Voyage fantaisiste et sérieux à travers l’Ardèche et la Haute-Loire

Docteur Francus

- Albin Mazon -

VI

Le Mezenc

Le Chignon. – La grange de Chantemerle. – La croix de Peccata. – L’ascension du Mezenc. – Le lever du soleil. – L’étymologie du Gerbier de Jonc. – Le grand espalier méridional. – La croix du Mezenc. – Une république envolée. – Le déjeuner à la ferme. – Le prix des terres et les salaires. – Le foin des montagnes. – Soulavie au lac de Saint-Front. – Pépinières d’hommes. – Progrès matériel et décadence morale. – Les touristes au Mezenc. – Projet d’observatoire. – L’étymologie du Mezenc. – Les Estables. – Le général Chambarlhac. – Chaudeyrolles. – Formation des orages. – Le clocheron de Fay et le tonnerre. – Le lac de Saint-Front.

Nous quittons Fay à 11 heures du soir, Branbran et le zouave à cheval, M. Montaigne et moi sur le char-à-bancs avec le conducteur.

La myopie a des inconvénients, mais elle procure des sensations inconnues. Ne distinguant pas bien la route, il me semble que le char-à-bancs va, comme un carrosse féerique, à travers les champs, les murailles, les rochers et les précipices, soutenu par une force invisible.

Nous contournons un mamelon appelé Chignon, dont on peut dire que toute la contrée est coiffée, car chacun en tire des lauzes pour le toit des maisons : c’est ce que Soulavie appelle le volcan de Chaudeyrolles. Vers minuit, nous traversons ce village à grand train. Branbran, qui marche en éclaireur, tandis que le zouave est à l’arrière-garde, souffle bruyamment dans sa corne à bouquin, et met en émoi la paisible population réveillée en sursaut par cette musique inattendue et par le bruit des chevaux et de la voiture à cette heure insolite. Le lendemain matin, ce fut, paraît-il, un événement, et l’on ne parla de rien moins que du passage d’un régiment alpin qui était venu évoluer dans les Cévennes.

Peu après, nous arrivons à la grange de Chantemerle, qui est aux pieds du Mezenc. C’est là que, dans notre pensée, nous devions laisser le char-à-bancs pour commencer à pieds l’ascension de la montagne ; mais notre conducteur, qui connaît parfaitement le pays, et qui avait mené, la semaine précédente, une charrette jusqu’aux Estables, nous offre d’aller plus loin, et de conduire la voiture jusqu’à la croix de Peccata, située au col qui sépare Chaudeyrolles des Estables, Nous acceptons. Le char-à-bancs continue d’avancer par des chemins plus impossibles que jamais, tellement impossibles que nous devons tous descendre pour éviter de trop dangereux soubresauts,

Nous arrivons à la croix de Peccata vers 2 heures.

C’est une grande croix grossièrement faite avec deux plaques de phonolite ou lauzes. Son nom lui vient d’un maçon des Estables, qui l’a construite dans le but, nous dit-on, de faire passer son nom à la postérité. Si notre chronique y va, voilà qui est fait !

Notre cocher dételle le char-à-bancs et conduit son cheval, avec les deux autres, à la ferme de Jacquassie, située près de là au-dessus des Estables.

Nous commençons à gravir le Mezenc. Le magnifique pâturage, qui couvre le versant occidental de la montagne, est comme un matelas imprégné d’une rosée abondante. Ce n’est donc pas sans fatigue et sans avoir les bottines fortement trempées, que nous arrivons au sommet.

Branbran se plaint du froid. Il est venu au Mezenc en costume nankin. Le serin ! avait murmuré le juge. Mais le moment de la plaisanterie est passé. M. Montaigne lui donne son pardessus. Mon brave camarade est, d’autre part, très fatigué. Il dort en marchant, mû seulement par le fil invisible qui le lie à la compagnie.

Quand nous sommes aux deux tiers de la hauteur, des chants, mêlés aux sons d’un cor de chasse, se font entendre là-bas à la croix de Peccata. Ce sont les autres touristes de Fay qui arrivent à leur tour. Cela réveille Branbran qui répond avec sa corne à bouquin. On lui réplique par des cris prolongés. Ce dialogue à bâtons rompus, dans ces hautes solitudes et par une nuit superbe, est d’un romantisme saisissant.

Nous arrivons au sommet de la montagne à 3 heures. L’air est doux et il ne fait qu’une brise très légère – heureusement – car nous sommes trempés de sueur. Branbran tombe de sommeil ; cette lassitude contrastant avec sa gaité bruyante de toute la journée, provoque des sourires. Il veut s’étendre sur le lit d’airelles et de bruyères formé par la nature. Clairon le conduit vers un rocher, qui sert à nous abriter nous-mêmes contre la brise d’ouest, et aux pieds duquel il s’étend et tombe bientôt écrasé sous les pavots de Morphée. Le zouave fait preuve d’un dévoûment héroïque et, nouveau Saint-Martin, ôte sa veste pour couvrir son patron dormant.


Une ligne blanche vers les Alpes indique seule jusqu’ici le levant.

