Voyage dans le midi de l’Ardèche

Docteur Francus

- Albin Mazon -

II

Notre-Dame de Bon Secours

La Jaujon. – Notre-Dame de Bon Secours et ses fondateurs. – Le baptême d’une cloche. – Les moines de Saint-Chaffre dans la vallée de Salendre. – Ray de St-Geniès. – Le baron Chaurand. – La croix des Peyrous. – La vallée transversale du Bas-Vivarais. – Les anciennes paroisses du diocèse d’Uzès réunies au diocèse de Viviers.

A l’extrémité d’une jolie montée où nous aperçûmes, non sans étonnement, d’assez beau vignobles à droite et à gauche, notre voiture fit son entrée dans un gros bourg dont les habitants parurent à Barbe avoir la physionomie encore plus républicaine qu’ailleurs.

– C’est ici la Blachère ? demanda-t-il au conducteur.

– C’est la Jaujon, répondit celui-ci.

La Blachère est, comme Valgorge, un mythe. Ce sont des noms de communes qui ne sont portés par aucun des villages qui les composent. Les archéologues prétendent que la Jaujon, comme Joyeuse et le ruisseau de Blajou qui n’est pas loin, sent son Jupiter d’une lieue. Ils sont bien près d’affirmer que le pèlerinage de Notre-Dame de Bon Secours ne s’est pas fait tout seul et qu’il a été certainement précédé d’un temple quelconque de Jupiter. Ils voient un indice romain dans le nom de Drome, un hameau voisin. Enfin ils prétendent qu’il existait autrefois une ville importante entre Drome et Joyeuse. Je ne dis pas non, et j’engage même très instamment les fortes têtes de l’endroit, quand la politique leur en laissera le loisir, à faire pour la ville en question ce que le Père de la Croix a fait pour Saulxay dans le département de la Vienne. En attendant, et laissant au temps le soin d’élucider ces problèmes, je constate que le nom de la Blachère lui vient des blaches ou blachères qui existaient entre Jaujon et Notre-Dame de Bon Secours. Blache signifie un terrain complanté de chênes. On appelle encore en patois blachas les rejetons qui poussent au pied du chêne.

Le sanctuaire de Notre-Dame de Bon Secours est placé au sommet d’une colline qui domine à la fois Joyeuse et la Blachère. On l’aperçoit de toutes les hauteurs qui environnent le bassin du Bas-Vivarais. La statue de la Vierge, qui surmonte le clocher, a une expression toute miséricordieuse ; on peut se demander seulement pourquoi on lui a fait un diadème rouge.

La fondation de Notre-Dame de Bon Secours remonte au 10 mai 1680, mais la première pierre de la chapelle fut posée seulement le 22 mars 1682. La chapelle fut bénite et la messe y fut célébrée pour la première fois par Jean Rodilly, prieur de la Blachère, le 8 septembre de la même année. La pierre commémorative de la bénédiction de la chapelle (conservée dans les archives de Notre-Dame) porte l’inscription suivante :

CHAPELLE. J. † S. DE
NOSTRE. DAME. DE
BON. SECOVRS. QUI. A
ESTE. BENITE. LE 22 MARS.
JOVR. DE. RAMEAV. 1682.
QVI A ESTE ESTABLIE. PAR. Sr JVLIAN.
GINESTE. Sr DELILLE. NOBLE. DE.
MARIANNE. DE. PAVLET.
FONDATEVRS. DE. LADITE
CHAPELLE.

Nous voyons par l’acte de fondation que le sieur Delille et sa femme habitaient Montredon, paroisse de la Blachère et que, voulant faire bâtir à leurs frais une chapelle sous le titre de Notre-Dame de Bon Secours, à l’endroit « où a été plantée la croix de la mission, », ils fondèrent « un service annuel et perpétuel de deux messes » et nommèrent pour recteur de la chapelle messire Léon Rodilly, prieur-curé de la Blachère. Et pour l’entretien de ce service, « en attendant de pouvoir faire une plus ample fondation » ils donnèrent trente livres de capital. « En considération de la susdite fondation, les dits fondateurs prient très humblement Monseigneur l’illustrissime et révérendissime Evêque et comte de Viviers de leur permettre de faire une tombe voûtée, placer un banc au-dessus à l’église Saint-Julien, paroisse de la Blachère, à l’endroit qui sera jugé par le prieur moins incommode, ensemble un autre dans la chapelle qu’ils désirent faire bâtir et seras permis aux dits fondateurs d’avoir une clé en leur pouvoir pour avoir la commodité d’aller prier Dieu toute les fois et quand bon leur semblera… » L’acte est passé chez Rodilly, notaire à la Blachère.

Une note, écrite en marge de l’acte qui précède, porte que Delille fonda plus tard deux autres messes et souscrivit pour cela plusieurs obligations formant un total de quatre cents livres, lesquelles furent acquittées par son successeur, Michel Delille.

