Voyage fantaisiste et sérieux à travers l’Ardèche et la Haute-Loire

Docteur Francus

- Albin Mazon -

XXVII

Carnet d’un baigneur

La salle d’inhalation. – La méditation d’un enrhumé. – La toux aujourd’hui et autrefois. – Saint Quentin, patron des enrhumés. – Qu’est-ce que le rhume ? – Le sang : ses exutoires naturels et les autres. – Comment on traitait autrefois les rhumes, et comment on n’a pas encore trouvé mieux. – Le rhume est l’indice d’une altération du sang. – Les mois à r. – Un docteur et son malade. – Tout médecin matérialiste est fatalement au-dessous de sa tâche. – Les eaux du Mont-Dore guérissent-elles ? – Les princes de la science guérissent-ils mieux que les autres ? – Le positivisme à outrance de la médecine actuelle. – Les « médecins philosophes » d’autrefois. – Les aphorismes de Branbran. – La médecine du bon air. – Aérothérapie, hydrothérapie, gymnothérapie et théothérapie. – Le secret du curé Kneipp. – Les miracles. – Les conseils de l’école de Salerne, de Boerrhaave et de M. Chevreul. – Les simples et les remèdes chimiques. – Analogies entre la médecine et la politique. – Les têtes de Turc. – Corrige teipsum. – Les eaux de la Bourboule.

Le Mont-Dore est la capitale des enrhumés de France et de Navarre, et d’autres lieux. Nulle part on ne tousse si bien. L’impression dominante de ma première séance à la salle d’inhalation – impression profondément égoïste, je l’avoue, – fut, en entendant tousser les voisins, qu’en somme je n’étais pas si malade qu’eux.

Nous étions là une centaine en galoches, vêtus simplement d’une flanelle et d’un pantalon de laine, tournant en procession comme des ombres, dans les nuages de l’eau pulvérisée. M. Montaigne souriait d’un air énigmatique dans sa barge blanche, et Bodin, devant la nouveauté du spectacle et l’originalité des accoutrements, oubliait un moment, je pense, ses chagrins de cœur. Quant à Branbran, qui avait changé, pour la circonstance, son complet de nankin, pour le costume obligé de fantôme blanc, il me chantonnait à l’oreille :

Du haut du ciel, ta demeure dernière,
Michel Bertrand, tu dois être content !

Pour moi, je faisais la méditation d’un enrhumé. Oyez, frères pulmoniques !


Quand on est enrhumé, on tousse, et c’est ce qu’on a de mieux à faire ; d’ailleurs, il est difficile de faire autrement.

Et le mal ne date pas d’aujourd’hui. On tousse par tout le royaume, écrivait Voltaire à d’Argental vers 1765 ; nous toussons beaucoup sur la frontière ; c’est une épidémie. Les Athéniens toussaient en grec et les Romains en latin. Au moyen-âge, tousser se disait toussir, mais l’incommodité était la même avec ses causes multiples. Les chroniqueurs du temps mentionnent force épidémies désignées sous les noms de coqueluche, grippe, toc, horion, ou même influenza, qui ressemblent furieusement, par leurs symptômes et leurs effets, à l’influenza de nos jours, et qui prouvent une fois de plus qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Juvénal des Ursins fait le tableau d’une épidémie de ce genre en 1414, qui amena la suspension des séances du Parlement et du Châtelet. En 1510, ce fut un très aspre rhume ou coqueluche, dont parle le poète Gringoire, comme ayant fait périr beaucoup de gens à Paris et ailleurs. Bref, il est trop clair que, depuis Aristote jusqu’au docteur Potin, les épreuves n’ont jamais manqué au larynx et aux bronches de la pauvre humanité.

Claude Tillier, un instituteur de la Nièvre, célèbre par ses polémiques avec son évêque, – ceci se passait du temps de Louis-Philippe – avait pris le parti de railler son mal, ne pouvant le vaincre. Il fait quelque part, dans un de ses pamphlets, apparaître son patron, saint Claude, qui lui dit : Tu tousses fort bien, ne te gêne pas et plante-moi là tous les sirops et drogues qui ne servent à rien !

Il est bien probable que, tout en se moquant des drogues en public, ce qui, depuis Molière, a toujours très bien fait sur le papier, le pauvre malade en consommait tout autant qu’un autre en son particulier. En définitive, chacun prend sa consolation où il la trouve. Pour moi, j’ai trouvé la mienne, chaque fois que le fléau m’a saisi, à méditer sur ses causes, sa nature et les moyens d’en avoir raison, s’il y en a ! En quel endroit ces réflexions médicophilosophiques pourraient-elles trouver place mieux qu’au mont Dore ?


Un jour, où j’avais toussé autant que le plus toussant des fantômes blancs que je viens de quitter, un vieux petit traité intitulé : De Tussi, imprimé à Lyon en 1656, me tomba sous la main. L’auteur, François Chomel, médecin à Annonay, avait le titre de médecin du Roi, et c’était un homme remarquable pour son temps, doué d’un véritable esprit d’observation et de méthode. Il est à noter que cette famille Chomel (originaire du mas de Varagnes près d’Annonay, habité depuis par Marc Seguin, l’illustre inventeur de la chaudière tubulaire) a eu l’honneur de produire plusieurs médecins éminents, dont un a été doyen à la Faculté de médecine de Paris vers le milieu du siècle dernier ; un autre a laissé une Histoire des plantes usuelles ; un troisième enfin fut le savant successeur de Laennec à la chaire de clinique de la Faculté de Paris.