A 3 heures et quart, le blanc est remplacé par une nuance chocolat foncé s’alignant sur un mur de vapeur affreusement gris. L’étoile du matin semble mollement balancée sur l’océan de brumes claires qui noie la vallée du Rhône et nous sépare des Alpes. On devine celles-ci comme une île lointaine, dont la rive commence à s’éclairer au soleil levant, sans que ses rayons viennent encore jusqu’à nous.

Les autres touristes dont nous avons entendu la voix et le cor de chasse au bas du Mezenc arrivent à ce moment. Il est 3 heures 45. Les lueurs de l’aube nous permettent de les compter. Il y a deux dames, trois hommes et un chien. Les hommes chantent, mais le babil des dames montre qu’elles ont ramassé en route la gaité de notre ami Branbran,

La caravane, nous apercevant installés sur la corne sud du Mezenc, va prendre possession de la corne nord, qui est d’ailleurs la plus élevée, et où le silence de la nuit permet d’entendre ses pas gravissants, comme des tapements sonores sur les lauzes branlantes. On distingue même les pas du chien.

Les dames arrivent les premières au sommet du monticule phonolitique.

– Il y en a trois, dit quelqu’un.

– Non, dit le zouave qui avait la vue plus perçante. Il n’y en a que deux. La troisième ombre est la croix de pierre.

Du temps de Soulavie, il y avait là une croix de bois : que de fois elle a dû être renouvelée avant d’être faite en pierre !

Un geai de montagne traverse le Mezenc en grigrignant, et provoque de grands aboiements du chien de nos voisins. On s’entend causer d’une corne à l’autre, sans distinguer les paroles. Du moins, la brise nous apporte leur bavardage en murmures confus ou grondements moqueurs.

Les deux groupes sont installés, chacun sur sa corne, comme un personnage multiple dans les deux grands fauteuils d’orhestre, que le Mezenc tient libéralement à la disposition des amateurs assez osés pour venir jouir chez lui du spectacle du lever du soleil.

A 3 heures 55 minutes, la ligne chocolat de l’horizon alpin s’est éclaircie. La muraille grise qui lui sert de support se clarifie comme une eau trouble qu’on a laissé reposer. On dirait qu’il s’en exhale des vapeurs.

Puis la couleur chocolat passe rapidement quoique insensiblement au rouge brun, avec tendance visible au pourpre.

Au-dessus s’étend à perte de vue une ligne jaune qui va se fondant dans une ligne blanche parallèle, laquelle se fond à son tour dans l’immensité bleue.

Tout à coup, la muraille grise, qui soutenait ce brillant appareil, s’en va et on croit voir ses flots s’évaporer ?

– Que diable notez-vous là sur votre calepin ? me dit le zouave. On voit ça tous les jours dans ce pays-ci.

L’intérêt du drame se corse. Nous éveillons Branbran, qui ordonne aussitôt au zouave de déboucher une vieille bouteille de Marsalla, pour boire à la santé du soleil et pour échauffer nos estomacs. L’idée est unanimement applaudie. Sans vouloir médire les eaux de Vals ou de Vichy, l’air du Mezenc est bien plus apéritif.

Les montagnes émergent peu à peu, comme des serviteurs obéissants qui s’empressent à l’appel du grand enchanteur. Les pics les plus voisins sont noirs. D’autres plus éloignés apparaissent comme des fantômes gris, parce qu’ils sont éclairés avant nous. Le pic de Lizieux, en avant d’Yssingeaux, surgit des premiers. Nous apercevons en même temps les tetons de l’Abesse, deux cônes ainsi nommés parce qu’ils appartenaient autrefois à un couvent d’Yssingeaux ; puis le Mégal, la Tortue, etc., etc. On dirait que les montagnes sortent de terre pour faire fête au soleil.

Au sud, le Gerbier-de-Jonc, et le Suc de Bauzon se détachent vigoureusement au-dessus des brumes du matin qui recouvrent encore la plupart des autres montagnes.

Le grand acteur n’est pas encore entré en scène, mais on le sent derrière le rideau. Le public est haletant. Les touristes de la corne nord se sont assis aux pieds de la croix et nous apercevons seulement leurs têtes. Mieux avisés qu’eux, nous nous sommes assis dans des anfractuosités tapissées d’airelles, abrités contre la brise qui souffle de l’ouest. Comme nous, l’intérêt de la scène les a saisis et un silence attentif a succédé à leur gaieté bruyante de tout à l’heure.

Les lueurs de l’aube commencent à pénétrer la vallée de Chaudeyrolles qui s’étend à nos pieds. Le mamelon de Chignon apparaît. Il est reconnaissable au nez qu’il fait. Quel nez ? Le zouave nous le montre du doigt : c’est le clocher de Chaudeyrolles.

Un bouton de feu étincelle subitement au milieu de la bande rouge qui a passé au pourpre : on dirait la fenêtre d’un grand appartement où l’incendie s’est déclaré.

L’attention redouble sur les deux cornes. La scène absorbe la salle, on ne cause plus, Branbran lui-même est devenu calme et grave comme un Anglais.

