que n’es saghé é ben arresta
Et que notre Seignur sera.
Lous aoutrés et sous cadets
Soun Jean, Jacques, Galiot, Charles ;
Aquel n’es lou Cago nis
Et naïssegue dedins Paris.
Toutis n’en soun escarabillas,
Ben éducats, ben enseignats.
N’en faran hounou à lus raço
Et n’en marcheran sus la traço
De lus braves devanciers,
N’en saran bons chivaliers.
Ia plaïsi de lous veïre soouta,
Espadouna et galoupa
Dins la cour d’aou castel
Souto lous iel,
De lus méro et de moussu Castel
Lus bravé gouvernur.

Il y avait, paraît-il, un autre garçon nommé Louis, tué par accident d’un coup de pistolet au siège de Metz, probablement avant que la chronique patoise fût écrite.

Galiot périt dans le massacre de la Saint-Barthélemy.

Charles est sans doute qualifié de Cagot parce qu’il était abbé des Feuillants. Il fut tué, le 19 janvier 1563, sous les murs de Serignan, et enterré dans le cimetière des Cordeliers d’Orange.

Antoine de Crussol, l’aîné de la famille, fut chevalier d’honneur de Catherine de Médicis et, comme son père, gouverneur du Languedoc puis de Provence et du Dauphiné et sénéchal de Quercy. Le 10 avril 1556, il épousa une femme d’une rare distinction, Louise de Clermont-Tallard, comtesse de Tonnerre et veuve de François de Bellay, prince d’Yvetot. Louise de Clermont jouissait d’une haute considération à la cour de France, où elle devint favorite de Catherine de Médicis, et était particulièrement liée avec Elisabeth d’Angleterre. Le mariage fut célébré au château d’Amboise, en présence de toute la cour. C’est à cette occasion que la baronnie de Crussol fut érigée en comté.

Louise de Clermont parvint par son crédit à faire obtenir pour son mari, qui n’était, du reste, pas sans valeur, un emploi et des commandements qui lui firent jouer un grand rôle dans les évènements de son temps, notamment dans le Midi. Elle avait été gouvernante du jeune roi Charles IX. Voici une lettre de ce roi, alors qu’il avait onze ans (16 avril 156l), à sa « cousine, la comtesse de Crussol » :

« Ma vieille lanterne, j’eusse eu aujourd’hui bon besoin de votre secours pour recevoir un ambassadeur qui m’est venu du pays étrangier, dont personne n’entendoit le langage ; et vous avez la langue si à commandement que vous en eussiès à mon advis, entendu quelque chose pour faire réponse. Et je vous prie, ma vieille lanterne, de me venir trouver à mon sacre ou pour le moins à mon entrée à Paris, où vous serès bien enrouillée, si vous n’êtes volontiers vue par votre jeune falot (12). »

C’est à cause de son ancienne gouvernante que Charles IX érigea, en mai 1565, la vicomté d’Uzès en duché, et, en février 1572, le duché simple en duché-pairie. Il avait plus fait, ou plutôt on avait plus fait en son nom, puisque la comtesse de Crussol fut, en 1561, quelques mois après le sacre du roi, pourvue d’un évêché (13). Louise de Clermont était très gaie et ne reculait pas devant le calembour. Ainsi, à propos de la promotion de dix-huit chevaliers de l’ordre de St-Michel, faite en 1560, par Charles IX, qui fut fort critiquée à cette époque, Mme de Crussol dit au roi « qu’il avait fort bien advisé de n’en faire que dix-huit et non pas vingt, car on les eût appelés les vins nouveaux, par allusion aux vins nouveaux de cette année qui étaient tous guinguets et ne valaient rien. » (14)

Si l’on songe qu’en 1560, Charles IX n’avait que dix ans, on ne peut pas douter qu’il ait trouvé ce jeu de mots fort-joli.

Louise de Clermont conserva un grand crédit à la cour, même après la mort de son mari. Il en est plusieurs fois question dans les Mémoires de Marguerite de Valois et dans d’autres chroniques du temps. Marguerite l’appelait ma sybille, et Henri IV, en lui écrivant, disait : ma mère ; en 1578, il lui témoigne l’aise qu’il a qu’elle vienne avec sa femme. D’Aubigné lui donne un esprit ferme et délié. L’Estoile parle plus sévèrement en marquant sa mort (1596).

Antoine de Crussol joua, au début des troubles religieux du Midi, un rôle dont il faut chercher l’explication, d’abord dans son propre caractère, qui semble avoir été essentiellement modéré, pratique et conciliant, comme il convenait, d’ailleurs, à un si puissant personnage, et de l’autre, dans la politique de la Reine régente, la fameuse Catherine de Médicis, qui avait en lui toute confiance.

En décembre 1564, Antoine de Crussol est nommé commandant pour le Roi des provinces de Languedoc, Provence et Dauphiné, dans un but de pacification. La cour déclarait alors qu’elle ne souhaitait que le maintien de l’autorité royale en laissant chacun vivre dans sa religion.

L’année suivante, Antoine, mécontent des intrigues des Guise, et l’on peut supposer que Catherine de Médicis ne l’était pas moins, quitte la cour et se retire dans son château de Charmes. Les religionnaires de Nimes, saisissant l’occasion, l’élisent pour leur chef « jusqu’à la majorité de Charles IX. » Ils vont le relancer à Uzès, le 11 novembre. Le comte de Crussol hésite quelque temps, puis, sans doute avec l’adhésion secrète de la reine-régente, ou bien dans la conviction qu’elle comprendrait l’utilité dont il pouvait lui être en restant avec les protestants, il accepte le mandat qu’on lui confie, à la condition que Beaudiné, son frère, sera son lieutenant général et qu’on ne s’écartera pas de l’obéissance au Roi. Vive le Roi ! Vive Crussol ! Tel est le mot d’ordre.

Sa situation, quoique assez équivoque, n’était pas celle d’un rebelle, à en juger par la lettre que Catherine lui écrivit pour lui annoncer l’issue de la bataille de Dreux où le prince de Condé fut fait prisonnier. La reine l’engage à se joindre au comte de Joyeuse pour pacifier le pays, l’avertissant du déplaisir qu’il causerait à la cour en restant à la tête des religionnaires. Toutefois Antoine, fidèle aux engagements qu’il avait pris, passa outre, sans vouloir abandonner ses nombreux adhérents (15). Il fit même arrêter à Romans, le 9 janvier 1563, le baron des Adrets soupçonné de trahir les protestants.