Il y a toujours quelque chose à apprendre dans la lecture des bouquins, comme dans la conversation des vieillards. Lisons donc François Chomel. Voici d’abord une invocation à saint Quentin. Mon curé m’a appris, depuis, que ce saint, moins connu dans le midi de la France, que dans le Vermandois et l’Amiénois, où il a donné son nom à un chef-lieu d’arrondissement, souffrit le martyre en l’an 825 et qu’on célèbre encore sa fête dans nos églises le 31 octobre. Je vois par Chomel que saint Quentin avait la spécialité de guérir les maladies de poitrine ; c’est à lui que s’adressaient particulièrement les tousseurs pour être soulagés. Notre auteur ne doute pas naturellement des miracles opérés par l’intercession de saint Quentin. Toutefois, après avoir rempli son devoir de croyant, il reprend son rôle de savant et cherche, dans le résultat de ses études et dans l’expérience rationnelle, qui, dit-il, doit dominer la science, les moyens de venir en aide à ceux dont les influences célestes n’ont pas exaucé les prières. Il analyse, avec toutes les ressources de la dialectique de son temps, les différentes espèces de toux et comprend très bien qu’elles proviennent d’affections différentes. Il insiste sur la nécessité d’un bon diagnostic, comme base du traitement à suivre, et finalement indique une longue série de remèdes, où, il faut l’avouer, je n’ai pas trouvé le secret de tousser moins que précédemment. Mais, il faut bien l’avouer aussi, on découvre dans ce petit mémoire, plus ou moins visibles sous leur forme bi-séculaire, presque toutes nos ordonnances modernes contre le rhume, preuve que, si notre art a fait d’incontestables progrès sur bien des points, il n’en sait guère plus que l’ancienne médecine sur cette minuscule partie des misères humaines. L’Esculape du XIXe siècle est un peu comme le chasseur moderne, à qui la science a donné les moyens de tuer les lions sur le coup au moyen de balles explosibles, et qui reste impuissant contre les moustiques.

Mais c’est trop longtemps s’arrêter aux bagatelles de la porte. Qu’est-ce que le rhume ? Un jour, pendant la Commune, sur la route de Maison-Laffitte à Versailles, le hasard me fit rencontrer dans la même voiture publique avec M. Würtz, alors doyen de la Faculté de médecine de Paris. Qu’est-ce que le rhume ? lui demandai-je dans le courant de la conversation --. C’est un symptôme et non pas une maladie, me répondit-il ; en d’autres termes, il y a beaucoup de maladies toussantes.

Il est certain que le rhume est l’effet, la manifestation extérieure, d’affections très diverses. Bornons-nous à ce qu’on appelle la disposition à s’enrhumer, la bronchite plus ou moins accentuée, plus ou moins chronique, en excluant la toux symptomatique des graves altérations organiques.

Or, même ainsi restreint, le rhume est ce que les savants appellent une véritable entité, et touche aux plus grosses questions qui se rattachent à la santé de l’homme.

Si, pour les uns, en effet, le rhume n’est qu’un mal purement local, il est, pour beaucoup d’autres, l’indice et le résultat d’un dérangement de l’état général.

Les premiers, s’inspirant des théories de l’école anatomique et physiologique, dont Paris est le grand foyer, ne voient que la lésion locale et tangible, qu’ils attribuent ordinairement à l’action directe du froid, et ils agissent en conséquence ; tandis que les autres, les vitalistes, plus en faveur à Montpellier, visent la source du mal et croient nécessaire pour le guérir, de remonter à la force qui régit les phénomènes de la vie.

Qui a raison et qui a tort ? Je serais fort tenté de répondre : Toute le monde et personne.

Ma propre expérience – et celle d’une infinité d’autres sans doute – ne permet pas de contester que l’action du froid, surtout le passage brusque d’une température à une autre, occasionne force rhumes, ce qui vient à l’appui de la manière de voir en vogue à Paris ; mais, d’autre part, il est bien certain que le froid seul ne suffit pas pour enrhumer, qu’il y faut encore certaines conditions ou prédispositions, que les gens les plus habituellement exposés au froid s’enrhument moins que les autres, et enfin que, parmi les tousseurs de profession, il y en a beaucoup plus de ceux qui cultivent le coin du feu, que de ceux qui sont constamment au grand air – ce qui tourne en faveur des opinions de Montpellier.

Entre les savants du Nord et ceux du Midi, il y aurait peut-être place pour une troisième opinion, qui est une sorte de moyenne entre les deux autres ? Je songe parfois que le rhume, pour être devenu une affection locale, n’en a pas moins une origine plus haute. Sans recourir à cette abstraction qu’on appelle la force vitale, ne peut-on pas supposer que l’influence du froid n’en est que la cause occasionnelle, agissant sur un organisme défectueux comme à l’égard d’une solution alcaline, dont les précipités sont en raison de la baisse du thermomètre, mais que la cause vraie se trouve dans l’état du sang, ce précieux liquide, qui est le moteur essentiel de la machine humaine ?

Le sang, source de santé, est aussi, par la même raison le principe de toutes les maladies. C’est lui qui nourrit, anime et renouvelle les organes, et c’est lui qui, péchant par la qualité ou la quantité, partage, avec le système nerveux, la responsabilité de tous les troubles dont les organes sont atteints. Sanguis moderator nervorum. Si l’âme est quelque part, si elle s’incarne, c’est dans le sang. L’altération des muqueuses est un indice d’atrophie du sang. La source de toute maladie comme de toute santé est dans le sang.

Plus le sang est pur, c’est-à-dire plus ses éléments sont sains et en équilibre normal, moins on est sujet aux maladies. Mais le travail de transformation incessante qu’il subit, le rend naturellement susceptible de nombreuses altérations, provenant d’une foule de causes différentes, dont la plupart sont encore inappréciables pour nous.

Le corps humain est un creuset où la matière est en perpétuel mouvement. Les impuretés s’en vont par des exutoires naturels, comme les selles, les urines et les exhalations de la peau, ou par des exutoires maladifs, comme les rhumes, les diarrhées, les eczémas, les abcès, etc.