Le bouton lumineux s’enflamme de plus en plus. Il en part des traits éblouissants – comme d’un lointain feu d’artifice ou d’une aurore boréale en miniature.

A ce moment, nos compagnons de la corne nord se mettent à jouer du cor de chasse.

Branbran sort de son immobilité et leur répond avec sa corne à bouquin.

– Attention ! dit le zouave, on vient de sonner les trois coups. Le rideau va se lever.

Il est 4 heures 20. A ce moment, l’astre que nous attendions sur la bande rouge, fait une trouée au-dessous, dans la muraille de vapeurs grises que nous supposions être les Alpes. L’œil de feu n’est d’abord qu’un croissant, dont la face concave se gonfle rapidement, prend d’abord la forme d’une amande, puis celle d’un globe.

– C’est le moment ! crie Branbran. Et il débouche triomphant une autre bouteille de Marsalla, pour boire à la santé du soleil, dont l’œil, tout grand ouvert sur nous, suit avec un étonnement paternel ce transport bachique.

Est-ce l’effet des vapeurs lointaines, ou simplement du Marsalla ?

Le soleil semble danser, en même temps qu’il poudre de lueurs blanches toutes les montagnes cévenoles. Et l’on dirait que celles-ci en font autant, et qu’une gigantesque sarabande est organisée entre elles et les longs rubans de vapeurs blanches, bleues, vertes et violettes, qui miroitent dans l’atmosphère ambiante. C’est une fantasmagorie impossible à décrire.

Mais le soleil monte. Tout à l’heure il était en feu, maintenant c’est un pacifique roi doré, non moins étincelant, mais d’un éclat plus rassis. Les horizons lointains s’éclairent comme les perspectives du voisinage. La terre se dilate. La nature palpite. Le jour lui a rendu la vie.

Sur la corne nord, les dames chantent. Les notes sont claires, mais l’accent auvergnat nuit à l’effet. Des petits oiseaux passent leur jetant une note moqueuse. Une fumée s’élève du groupe de nos voisins. Ils ont allumé du feu et font cuire leur déjeuner. L’idée est originale, mais nous ne sommes pas tentés de les imiter. Nous parcourons tout notre côté du Mezenc, admirant les grands points de vue, cherchant à reconnaître avec nos lunettes d’approche la région environnante.

Le Gerbier-de-Jonc apparaît à peu de distance comme une grosse verrue. Notons en passant son étymologie. Il n’y a pas plus de joncs sur lui que sur ma main. Son nom latin, dont on peut voir la dégradation successive dans Papire Masson (1), indique tout de suite pourquoi on l’a appelé ainsi : Gerbarium Jugum, montagne en forme de gerbier. Tous les Sucs du pays viennent du mot Jugum.

Un de ces Sucs, celui de Bauzon, se dresse là-bas comme un fantôme rouge vêtu d’un manteau vert. Le lac d’Issarlès, miroir que la fée des montagnes a laissé tomber dans la vallée de Veyradeire, nous envoie les reflets du soleil levant. La ligne bleue du Tanargue et des monts Lozère ferme l’horizon au Sud.

A moins de monter en ballon, c’est du sommet du Mezenc qu’on peut le mieux comprendre la configuration générale de la France méridionale. Soulavie la compare fort ingénieusement à un immense espalier tourné au sud et coupé par deux chaînes verticales (les Cévennes et les Alpes), entre les quelles s’étend une profonde vallée presque de niveau avec la mer, où se perd le Rhône. C’est là que mûrissent tous les fruits sucrés, que le Midi échange ensuite contre les grains des hauts plateaux et les produits des manufactures du nord.

Bertrand de Doue a un beau passage sur la magnifique perspective dont on jouit du sommet du Mezenc ; ceux que les notes improvisées de notre agenda de voyage n’ont pas satisfait, pourront se dédommager en le retrouvant ici :

« De ce belvédère, le plus beau peut-être de l’intérieur de la France, on découvre à l’ouest, les cimes jadis embrasées du Cantal, du Mont-Dore et du Puy-de-Dôme ; au nord, les plaines de la Bresse ; vers le sud, autour du mont Ventoux, celles de la Provence. A l’est, les Alpes du Dauphiné et de la Savoie, où (comme les nomme en son langage expressif l’habitant des Boutières) les montagnes du matin bordent un immnese et vaporeux horizon ; au-dessus d’elles, aux rayons d’un beau jour d’été, le gigantesque mont Blanc. Du Mezenc jusqu’au Rhône, les gorges des Boutières, escarpées, profondes, innombrables, déchirent en tous sens le sol granitique. Aux pieds de l’observateur s’élancent du fond des abîmes, des rocs aigus, des crêtes tranchantes, des pics inaccessibles, affectant, dans leur décrépitude, les formes les plus étranges. Plus loin, le Gerbier-de-Jonc s’élève comme un monument aux sources de la Loire. Du haut de son dôme escarpé, où l’on ne gravit qu’avec effort, l’œil plonge d’un côté sur d’effroyables précipices ; de l’autre, il erre avec la Loire naissante dans le beau vallon de Sainte-Eulalie ; il s’égare avec elle dans les pâturages émaillés de violettes, parmi les bosquets de hêtres, dont la teinte grisâtre des montagnes du Béage fait ressortir l’éclatante verdure ; et lors qu’enfin elle se dérobe à la vue, l’âme, plongée dans une douce rêverie, la suit encore de la pensée à travers les plus riantes contrées de notre belle patrie (2) ».