De graves évènements vinrent changer la situation. L’assassinat du duc de Guise, la paix d’Amboise et le rappel du vicomte de Joyeuse permirent à Antoine de dénouer les liens qui l’attachaient aux protestants, et depuis lors il resta complètement fidèle à la cour, en supposant qu’il ne l’eût pas toujours été.

La chronique patoise fait d’Antoine un portrait à l’emporte-pièce, que M. d’Albiousse n’a pas reproduit, mais qui nous a été communiqué par M. Jules Ollier de Marichard :

N’és un rusat, un politiquo,
N’és catouli n’és hérético,
N’a pas d’autro religioun
Qu’aquelo de son ambitioun.
Es pas un Crussol,
Es soulamen un Tournessol

Notre chroniqueur, évidemment huguenot, est trop sévère pour Antoine de Crussol. En définitive, celui-ci a joué un rôle modérateur et les reproches qui lui vinrent des deux côtés prouvent, à notre avis, sa sagesse, encore plus que son ambition.

Tandis qu’Antoine de Crussol restait plus ou moins attaché à la cour, trois de ses frères s’étaient jetés à corps perdu dans les nouvelles doctrines. L’un d’eux, celui qui a fait le plus de bruit, est Jacques de Crussol, connu dans la première guerre civile sous le nom de Beaudiné, et plus tard sous le nom de barbu d’Acier, que nous avons vu choisi par son frère en 1562 comme son lieutenant général. Jacques se signala, de 1564 à 1563, par une activité extraordinaire et aussi par de véritables talents militaires. On voyait sur sa bannière une hydre composée de plusieurs têtes de moines ou de cardinaux qu’Hercule abattait avec sa massue et on y lisait les mots : qui casso crudeles, anagramme de Jacques de Crussol, bien conforme à l’esprit et aux mœurs du temps. Etait-ce du fanatisme ou simplement une flatterie à l’adresse des préjugés grossiers de ses partisans contre les prêtres catholiques ? Nous parierions volontiers pour cette seconde hypothèse.

A la veille de la troisième guerre civile, le 22 février 1567, Catherine de Médicis écrivait de Fontainebleau à Antoine de Crussol :

« Mon cousin, nous eûmes hier des nouvelles du Languedoc, et un avis que vos deux frères Beaudiné et Galiot ont avec eux bonnes troupes, et tous les jours vont lever gens et argent, on ne sait à quelle occasion, et semble qu’ils veulent remuer des premiers. Ce que je m’assure que vous ne leur conseilleriez pas, si étiez par de là, mais au contraire les feriez marcher d’une autre façon. Et d’autant que je suis assurée qu’ils croiront du tout ce que vous leur manderez, je vous prie, mon cousin, de leur écrire une bonne lettre, et de leur faire bien entendre que le roi, mon fils, n’est pas délibéré d’endurer leurs méfaits ; dont j’ai bien voulu vous avertir, afin que vous y donniez ordre, priant Dieu, mon fils, qu’il vous ait en sa sainte et bonne garde.

« P. S. Je vous prie, mon cousin, de bien faire entendre à vos deux frères qu’ils se gouvernent d’autre façon, et de suivre votre chemin, et non pas de faire ce qu’on dit qu’ils font. Car ceux qui leur font faire n’auront pas moyen de les conserver, comme vous aurez, s’ils croient votre conseil, que je sais ne sera jamais que pour le service du roi et repos du royaume, etc. »

Jacques de Crussol ne tint pas compte de ces avertissements et, sous le nom de baron d’Acier, fut, dans cette période, un des chefs les plus redoutés des protestants du Midi.

Or, il semble que la présence des trois frères puînés dans le même parti pendant la deuxième et la troisième guerres civiles, ait amené, dans les récits des chroniqueurs du temps, plus d’une confusion entre eux, surtout entre Jean et Jacques.

On a vu que Jean venait immédiatement après Antoine et avant Jacques, mais il paraît que, quoique plus âgé que ce dernier, il lui céda toujours la place « à cause de sa fougue et de son impétuosité. » (16) C’est aussi Jean, qui avait le titre de baron de Beaudiné, bien que Jacques soit constamment désigné sous ce nom pendant la seconde guerre civile. Les historiens et notamment de Thou, en signalant la réapparition de Jacques à la troisième guerre civile (1567), spécifient que Jacques de Crussol, baron d’Acier, qui lève des troupes en Vivarais pour le prince de Condé, est celui qui était connu précédemment sous le nom de Beaudiné. Il y a donc lieu de croire que les chroniqueurs ont confondu deux personnalités distinctes en une seule, et notre confrère, M. Ollier de Marichard, pourrait fort bien avoir raison en réclamant pour Jean de Crussol, seigneur de Beaudiné et de Florensac, une bonne partie de la renommée militaire que son frère Jacques aurait usurpée, grâce à l’ignorance des historiens. M. Ollier de Marichard, d’accord en cela avec M. d’Albiousse, constate que Jean voulut toujours s’effacer derrière son frère Jacques. C’était, dit-il, un homme de cœur et de tête, jouissant de l’estime générale, aussi vaillant dans les combats que sûr dans les conseils. On ajoute qu’il poussa ses frères à prendre les armes en faveur du prince de Condé et qu’il contribua à rassembler dans le bas Languedoc vingt mille soldats que les deux frères conduisirent des bords du Rhône jusqu’en plein Poitou.

Quoi qu’il en soit, Jean de Crussol mourut en 1569, non, comme l’écrit Brantôme, au massacre de la St-Barthélemy, ni, comme le dit M. d’Albiousse, au siège du Havre, mais, suivant la tradition populaire, des suites de ses fatigues pendant l’expédition de Poitou. Une fièvre quarte le mina longtemps, ce qui fit soupçonner un empoisonnement.

Voici la traduction littérale du document patois qui le concerne :

En quinze cent soixante neuf
Dans le mois où il fait le plus chaud,
Est mort Monsieur de Beaudiné,
De Monsieur Antoine le cadet.
Au grand voyage de Poitou,
Il s’était tant couvert d’honneur
Que notre grand amiral
Le disait sans égal.
Le brave homme fatigua tant.
En cheminant, en combattant,
Qu’il prit une grosse maladie
Dont il ne s’est pas relevé.
Il en est mort et trépassé.
On dit qu’il fut empoisonné
Par quelque méchant coquin,
Apothicaire ou médecin,
Que Madame Catherine
Cette grande coquine
Emploie et paye largement
Pour tous les braves gens…
Il était garçon non marié
Et ne laisse pas de postérité…

Quant à Jacques, il fut fait prisonnier à Montcontour et ne dut la vie qu’à la magnanimité du comte de Santafiore, général des troupes papales, qui le délivra des mains de ceux qui allaient le massacrer. (17) Sa rançon fut fixée à 40,000 écus, mais le pape renvoya le prisonnier sans rançon, pour bien montrer que ce n’était pas pour de l’argent que ses troupes faisaient la guerre, mais pour combattre les hérétiques. (18)

Trois ans après, Jacques faillit périr au massacre de la St-Barthélemy. Il y échappe en se réfugiant dans la chambre de son frère Antoine au Louvre et, ajoute-t-on, en promettant d’abjurer. D’après la chronique patoise, sa femme, Françoise de Clermont Tallard, n’aurait pas été étrangère à ce changement.