Toutes les maladies doivent être considérées comme des manifestations naturelles de l’organisme tendant à se débarrasser d’un vice intérieur. Les muqueuses, plus délicates que la peau, sont les premières affectées, et il en résulte ce qu’on appelait autrefois les humeurs peccantes : c’est une sorte de filtre ouvert aux éléments dangereux, on pourrait dire une soupape de sûreté. Elles sont donc, à ce point de vue, comme un baromètre spécial indiquant l’état du sang.

Il est encore assez naturel de penser que les impuretés du liquide vital, arrivées à un certain degré, prennent des formes et un caractère plus graves. Ne serait-ce pas là le point de départ des maladies contagieuses ?

On parle beaucoup aujourd’hui de microbes.

Il est possible que chaque maladie ait son microbe particulier ; on ne peut qu’applaudir à ce genre d’études, et il n’est que juste de reconnaître que M. Pasteur, par ses admirables découvertes et par les applications qui en ont été tirées, en médecine comme en chirurgie, a ouvert de nouvelles perspectives à la science médicale et lui a fourni de puissants moyens d’investigation et même d’action. Le nescio quid divinum d’Hippocrate n’est-il pas expliqué en partie par ces infiniment petits, reconnus pour être les ferments, agents ou instruments de la mort et de la vie ? Il est vrai qu’on ignore s’ils sont la cause directe de la maladie ou bien l’effet du tempérament ou d’un accident ? Toutefois on aurait tort de croire que nos prédécesseurs, pour n’avoir pas su démasquer l’ennemi, n’aient pas su le combattre, et leur empirisme, qui a trouvé le quinquina, le mercure, l’émétique et tant d’autres médicaments précieux, a droit à notre respect et à notre gratitude. Peut-être même réussissaient-ils aussi bien que nous contre certaines maladies des muqueuses, l’instinct chez eux suppléant à la science.

Il est évident que les sécrétions des muqueuses, poussées au degré maladif, sont quelquefois une voie de salut, le vrai moyen de guérir certaines anomalies latentes, et qu’il ne faut pas chercher à les supprimer, sans avoir ouvert au mal une autre issue.

Il existe dans le corps humain une pondération naturelle de ses divers éléments et une corrélation très étroite entre toutes ses parties, en sorte qu’un médecin intelligent se préoccupe toujours des répercussions qui peuvent résulter de ses procédés de guérison. C’est à ce point de vue qu’il faut, à mon avis, considérer même les simples rhumes, en se gardant d’y voir un accident purement local ne méritant pas autre chose que l’emploi des moyens topiques. Le rhume est toujours plus ou moins l’indice d’une altération intérieure qu’il faut traiter judicieusement, c’est-à-dire en cherchant à éliminer le vice originel, pour ne pas s’exposer à enfermer le loup dans la bergerie. C’est dans ce sens-là que la sagesse populaire dit qu’il faut qu’un rhume suive son cours.

Cette sagesse populaire, produit de l’expérience des siècles, est sans doute loin d’être infaillible, mais peut-être a-t-on aujourd’hui le tort de trop dédaigner ses indications. Je note qu’elle a toujours traité les rhumes par des moyens qui concordent entièrement avec ma manière de voir, c’est à-dire :

1° Par la diète et l’abondance des tisanes qui agissent sur le sang et facilitent le jeu de la nature, laquelle tend toujours à éliminer les éléments vicieux ;

2° Par les précautions hygiéniques, consistant surtout à éviter les transitions brusques de température, qui sont les causes occasionnelles les plus fréquentes de la bronchite.

En dépit des spécialistes qui encombrent la quatrième page des journaux, je ne crois pas qu’on ait trouvé mieux que ces vieilles pratiques. Tout au plus est-on parvenu, par certaines compositions, au fond desquelles se retrouve toujours l’opium, à calmer momentanément la toux, ce qui, outre le soulagement, n’est pas sans avantage, surtout au début de la bronchite, en l’associant au Baume de Tolu, ce que faisaient déjà nos anciens.

La prédisposition aux rhumes tient souvent à d’autres dérangements des fonctions du corps, notamment à la constipation. On abusait autrefois des purgatifs et de la saignée : peut-être est-on tombé dans l’excès contraire. Beaucoup de gens souffrent de rhumes continuels, qui en seraient débarrassés s’ils se purgeaient de temps en temps, ou mieux, s’ils suivaient un régime rendant les purgations inutiles. Je connais un brave homme qui, après avoir toussé vingt ans de sa vie, s’est débarrassé de cette infirmité, en en faisant disparaître la cause, au moyen d’un peu de pain de seigle dans du lait, qui compose invariablement son premier déjeuner du matin.

Les altérations du sang, cause primordiale des rhumes, peuvent venir, soit de l’air qu’on respire, soit des aliments que l’on ingère, soit enfin de certaines conditions de vie ou de régime, ou même de dispositions morales, qu’il ne faut jamais perdre de vue.

C’est pour cela qu’on voit des catarrhes, longtemps rebelles à tous les remèdes, céder à un simple changement d’air ou à un changement de vie.

Quelquefois le rhume est l’effet, direct et en quelque sorte mécanique, du contact des atomes flottants dans l’air respiré, avec la muqueuse des bronches. Les rhumes de ce genre, qu’on appelle d’ordinaire des irritations du gosier, sont ceux qui durent le moins, pourvu que les atomes ne contiennent pas de germes infectieux.

En ce qui concerne les enfants, tout le monde sait que la toux est souvent chez eux un accompagnement inévitable de la dentition ou de la présence de vers intestinaux.

En somme, une vie réglée, un régime calculé sur le tempérament, l’exercice, l’air pur et le soleil : voilà les grands moyens préventifs contre les rhumes, ou plutôt contre les altérations du sang dont le rhume est la manifestation la plus habituelle.

Dans les villes, le rhume est l’état presque normal d’une foule de gens. Dans les campagnes, c’est l’exception, et les moins enrhumés sont précisément ceux qui se préoccupent le moins du chaud et du froid.