Avant de quitter le Mezenc, nous visitons la corne nord. Le monticule est surmonté d’une croix, ou plutôt d’une moitié de croix en granit fixée sur un support carré également en granit. Ces pierres, qui sont fort lourdes, ont dû être apportées à dos de mulets, car la montagne est entièrement phonolitique.

Un bâton a été fixé sur la croix. L’autre bande de touristes, qui déjeune tranquillement à quelques pas au-dessous de nous, a introduit dans une fente du bâton un morceau de papier portant ces mots : Vive la République !

Voilà, certes, une rencontre imprévue à cette hauteur ! La République de nos dîneurs est singulièrement ballottée par le vent qui commence à s’élever. Bientôt elle s’envole sous nos yeux et nous en sommes vraiment fâchés, non pour elle, mais dans la crainte que nos voisins puissent croire que nous avons contribué à ce dénouement. Il est probable, du reste, qu’ils ont une république de rechange dans leur sac, et qu’après notre départ ils auront eu soin d’en mettre une autre, sans réfléchir plus qu’auparavant que là où les croix de pierre ne résistent pas, il est assez puéril de vouloir faire tenir des bâtons et des chiffons de papier.


Nous descendons du Mezenc à 6 heures. La grande prairie, que nous avons foulée aux pieds dans l’obscurité, se pavane au soleil levant. Les derniers arnicas de la saison étalent leurs fleurs jaunes au milieu des bruyères et des serpolets. Nos pieds soulèvent des parfums comme dans une procession de la Fête-Dieu.

De la croix de Peccata aux Estables, nous remarquons plantées de distance en distance, de grandes lauzes, menhirs utilitaires destinés à marquer la route pendant les neiges.

Nous voulions visiter les pépinières qui entourent la maison des gardes, mais la fatigue nous accable, et nous avons hâte d’arriver à la ferme de Jacquassie pour prendre un peu de repos dans la fenière.

Il est près de 7 heures quand nous y arrivons. La ferme est confortable… pour le pays. On entre dans une allée pavée de lauzes, où coule une fontaine aux eaux fraîches et abondantes. Une petite porte conduit dans la grande pièce, – la pièce unique de l’habitation, où la marmite bout dans la cheminée, où l’on mange sur la grande maïe du milieu, où père et mère et enfants couchent dans les placards du coin, où les poules même pondent leurs œufs un peu partout. Il y en a une qui annonce urbi et orbi cette grande opération au moment même où nous entrons.

Le fermier s’empresse de se mettre à notre disposition, en reconnaissant Branbran et le zouave, dont ce n’est pas la première visite dans ce pays. Il nous offre des saucisses, du lard, du beurre, du fromage et du vin. Tout est excellent, et nous déjeunons le plus gaiement du monde, malgré l’odeur de rance qui remplit la pièce et qu’explique suffisamment la présence de trois ou quatre quintaux de lard et de salé suspendus au-dessus de nos têtes. J’admire des rondelles en spirales semblables à des feux d’artifice ou à des bougies de caves. On m’apprend que c’est de la graisse blanche renfermée dans les boyaux du porc.

Le pain du paysan est savoureux, mais il ne faut guère espérer de le trouver frais, car on le fait en quantité considérable. Le fermier de Jacquassie emploie cinq à six doubles décalitres de blé à la fois pour garnir la huche. Il pétrit et fait cuire ensemble dans son four quinze à vingt tourtes pesant chacune sept à huit kilogrammes – précaution nécessaire pour les temps où l’on est bloqué par la neige.

Le prix des terres en montagne se maintient relativement élevé malgré l’augmentation des salaires. La valeur est estimée d’après le revenu. En général, et sauf bien entendu de nombreuses exceptions déterminées par des causes diverses, elle est basée sur le chiffre du fermage calculé au 4 %. Ainsi une terre, dont le fermier paye 1 600 fr. nets, est évaluée 40 000 fr.

Un ouvrier moissonneur ou faucheur est payé à raison de 3 fr. 50 par jour et nourri, ce qui équivaut à 5 fr. par jour. Les gages d’un bon domestique s’élèvent à 350 fr. par an, ceux d’un berger ou d’une servante à 150 fr.

Les montagnards rentrent leur foin par barrot. C’est une sorte de brancard carré où les bœufs en tournant réunissent le foin eux-mêmes. Il y a ordinairement dix quintaux de foin dans un barrot.