Julien Gineste, sieur Delille, est qualifié, dans son testament et autres pièces notariées, l’un des gens d’armes du Roy, mais d’après la tradition du pays, il était médecin. La notice la plus complète qu’il ait été écrite sur Notre-Dame de Bon Secours s’exprime ainsi sur ce personnage :

« Monsieur Delille, originaire de Montredon, paroisse de la Blachère, et médecin, habitait Paris avec Mlle Marie-Anne de Paulet, son épouse. L’idée leur étant venue de quitter la capitale pour venir se fixer tout à fait dans leur demeure de Montredon, leur piété leur avait suggéré d’emporter avec eux une madone de la très sainte Vierge, la plus belle et la plus de leur goût possible, pour la placer et l’honorer dans leur domaine par tous les sentiments de leur bon amour et de leur grande dévotion envers Marie. Un jour que M. Delille traversait le quartier de Bon Secours, sur l’ancien chemin appelé vulgairement le chemin du péage (car la route impériale n° 104 qui passe là aujourd’hui venant de Privas à Alais et Nismes, n’existait pas alors), un jour, disons-nous, que M. Delille faisait route par là pour la visite de ses malades, son cheval s’abattit sans qu’il lui fût possible de le faire relever, et il fit vœu de faire bâtir à ce même endroit une chapelle en l’honneur de Notre-Dame de Bon Secours et d’y exposer à la vénération du public la belle statue qu’il avait apportée de Paris.

« A peine le vœu fut-il émis que le cheval se redressa tout seul et continua sa route sans incident aucun. Mais M. Delille mettait un peu de retard à l’accomplissement de son vœu et, repassant sous peu de jours au même lieu, vit son même cheval s’abattre une seconde fois, se reprocha sa négligence, renouvela son même vœu et le cheval se remit sur pied tout de lui-même par un second miracle. Fidèle à sa promesse, M. Delille fit construire, à l’endroit où le cheval s’était abattu deux fois, une chapelle étroite et oblongue, éclairée par une lucarne et d’une contenance de quatre toises ou seize mètres carrés, et y 4 fit déposer pieusement, et avec toute la pompe qui lui fut possible, la statue de la Sainte-Vierge sous le vocable de Notre-Dame de Bon Secours. »

La notice manuscrite d’où ces lignes sont extraites est du frère mariste François (né Boudet, de Langogne) qui est resté pendant de longues années attaché à Notre-Dame de Bon Secours et a recueilli de la bouche même des trois chapelains Richard, Boisson et Deschanels, ainsi que de la bouche des anciens du pays, les détails qu’il mentionne. Sa notice doit donc être considérée, non pas sans doute comme un article de foi dans toutes ses parties, mais comme la reproduction fidèle et vivante des traditions locales.

Delille et sa femme furent inhumés dans la chapelle, celle-ci le 3 avril 1711 et Delille le 27 novembre 1713. Plus tard d’autres bienfaiteurs de l’œuvre, et notamment les chapelains Richard et Boisson, y eurent aussi leur sépulture. Les nécessités d’un dallage moderne ont fait enlever les pierres tombales qu’on peut encore voir dans le jardin situé derrière l’église.

Il résulte d’une pièce authentique que Me Annet Davisard, médecin à Joyeuse, contribua pour une large part à l’achat de la première cloche de Bon Secours, laquelle fut exécutée par Me Dupuy, fondeur à Chassiers. La quittance donnée par Davisard à messire Rodilly, ancien prieur de la Blachère, est de 1707.

Le curé de la Blachère était tenu de dire la messe trois fois par an à la chapelle de Notre-Dame. Au printemps de 1763, des inconnus vinrent un jour de grand matin chez le prieur Etienne Lhermet, et lui demandèrent de venir célébrer la messe, à l’intention de pèlerins assez nombreux qui, étant de loin, désiraient ne pas attendre trop longtemps. C’était un guet-apens. En traversant les Blachères, à l’endroit même où passe aujourd’hui la route des Vans, le prieur fut attaqué et mis à mort. Son cadavre ayant été retrouvé quelques heures après, on envoya dans toutes les directions des gens à la poursuite des assassins. On les découvrit, vers le soir, à un demi-kilomètre seulement du théâtre du crime. Ils racontèrent qu’ils avaient vraiment voulu fuir et qu’une force secrète les avait retenus malgré eux. Ce qui fut regardé comme un acte miraculeux et une preuve nouvelle de la protection de la Vierge. Cet événement forme encore le sujet des conversations dans les veillées à la Blachère et aux environs.

La chapelle primitive était, comme on l’a vu, des plus simples. Le chapelain Richard la reconstruisit en 1783 et lui donna trois nefs. Le manuscrit du frère François nous apprend que le marquis de la Saumès tint à l’honneur de loger le chapelain dans son château pendant tout le temps que durèrent les travaux. L’abbé Richard était très aimé dans le pays et put y passer, sans être dénoncé, les temps orageux de la Révolution.

Pendant qu’il était obligé de se cacher dans les bois et les creux de rocher, les autorités administratives d’alors dévalisaient la chapelle. Un procès-verbal du 2 nivôse an II, signé par Bonnaure, maire de la Blachère et Rouvière, procureur de la commune, constate la saisie du soleil, du calice, du ciboire et de l’encensoir que les dites autorités emportèrent. La chapelle fut classée pour être vendue comme bien national, mais elle fut déclassée le 22 fructidor an XII (1804) et rendue au culte. L’abbé Richard, qui avait provoqué cette mesure, mourut en 1830 et eut pour successeur l’abbé Boisson. