Voyage fantaisiste et sérieux à travers l’Ardèche et la Haute-Loire

Docteur Francus

- Albin Mazon -

XXXIV

La fin du Roman

La lecture de l’Imitation de Jésus-Christ. – Le frère et la sœur. – Une intervention inattendue. – Le femme chrétienne et les héroïnes de George Sand. – Au rocher Corneille. – Les cloches, le glas et les carillons. – Le sonneur de Saint-Dizier d’Avignon. – La musique des troupeaux sur les montagnes. – Un orage vu de l’Aiguilhe. – Visions nuageuses. – Les mouvements du sol. – Le dénouement. – La question sociale.

M. Montaigne m’a dit ce matin :

J’ai suivi votre conseil. Depuis le mont Dore, j’ai lu et relu l’Imitation de Jésus-Christ, mais sans y trouver, sauf la trace de bien des larmes, aucun indice particulier sur les motifs de la détermination de Thérèse. J’ai, du reste, gardé de cette lecture une impression très vive, et je me demande si Thérèse, en me laissant ce livre, n’a pas agi, comme le père mourant de la fable, qui recommandait à ses fils de fouiller son champ pour y trouver un trésor caché.

– Je ne crois pas, lui dis-je, à ce calcul dans une âme de sainte, mais on peut le supposer dans la Providence, qui inspire à ces âmes les pensées simples mais fécondes à leur insu, de même qu’elle a déposé dans la prière des germes de paix et de joie intérieure qui se développent naturellement, de même encore qu’elle a mis dans la foi le germe des miracles.

Ce jour-là, le vieillard eut avec sa sœur une longue conversation qui peut se résumer ainsi :

Voici probablement, lui dit-il en l’abordant, ma visite d’adieu, car à nos âges, on ne peut guère espérer de se revoir que dans l’autre monde. Avant de vous quitter, ma sœur, me sera-t-il permis de vous demander une grâce ?

– Elle vous est accordée d’avance, mon frère, si elle dépend de moi.

– L’affaire est bien simple. Un jeune homme, à qui je porte beaucoup d’intérêt, se trouve à peu près dans la position où je me suis trouvé moi-même… quand Thérèse m’a été enlevée. J’ai demandé pour lui la jeune personne à sa famille. Celle-ci consent, mais la nouvelle Thérèse paraît décidée à maintenir son projet d’entrer en religion. Vous connaissez cette enfant, et votre influence pourrait nous aider à réaliser une union des mieux assorties. Le cloître y perdrait sans doute une âme d’élite, mais le monde la gagnerait, et celui-ci en a plus besoin que vous.

– Vous me demandez d’intervenir dans une affaire bien délicate. Notre règle de conduite en pareil cas est, d’ailleurs, nettement tracée aussi bien par notre conscience que par les préceptes de l’Eglise. En supposant que mes conseils pussent avoir quelque influence sur la personne, vous ne désirez pas sans doute que je pèse sur son libre arbitre, mais seulement que j’examine s’il s’agit d’une véritable vocation, – auquel cas il me serait impossible de rien faire pour vous contenter.

– Il me semble, ma sœur, que le meilleur moyen de vous assurer de la vérité, serait d’agir résolument pour la détourner de l’état religieux, car, si elle résiste, vous n’en serez que plus assurée de sa vraie vocation, et, dans le cas contraire, vous lui aurez rendu service, en la remettant dans la voie que la Providence lui avait assignée.

– Sans admettre tout à fait ce raisonnement, je consens à vous donner satisfaction dans une certaine mesure.

De qui voulez-vous parler ?

– De Mlle Tempier, que vous connaissez sans doute, car elle fait actuellement une retraite dans votre communauté.

– Ah ! mon frère, je crains fort que vous n’ayez entre pris une tâche impossible. Je connais Mlle Tempier ; elle nous a fait connaître ses intentions, et peu de personnes m’ont inspiré autant d’estime et de respect. Connaissez-vous le mot de saint François de Sales : « Ce qu’il y a de plus parfait dans l’univers, c’est l’âme humaine ; dans l’âme, l’amour, et dans le genre d’amour, l’amour de Dieu ! ». Si cette jeune fille a compris mieux que d’autres la parole du grand saint, qui oserait l’en blâmer ?

– Je ne la blâme pas, mais laissez-moi penser que l’amour de Dieu n’est pas incompatible avec le monde, et qu’elle pourrait y exercer une action plus utile au service même de Dieu, que dans un couvent.

– Cela peut être, mais êtes-vous sûr de pouvoir en juger aussi bien qu’elle-même ?

– Accordez-moi, ma sœur, qu’à quatre-vingts ans on a un peu plus d’expérience de la vie qu’à vingt ans, et qu’on a au moins le droit de demander aux vingt ans plus de réflexion, surtout quand il s’agit d’un acte d’où dépend le bonheur de toute la vie.

– Le bonheur ! chacun l’entend à sa manière, et je pourrais encore vous demander si vous êtes sûr de mieux juger qu’elle-même ce qui convient à son bonheur.