Soulavie parle ainsi du foin de la haute montagne (3) :

« La qualité du foin de ces montagnes est très propre à l’engrais (des animaux) ; les prés nourrissent beaucoup de plantes aromatiques, l’herbe y est déliée et fine ; elle ne vient jamais fort haute ; on charrie ce foin dans les granges sur des traîneaux que les bœufs foulent et montent jusqu’au toit de la grange ; et quand ce foin a fermenté, il ne forme plus qu’une masse que l’on coupe avec la hache. Prenez un peu de ce foin, faites-en une infusion, et vous aurez un vulnéraire très parfumé, et bien plus salutaire que toutes ces décoctions dont on s’affadit l’estomac. »

Les enfants de ces régions doivent à une vie active et en plein air, qui les aguerrit dès le berceau, de n’être jamais ou rarement malades. Un enfant du fermier avait le petit senepiou (la rougeole), mais on se garderait bien pour si peu d’aller chercher le médecin. D’ailleurs, celui-ci coûte trop cher, il faudrait courir à 4 heures de distance, jusqu’au Monastier, cela coûterait 40 ou 50 francs. Comment voulez-vous qu’un pauvre paysan, qui sait mieux que personne la valeur de l’argent, puisse être malade dans ces conditions ?

Soulavie raconte que, surpris par le brouillard, le 20 octobre 1779, près du lac de Saint-Front, il fut obligé d’aller demander l’hospitalité dans une cabane de paysans au hameau de Bouschet. Il soupa avec eux de petit lait, de pommes de terre et de pain noir, et coucha dans le foin. Le spectacle de misère, dont notre compatriote fut témoin, le toucha profondément, et il fait suivre son récit d’une lettre à Louis XVI, dans laquelle il appelle l’attention du souverain sur l’état misérable de nos populations des montagnes.

Hélas ! aujourd’hui, ce ne sont pas ces contrées qui sont le plus à plaindre. Sans doute, les rigueurs de la température n’y ont pas changé, mais des chemins les ont rendues moins inaccessibles, et leurs habitants vendent facilement leurs produits, tandis que la maladie de la vigne et des vers à soie a réduit à la misère les populations jusque-là plus favorisées du bas Vivarais. La roue de la fortune a fait un tour, et elle est d’accord en ce moment avec la géographie : ce sont les montagnards en effet, qui, maintenant sont en haut, et les bas Vivarois en bas.

Parlant des montagnards qui habitent les régions élevées de la France (Dauphiné, Pyrénées, Velay, Auvergne et Vivarais), le naturaliste que nous venons de citer, fait justement observer que « ces montagnes sont les vrais magasins ou réservoirs de l’espèce humaine ; que des milliers de montagnards passent insensiblement, et à la longue, dans les pays fertiles pour y entretenir la population languissante, pour y maintenir l’espèce humaine dans sa vigueur, pour guérir les maux causés à la longue par la vie efféminée, luxurieuse et languissante des peuples de ces contrées plus heureuses, et surtout des capitales (4) ».

La preuve, c’est le nombre toujours croissant d’Ardéchois, d’Auvergnats, de Limouzins, de Savoyards, etc., qui affluent à Paris, Lyon, Marseille, et autres grandes villes.

Pour l’auteur de l’Histoire naturelle de la France méridionale, le grand remède à la misère des montagnards, c’est l’ouverture de chemins pour permettre l’écoulement des produits du pays et y faciliter l’établissement de manufactures. Le président Challamel (5) n’est pas de cet avis. Il objecte que les chemins, en enrichissant un pays, corrompent les mœurs et avilissent les caractères. Il y a du vrai des deux côtés. Il n’est que trop vrai que la moralité des populations s’abaisse ordinairement en raison du progrès des richesses. Et cependant la première loi sociale est le travail dont la fortune, ou du moins l’aisance, doit être le résultat. Il est vrai qu’une loi, d’un ordre plus élevé, nous impose le maintien des bonnes mœurs et la rectitude des caractères, comme les premières conditions de notre existence sociale. Comment accorder ces deux tendances opposées ? Il y a longtemps que le moyen est trouvé. Il faut simplement que l’instruction n’aille jamais sans l’éducation ; le progrès matériel sans la moralité. Il faut qu’un sentiment supérieur aux intérêts hu mains contrebalance l’action démoralisante de la richesse. Il faut un tuteur solide aux plantes grimpantes à mesure qu’elles se développent, sans cela, elles rampent et meurent étouffées dans l’herbe et les broussailles. Sans doute les sociétés humaines paraissent condamnées, comme les individus, à mourir, tôt ou tard, après les périodes de jeunesse, de maturité et de vieillesse. Il est certain toutefois qu’elles vivent plus ou moins longuement, selon que les influences religieuses et morales y exercent plus ou moins d’empire. L’histoire est pleine à cet égard d’enseignements décisifs.