Il semble cependant que même après cette époque on était loin d’avoir entière confiance en lui, car, en apprenant qu’une fermentation régnait en Languedoc, Catherine de Médicis exprimait à Antoine de Crussol la crainte que son frère ne se laissât entraîner aux suggestions des ministres calvinistes. « Je suis avertie, dit-elle, que ceux-là ont jusqu’ici fait ce qu’ils ont pu pour gagner le sieur d’Acier, votre frère, mais qu’ils en ont eu très-mauvaise réponse. Toutefois, ils ne laissent de le solliciter et presser très-vivement. Et encore que je suis bien certaine qu’il ne fera rien au contraire de ce qu’il a juré, et du devoir d’un fidèle serviteur, étant gentilhomme d’honneur, et ayant sa parole aussi chère qu’il doit avoir ; toutefois, connaissant par expérience le pouvoir que les persuasions et artifices de ces ministres ont sur ceux qui ont fait profession de ladite nouvelle opinion : mêmement n’étant confortés, ni assistés de personne qui, les détourne de penser aux ruses desdits ministres, comme je crois qu’est à présent votre dit frère étant seul en votre maison, je vous prie d’y pourvoir de bonne heure, selon que vous estimerez nécessaire, m’en remettant entièrement à vous, etc. »

Peu après, Antoine de Crussol mourait au siège de la Rochelle (août 1573) et, comme il était sans postérité, ses titres et ses biens revenaient naturellement à Jacques. On peut supposer que si celui-ci ne s’était déjà converti, il se serait empressé de le faire à ce moment, car il ne faut pas être très-ferré sur l’histoire et sur le cœur humain, pour distinguer le rôle énorme que les jalousies et rivalités de classes et de familles ont joué dans les guerres civiles du XVIe siècle. Il serait curieux de compter les cadets déshérités qui prirent parti pour l’opposition du temps, c’est-à-dire pour le protestantisme, contre l’autorité royale et religieuse soutenue par leurs aînés, – toujours prêts, d’ailleurs, à redevenir plus royalistes et plus catholiques que ceux-ci, pour peu que l’aîné, comme c’est ici le cas, leur cédât la place en mourant sans postérité.

Un autre exemple, non moins frappant à ce point de vue que celui des Crussol, est le spectacle que donnèrent aux confins du Vivarais et du Forez, les fils du seigneur de St-Priest, dont l’aîné, Christophle de St-Chamond, fut un des chefs catholiques les plus ardents, tandis que son cadet, St-Romain, prélat défroqué, commandait les protestants.

L’histoire des ducs d’Uzès cite, à l’honneur de Jacques de Crussol, la réponse suivante qu’il aurait faite un jour au duc de Montpensier et qui ne répond guère à la réputation de cruauté qui lui est restée : « L’honneur est mon seul directeur ; il ne me conseillera jamais de livrer les femmes et les filles à la brutalité des soldats, de tuer un ennemi désarmé, de manquer à la parole que j’aurai donnée. »

Catherine de Médicis continua avec le nouveau duc d’Uzès le jeu qu’elle avait joué avec Antoine, et elle l’opposa dans le Languedoc au duc de Montmorency qui était trop puissant dans ce pays, au gré de la cour. Dampville, le second fils du duc, reproche naturellement son passé à l’adversaire envoyé par la Reine, et on lit dans son manifeste du 3 novembre 1574 :

« Le sieur d’Uzès, connu par les François pour celui qui, soubs couleur de religion, a pillé et saccagé toutes les bonnes villes du Languedoc… »

De son côté, Pierre de l’Etoile, dans le Journal de Henri III, parle ainsi de la volte-face de Jacques de Crussol :

« Et là se vit une estrange métamorphose, c’est-à-sçavoir dudit mareschal Dampville qui, aux derniers troubles, formel catholique, portant les armes pour le roy contre les huguenos, estoit pour lors l’un de leurs principaux chefs, et, au contraire, le seigneur d’Assier, formel huguenot auxdits derniers troubles, estoit à ceste heure-là formel catholique, partizan pour le roy contre les huguenos et leurs adhérans. »

Pendant que les seigneurs de Crussol combattaient en Languedoc pour ou contre le Roi, leur château passait par des vicissitudes plus ou moins rudes.

En février 1573, l’année même où Jacques d’Acier succéda à son frère Antoine, les protestants du Vivarais, après s’être emparés du Cheylard et du Pouzin, vinrent fortifier le château de Crussol. Il paraît qu’ils y restèrent assez longtemps sans être inquiétés, car c’est seulement le 4 juillet 1574 qu’ils en furent expulsés par Mistral, gouverneur de Valence. Ce jour-là, qui était un dimanche, à 1 heure du matin, Laurent de Galles, sieur de Mistral, gouverneur de Valence, « sortit de la ville avec cent ou six vingt arquebusiers et surprit le château de Crussol où il trouva endormis tous ceux qui étaient dedans, qui furent mis au fil de l’épée, excepté Capestan, leur gouverneur, qui fut prisonnier. » (19)

D’après la même chronique, le château de Crussol fut incendié l’année suivante (1575).

En 1577, le château de Crussol était bloqué par les protestants, et voici le récit d’un petit fait de guerre qui se rapporte à cette époque. Ce document, bien qu’ayant été imprimé, nous a paru mériter d’être reproduit, parce que son extrême rareté lui donne tout l’intérêt d’un document inédit.


LA DÉFAICTE DE CERTAINS HUGUENOTZ QUI TENOYENT ASSIÉGÉ LE CHATEAU DE CRUSSOL, FAICTE PAR M. D’ORCHE, COURRONEL DE L’INFANTERIE DU DAUPHINÉE, ACCOMPAGNÉ DE PLUSIEURS GENTILZ HOMMES ET DE CEUX DE LA VILLE DE VALENCE. (26 juillet 1577.)