Dans nos montagnes, où les tousseurs sont relativement rares, on tousserait encore moins si l’on observait certaines règles de l’hygiène la plus élémentaire, notamment celle qui défend de se chauffer sans bouger au soleil d’hiver. J’ai bien obtenu d’un bon curé l’inscription sur un des murs extérieurs de son église du salutaire conseil :

Mensibus erratis
Ad solem ne sedeatis,

en l’assurant que, bien avant l’école de Salerne, un Père de l’église avait signalé ce danger des mois à R ; mais les meilleures vérités, même avec le concours des ministres de la religion, pénètrent difficilement le crâne épais de nos paysans. Heureusement la tradition et l’instinct suppléent en partie chez eux au défaut d’instruction, et ils n’avaient pas attendu Laennec pour savoir qu’un bol de vin chaud est parfois d’un merveilleux effet contre le rhume. Dans les pays où il existe des sources sulfureuses, il n’est pas une famille où, de temps immémorial, on ne recoure contre la toux à l’usage en boisson de ces eaux, chaudes ou chauffées, coupées avec du lait. Si les chanteurs de théâtre, renonçant à un excès de précautions plus nuisibles qu’utiles contre le froid, commencent à suivre aujourd’hui un système contraire pour la conservation de leur voix, je suis disposé à croire qu’ils ont été éclairés surtout par l’exemple de nos paysans.


Branbran, à qui j’exposais ma théorie des rhumes, m’a répondu par l’anecdote suivante :

Un malade se plaignait à son médecin. L’Esculape lui répondit : De quoi te plains-tu ! Tu tousses, donc tu vis !

Et là-dessus ce brave docteur prouva à son malade qu’il était heureux qu’il toussât, car on voyait ainsi par quelle issue le mal pouvait s’en aller, en l’assurant que sans cela, le vice intérieur l’aurait tué infailliblement.

Le malade ne répondit à cette longue dissertation que par ceci :

Docteur, j’aimerais mieux ne pas tousser !

Le catarrhe, c’est-à-dire la bronchite invétérée, conclut Branbran, n’est pas une plaie mortelle, mais une plaie qui dure jusqu’à la mort… et la facilite au besoin.

Encore un joli mot, bien consolant. Celui-là est, je crois, de Balzac :

La mort est femme, mariée au genre humain… et fidèle. Où est l’homme qu’elle a trompé ?


Mon cher, continua Branbran, si jamais tu racontes notre tournée aux stations minérales du Vivarais, du Velay et de l’Auvergne, je t’engage fort à mettre en tête une observation (qui, d’ailleurs, pourrait servir pour la médecine tout entière), c’est que Dieu seul guérit, et que les eaux – ou les médecins – ne jouent guère que le rôle de la cinquième roue à un carrosse, c’est-à-dire faisant bonne figure quand les autres marchent bien, et plus ou moins impuissants quand le reste ne vas pas. Laisse-moi ajouter cependant que par Dieu, j’entends ici bien moins son action directe, s’occupant de chaque individu en particulier et au fur et à mesure des circonstances, que les lois établies par lui pour la santé et la maladie, lois que les médecins ne connaîtront jamais bien tant qu’ils ne seront pas mieux convaincus des secours que la foi et la morale peuvent apporter à leur art. La foi est la vie de l’âme et la morale est la reine de l’hygiène. Tout médecin matérialiste est donc fatalement au-dessous de sa tâche.

N’est-il pas curieux, du reste, de voir les négateurs de la foi se faire ses plagiaires en la déguisant sous le nom de suggestion ?

Mon vieux camarade rappela le mot d’Henri Heine : « La vie est une maladie, le monde entier un hôpital, et la mort notre médecin ».

Pourquoi cela est-il plus vrai que jamais ? Parce qu’on n’a plus une existence naturelle et raisonnable. Les Parisiens qui vivent dans la fièvre des plaisirs et l’agitation des affaires, abrègent leur vie d’un tiers ou d’un quart.

Pour en revenir aux eaux du mont Dore, sont-elles vraiment un remède spécifique contre les maladies de poitrine, ainsi que le soutiennent les médecins du crû ? A cela on peut répondre que, si elles guérissent les uns et ne guérissent pas les autres, il y a dans les deux cas des distinctions à faire, attendu que le mérite de la guérison appartient parfois au malade plutôt qu’aux eaux, de même que d’autres fois, le malade est beaucoup plus responsable que les eaux de la persistance du mal. Comme tant d’autres remèdes, les meilleures eaux ne servent à rien ou mêmes sont nuisibles, si elles sont accompagnées d’excès de tout genre et non d’un régime approprié aux personnes et aux circonstances.

Branbran revint sur ces idées, et les développa le soir, dans une conversation que nous eûmes avec un de nos anciens camarades de Paris, que nous venions de retrouver médecin au mont Dore. Avec la franchise et la vivacité de langage qui lui étaient habituels, il reprocha à la science du jour d’être trop tranchante, trop exclusive, trop disposée à se draper dans une sorte d’infaillibilité. Il semble, dit-il, que depuis que ce privilège a été retiré au pape, tout le monde ait voulu s’en approprier un morceau. Abstraction faite des esprits les plus élevés – et libre à chacun de se ranger dans cette catégorie – il y a certainement dans l’art de guérir, comme dans les autres branches des connaissances humaines, une petite église en dehors de laquelle il n’y a pas de salut, c’est-à-dire de vérité, ce qui n’empêche pas le Credo du jour de subir tous les vingt ou trente ans des variations sensibles, en sorte que la vérité d’une période de temps est presque sûre d’être taxée d’erreur pendant la période suivante. Y a-t-il beaucoup de maladies qui, depuis cinquante ans seulement, n’aient pas été l’objet des explications comme des traitements les plus contradictoires ?