Un phénomène géologique, qui eût paru jadis fort extraordinaire a été constaté aux Estables. Les lauses employées pour les murs du cimetière sont remplis d’ammonites, de gryphées arquées et autres fossiles marins qui caractérisent le terrain jurassique du bas Vivarais. La mer est donc montée à la hauteur de 1350 mètres ? C’est pour le coup que Voltaire, dans sa crainte de voir la science confirmer le déluge biblique, attribuerait ces coquilles au passage des pélerins de N.-D. du Puy. M. Félix Robert, qui vérifia le fait en 1867, suppose que les volcans, en traversant les couches calcaires, en ont entrainé quelques débris. Il nous semble plus simple d’admettre que le terrain fossilifère en question a été réellement sous-marin avant d’être soulevé et de rester empâté dans les éruptions boueuses des volcans à son altitude actuelle. Les empreintes du même genre trouvées par M. Vinay dans les galets de Lherm, près du Monastier, à 900 mètres d’altitude, s’expliquent de la même manière.

Pendant la belle saison, surtout en juillet, août et septembre, il y a presque tous les jours des touristes au Mezenc.

Quelques-uns passent comme nous par Fay et Chaudeyrolles. D’autres viennent du Puy directement, comme le marquis de Villemer, par le Monastier. Ceux du bas Vivarais montent soit par Mezilhac et Sainte-Eulalie, soit par Montpezat et le Béage. Les plus avisés viennent coucher dans la maison des gardes du Mezenc, qui est au-dessus des Estables, et grimpent la montagne de grand matin pour être au sommet quand le soleil se lève.

Pour aller du Mezenc au Gerbier-de-Jonc, il faut deux bonnes heures. On passe par la montagne de la Clède, le bois de Sainte-Chemine et on suit le plateau, en laissant Bonnefoy à droite au fond d’une vallée. Peu de personnes, du reste, font dans le même jour l’ascension du Mezenc et celle du Gerbier de-Jonc.

Du Mézenc à Bonnefoy, j’ai vu des basaltes changés en craie rouge. Soulavie avait observé la même chose en allant de Saint-Front au Mezenc. Il est à noter aussi que le naturaliste vivarois a trouvé le système prismatique persistant chez les basaltes même après leur transformation en argile (6).

Une idée excellente, celle d’un observatoire au Mezenc, a été mise en avant, dès 1869, par M. Nicolas, professeur d’agriculture à l’école normale du Puy, et par M. Hedde, membre de la société académique du Puy. Les événements la firent oublier. M. Nicolas y revint en 1879. Plus tard, les commissions météorologiques de l’Allier et de la Haute-Loire prirent l’affaire en mains et quatorze conseils généraux se prononcèrent en faveur du projet. Il y eut une déclaration d’utilité publique faite par le conseil météorologique de Paris en 1881. Vers 1883, M. Nicolas fit le devis de l’établissement projeté qui aurait coûté environ 50 000 fr. Le Mezenc, sur le faîte de la ligne de division des eaux de l’Océan et de la Méditerranée, ayant vue sur dix ou douze départements, dominant à la fois les bassins du Rhône et de la Loire, est dans une situation unique pour un observatoire. Il serait, en quelque sorte, le centre de ralliement des trois autres observatoires du mont Ventoux, de l’Aigoual et du Puy-de-Dôme. L’idée a encore été rappelée en 1885 par le docteur Coiffier. Mais que peut-on attendre d’un temps troublé comme le nôtre, d’un gouvernement comme celui que l’Europe ne nous envie pas, et d’assemblées comme celles dont nous gratifie le suffrage universel ?

Nous ignorions ce projet d’observatoire sur le Mezenc quand nous en parlions dans un ouvrage paru en 1879.

Nous faisions alors observer combien il serait facile d’y construire un abri aussi sûr que celui du mont Ventoux, en creusant dans les phonolites de la corne nord, et nous ajoutions : « Nous envions déjà les joies de l’observateur qui sera envoyé à ce poste d’honneur. Si c’est un Ardéchois de la race des Montgolfier et des Soulavie, il saura certainement en profiter pour faire faire un pas à la science. Peut-être nous apprendra-t-il de quelle façon et par quels moyens les traînées de poudre aérienne, résultant de l’évaporation des vapeurs terrestres, sont mise en communication avec les vapeurs venant des tropiques. Si sa science est doublée de cet esprit, à la fois philosophique et religieux, sans lequel il n’y a pas d’homme véritablement supérieur, il sera aussi le premier, tout en cherchant bravement les secrets de l’air et des formidables détonations de l’électricité, à s’incliner devant l’auteur de toutes choses et à reconnaître combien l’homme, sa vanité et même sa science, sont peu de chose dans la main divine (7) ».

Un mot seulement des étymologies hasardées au sujet du Mezenc. Les uns la trouvent dans le nom d’un lieutenant de César, d’autres dans sa situation centrale au milieu des montagnes. Le chanoine Sauzet fait venir ce mot de deux radicaux celtes, mez et enc dont l’un signifie espace et l’autre feu. Le celte est pour les étymologistes comme les nerfs pour les médecins : le refugium assuré de notre ignorance, le bouc émissaire sur lequel on met tout ce qu’on ne comprend pas. Concluons simplement que personne n’a encore découvert une étymologie acceptable du Mezenc.