Monseigneur de Gordes, chevalier de l’ordre du Roy, conseillier de son conseil privé, capitaine de cinquante hommes d’armes, lieutenant général pour sa majesté au pays du Dauphiné en l’absence de Monseigneur le prince Dauphin, après avoir reprins le chasteau d’Allières près de Grenoble et après qu’il fut de retour des montaignes de Gap, où il auroit enuitaillé les places que les catholiques y tiennent pour frontière contre l’Huguenot. Finablement avoit battu et forcé le chasteau d’Armieu sur la rivière de Lysere, arrivé à Valence le vingt sixiesme de juillet, fut adverti que le seigneur de Vacherolles et autres de sa suitte, avec quelques forces d’huguenotz, couroyent et ravageoyent parmy la campaigne de Sainct-Peray : et par ce moyen tenoyent assiégé le chasteau de Crussol à la part du royaume, pour affamer la garnison d’iceluy, gouvernée par le seigneur de Geys, gentilhomme dudict Sainct Péray, avoyent bruslé les cables qui soustiennent le port par où l’on passe sur le Rhosne, de Valence à la part du royaume, et par ce empeschoyent le commerce et advenue des provisions et vivres qu’on apporte d’illec en la dicte cité ; bravoyent sur le rivage et disoyent mille pouilles aux catholiques de nostre part, comme s’ils ne fussent assez hardis pour les aller attaquer.

Après avoir visité monsieur le comte de Valence, délibéra d’envoyer le seigneur d’Orche, couronnel de l’infanterie du Dauphiné, son gendre avec sa cornette, accompaigné de plusieurs autres Gentilshommes volontaires, et quelques compagnies de gens de pied, tant estrangeres que des gens de ladicte cité. Qui le dimanche vingt-huictiesme dudict moys, sur l’heure de midy, s’embarquarent à un ject d’arquebouze par dessus le bourg d’icelle.

Trois batelées furent passées et prindrent terre en la campaigne que l’ennemy tenoit. Descendus qu’ils furent sans attendre l’arrivée des autres bateaux, qui ne peurent si tost passer, les gens de cheval soudain coururent contre l’ennemy, lequel se serrant ensemble au pied de la montaigne de Crussol, feit contetenance de vouloir combattre. Ledict sieur d’Orche, comme vaillant et hardy, se résolut avec trente sallades et quelque infanterie, d’enfoncer et donner dedans. L’ennemy estoit le plus fort, car on a esté adverty qu’ils estoient plus de huict cens arquebousiers, et six vingts bons chevaux, lesquels soustindrent le choc de nos lanciers, et eschopetarent ung peu de temps auprès de quelques gerbiers : puis soudain prindrent la fuitte à la montaigne de tel desarroy, que suivis par les nostres qui arrivoyent de toutes parts, n’eurent moyen de se retourner. En demeura sur la place des Huguenotz environ deux cens, dix ou douze prisonniers. Et de nostre part y demoura trois hommes de pied : victoire certainement miraculeuse, car avec le grand vent qui faisoit pour lors, nos batteaux ne pouvoyent à peine prendre terre : et de faict y en eut qui estant engravez, les gens de dedans se mirent à passer dans l’eau jusques au genoil, d’affection qu’ils avoyent de se trouver à l’escarmouche. Oncques ne furent veuz gens aller si hardiment à la guerre, et leur réuscir si favorablement pour la justice de nostre cause, et pour la vengeance des bravades et injures de l’ennemy, contre lequel Dieu monstra sa puissance ; Auquel soit la gloire et la louange aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

A Lyon, par Benoist Rigaud
MDLXXVII (petit in-8° de sept pages.) (22)


Bertrand Raimbaud de Simiane, baron de Gordes, dont il est ici question, gouverne le Dauphiné, comme lieutenant du Dauphin d’Auvergne, de 1564 au 21 février 1578, date de sa mort. C’est sans contredit l’une des plus remarquables figures du XVIe siècle. De Thou l’appelle : Vir antiqui moris et disciplinœ. Laurent de Maugiron, père du mignon d’Henri III, qu’il avait remplacé comme lieutenant général ou lieutenant du Roi en Dauphiné, lui succéda dans cette charge. (21)

Le chef de l’expédition, d’Ourches Rostaing, seigneur d’Ourches et Vincent de Barrès, chevalier de l’ordre du roi, était gendre de Gordes et l’un de ses meilleurs officiers.

Maugiron, successeur de Gordes, lieutenant général, fit le 10 juin 1579 une levée de deux cents personnes et des réquisitions de vivres et de bestiaux pour reprendre Soion. (22)

L’année suivante, les hostilités continuaient, puisque Geyssons, gouverneur de Valence, fit une sortie contre les réformés et en défit un parti composé de 60 hommes. (23)

Jacques de Crussol mourut en 1586, après avoir regagné les faveurs des catholiques et de la cour.

Emmanuel de Crussol fut le 3° duc d’Uzès. C’est de son temps que paraît avoir été détruit le château de Crussol.


Il est assez singulier que, pour la destruction du château de Crussol, on en soit réduit, comme pour sa fondation, à de simples conjectures. Toutefois, un certain nombre de faits connus permettent de circonscrire dans une période assez limitée la date de cet évènement.

On a vu plus haut que le château de Crussol avait été détruit une première fois en 1575. Les catholiques le reprirent et le reconstruisirent peu après, mais ils ne le gardèrent pas longtemps, puisqu’ils y étaient assiégés par les protestants en 1577. Or, les Crussol venaient de monter encore dans l’échelle des honneurs par l’érection de leur seigneurie d’Uzès en duché-pairie, et il est certain que dès lors ils délaissèrent pour Uzès et Paris leur vieux manoir du Vivarais.