– Hélas ! ma sœur, je retrouve ici des réponses que j’ai trop entendues dans une circonstance douloureuse – et sur ce terrain je crois qu’il serait difficile de nous entendre. Je m’adresse à votre cœur. Mon pauvre jeune homme est très épris de Mlle Tempier, dont il a apprécié la vertu et les admirables qualités. Il souffrira cruellement s’il est obligé de renoncer à l’espoir d’en faire sa femme. Aidez-le dans la mesure où votre conscience vous le permettra, – en vous assurant au moins si la résolution de Mlle Tempier n’est pas irrévocable.

A ce moment, le bruit d’un petit débat se fit entendre dans l’antichambre ; M. Montaigne comprit qu’une jeune fille voulait voir à l’instant la Mère Supérieure et qu’une sœur la priait vainement de patienter.

M. Montaigne se leva pour sortir.

– Non, lui dit sa sœur, passez seulement dans mon oratoire ; je vais expédier promptement l’indiscrète qui se montre si pressée.

La Supérieure alla ouvrir la porte, et elle fut assez étonnée en reconnaissant Mlle Gerbier.

La jeune fille entra vivement dans la pièce, et après avoir refermé la porte, se jeta aux pieds de la Supérieure, en lui exposant, avec une volubilité extraordinaire, et sans qu’on pût l’arrêter, les motifs de sa visite.

– Révérende Mère, dit-elle, excusez ce que ma démarche a d’insolite. Vous me prendrez peut-être pour une folle. Cependant je crois remplir un devoir de conscience ! Je veux vous parler de ma cousine, de ma pauvre Eulalie. Apprenez un grand secret (je veux tout vous dire comme à mon confesseur) : elle est demandée en mariage, et quoique le parti soit fort convenable, puisque mon père et mon oncle l’acceptent, elle persiste à refuser.

La Supérieure, fort embarrassée d’abord, parce que M. Montaigne pouvait tout entendre, se sentit un peu soulagée, en voyant qu’il ne s’agissait que d’un secret déjà bien connu de son frère. Mais son inquiétude recommença quand la petite continua ainsi :

– Apprenez un autre secret, ma Révérende Mére, un secret que je suis seule à connaître : je ne le trahis pas, puisqu’on ne me l’a pas confié ; mais je l’ai deviné. Eh bien ! la conduite d’Eulalie est d’autant plus inconcevable qu’elle aime ce jeune homme, j’en suis certaine, bien qu’elle ne l’ait dit ni fait comprendre à personne.

Et malgré tous les efforts de la Supérieure pour la faire taire efforts qu’elle ne pouvait s’expliquer, Marie Gerbier poursuivit ses révélations :

– J’ai aussi deviné pourquoi, malgré cela, elle persiste à se faire sœur : c ’est parce que – ah ! ma pauvre cousine est vraiment une sainte et vaut mille fois mieux que moi, c’est, dis-je, parce qu’elle a depuis longtemps fait le vœu à Notre-Dame d’expier les fautes de son père, en entrant dans la vie religieuse. N’est-ce pas, ma Révérende Mère, que Dieu n’exige pas de pareils sacrifices ? Si vous le lui disiez vous-même, comme elle a une grande confiance en vous, elle finirait peut-être par le comprendre.

– C’est bien, mon enfant, lui répondit la Supérieure tout abasourdie de ce qu’elle venait d’entendre et désireuse de mettre un terme à ce flot d’indiscrétions : je ferai ce que Dieu m’inspirera. Une autre fois, mon enfant, quand vous voudrez me parler, il faudra me faire prévenir d’avance.

Voilà donc le grand secret auquel « la Sarrasine » avait fait allusion dans notre dernier entretien à Sainte-Eulalie, et que M. Montaigne connut ainsi avant moi.

L’enfant terrible ne se tint pas pour battue :

– Pardonnez-moi, Révérende Mère, la hardiesse de ma démarche. Si j’ai insisté pour vous voir et pour vous parler, c’est que le temps presse. Nos parents doivent transmettre la réponse d’Eulalie au jeune homme le jour de la fête de l’Assomption. Nous n’avons plus que deux jours pour la faire changer de résolution. C’est que, voyez-vous, j’aime ma cousine de tout mon cœur. Et puis elle nous est si supérieure de toutes les manières, que je ne puis m’empêcher de croire que la Providence la destine à une mission plus grande que celle de faire l’école ou de soigner les malades.

Quand la Supérieure fut seule, elle appela M. Montaigne qui lui dit :

– Vous me voyez, ma sœur, plus étonné que vous, et je me demande quel a pu être le dessein de la Providence, en nous amenant cette innocente auxiliaire et en m’obligeant à entendre une conversation si inattendue.