Celle des Estables est plus facile à trouver, vu la place d’honneur occupée par tous les animaux dans les habitations. Ce lieu dépendait jadis des Chartreux de Bonnefoy. En 1273, ses habitants se reconnaissent homme-liges de la Chartreuse et déclarent tenir d’elle leurs terres. Mais les Chartreux relevaient eux-mêmes de la baronnie de Fay, possédée par le comte de Valentinois et il y eut en 1299, une transaction entre eux et ce puissant personnage au sujet de la justice du lieu des Estables. En 1230, les Chartreux inféodèrent aux habitants des Estables le droit de forestage dans la plus grande partie de leurs forêts, moyennant la redevance d’un carton de froment par chaque feu. George Sand a donné une mauvaise réputation à ces braves montagnards, en les accusant d’avoir assassiné deux aides de Cassini. Le fait est-il exact ? Faute de preuves, il faut en douter, vu la facilité avec laquelle on charge le bon vieux temps de méfaits réels ou supposés.

Un fait plus glorieux pour les Estables, est d’avoir été le berceau d’un vaillant militaire, baron de l’empire. Le général de Chambarlhac, né en 1754, était, avant la Révolution, lieutenant au régiment d’Auvergne. Il se distingua dans diverses rencontres et fut créé général de brigade sur le champ de bataille d’Arcole. Après avoir contribué à pacifier les départements de l’Ouest désolés par la chouannerie, on le retrouve à Marengo, où sa belle conduite est mentionnée dans l’histoire de M. Thiers. Il fut ensuite commandant de place à Tortone, Mayence et Bruxelles. Il dirigea l’expédition de Walkeren qui eut pour effet d’expulser les Anglais de la Hollande (8). Les papiers de la famille d’Agrain nous apprennent qu’il fut, à Bruxelles, le témoin du mariage du dernier d’Agrain avec une Hollandaise, Chambarlhac se rallia, comme tant d’autres, au gouvernement de la Restauration. Il fut mis à la retraite en 1821 et mourut à Paris en 1826. Son portrait est au musée du Puy. Il y a en Vivarais, près de Borée, un château de Chambarlhac, qui appartenait à de vieux nobles de ce nom. Rien n’indique que le général appartînt à cette famille.


L’heure du départ est venue. Nous voudrions revenir par le lac de Saint-Front ; il y a une route directe qui y conduit en trois heures. Mais cette route est fort mauvaise, plus mauvaise encore que celle de Chaureyrolles. C’est pourquoi… Jean s’en alla par où il était venu.

Nous quittons Jacquassie à midi, et nous arrivons à Chaudeyrolles à 1 heure et quart, en nous étonnant d’avoir pu parcourir de nuit de pareils chemins sans y laisser notre peau.

Une halte à Chaudeyrolles nous permit de visiter la nouvelle église, bâtie avec le trachyte du Vialard, commune de Saint-Clément. Cet édifice a coûté une centaine de mille francs. Le bas fond où est situé Chaudeyrolles, est un ancien lac changé en tourbière. On ne se chauffe dans la contrée qu’avec de la tourbe. Chaque maison de paysan a ainsi sa provision de combustible – son gazou – sous la main. C’est la seule tourbière connue de la Haute-Loire.

Nous vîmes cette fois en plein jour le Chignon, dont nous n’avions pu voir que l’ombre à notre passage nocturne. A côté des phonolites, il y a des laves grisâtres, violettes, vertes, jaunes, lie de vin. Oncques on ne vit pareille débauche de couleurs.

Un orage, qui nous surprit bientôt, me permit de faire une observation intéressante. Le ciel était très pur à notre descente du Mezenc, sauf certains filaments nuageux flottant dans l’espace au-dessus de nos têtes à des distances inappréciables. Au bout d’une demi-heure, nous nous aperçûmes que ces filaments s’étaient en quelque sorte coagulés en boules grises. Puis tous ces éléments aériens se multiplièrent, se foncèrent et prirent enfin la forme d’un gros nuage noir, de forme allongée, qui semblait dire : Regardez-moi bien ; je fabrique la foudre et la grêle, et gare à vous si vous ne vous dépêchez ! A bon entendeur salut. Sous la menace de ce maudit nuage, nous ne fîmes qu’une courte halte à Chaudeyrolles.

Le fait essentiel en ceci, c’est que les météorologistes qui font venir tous les orages de l’Océan en ligne directe se trompent singulièrement. En voilà un, dont nous avons pu suivre la formation spontanée entre le Mezenc et les montagnes situées à l’est, et qui n’est certainement venu ni du levant, ni du couchant, ni du midi, ni du nord, mais qui, sortant de sources invisibles, s’est planté là subitement devant nous, a fait le diable à quatre, d’abord sur les hauteurs, puis au loin sur le Rhône, où plus d’un observateur sans doute a jugé qu’il venait de l’Océan.

Attention ! cria Branbran. Les nuages font la grimace et le ciel devient couleur d’encre. Le diable est là dedans.