En 1582, plusieurs châteaux et lieux fortifiés du Vivarais sont détruits par mesure de sûreté publique, mais nous n’y voyons pas figurer le château de Crussol, au moins dans l’extrait suivant de la délibération des Etats du Vivarais, tenus à Aubenas en mars de cette année :

« Et pour pourvoir et adviser auxdits desmantellements ont esté nommés et esleus : de la part des catholiques, M. de Levy, M. de Montgros, M. de Chaussi et autres gentilshommes du corps ; et de la part de ceulx de la Religion, M. de Vacheyrolles, M. du Buisson, M. du Pradel avec les depputés de la Religion… lesquels seront mandés pour vacquer et dellibérer sur le faict desdits desmantellements…

« Du douziesme mars…

« Sont venus lesdits Srs gentilshommes et notables depputés à cet effaict, tant d’une Religion que d’autre. Et estant assemblés, traitant du feict desdits desmantellements – après plusieurs raisons et considérations – Ont esté d’advis qu’il sera bon, utile et proffitable pour le service du Roy et bien du païs et conservation de la paix en icelui, de desmanteller et razer les murailles des tours de Soyon, les deux chasteaux de Bays sur Bays, Chasteauneuf de Vernoux, le chasteau de Barres, le chasteau de Sampson, le chasteau de Loursse, le clochier de Meyras, la tour et le clochier de Jaujac et le chasteau du Pouzin…

« Et que le plustost que faire se pourra sera besoing de procéder auxdits desmantellements, en attendant d’en faire d’autres si plaisir de Sa Majesté est tel et qu’il soit expédiant de le faire pour le repos dudit pays…

« Lequel advis ayant esté agreable aux depputés du païs – Ont conclud que l’advis desdits seigneurs et gentilshommes et autres susnommés sera rédigé par escript et après envoyé a Mgr de Montmorency pour icelluy octroyer son consentement et interposer son authorité…

« Desseres, greffier du Vivarais…

« Rattification donnée à Pézenas le 16 octobre 1582. »

Le château de Crussol existait, certainement encore, au siècle suivant, sinon comme une belle résidence seigneuriale, au moins comme lieu de refuge et forteresse plus ou moins détériorée, puisque nous voyons en mars 1624, les catholiques de St-Péray s’y réfugier et s’y fortifier en 24 heures à la nouvelle de la surprise de la tour de Toulaud par les protestants.

L’année suivante (1622), les protestants paraissent être les maîtres de St-Péray et des environs, puisque la plupart des notables catholiques de l’endroit se sont réfugiés à Valence.

M. l’abbé Blanchard, dans sa récente Notice sur Crussol et St-Péray, en conclut que Crussol était au pouvoir des protestants, et c’est alors qu’ils l’auraient détruit en partie, tant pour enlever aux catholiques un lieu qui leur avait servi de refuge, que pour se venger du duc d’Uzès qui était pour eux un implacable adversaire.

Tel est aussi l’avis de M. d’Albiousse, dont M. Blanchard reproduit la lettre suivante :

« Se rendant à Paris pour son mariage avec Mlle Henriette de la Châtre, François Ier, duc d’Uzès, passa le 12 décembre 1624, par St-Péray, tout près de son château de Crussol, qui avait été en grande partie détruit par les protestants en 1623. Aussi il logea chez son bailli, noble Claude de Teste de Lamothe, pour attendre son frère cadet, le marquis de St-Sulpice, qui arriva cinq jours après et l’accompagna à ses noces. C’est en vain, ajoute M. d’Albiousse, que j’ai cherché dans mes notes l’ouvrage dans lequel j’avais trouvé ces renseignements, mais je les ai vus quelque part et vous pouvez les considérer comme authentiques. D’ailleurs, le château de Crussol n’a pu être détruit par ordre de Richelieu, parce que le duc d’Uzès, pendant tout le règne de Louis XIII, fut constamment rallié à la royauté. Il était très-aimé à la cour, et y jouissait d’une grande influence. Son beau-frère, époux de Louise de Crussol, avait été tué l’année précédente au siège de Privas, dans les rangs de l’armée royale. La faveur du Roi pour le duc est de plus établie par les renseignements que j’ai recueillis aux Archives Nationales. Par brevet en date du 28 décembre 1632, le roi, étant à Montpellier, donna au duc d’Uzès tous les biens appartenant au marquis de Péraut qui s’était révolté contre Sa Majesté. »

L’ouvrage, dont M. d’Albiousse n’a pu retrouver le nom dans sa mémoire, est celui de l’abbé Garnodier (24) qui, d’ailleurs, ne précise pas la date de 1623. D’autre part, la fidélité des Crussol de cette époque à la cause royale et la faveur dont ils jouissaient à la cour, sont des arguments qui ne nous paraissent pas avoir dans l’espèce, la valeur que leur donne M d’Albiousse, surtout en présence de l’abandon effectif de Crussol par ses maîtres.

Il est certain qu’une ordonnance royale du 31 juillet 1626 ordonna la démolition de toutes les fortifications des villes, bourgs et châteaux inutiles à la défense des frontières et au bien de l’Etat, et propres à servir de refuge aux perturbateurs, si les troubles recommençaient et s’ils parvenaient à s’en emparer par trahison ou par escalade. Guy-Basset disait que ces places fortes, dont on débusquerait très-difficilement les protestants qui y tiendraient garnison, étaient « autant de grains de sable et de gravelle dans les reins de l’Etat. » Selon le baron de Coston (25), la destruction de beaucoup de châteaux forts du Dauphiné date de cette époque, et Henri Martin constate que le rude coup, porté à la tyrannie féodale et à l’anarchie, fut accueilli avec enthousiasme par la bourgeoisie et par le peuple (26).

Une autre mesure du même genre fut prise en 1632, après la révolte de Gaston d’Orléans. Plusieurs citadelles et plus de cent châteaux féodaux furent alors non-seulement démantelés mais démolis. (27)

La destruction de Crussol fut-elle, comme le supposent M. d’Albiousse et l’abbé Garnodier, l’œuvre des protestants vers 1623, ou bien faut il y voir l’effet d’une des grandes mesures d’ordre prises par Richelieu en 1626 et en 1632 ? C’est là un point qui n’est pas encore éclairci M. de Valgorge (28)) dit que Crussol fut détruit, par ordre du Roi, après la prise de Privas ; malheureusement il ne cite pas la source de cette information. En l’absence de tout témoignage décisif, nous pencherions pour la seconde hypothèse. Les énormes blocs de maçonnerie qui jonchent la plateforme de Crussol, et qui indiquent évidemment l’usage de la poudre, nous semblent une présomption sérieuse en faveur d’une destruction officielle et solennelle, plutôt que l’indice d’une vengeance des protestants, plus ménagers de leurs munitions, et qui, d’ailleurs, pouvaient toujours espérer d’utiliser ces fortifications à leur profit.

Dans tous les cas, l’absence de toute mention de Crussol dans les chroniques du temps après 1621, alors qu’on s’est battu si souvent tout à côté de là, à Charmes et à Soion, prouve que ce château, s’il n’était pas entièrement détruit, était au moins devenu militairement hors d’usage.

Quelques années après, en 1649, il était qualifié de masures, et les juges de la baronnie tenaient alors leurs audiences à St-Péray.


C’est aussi du temps d’Emmanuel de Crussol que les habitants de la région de Soion et de St-Péray eurent à subir leurs plus rudes épreuves.