C’est pourquoi, dit Branbran, tout en reconnaissant que la science officielle a souvent raison, il est certain que ses critiques n’ont pas toujours tort. Se poser comme son ennemi ne serait ni équitable ni sensé. Mais il est bien permis de garder vis-à-vis d’elle quelque indépendance. C’est ce que je fais. Pauvre provincial, j’acceptais au début tous ses décrets sans sourciller. Depuis, j’ai vu tant de braves gens se porter bien ou mal, guérir ou mourir, en dehors des règles et des préceptes connus, que j’ai cherché ailleurs, et que j’ai cru apercevoir dans les enseignements des Facultés une grave lacune. Elles sont comme je viens de le dire, trop entichées de leur science. Les princes de l’art tranchent en princes et, confiants dans la justesse de leur regard, prennent à peine le temps d’examiner le malade. En somme, ils ne guérissent pas mieux que leurs confrères de province, car ceux-ci, avec plus de modestie et de patience, sachant qu’il y a toujours quelque chose à apprendre même dans le langage du malade le plus ignorant, finissent ordinairement par beaucoup mieux reconnaître le mal et les moyens de le guérir.

A ce grave défaut qui s’appelle l’orgueil – dont devrait être exempt tout véritable savant, car s’il y a quelque chose d’évident au monde, c’est que plus on sait, plus on reconnaît qu’il existe une foule de choses qu’on ne peut savoir – à ce grave défaut, dis-je, s’en ajoute un autre, qui est au moins son cousin, que j’appellerai un positivisme à outrance.

La plupart de nos anciens médecins avant le XVIIIe siècle s’intitulaient « médecins et philosophes ». Leur philosophie comblait plus ou moins bien les lacunes de leur médecine. Il y avait là un danger contre lequel on a réagi depuis, en ramenant les études hippocratiques à une observation plus rigoureuse des faits. Mais peut-être est-on allé dans cette voie plus loin qu’il ne convenait. A mon avis, on est aujourd’hui un peu trop médecin et pas assez philosophe, ce qui veut dire qu’on ne tient pas un compte équitable de tous les éléments divers qui concourent à l’art de maintenir ou de rétablir la santé. Il y a chez nous l’ange et la bête, comme dit Pascal, c’est-à-dire le moral et le physique, et il semble que beaucoup de gens s’occupent trop de ce dernier en négligeant son compagnon. Est-ce que les tendances de la science officielle n’ont pas contribué à cet errement ? Que de choses il y aurait à dire sur ce sujet, mais en voilà bien assez pour une fois. Et il serait temps de parler de vos eaux.

Le docteur X avait accueilli la bordée de Branbran avec cet air d’indulgente supériorité qui dispense de répondre aux questions embarrassantes.

Oui, dit-il avec une nuance d’ironie, parlons de nos eaux ; je suis curieux de savoir ce qu’un esprit indépendant, comme le vôtre, peut en penser.

Branbran ne contesta pas les vertus des eaux thermales en général, et de celles du mont Dore en particulier, et reconnut que le docteur Michel Bertrand (1), en imaginant les inhalations d’eau pulvérisée, avait rendu un véritable service aux pulmoniques. Mais, il se demande si la supériorité de la station ne provient pas encore plus de son altitude et de l’air pur qu’on y respire, que des eaux elles-mêmes. La médecine du bon air, dit-il, ne saurait être trop hautement célébrée ; c’est par elle qu’on va le plus directement et le plus sûrement à la source du mal qui, dans une foule de cas, provient d’un sang vicié ou affaibli. Elle vivifie et purifie le liquide vital. Le bon air est la condition première et indispensable d’une foule de guérisons. On peut même voir un de ses effets sur le vin transporté en montagne. L’air vivifiant des hauteurs lui donne plus de feu et le dépouille de ses impuretés. Ici, pas de cave creusée dans la terre. La cave est au rez-de-chaussée – L’air y circule frais, incisif, vivant.

A ce propos, revenant sur la théorie qu’il nous avait exposée à Antraigues, Branbran soutint qu’avec les eaux froides de la région, on pourrait opérer au moins autant de guérisons qu’avec l’eau chaude. Pourquoi la Providence y a-t-elle établi tant de belles cascades, qui pourraient devenir autant de magnifiques établissements hydrothérapiques, si ce n’est pour offrir aux aveugles humains des moyens de guérison que malheureusement ils n’apprécient pas assez ?

– La grosse difficulté, observa le docteur X, serait de persuader la chose à nos clients et surtout à nos clientes. On voit bien, mon cher ami, que vous êtes de notre art par la théorie plus que par la pratique. S’il en était autrement, vous sauriez qu’on ne fait pas faire aux malades tout ce qu’on veut, surtout quand ce qu’on veut n’est pas agréable. Nous reconnaissons, comme vous, les avantages de l’hydrothérapie, et l’efficacité de son emploi dans une foule de cas, en tenant compte bien entendu, des circonstances, des habitudes et des tempéraments ; mais, comme l’eau froide est moins agréable que l’eau chaude, comme ce système doit être combiné avec un exercice parfois fatigant, comme la plupart de nos clients redoutent l’eau froide et le mouvement et ne veulent guérir que par des moyens commodes, force nous est bien de nous résigner à l’emploi des seuls moyens qu’on veut accepter de nos mains.

Tout le monde convint de la justesse de cette observation, et il fut reconnu qu’ici, comme en religion, beaucoup de gens aiment trop à se borner aux pratiques extérieures, en négligeant le fond, et croient avoir rempli leur devoir en avalant les potions prescrites, sans souci des prescriptions hygiéniques qui sont l’essentiel. Bref il fut établi que dans une foule de cas, si le malade ne guérit pas, la faute en est à lui encore plus qu’aux ordonnances du médecin ou à l’impuissance de la médecine.