Et il prit le galop ainsi que le zouave, tandis que notre conducteur fouettait vigoureusement son cheval. Le char à bancs fila, non sans force cahots, sur ces routes primitives. Jamais, dit M. Montaigne, la justice n’avait été aussi rudement secouée. Bref, nous arrivâmes à Fay, tout juste pour éviter une pluie torrentielle accompagnée de grêle, d’épouvantables éclairs et de formidables coups de tonnerre. Nous rentrions à l’auberge Issartel à 3 heures, n’ayant mis en tout que deux heures trois quarts de Jacquassie à Fay, y compris un arrêt de demi-heure à Chaudeyrolles.

L’averse fut précédée à Fay d’un coup de vent des plus violents, qui soulevait même les cailloux sur les routes et bousculait singulièrement les arbres. La croix de la place eût été certainement abattue sans les quatre grands câbles en fer qui la maitenaient.

Déjà, en rentrant à Fay, nous avions entendu sonner la cloche de la paroisse à toute volée. Maintenant que l’orage était déchaîné, le clocheron faisait rage et semblait vouloir lutter de vacarme avec lui. Ce mélange du tintement de la cloche et des roulements du tonnerre était d’un effet saisissant. On eût dit la voie humaine se débattant suppliante sous les colères de la nature atmosphérique.

Nous fîmes observer à l’aubergiste que ces sonneries étaient imprudentes et pouvaient attirer la foudre sur le malheureux clocheron.

L’aubergiste nous répondit fort judicieusement :

Le clocheron fait trois tournées par an : l’une à la Saint Jean, pour… ; l’autre en juillet, pour les foins ; la troisième à la Noël, pour le blé. Il fait chaque fois de fructueuses collectes, parce que on est convaincu que la cloche écarte l’orage des récoltes. S’il ne sonnait pas, on ne lui donnerait rien.

L’orage, né sous nos yeux en l’air sur la crête des Cévennes, était poussé par le vent, vers le Rhône. A l’est, une bande de ciel clair et lumineux apparaissait entre un fleuve de nuages d’or qui roulait vers la Méditerranée, et des monceaux de nuées orageuses venant du nord-ouest. Le vent avait redoublé de violence.

On nous dit que les orages à Fay venaient toujours du sud-ouest (Mezenc) ou du nord-ouest (Yssingeaux). Ils descendent donc des hauteurs atmosphériques sur le plateau central au lieu de monter, comme on l’a cru si longtemps, des basses régions.

Nous fîmes encore un repas à Fay, car depuis les Estables, les estomacs avaient eu le temps de se creuser. On n’a pas besoin de pepsine sur les confins de l’Ardèche et de la Haute-Loire.

En dînant, on délibéra sur la question de savoir s’il fallait coucher à Fay, pour aller déjeuner le lendemain au lac de Saint-Front, ou bien si on se dirigerait vers Saint-Martin-de-Valamas, d’où l’on irait faire une tournée jusqu’à Vals-les-Bains, pour revenir au Puy par un autre chemin. Ce dernier parti l’emporta, à mon grand regret, car j’aurais visité volontiers le lac de Saint-Front, à cause de l’établissement de pisciculture qui y est établi depuis 1852. La superficie de ce lac est de 35 hectares. On commença par y jeter chaque année 20 000 alevins fécondés sur place ou venant d’Huningue. En 1854, le produit ne payait pas le garde ; mais à partir de 1860, la vente des truites n’a jamais été inférieure à 3 000 fr. et s’est élevée jusqu’à 8 000. Depuis 1880, l’établissement de Saint-Front, dû à l’initiative de M. de Causans, est arrivé à jeter en moyenne dans le lac 100 000 alevins provenant de fécondations opérées sur place. Ces alevins sont transportés chaque année dans neuf bassins d’une superficie de 150 à 400 mètres. – Les truitons y grandissent à l’abri de tout ennemi, d’avril en octobre, et sont à cette époque dirigés sur le lac par des rigoles sinueuses qu’ils affectionnent et ne quittent qu’au bout de plusieurs mois. La pêche des truites pour la vente commence le 1er avril et cesse le 1er octobre. Elle recommence vers le 15 octobre pour la récolte des œufs (9).

On avait songé à faire un établissement du même genre au lac d’Issarlès, qui est trois fois plus grand que celui de Saint-Front, puisque sa superficie dépasse 91 hectares, c’est le plus grand et le plus profond de tous les lacs du plateau central ; mais on y a renoncé, paraît-il, par le motif que les truites ne s’y reproduisent pas, soit que les eaux soient trop fraîches, soit que la nourriture leur manque, soit enfin par tout autre motif ignoré.

  1. Flumina Galliœ, à l’article Loire.
  2. Description géognostique des environs du Puy, p. 124.
  3. Histoire de la France méridionale, III, 227.
  4. Histoire naturelle de la France méridionale, III, 48.
  5. Chronologie du Vivarais, Mss.
  6. Histoire naturelle de la France méridionale, III, 37 et 58.
  7. Voyage autour du Valgorge, p. 420.
  8. Voir l’ouvrage de M. R. Dumoulin sur les officiers généraux de la Haute-Loire.
  9. Voir le Bulletin de la Société agricole et scientifique de la Haute-Loire, 1883-1885.