Ici encore, on nous permettra d’évoquer le témoignage du curé Laurent-Rey – un vrai type de chroniqueur campagnard, dont les façons brusques et originales suffisent à mettre la sincérité au-dessus de tout soupçon. – Rey était depuis quelque temps vicaire à St-Péray, quand il fut nommé curé en janvier 1618. Son manuscrit, que l’on pouvait consulter autrefois à la mairie de St-Péray, a été vendu, dit-on, par M. de Beaux et acquis par l’abbé Perossier, de Valence. Voici quelques-unes des notes journalières de cet excellent homme.

Les fléaux, résultant des intempéries des saisons, ouvrent la marche.

« L’an 1618, en juin, juillet, août et septembre, furent telle quantité de chenilles noires par toutes les maisons de St-Péray, qu’il était impossible aux humains de s’en défaire, ce qu’ils ne firent jusqu’à la fin dudit mois de septembre que la fraîcheur les fit en aller. Il y en avait jusques aux cheminées et il était impossible de faire aucun potage ou de tenir la poële sur le feu sans qu’il en tombât dedans. Dieu nous garde de mauvais présage pour l’année 1619 !

« Le 25 août 1618, pluie et orages inouïs. Mialan et Merdaric débordent et inondent la place. Le Rhône déborde aussi. On estime la perte du chanvre à 4 ou 5.000 écus d’or. Ceux qui avaient des barques firent de bonnes affaires en ramassant le chanvre flottant sur les eaux.

« Le 29 décembre 1619, le capitaine Tourtousse est assassiné à Cornas.

« Le 7 juin 1620, époque du jubilé, toute la paroisse de St-Péray va en procession à Cornas, les filles en blanc, une partie desquelles portaient l’Histoire de la Passion adressée par demoiselle Catherine de Geys, femme de Claude Teste, seigneur de la Mothe.

« Le 6 février 1621, M. de la Mothe partit de St-Péray pour aller combattre les Huguenots à Privas.

« Le 8 mars 1621, les catholiques de St-Péray se saisissent du château de Crussol et commencent à le fortifier en grande diligence, A la tête sont M. de la Mothe de Geys et de Rostaing et le capitaine Chouvet. En 24 heures il est mis en état de défense. Les Huguenots avaient saisi deux jours avant la tour de Toulaud. Tout cela à cause de bruits de guerre de Privas.

« Le 28 juillet 1621, à 2 heures après midi, Gonnet Claude Chouvet, capitaine enseigne de M. de la Mothe, revenant de Valence à St-Péray, à l’endroit du chemin qui vient de Guilherand à Valence, est attaqué par M. le bailly (de la Seaulve) avec trois autres, lequel lui tire un coup de pistolet et le premier, et deux qu’il avait avec lui, lui tiraient aussi ! Chouvet fut blessé du coup à la cuisse qui fut percée de part en part, et à la mâchoire, mais, Dieu merci, il n’y eut aucun coup mortel ; bon pour le cheval qui mourut. Fiez-vous aux Huguenots ! (Le 10 janvier 1624, le dit capitaine Chouvet fut tué d’un coup d’épée par le Sagnes, neveu de M. le bailly Seaulve de la place de St-Péray.)

« Le 2 août 1621, Begasse, chirurgien de St Péray, revenant de Châteaubourg, en passant à Cornas, est blessé d’un coup d’arquebuse tiré par un nommé Chambon, de Cornas. A cette époque, la plupart des habitants de St Péray s’étaient enfuis.

« Le 16 octobre, prise de Chomérac par les Huguenots. Le roi assiégé Mautauban. Que Dieu lui donne bonheur, victoire ! Amen.

« Le 1er septembre, Pierre Barralier est assassiné, près de la place de St-Péray, par des malfaiteurs.

« Le 30 janvier 1622, maître Jacques de Franchessin est fait prisonnier par les Huguenots de Toulaud.

« Le 16 février, fut le jour que Scipion Faure me fit un affront dans Valence auprès du corps de garde.

« Le 17 mai, cinq hommes de Cornas sont tués à St-Péray, près la Croix du Buisson, par une bande de réformés de Soion sous les ordres du bailly de Seaulve. Les victimes furent le capitaine Vivier de Tain qui commandait la tour de Cornas, un nommé Robier, un nommé Toussaint.

« Le 22 juillet 1622, cause des méchants et pervers hérétiques qui pour lors faisaient faire bas aux catholiques, causant la guerre et du temps du siège de Montauban, – alors les catholiques principaux quittèrent le lieu de St-Péray, comme M. de la Mothe, M. de Geys et autres nobles, Louis de Rostaing et noble Louis de Montmeyran, qui tous s’en allèrent à Valence – et moi Laurent Rey ne quittai point pour tous ; bien est-il vrai que j’eus beaucoup de peine à sauver ma vie et ne demeura des demoiselles que Mme Catherine de Geys, femme dudit sieur de la Mothe. »

Pendant les mois de juin, juillet, août 1622, l’église de St-Péray fut fermée et la plupart des catholiques durent se réfugier à Valence.

Le 28 août 1622, la tour de Toulaud, que les protestants occupaient depuis le mois de mars 1621, fut démolie.


On sait que la première série des guerres civiles de cette époque se termina en octobre 1622. Le duc de Rohan se soumit et rendit Montpellier. La paix fut publiée à Privas, le 2 novembre. Profitons de cette période de calme, qui ne sera pas de longue durée, pour reproduire quelques autres éphémérides de notre bon curé, qui serviront moins à faire connaître de graves évènements qu’à compléter l’esquisse de sa curieuse physionomie.

« Le 28 août 1624, Laurent Gessery, mon filleul, quitte noble Antoine de Geys, avec lequel il a demeuré 44 mais, sans lui avoir donné un palet pour ses gages. Sur sa conscience soit ! Dieu le passe comme il a fait ! »

Le 9 février 1625, Laurent Rey célèbre un baptême à Valence. – « Le parrain est ce Scipion Faure qui m’a fait un affront, et qui fait faire le baptême à Valence, craignant de n’être pas reçu à St-Péray, parce qu’il est excommunié. »

Le 12 mars 1625, cinq compagnies de guerre logent à St-Péray, montant à Lyon.

Le 4 octobre 1625, la marraine d’un baptême est « Marceline de Bœuf, vieille carogne, vieille sempiternelle, vieille masque, grosse pièce de bœuf. » Comme elle avait dû l’ennuyer, grand Dieu !

Le 10 octobre 1625, belle récolte de vin.