Ceci, dit Branbran, me conduit à compléter mes vues d’ensemble sur l’art médical. Nous sommes d’accord sur les bienfaits de l’aérothérapie ; – la médecine du bon air qui s’exerce heureusement sans qu’on y pense dans les stations élevées comme celle-ci ; – sur ceux de l’hydrothérapie – et, puisque nous sommes en train de forger des mots avec la langue d’Homère, de la gymnothérapie, attendu que l’exercice est le complément nécessaire de la médecine à l’eau froide et qu’une promenade au Puy de Sancy ou au bois des Capucins, est encore préférable à la meilleure des inhalations. Et par suite on peut bien dire que le plateau central a été établi par la Providence comme le grand Sanatorium de la France, destiné de plus en plus, grâce aux chemins de fer qui en facilitent l’accès, à devenir le grand rendez-vous des malades du pays tout entier – puisque tous les moyens de guérison s’y trouvent réunis.

Cependant – et c’est ici peut-être que nous ne nous entendrons plus aussi bien – il faut bien avouer que l’aérothérapie, l’hydrothérapie et la gymnothérapie – pardon de toutes ces affreuses dénominations – sont encore insuffisantes, tant que le médecin n’a pas su inculquer à ses malades la conviction profonde, et en quelque sorte le fanatisme de leur efficacité. Il y faut donc de plus, et par dessus tout, ce que j’appellerai la théothérapie, c’est-à-dire une influence en quelque sorte divine ou extra humaine, extraordinaire au moins, pour préparer le malade à recevoir, dans des conditions propices, le sacrement de sa guérison. C’est en cela que les charlatans réussissent quelquefois, là où nous échouons, et que leurs rares succès font oublier leurs innombrables et fatales erreurs. C’est aussi par là que des hommes, fortement pénétrés d’une seule vérité médicale, accomplissent de véritables prodiges. Je n’irai pas chercher un exemple bien loin. Vous avez tous entendu parler de ce curé bavarois devenu si populaire en Allemagne – l’abbé Kneipp. J’admets que ses succès soient exagérés, mais, dans tout ce qu’on dit, dans tant de guérisons en quelque sorte miraculeuses, dont la nouvelle nous arrive par tant de bouches différentes, il est raisonnable d’admettre cependant une part de vérité. Pour moi, je l’admets d’autant plus que je me l’explique parfaitement, et que je vais vous dévoiler le secret de Kneipp. Cet homme là est évidemment une espèce de thaumaturge, c’est-à-dire une de ces natures puissantes, qui conçoivent une vérité plus vigoureusement que les autres et ont le talent de l’enfoncer dans le crâne de leurs auditeurs. Il n’est pas un de nous qui ne comprenne aussi bien que Kneipp les effets qu’on peut tirer de l’hydrothérapie et de l’hygiène – qui sont les deux points essentiels de sa méthode – et même qui ne sache en principe à quel point le moral peut influer profondément sur le physique. Nous le savons, mais la preuve que ces vérités ne se sont pas gravées, incrustées aussi profondément dans notre esprit que dans le sien, c’est que nous pouvons donner les mêmes conseils que lui sans être crus, prescrire les mêmes moyens sans obtenir qu’ils soient appliqués. – Voilà en quoi il est plus fort que nous, et voilà peut-être en quoi bien des médecins sont inférieurs à bien des ignorants.

– Et voilà sans doute aussi, dit Bodin, l’explication naturelle d’une foule de prétendus miracles, c’est-à-dire de déviations aux lois de la nature, que les bonnes gens attribuent à une intervention céleste.

– Ceci est une autre question, répliqua Branbran, et je vais répondre en deux mots. A mon avis, il n’est pas raisonnable de supposer que Dieu a établi des lois naturelles pour les violer ensuite. La puissance divine connaît assez de moyens et trouve assez d’occasions éclatantes de se manifester, et de nous frapper d’admiration et de terreur, dans le cercle infini de nos ignorances, sans sortir de ces lois. Le miracle ne doit donc pas être défini une déviation essentielle des lois de la nature, mais une manifestation de lois encore inconnues. Mais ces lois sont-elles tout à fait inconnues ? Ignorons-nous la force que donne la foi ? Qui de nous ignore ce puissant ressort de guérison, le seul possible dans les cas désespérés ? Au seul point de vue médical, n’est-ce pas un crime et une folie de chercher à le détruire, comme on le fait actuellement ? Je défie un observateur de bonne foi de nier les miracles que peut opérer un médecin, qui sait user du sentiment religieux, quand il le trouve très développé chez un malade.

Laissant de côté la question religieuse, Branbran insista sur le parti que l’on peut tirer de l’influence du moral sur le physique, influence que les tendances matérialistes de la science moderne tendent trop à faire négliger. Il rappela à ce propos une étude curieuse publiée par un médecin du Puy dans la première moitié de ce siècle, qu’il avait retrouvée accompagnée de nombreuses annotations dans les papiers d’un vieux médecin très réputé de l’Ardèche (2). A propos du fameux mot de Mme de Sévigné : « Hâtez-vous de vous servir de ce remède tandis qu’il guérit », Branbran soutint qu’en écrivant cette plaisanterie, la spirituelle marquise avait émis, sans s’en douter, une vérité profonde. Il est certain, dit-il, que la vertu des remèdes n’est pas purement matérielle, c’est-à-dire ne tient pas uniquement aux substances dont ils se composent, mais encore aux dispositions de ceux qui en usent. L’expérience montre assez que tel remède ou tel procédé utile à telle époque et dans tel pays où il inspire confiance, cesse parfois de l’être dans un autre temps et un autre milieu.

Le docteur X fit observer que ces théories sur la médecine morale pouvaient favoriser bien des ignorances et amener de graves abus.