– Vous m’en voyez, mon frère, très contrariée, mais, à moins de mettre cette enfant brutalement à la porte, il n’y avait pas moyen de lui fermer la bouche. Je n’ai pas besoin, d’ailleurs, de vous rappeler que, confident involontaire de secrets ou prétendus secrets qui ne nous appartiennent pas, vous ne pouvez vous en prévaloir. Je pourrais encore vous faire observer que, même en admettant que la petite fille ait deviné juste, cela ne change pas grand chose à la situation. Quoi qu’il en soit, la Providence, puisque vous l’invoquez, a sûrement eu un dessein, en permettant cet incident, et je crains qu’elle ne vous punisse, par l’insuccès, de n’avoir pas parlé d’elle avec toute la révérence voulue.

– Puis-je vous demander enfin, ma sœur, ce que nous pouvons espérer de vous ?

La Supérieure resta un moment sans répondre, tenant entre ses mains le crucifix suspendu à son cou pour lui demander conseil. Puis, comme ayant pris une grande résolution, elle répondit :

– Puisque vous avez été, mon frère, le confident involontaire de Marie Gerbier, il faut que vous le soyez également de sa cousine, afin que vous puissiez juger de la sincérité de sa vocation.

La Supérieure envoya une sœur prier Mlle Tempier de venir la trouver – et elle fit rentrer de nouveau M. Montaigne dans l’oratoire.

La jeune fille arriva peu après, toute étonnée de cet appel imprévu.

La Supérieure, après quelques circonlocutions, aborda la question des vocations religieuses, en insistant sur la nécessité de les faire précéder de longues méditations. Elle dit qu’il ne fallait pas se laisser entraîner par un accès de ferveur passagère ou par des vœux faits inconsidérément, vœux dont on pouvait toujours être dégagé par son confesseur. Elle avoua qu’on lui avait parlé d’Eulalie avec de si grands éloges que, tout en la regrettant fort pour la religion, elle était bien sûre que, dans le monde, elle serait une enfant tout aussi dévouée de Dieu et de l’Eglise et qu’elle y donnerait l’exemple de toutes les vertus. Donc, pour peu qu’elle ne se sentit pas de dégoût pour le monde, aucun devoir de conscience ne pouvait l’obliger à maintenir ses projets d’entrer en religion, surtout s’il était vrai qu’elle eût été l’objet d’une demande en mariage à laquelle sa famille aurait donné son consentement.

Eulalie avait tout écouté en silence, non sans quelque marque de surprise, en voyant la Supérieure si bien instruite de ses affaires. Elle parut ébranlée – du moins M. Montaigne le crut. Elle remercia la Révérende Mère de l’intérêt qu’on lui portait. Elle avait beaucoup prié depuis quelque temps pour demander à Dieu et à la Sainte Vierge les lumières dont elle avait besoin. Elle ajouta qu’elle voulait passer en prières la nuit prochaine, pour faire ses dernières réflexions, et que si, comme elle l’espérait, Dieu la maintenait dans sa résolution, elle viendrait, le surlendemain, au sortir de la messe, prier la Révérende Mère de la recevoir dans son noviciat.

Quand elle fut sortie, la Supérieure dit à M. Montaigne :

– J’ignore encore, mon frère, ce qui résultera de cet entretien. Comprenez-vous cependant qu’il y a ici, comme il y a eu pour Thérèse, quelque chose de supérieur à nos vues humaines, et que le plus sage est de s’en remettre à la grâce de Dieu ?

M. Montaigne revint à l’hôtel, et le récit qu’il nous fit, en dehors de Bodin, de ce qui s’était passé, ne nous parut guère propre à dissiper les incertitudes de la situation.

Voilà certainement, dit Branbran, un roman auquel George Sand n’aurait rien compris. La femme chrétienne est heureusement tout autre que ses héroïnes. Pour celles-ci, la souveraineté de la passion, l’indépendance du cœur, la légitimité des désirs naturels, sont les principes primordiaux. La femme chrétienne se dirige d’après des mobiles d’un ordre plus élevé : elle mesure son indépendance, non seulement aux lois morales, mais encore aux convenances ; elle écoute les conseils de sa famille ; elle se méfie de la passion et ne s’y livre pas ; elle sait sacrifier au besoin son penchant au devoir ou même au sublime idéal de l’amour de Dieu. C’est le triomphe de l’esprit sur la matière. Or, n’est-il pas évident que le code passionnel, élaboré par les romans, pervertit le sens moral et trouble la société, tandis que le code évangélique est une garantie d’ordre et de vertu ?


Nouvelle ascension, avec Bodin, au rocher Corneille.

Mgr de Bonald, évêque du Puy et ensuite cardinal archevêque de Lyon, racontait à la comtesse de Charpin-Feugerolles que, lorsque ses prédécesseurs étaient les souverains du pays, ils juraient, à leur sacre, de ne pas toucher à ce rocher par des travaux inopportuns (1).

Ce soir là, – avant-veille de la fête – le soleil couchant dorait Notre-Dame de France. C’était d’un effet admirable. On eut dit la Vierge descendant du ciel, apportant son fils pour nous sauver une fois de plus. Nous en aurions bien besoin.