– « Il y eut dans la vigne de la cure quatre muids et trois barraux de vin bon et bien peilloux qui fera ouvrir les yeux au bon biberon. »

« Le 11 décembre 1625, avant le jour, le couvert de la chapelle de Notre-Dame dans l’église de St-Péray est tombé tout à fait à la suite de pluies qui avaient duré quinze jours et quinze nuits. »

Le curé de St-Péray a la phrase typique et le mot qui marque. Parmi les témoins de ses baptêmes, on voit figurer Jean Aillon, cherche-pain, ermite à Crussol. Ailleurs il l’appelle « pauvre cherche-pain et manilier de St-Péray, servant de sonneur de cloche et porteur d’eau bénite. »

Parmi les parrains, figure un Gaspard Varnier, « dit Ysopet, joueur de violon, autrement gagne-denier, affaneur d’argent. » Ailleurs, il en parle ainsi : « … étant chapuis et joueur de violon ; lui manque que le tambour et la fleute et les timballes et les sonnettes. »

Un autre des parrains est qualifié lardeur de perdrix.

Le père d’un des baptisés n’est pas mieux traité que le joueur de violon. C’est « Girondon dit Floréal, brûle-fer de St-Péray, vrai rustre. »


On voit à Crussol, les ruines de la chapelle du château, dédiée à Notre-Dame de Crussol. Cette chapelle était fort ancienne, puisque Laurent Rey dit en être le 54e recteur. En 1620, il y célébrait encore des baptêmes.

Voici la cérémonie qui s’y passa le 26 août 1619 :

Mathieu Vigne, clerc bénit de Valence, en fut mis ce jour-là en possession par Laurent Trouiller, curé de St-Péray, qui le conduisit d’abord, selon l’ancien usage, aux masures de Crussol, sur le seuil de la chapelle. Là, Trouiller donna lecture des pièces, prit ensuite Vigne par la main, le fit entrer et sortir à trois reprises, et, étant arrivés à la place jadis occupée par l’autel, ils se mettent à genoux et font les prières usitées en pareille circonstance. Après cela, ils reviennent à St-Péray et renouvellent a peu près les mêmes cérémonies dans l’église paroissiale, où se faisait alors le service de Notre- Dame de Crussol. Comme ce nouveau titulaire n’était pas prêtre, il s’engagea, le même jour, par contrat public, à payer chaque année douze livres tournois au curé de St-Péray, qui voulut bien, moyennant cette redevance, se charger du service de la chapelle, réduit dans ce temps-là à une seule messe hebdomadaire.

Dix clochers relevaient de Crussol.

La juridiction de cette baronnie comprenait : Toulaud, Champis, St-Didier, St-Sylvestre, une partie de St-Romain de Lerp, St-Péray, Guilherand, Charmes, St-Marcel, Saint-Georges, et plus tard Soion.

L’abbé Garnodier donne la nomenclature des charges féodales qu’avaient à supporter les vassaux de Crussol et il montre aussi comment on s’en rachetait peu à peu avec de l’argent. Par des transactions de 1605, le minimum de la somme due pour les cinq cas fut réduit à 200 livres pour tout le comté. La même année, les habitants du comté s’affranchirent pour la somme de 26.400 livres, des prestations de journées, des corvées et autres charges de vasselage. Mais en 1657. François de Crussol réclama contre la transaction et il fallut y ajouter 7.000 livres sur lesquelles St-Péray eut à payer 1.296 livres, Toulaud 1.279, Charmes 800, St-Georges 413, etc.


Revenons aux ducs d’Uzès :

Le huitième, Charles-Emmanuel de Crussol, fut un mélange extraordinaire d’esprit, de bravoure et d’originalité, ce qui ne l’empêchait pas d’être bossu. Mais rien de plus honorable que l’origine de cette infirmité. C’est à la bataille de Parme, en 1734, que le duc de Crussol, étant à la tête de son régiment et au premier rang, genou terre, selon l’usage de l’époque, reçut une affreuse blessure. Une balle lui fracassa la mâchoire et sortit par l’épaule droite. On l’emporta sur son dos hors du champ de bataille. Cette blessure le rendit bossu et, en outre, lui cloua les mâchoires au point qu’on fut obligé d’enlever deux ou trois dents afin de laisser une ouverture pour pouvoir introduire des aliments dans la bouche. (29)

Le bossu n’était pas manchot, car il tua en duel un comte de Rantzau vers 1740, à la suite d’une aventure de bal. Il correspondait avec Voltaire (30), et se chanta lui-même dans la célèbre chanson :

Depuis longtemps je me suis aperçu
De l’agrément qu’il y a d’être bossu…

Son successeur, François Emmanuel, né en 1728, émigre en 1789 et servit dans l’armée des princes avec le titre de lieutenant-général qu’il avait au moment de la Révolution. Le duc d’Uzès alla en Angleterre où il vécut pauvre et revint mourir à Paris en 1802, dans une modeste chambre garnie de la rue du Bac.

Son fils, le comte de Crussol, qui émigra aussi et fut aide de camp du czar Paul Ier, avait été mêlé, sous le règne de Louis XVI, à une délicate affaire. La cour s’était rendue un jour à un bal de l’Opéra : la duchesse de Bourbon, à la faveur du masque, fit d’amères plaisanteries au comte d’Artois. Irrité, ce prince déchira le masque de la duchesse et sortit sans dire un mot. Le lendemain, la princesse raconta la scène à souper et traita son cousin en termes fort durs. La nouvelle se répandit et des amis prévinrent le comte d’Artois, qui crut devoir provoquer le duc de Bourbon. Le roi intervint et défendit ce duel, remettant la garde de son frère au comte de Crussol. Le duc de Bourbon, néanmoins, courut à Bagatelle, où il croyait rencontrer son adversaire : le comte d’Artois s’empressa de s’y rendre. Le comte de Crussol avait eu le soin de placer sur un des coussins de sa voiture la meilleure épée du comte d’Artois : les deux princes se rencontrèrent comme par hasard. Le premier sauta à terre et allant droit au duc de Bourbon, lui dit en souriant : « Monsieur, le public prétend que nous nous cherchons. » Le duc de Bourbon répondit en ôtant son chapeau : « Monsieur, je suis ici pour exécuter vos ordres. – Pour exécuter les vôtres, » reprit le comte d’Artois. Puis, après quelques phrases courtoises de part et d’autre, les deux princes « se battirent, raconte M. de Crussol, comme deux grenadiers » et se jetèrent ensuite dans les bras l’un de l’autre.