– J’en conviens, répondit Branbran. Où l’abus ne se glisse-t-il pas dans ce monde ? Mais observez qu’en préconisant l’emploi de la médecine morale, je suis loin de méconnaître les avantages de… l’autre, la médecine purement scientifique. Je ne blâme que les partisans trop exclusifs de cette dernière, comme je blâme ceux qui ne veulent pas reconnaître les progrès de notre art. Parmi les médecins pourvus d’une instruction suffisante, le meilleur, selon moi, est celui qui, se pénétrant bien de l’idée que le malade est esprit et matière, sait user sagement et opportunément de tous les moyens de guérison que cette double nature nous indique. A ceux qui me reprocheraient de diviniser la médecine, (tandis que d’autres, sans doute, m’accuseront de naturaliser la religion), je ferai observer que je ne fais que rendre à l’art de guérir le caractère qu’il avait chez les anciens. Pour atteindre son but, qui est de supprimer ou d’atténuer le mal, il faut que le médecin ne néglige aucune des ressources dont il peut disposer, et, comme il a devant lui un être composé de corps et d’âme, il est évident que si pour lui l’âme n’existe pas, il ne sera qu’un guérisseur incomplet.


Chacun de nous est physiquement une petite république… mieux organisée que celle que vous savez. Nos organes dépendent les uns des autres. Il n’y a pas de vie, si tous n’y coopèrent, chacun à son rang. Voilà une leçon que nous devrions méditer. L’histoire de messer Gaster est vraie, hors en ce point, qu’au dessus de messer Gaster, il y a l’âme, qui est le vrai président de cette république et que l’estomac en est tout au plus le premier ministre.

Nos organes sont des serviteurs intérieurs qu’il faut traiter avec douceur et intelligence, si nous voulons en être bien servis, en mesurant leur travail à leur force, en usant d’eux sans jamais en abuser.

Par la douceur et la modération, jointes à la fermeté et à la justice, on a de bons domestiques.

Par la sobriété, la tempérance, une vie régulière et active, on a des organes qui fonctionnent bien.

Remarquons que les préceptes de la première grande école de médecine en Europe (l’école de Salerne) se résument dans des conseils de ce genre.

Boerrhaave mourant disait la même chose, sous une autre forme, à ses disciples qui lui demandaient un résumé de la médecine :

Tête fraiche – ventre libre – pieds chauds.

Rappelons-nous enfin le mot de M. Chevreul, la dernière fois que ses confrères de l’Académie des sciences allèrent le féliciter. « Je puis, dit-il, vous confier le secret de ma longévité : elle est due à la modération de mes goûts ».

C’est ici le lieu de noter que tous les médecins de la région du plateau central, qui ont écrit sur les maladies des paysans de la contrée, signalent, comme les deux grandes causes de ses maladies, la malpropreté et l’ivrognerie. Branbran dit que, sans ces deux vices, ils vivaient trop longtemps et qu’on serait obligé de les abattre.

Tu feras bien, m’a dit encore Branbran, puisque le mont Dore nous a mis sur la voie de nouveaux aphorismes, de noter dans ton carnet que la thérapeutique moderne a trop abandonné l’usage des simples, pour se jeter dans les médicaments minéraux. Ceux-ci ne devraient, en général, s’employer que pour les cas héroïques. Ce sont des armes de précision qui, en des mains inhabiles, tuent trop souvent le malade en même temps que la maladie. On a tort de considérer les simples comme n’étant pour la plupart que des adjuvants, attendu que leur emploi judicieux et prolongé est le meilleur, sinon l’unique moyen, d’effectuer, dans les qualités du sang, les modifications indispensables au retour de la santé. Que de maladies, réputées désespérées par les hommes de l’art, ont cédé aux prescriptions de guérisseurs de campagne, basées sur un large emploi du cresson de fontaine, ce grand dépuratif des populations rurales, que le bon Dieu n’a pas mis sans raison, à la portée de tout le monde !

Il faut, du reste, convenir que tous les médicaments du monde, végétaux aussi bien que minéraux, ne sont rien sans un régime approprié – à quoi si peu de gens savent se soumettre – ce qui nous ramène à cette vérité primordiale, que la médecine physique n’est rien sans la médecine morale.


On pourrait écrire un livre sur les analogies de la médecine et de la politique.

Qu’on le veuille ou non, Dieu domine l’une et l’autre. La morale fait la santé des hommes comme la prospérité des Etats.

La médecine, qui ne s’inspire pas de cette idée, est au moins incomplète, et la politique qui ne s’y conforme pas est dangereuse.

Au point de départ de toutes les maladies, se trouve une infraction à la loi morale. Quand elle n’est pas chez nous, elle est chez nos prédécesseurs. Comme l’a fait observer le Béat, l’hérédité des maladies prouve le péché originel. Celui-ci est dans les faits autant que dans la Bible. Mais à tout péché miséricorde : ses effets peuvent être atténués, sinon complètement effacés, par le régime, et la sélection naturelle refait la race. Si les vices n’existaient pas, le monde se porterait comme un charme.

De même, si tout le monde était juste et raisonnable, il n’y aurait plus ni question politique ni question sociale. Alors les députés n’auraient pas besoin de faire des lois et seraient dispensés de les violer eux-mêmes. Il n’y aurait même plus de députés. Avouons que ce serait ennuyeux : détruire le plus beau théâtre de la nation ! Quelle chimère !

Ce soir, à dîner, M. Montaigne a pris la défense des médecins, en faisant observer que, s’ils ne guérissaient pas davantage, c’est qu’on n’observait pas leurs prescriptions, et que, s’il en était autrement, on s’en trouverait mieux.

La belle découverte ! a dit une dame. Nous le savons bien. Le mérite, c’est de savoir guérir ses clients, tout en les laissant faire ce qu’ils veulent – sans les priver d’aucun plaisir, d’aucun caprice, en leur infligeant tout au plus quelques bains, potions ou granulés.

On a souri courtoisement à cette boutade.

En quoi diffère-t-elle des théories que prêchent sérieusement nos réformateurs modernes ?

Quand, pour résoudre la question sociale, ceux-ci enseignent au peuple qu’il n’a pas à se gêner ni à se priver de rien, qu’il a droit à la richesse et au bonheur, et que, si ce but n’est pas atteint, la faute en est à la société ou au gouvernement, ne transportent-ils pas sur un terrain encore plus dangereux, la théorie dont notre voisine de table s’est moquée spirituellement ?