Appuyés sur la balustrade de la plate-forme, nous contemplions le spectacle du bourg d’Aiguilhe et de la ville du Puy, cherchant dans les bruits qui montaient d’en bas, dans les perspectives lointaines des montagnes et dans le ciel embrasé du couchant, une lumière, une direction, aux sentiments et aux idées qui se pressaient dans nos cerveaux alourdis par la chaleur de la journée. Les maisons là-bas nous faisaient l’effet de taupinières, et leurs habitants nous apparaissaient avec des tailles et des allures de fourmis, les plus gros comme des hannetons.

Il y eut ce soir-là beaucoup d’étoiles filantes. Bodin fredonna instinctivement un couplet de la chanson de Béranger :

Quelle est cette étoile qui file !…
C’est celle d’un objet charmant…

– Vrai ! fit-il en s’interrompant brusquement ! Je ne sais plus quelles visions biscornues me passent par la tête.

A ce moment, une musique militaire se fit entendre. Un régiment traversait le bourg d’Aiguilhe. Les musiciens jouaient je ne sais quel air d’opéra qui nous captiva : il y a des états d’âme où toutes les musiques impressionnent. Si l’on cherche à analyser ces impressions, on arrive à reconnaître que l’art de moduler les sons a dû naître spontanément pour suppléer à l’insuffisance de la parole, quand il s’agit d’exprimer certains sentiments, et c’est précisément à ceux qu’il est le plus difficile de démêler, de préciser, au fond de l’âme, que convient le mieux le vague enchanteur de la musique.

Platon entendait la musique des sphères célestes, qui n’est autre que celle des rapports de l’âme humaine avec le divin. C’est pour cela que les chants religieux sont supérieurs à tous les autres. Ainsi que l’a si bien dit un enfant du Puy, « ils traversent le monde comme de grands fleuves ; les générations les lèguent aux générations ; et ils entretiennent la foi, car ils sont l’incarnation du passé, et ils réunissent dans un même chœur vocal tous les élans, toutes les prières d’une foule immense. Quelle grandeur, quelle force imposante n’a point un culte qui sent mille poitrines battre à l’unisson sous les coupoles des temples vastes comme son Dieu (2) ».

Mais, il y a une musique encore supérieure aux chants d’église, une musique qui, d’ailleurs, procède de la même source, et remonte probablement à une aussi haute antiquité, c’est celle que l’airain sacré chante tous les jours aux villes et aux campagnes.

A la symphonie des cuivres avait succédé la majestueuse mélodie des cloches, dont les notes sonores tombaient une à une du clocher de la cathédrale.

Ce fut d’abord un son grave qu’on eût dit l’écho d’un monde supérieur.

Puis un son plus élevé.

Puis un son différent des deux premiers.

Avec de longues pauses entre chacun d’eux.

Et il nous sembla que tous ces coups secs, frappés sur l’airain, avaient une expression particulière, qui tenait à la fois d’un appel, d’un avertissement et d’une plainte.

Les cloches continuèrent de parler, toujours par coups séparés, mais dont la lenteur diminua graduellement ; il y eut même un moment où ils se suivirent sur des timbres différents à brefs intervalles ; enfin ils se ralentirent de nouveau et finirent par s’éteindre en quelque sorte dans le vide et le silence.

C’était le glas annonçant une mort ou une agonie.

D’après les savants, le mot glas vient de classicum, qui veut dire un appel de trompettes pour réunir un groupe de soldats (classis) ; mais il est depuis longtemps réservé au grand appel de l’ange de la mort.

Le glas est tout un poème, dont on chercherait vaine ment l’auteur : œuvre des siècles, sa profondeur laisse bien loin derrière lui les marches funèbres des plus illustres compositeurs. Dans les villes, on le sonne le soir de la Toussaint, pour la fête funèbre du lendemain, et on a remarqué qu’à Paris même, dans les quartiers les plus populeux, ce rappel à la plus terrible des réalités et au souvenir de ceux qui ne sont plus, à ordinairement pour effet de faire vider les cabarets et remplir les églises. C’est lui surtout qui fait comprendre l’attachement des paysans à leurs cloches et à leurs clochers. Celui-ci est l’âme sonnante de la paroisse, et bien avant le téléphone, il avait trouvé le moyen de faire entendre une foule de choses à distance

Dans les bourgs, où il y a plusieurs cloches au clocher, quelques-unes appartiennent parfois à des confréries. A Burzet, par exemple, où il y a cinq cloches, une est des Pénitents blancs, une autre des Congréganistes et une troisième des Dames du Saint-Sacrement. Aux premiers coups du glas, toute la paroisse apprend, par le timbre de la cloche, de quelle confrérie était membre la personne décédée. Si l’on n’est d’aucune confrérie, ce sont les deux cloches de la paroisse qui parlent.