Nous citerons encore un joli mot du comte de Crussol. Un jour la reine Marie-Antoinette regardait une médaille ayant d’un côté la figure de la vierge Marie, et de l’autre celle de la reine. Elle s’aperçut que cette médaille n’avait pas de légende. Le comte de Crussol présent dit : « Quand on verra la figure de Marie, reine du ciel, on dira Ave Maria ; quand on verra celle de Marie, reine de France, on ajoutera : « Gratia plena. »

Le comte de Crussol, devenu duc d’Uzès en l802, était né en 1756 et mourut en 1843.

A propos de ce personnage, nous avons entendu raconter dans le temps une anecdote assez jolie.

Après la Révolution, quand les émigrés rentrèrent, les anciens vassaux du duc d’Uzès apprirent un jour que leur ci-devant seigneur allait arriver. Il y eut naturellement beaucoup de curieux pour assister à sa rentrée à Uzès. Un paysan, qui n’avait jamais vu le duc, mais en avait souvent entendu parler, alla se poster sur une muraille, au bord du chemin, pour le voir passer. Quand il revint, on lui demanda s’il l’avait bien vu et quelle impression sa vue lui avait faite.

– Oh ! dit-il, non sans quelque appréhension, comme s’il avait encore peur de se tromper : Il ressemble presque à un homme !

Une dame-poète de la Drôme, parlant de Crussol, s’écrie dans une de ses pièces de vers : (31)

Ces noms devant lesquels on pâlissait de crainte…
Crussol ! réveille-toi de ton profond sommeil !
Seul, le vent des tombeaux nous jette sa complainte.
          Lorsque arrive le jour vermeil,
Un pauvre batelier chante sur le rivage
Où chantaient ses aïeux, et du puissant baron,
Du noble souverain, la gloire d’un autre âge,
          Nul enfant ne porte le nom.

C’est une erreur ! Il est vrai que toutes les branches collatérales de la famille de Crussol (d’Amboise, de Florensac, de Montansier, de Monsaley et de Saint-Sulpice) sont éteintes ; mais la branche aînée existe encore. Le douzième duc d’Uzès, Jacques-Emmanuel de Crussol, mort en 1878, a laissé deux fils et deux filles ; Jacques l’aîné est, croyons-nous, à l’école militaire de St-Cyr. Le feu duc avait épousé en l867 Anne de Mortemart-Rochechouart.

Il visita Crussol à l’époque où il en acquit la propriété pour sauver les ruines et il avait, paraît-il, le projet d’y installer un religieux pour veiller à leur conservation. Il voulait aussi ériger près du château une chapelle, où il aurait établi son tombeau de famille, et qui devait être surmontée d’une colonne en l’honneur de l’Immaculée Conception ; mais la mort ne lui permit pas de réaliser ces projets, et la duchesse, sa veuve, dont on vante, d’ailleurs, les qualités généreuses, en même temps que les beaux équipages de chasse, ne connaît sans doute que de nom le vieux manoir de Crussol.

  1. Collection du Languedoc, t. 26.
  2. Manuscrits de la fabrique de Guilherand, cités par l’abbé Garnodier, p. 28.
  3. Bulletin d’archéologie de la Drôme. 3° vol., p. 156. Représentations théâtrales, par M. Ulysse Chevalier.
  4. Jules Ollivier, Essais historiques sur la ville de Valence.
  5. Lettre d’Ornano à Henri IV, citée dans les Mémoires d’Eustache Piémond, p. 389.
  6. La Notice de M. Artaud a été publiée par le Magasin encyclopédique, mars 1811. Voir aussi Mémoires de la Société des antiquaires, t. VIII.
  7. Jules Ollivier. Notes historiques sur Valence, p. 33.
  8. Jules Ollivier. Idem, p. 41.
  9. Garnodier, Recherches archéologiques sur St-Romain-de-Lerp et ses environs, p. 60.
  10. Le fief d’Assier ou Acier qu’il ne faut pas confondre avec Apchier, est un village du Quercy, au nord de Figeac. On y voit les ruines du château de Galiot de Genouilhac ; c’est une merveille de la Renaissance ; on ne peut rien voir de plus délicatement ouvragé, mais les nouveaux propriétaires l’ont travesti de la manière la plus sauvage. L’église d’Assier, construite par Galiot, est couverte extérieurement de sculptures représentant des canons et des attributs d’artillerie.
    D’autre part, Apchier, aujourd’hui Apcher, qui figure aussi dans les titres des Crussol, était un fief important situé près de St-Chély-d’Apcher (Lozère). Il appartenait à une branche des Châteauneuf-Randon (du Gévaudan), éteinte dans la personne de Marguerite d’Apchier, mariée en 1656, avec François de Crussol duc d’Uzès.
  11. D’Albiousse. Histoire des ducs d’Uzès, Paris. Champion, 1887.
  12. Dans le langage alambiqué de l’époque, l’épithète de vieille lanterne désigne celle qui a donné les lumières de l’instruction, comme jeune falot indique celui qui les a reçues.
  13. D’Albiousse, p. 59. Lettre de Chatonay, du 1eraoût 1561. Archives Nationales, à Paris, K. 1495.
  14. Idem, p. 107.
  15. D’Albiousse. Hist. des ducs d’Uzès, p, 70.
  16. D’Albiousse, p. 85. Nous sommes obligé de constater, d’ailleurs, une flagrante contradiction sur ce sujet dans l’Histoire des ducs d’Uzès, puisqu’après avoir indiqué (page 36) Jean comme mort au siège du Havre en 1562, l’auteur constate ultérieurement son existence, pages 69, 85 et 89.
  17. Henri Martin, t. 9, p. 259. Lacretelle, t. 2, p. 240.
  18. D’Albiousse, p. 98.
  19. Mémoires de François Joubert et Salomon de Merez, édités par Edmond Magnier, conservateur de la bibliothèque de Grenoble.
  20. Bibliothèque Nationale. Lb. 34 n° 171.
  21. Brun DurandChambre de l’édit de Grenoble. – Bulletin d’archéologie de la Drôme, 1872, p. 280.
  22. Ollivier, Essais historiques sur la ville de Valence.
  23. Idem.
  24. Recherches archéologiques sur St-Romain-de-Lerp, p. 34. – Histoire des ducs d’Uzès, p. 143.
  25. Histoire de Montélimar, t. 3. p. 31.
  26. Henri Martin. Histoire de Franc1, t. XI, p. 242 253.
  27. Histoire du Languedoc, t. 5, p. 593.
  28. Souvenirs de l’Ardèche.
  29. Journal de Barbier, de 1718 à 1763.
  30. Correspondance de Voltaire, lettre du 14 décembre 1751.
  31. Les Roses du Dauphiné, par Adèle Souchier.