En politique, la victoire est à ceux qui savent attendre, qui sont plutôt passifs qu’actifs, sachant qu’on subit les courants plus qu’on ne les crée, et qu’il faut obéir aux forces dont le principe est placé en dehors de nous. L’homme d’Etat doit être comme le pilote habile qui guette le moment où il pourra donner utilement le coup de barre. Il sait qu’il ne faut pas se heurter à l’impossible afin d’agir plus efficacement, l’heure venue, en vue du possible.

De même en médecine, on doit s’attacher avant tout à connaître le jeu de la nature, non pour le contrecarrer, mais mais pour le faire servir à la guérison ; c’est ce qu’avait compris Hippocrate : quo vergitur natura, eo ducendum. En poursuivant la guérison des maladies, ne perdons jamais de vue que leurs manifestations, ont toujours pour objet l’expulsion, la correction ou au moins l’indication d’un vice de l’organisme.

En politique comme en médecine, l’étude, le calme, la patience et, par dessus tout, l’honnêteté, valent mieux que les moyens précipités et les aventures violentes.

Il est assez de mode, parmi les malades, d’accuser le temps comme la cause de tous leurs malaises. Que feraient les médecins eux-mêmes s’ils n’avaient pas toujours le temps sous la main, pour expliquer une foule de choses dont ils ne peuvent se rendre compte !

De même, en politique, on se fait une tête de Turc, un bouc émissaire quelconque, pour porter tous les péchés d’Israël. Gambetta a usé de ce procédé quand il a dit : « Le cléricalisme, c’est l’ennemi ! ». Un de mes amis, un brave garçon cependant, m’a soutenu pendant vingt ans que tous les maux du régime actuel étaient le fruit de la corruption impériale, et n’a compris la bêtise de son refrain qu’après l’aventure panamiste.

On a si longtemps, si bêtement et si lâchement, frappé sur le cléricalisme, que cette tête de Turc est aujourd’hui complètement usée. Il faut autre chose. C’est au gouvernement et à la société que commence à s’en prendre la masse idiote. L’un et l’autre ne sont pas sans péché. Toutefois, il serait bien à désirer que les innombrables niais du suffrage universel arrivassent à comprendre que le gouvermenent n’est que la résultante de nos vices ou de nos qualités, et qu’un peuple n’a jamais que celui qu’il mérite ; qu’ils comprissent aussi que la société c’est nous tous, le pauvre comme le riche, l’ignorant comme le savant, que tous nos malheurs, comme toutes nos maladies, sont notre fait ou celui de nos prédécesseurs, et qu’il est puéril d’en chercher ailleurs la source et le remède. Nosce teipsum, disait la sagesse antique. Corrige teipsum, en est la conséquence pratique. Mais cela pourra-t-il jamais entrer dans leur épaisse cervelle ?


Du Mont-Dore à la Bourboule, il n’y a qu’une descente de quelques kilomètres qu’on franchit en moins d’une heure. De nombreux omnibus font le service. Le nouvel établissement thermal de la Bourboule est aussi beau que celui du Mont-Dore. Il n’est destiné, en dehors de la buvette qui est commune, qu’aux baigneurs de 1re classe. Les bains à prix réduits et les piscines sont à l’ancien établissement thermal connu sous le nom de Chaussy. Il y a autant d’étrangers à la Bourboule qu’au Mont-Dore, mais il m’a semblé qu’il y avait plus de touristes que de malades. Les eaux de la Bourboule sont réputées excellentes pour les scrofuleux. Cette station n’étant qu’à une altitude de 850 mètres environ, soit 200 mètres de moins que le Mont-Dore, la saison y dure ordinairement une quinzaine de plus. L’eau de la Bourboule est d’une saveur plus métallique que celle du Mont-Dore, ce qui tient peut-être à ses huit milligrammes d’arsenic. Nous avons trouvé, dans les deux stations, des partisans enthousiastes de chacune d’elles. Un baigneur de la Bourboule, quelque peu Marseillais, disait à un de ses compatriotes descendu du Mont-Dore :

– Pouah ! vous n’avez là-haut que des malades, on n’y entend tousser que des poitrinaires !

– C’est précisément la différence, répondit l’autre. Votre eau ne guérit que des gens bien portants, tandis que le Mont-Dore guérit de vrais malades.

Il est probable qu’on guérit aussi bien d’un côté que de l’autre, pourvu qu’on fasse pour cela le nécessaire.

Quant à l’influence du plus ou moins d’arsenic, ou de telle autre substance, dans ces eaux, il est bon de se rappeler que nous ne sommes qu’au début des observations de ce genre. Les chimistes eux-mêmes reconnaissent qu’ils sont loin d’avoir pénétré tous les secrets de la composition des eaux thermales. Il y a vingt ou trente ans, l’arsenic paraissaît être l’apanage de quelques sources du plateau central ; aujourd’hui on le retrouve presque partout, en quantité plus ou moins sensibles. De même, de l’iode, du brome et d’une foule d’autres corps simples naguère encore réputés très rares. Il est admis aussi que l’origine de tous ces corps est située à de grandes profondeurs et que leur dissolution est, au moins pour la plupart, l’effet de pressions et de températures énormes. Que de problèmes nouveaux viendraient s’ajouter à ceux d’aujourd’hui, si M. Bodin parvenait à percer la terre jusqu’à la région des eaux thermales !

  1. Quelques écrivains revendiquent l’honneur d’avoir trouvé ce procédé, pour le docteur Sales-Girons, qui l’aurait appliqué, le premier, à Pierrefonds, vers 1853. Il suffira de rappeler que, dès 1832, les inhalations étaient pratiquées au mont Dore.
  2. Ce passage fait probablement allusion à l’article du docteur Richond des Brus intitulé : De l’influence du plaisir dans le traitement des maladies, qui se trouve dans le Bulletin de la Société d’Agriculture du Puy, 1828.