Quand il n’y a qu’une cloche dans un clocher, on sonne le glas par un coup suivi de deux coups plus rapprochés

On sonne toujours un glas la veille de l’enterrement. Au moment du service funèbre, on sonne à volée ; entre les deux coups de battant de la volée, se place un coup d’une autre cloche, d’un son plus grave, figurant une sorte de plainte.

A Paris, le glas est supprimé, et on ne sonne aux enterrements qu’à l’entrée et à la sortie du corps de l’église. Il est à noter que, dans certaines églises, notamment à Saint Sulpice, un quart d’heure avant l’enterrement, le clocheron sonne autant de coups que le défunt avait d’années.

Tandis que nous étions encore sous l’impression du glas de Notre-Dame, le clocher des Dominicains entonna la même chanson funèbre, puis celui des Carmes ; peu après, celui de Notre-Dame recommença ; enfin tous les clochers de la ville se mirent de la partie, ce qui, paraît-il, indiquait le trépas d’une personne considérable par sa position ou par sa fortune.

Le glas isolé de la cathédrale nous avait saisis et attristés. Le vacarme d’à présent, en nous rappelant le mot d’un grand saint, que notre vanité ne meurt qu’un quart d’heure après nous, mit quelque diversion à notre mélancolie.

D’ailleurs, la musique des cloches n’est pas essentiellement triste. Elles sonnent gaiement aux mariages ou aux baptêmes, ou bien à la veille des grandes fêtes, comme nous pûmes nous en convaincre dans la soirée du lendemain. Ce furent, cette fois, des carillons à n’en plus finir, des airs de joie et de victoire – une vraie course au clocher entre clocherons, à qui célèbrerait le mieux l’approche de la solennité de l’Assomption.

Sur ce terrain encore, les cloches ont une supériorité qui laisse bien loin tous les autres instruments. L’historien de la musique et des musiciens, Fétis, décrit les carillons de Flandre. Dans ce pays, certains clochers sont devenus de gigantesques pianos, dont les touches correspondent à autant de cloches, et qui pour être abordés, exigent des artistes spéciaux, habiles et vigoureux. Celui qui joue de cet instrument n’a pas trop de ses mains pour frapper le clavier des notes hautes, et de ses pieds pour le clavier des notes basses. Le piano est naturellement assez dur, vu le poids et le volume des touches, et le jeu est tellement fatiguant qu’on ne peut l’imposer à l’artiste qu’en de grandes occasions. Nous avons dans quelques villes de France des carillons plus ou moins renommés, en première ligne, celui de Dunkerque. Le célèbre Lulli venait de Versailles à Paris pour entendre le carillon de Saint-Germain-des-Prés. Il aurait certainement poussé plus loin, s’il avait connu celui de Saint-Dizier d’Avignon, où se trouve encore la tête de Saint-Bénezet recouverte de peau durcie. Il y avait là naguère un sonneur célèbre qui avait organisé un clavier avec une quinzaine de cloches. Sous ses pieds et sous ses mains, le clocher chantait comme un gigantesque harmonium. Chaque dimanche les Avignonnais pouvaient lui entendre sonner l’hymne qu’on devait chanter à vêpres. Ce sonneur fut un jour présenté à Napoléon III, qui se montra disposé à lui accorder ce qu’il demanderait. Le sonneur se borna à demander un si, c’est à-dire une cloche faisant le si dans son orchestre métallique – un républicain de nos jours eût certainement demandé autre chose.

Une musique, approchant quoique de loin de celle des cloches, s’entend parfois dans les grands pâturages du Tanargue ou du Mezenc, à l’arrivée de certains troupeaux, où les vaches, chèvres et moutons, ont été munis par des abeillards mélomanes, de clochettes à timbres différent. De cet immense concert, qui s’adapte fort bien à l’immensité de l’horizon, résulte une harmonie particulière, pour qui sait la comprendre. Mais c’est seulement au langage des clochers, surtout de ceux qu’encadrent le silence et la solitude des campagnes, qu’on peut bien saisir le sens intime de la poésie des cloches. Aucune ne répond mieux à cette autre mystérieuse et indéfinissable musique, que forment les mystères physiques et moraux dont le monde est plein, et qui vibre dans les religions de tous les peuples.

Les sonneries des cloches en sont un écho lointain. Elles parlent à l’âme. Mais les termes manquent pour exprimer ce qu’elles disent. Elles éveillent des sentiments confus plutôt que des idées. Nous sommes délicieusement bercés à leur harmonie comme les enfants aux chansons de leurs nourrices. Leur langage saisit d’autant plus qu’il est, comme les mystères, enveloppé d’ombre et que chacun peut l’interpréter au gré de ses sentiments. Pour mon compagnon, elles sonnaient certainement la douce image d’Eulalie ; pour un autre, le souvenir d’une perte douloureuse. Si elles parlaient plus clairement, leur effet serait perdu ou amoindri. Mais les émotions qu’elles font naître attestent assez la réalité de l’esprit dont elles sont le porte-voix. Notre âme se perd à les suivre, et se plaît aux vains efforts qu’elle fait pour adapter leur langage au nôtre – Elle se sent osciller avec elles dans un autre monde, dans celui des purs esprits, qui sera le sien, et elle y trouve parfois comme un avant-goût des joies et des lumières qu’elle espère y trouver.

Et elle retombe avec tristesse dans le prosaïsme de la vie, quand les cloches se sont tues.


C’est demain que le sort de Bodin sera fixé.

Les gais carillons ont cessé. La chaleur est accablante, et la tombée du crépuscule a coïncidé avec l’apparition de nuages noirs vers le sud-ouest.

Malgré ces pronostics d’orage, Bodin me propose une ascension nocturne au sommet de l’Aiguilhe. Après tout, dit-il, si un orage nous y surprend, saint Michel nous protègera, et on n’a pas toujours l’aubaine d’une tempête atmosphérique en si haut lieu. Cette perspective me séduit, et Branbran demande à être des nôtres. La gardienne du monument nous remet les clefs de la chapelle, et quelques minutes après nous sommes assis tous les trois sur les marches de la chapelle.

Nous sommes alors témoins de curieux phénomènes atmosphèriques. Tandis que l’ouest est noir de nuages et rouge d’éclairs, accompagnés de sourds roulements lointains, le ciel garde au sud-est sa limpidité bleue jusqu’au moment où un immense nuage gris s’abat sur la selle du Mezenc, comme un cavalier qui a retrouvé sa monture. Le cavalier est penché au nord sur le pommeau. C’est un démon, dit Branbran ; mais la croix, qui est sur le pommeau, va le mettre à la raison. Bientôt, en effet, il semble que le cavalier s’en va en fumée.

Soit pour distraire Bodin, soit pour le taquiner, Branbran prit occasion de ce spectacle pour revenir sur quelques-unes des idées émises par le jeune ingénieur à la Conférence de Vals.

Il le félicita un peu ironiquement sur sa conception du globe terrestre, comme animal vivant, ayant ses organes et sa vie propre.

Cette grande bête, qui roule dans l’espace, dit-il, me plaît infiniment. Je suppose qu’elle ne sait pas plus que nous d’où elle vient et où elle va. Et cette analogie entre le colosse roulant et l’être atomique – à deux pieds sans plumes – qui rampe à sa surface, me paraît un indice de plus de la vraisemblance du fait lui-même. La science – cette fameuse science qui a remplacé Dieu dans tant de cervelles, qui se croient plus fortes que les autres – ne tend-elle pas, du reste, à démontrer que la bête vit et respire, puisque, sans parler des volcans et des mouvements de la mer, on peut constater çà et là des exhaussements ou des abaissements du sol ? Ne peut-on prévoir le jour où le plancher des vaches, ce fameux plancher en qui l’on s’était habitué à voir le type de la fixité, va se trouver convaincu d’être aussi mobile, et d’un équilibre aussi instable qu’un ministère républicain ? N’a-t-on pas reconnu, au moyen d’entailles faites sur des rochers au bord de la mer, que le sol monte en Suède, à moins que la mer n’y recule ? Au contraire, la ville de Marseille baisse, puisque la mer vient battre parfois, à l’Hôtel-de-Ville, les cariatides de Puget, qu’on doit cependant supposer avoir été bâties primitivement au-dessus de ses atteintes. Les Alpes baissent aussi, et, ce qui est plus grave quoique moins étonnant à voir certaines dégringolades d’un autre ordre, Paris s’enfonce chaque année de quelques millimètres. Nous connaissions déjà, au moins en partie, par le registre des couches géologiques, les anciennes révolutions du globe, mais, avec l’habitude que nous avons de tout rapporter à notre petitesse, nous pensions que c’était nécessairement fini, et que le Grand Etre, ayant préparé les logements de l’homme, se garderait d’y rien déranger. Il paraît qu’il n’en est pas ainsi, et que la planète continue ses évolutions intérieures. A côté de la mer aux flots mobiles, la croûte terrestre nous apparaît maintenant comme une autre mer, solidifiée en apparence seulement, dont les vagues, immobiles pour notre vue bornée, se déroulent dans l’ordre et avec l’allure qui leur convient dans la majestueuse ampleur des temps, aux yeux de Celui pour qui les milliers de siècles sont comme une seconde pour nous. Il y a même des vagues, de petite dimension, sans doute les plissements de la peau de l’animal, pour exercer notre perspicacité. C’est ainsi que le lac Léman s’enfonce à l’est, dont les rives sont plus inondées qu’autrefois, tandis qu’à l’extrémité occidentale, à Genève, les bords se redressent, et qu’à Bellegarde, ce redressement aurait joué un rôle dans le phénomène connu sous le nom de perte du Rhône (3). Il est vrai que tout cela n’est pas facile à préciser mathématiquement, car les mesures barométriques peuvent varier avec le niveau de la mer, car le point de repère, le point d’appui avec lequel Archimède se flattait de soulever le monde, fait défaut, ici comme ailleurs, à la science. Mais le fait même des mouvements de la croûte terrestre n’en ressort qu’avec plus d’évidence, soit qu’il résulte d’un exhaussement du sol, soit qu’il soit le produit d’un changement du bassin des mers. Quelque savant démontrera peut être un jour que la respiration, la digestion et les contractions de muscles de la bête terrestre sont analogues à celles du corps humain, et l’on conçoit fort bien qu’étant proportionnelles à sa masse, elles restent insensibles pour notre petitesse, tout comme la marche de la planète elle-même dans l’espace. Plusieurs phénomènes naturels, comme les climats, les vents et les marées, pourraient recevoir de cette hypothèse des explications inattendues. Dès à présent, parodiant le célèbre Cogito ergo sum, le grand animal peut dire : Je remue, donc je vis. Voulez-vous, mon cher ingénieur, une confidence : eh bien ! il m’a semblé reconnaître vos traits tout à l’heure dans ce grand nuage qui s’est mis à cheval sur le Mezenc, comme pour partir en guerre contre les obscurités de la création ; puis, comme dans toutes les visions les idées se brouillent, c’est votre idole, la Science, qui a remplacé vos traits dans l’énorme amas de vapeurs, s’incarnant dans le nuage comme dans son élément naturel, lançant l’éclair et proclamant à bruit de tonnerre, qu’elle allait donner la clé de tous les mystères, résoudre la question sociale, transformer tous les hommes en petits anges, d’ailleurs, mangeant bien et buvant bien, percer la terre et ouvrir le ciel. Malheureusement, elle a été enveloppée et en quelque sorte anéantie par d’autres nuages, avant même que j’aie eu le temps de réfléchir sur cette charade atmosphérique.

Il y a un mois, Bodin aurait relevé vivement cette boutade de Branbran. Mais l’ancienne idole était bien déchue dans son esprit. Du moins, elle y avait perdu la place prépondérante d’autrefois. Si bien qu’il ne jugea pas même à propos de prendre sa défense.

– La science murmura-t-il mélancoliquement. Ses réalités comme ses nuages me préoccupent bien peu aujourd’hui.

– Je le comprends, dit Branbran.

A ce moment l’orage éclata sur le Puy, et il fallut nous réfugier dans la chapelle, où les éclairs faisaient à chaque minute des statues de saints autant de parlantes apparitions.

Grand saint Michel, protégez notre jeune ami, et faites que l’idole plus attrayante qu’il adore maintenant, ne se dissipe pas comme l’autre dans les nuages du Mezenc !

Voilà ce que Branbran aurait écrit sur le registre des touristes, s’il n’avait pas craint les indiscrétions… et si l’on avait vu plus clair dans la chapelle.

Il était près de minuit quand l’orage cessa et que nous pûmes descendre de notre observatoire.


Le grand jour est venu. Bodin s’est éveillé, l’espoir au cœur. La sincérité de son amour nous touche, et nous appelons de tous nos vœux une solution favorable.

Le Béat nous a prévenus hier que toute la famille devait assister ce matin à la première messe à la cathédrale. Il viendra, en sortant, nous apporter la réponse de sa nièce. Est-ce une invitation indirecte d’assister, nous aussi, à l’office religieux où doit se trouver la famille Gerbier ? Bodin, l’interprétant ainsi, s’est levé de grand matin, et nous l’accompagnons à la cathédrale.

Il a bientôt reconnu dans l’assistance Mlle Tempier, à côté de sa cousine. Une religieuse est de l’autre côté. Le Béat et son frère forment les deux extrémités du groupe. Cette présence d’une cornette jette une ombre sur nos espérances.

De la tribune du fond où nous étions placés, pour n’être pas remarqués, nous vîmes toute la famille s’approcher de la sainte table. Elle resta longtemps en prières, après que la plus grande partie des fidèles fut sortie de l’église. Quand le groupe, qui nous intéressait si fort, se leva à son tour pour sortir, Branbran s’en rapprocha discrètement, et c’est ainsi qu’il put entendre le dialogue suivant :

– Je ne veux pas que tu nous quittes ! disait Marie Gerbier à sa cousine qui avait pris le bras de la religieuse. Ma sœur, partez seule. Ne nous l’enlevez pas.

– Non, ma petite, c’est fini ! répondit Eulalie. Dieu le veut ! Laisse-moi accomplir mon sacrifice.

– Tu es folle ! exclama Marie.

Eulalie lui montra le grand Christ sculpté suspendu à un des piliers de l’église.

– Tu vas me comprendre, dit-elle. Suppose que le prétendu que tu défends se fût dévoué pour me sauver et qu’il fût mort comme Celui que tu vois là haut : ne devrais-je pas lui rester éternellement fidèle ! C’est ce que je fais. Mais qu’on dise bien à l’autre que je prierai pour lui. Adieu, ma chère petite, rappelle-toi qu’il n’y a pas d’autre bonheur désirable au monde que celui qu’on trouve dans l’amour de Dieu et l’accomplissement de ses devoirs, et que c’est aussi le plus sûr moyen d’arriver aux délices de la vie éternelle.

Marie se jeta dans ses bras en pleurant, sans oser insister davantage, tandis que M. Gerbier et l’oncle Jérôme contemplaient d’un œil ému et résigné cette scène attendrissante,

Il me sembla que Mlle Tempier nous avait aperçus et qu’un signe d’adieu nous fut adressé.

Elle sortit avec la religieuse et nous ne la revîmes plus.

Bodin, pas plus que nous, n’avait entendu les paroles échangées entre les deux cousines, mais il n’était que trop facile de deviner le dénouement, en voyant Mlle Tempier s’éloigner seule avec la religieuse.

Les frères Gerbier, nous ayant aperçus, vinrent à nous. Le Béat nous serra très affectueusement la main sans prononcer une parole. Marie Gerbier continuait de pleurer. Son père nous dit : Vous savez tout ; que la volonté de Dieu soit faite !

L’entretien ne dura que deux ou trois minutes, tellement nous étions tous émus. En nous quittant, les deux frères ont assuré chacun de nous de leur éternelle amitié, en nous priant de leur conserver la nôtre.

Nous descendîmes en ville, aussi silencieux les uns que les autres. Bodin nous inspirait une pitié profonde. Quand nos langues se délièrent, jugeant que le temps et l’absence guériraient mieux notre jeune ami que tous les essais de condoléance, nous nous attachâmes à écarter de nos conversations tout ce qui pouvait lui rappeler la crise de cœur qu’il traversait. Au reste, il repartit le jour même pour rentrer dans sa famille. Quand le train qui l’emportait fut en marche, Branbran me dit :

– Ce pauvre jeune homme ne répètera plus ce qu’il nous disait, en entrant à Vals, que les vocations religieuses sont toujours des affaires de misère ou de dépit. En attendant qu’il résolve la question du grand forage terrestre, Dieu a ouvert à ses yeux les profondeurs de l’âme chrétienne. Il avait besoin d’une leçon de choses. Il l’a reçue. Espérons qu’il en profitera.

– Et moi aussi, dit alors M. Montaigne, j’ai reçu une leçon de choses. La conduite de Mlle Tempier a éclairé pour moi celle de Thérèse, et mes yeux se sont enfin ouverts à la beauté du sacrifice, ce mystère douloureux de l’âme chrétienne, que je n’avais pas compris jusque ici, ou plutôt que j’avais jugé au-dessus des forces humaines. Cette fois, je fais plus que d’ôter mon chapeau devant le grand inconnu, j’humilie à ses pieds les doutes dont je n’avais pas su me débarrasser, et je l’adore dans les sublimes inspirations, quelque douloureuses qu’elles soient pour nous, dont il est l’auteur.


– Et la question sociale ? pourra dire ici le lecteur.

– Ah ! oui, cette fameuse question, dont on parle tant dans les journaux et dans les assemblées politiques, et que si peu de personnes comprennent. Qu’est-elle sinon la misère physique et morale, résultant de la nature même de l’homme, c’est-à-dire de ses vices et de ses imperfections, misère qu’aggrave encore l’état de société ? Or, tandis que tant d’habiles cherchent une combinaison politique, – autant dire une formule magique – pour y remédier, les simples la résolvent simplement avec leur cœur, et en conformité de leurs croyances. Le prêtre instruit, moralise et console les pauvres diables. La sœur de charité renonce aux joies du monde pour soigner les malades et les infirmes. Le Béat court la montagne, à la recherche des misérables, pour les soulager. Tous ces nobles cœurs agissent au lieu de discuter. Si leur exemple était suivi, il n’y aurait plus de question sociale. Comme elle existe malheureusement avec d’infinies difficultés, on devrait bien à la fin s’apercevoir, en songeant à son origine et à sa nature, que ce n’est pas par des mots, ni même par le génie d’un grand homme, et encore moins par des violences et des attentats criminels, qu’on pourra en conjurer les périls. S’il est quelque chose de clair au monde, bien que tant de gens refusent de le voir, c’est qu’elle ne peut se résoudre que par l’ensemble des efforts individuels bien dirigés, c’est-à-dire par la généralisation de l’esprit de charité et de dévouement, par l’héroïsme du sacrifice, comme nous l’avons vu pratiquer par quelques-uns des personnages de cette chronique, par la folie de la Croix que le christianisme seul jusqu’ici est parvenu à inspirer.

  1. Extrait d’une Etude sur la vie et les missions de saint François Régis, par Mme la comtesse de Charpin-Feugerolles née Saint-Priest : ouvrage tiré à un très petit nombre d’exemplaires et non mis dans le commerce.
  2. Aimé Giron, Annales de la Société d’Agriculture du Puy, 1861, p. 222.
  3. Voir l’intéressante étude intitulée : Le cagnon du Rhône et le lac de Genève, que vient de publier le général Bourdon dans le Bulletin de la Société de Géographie.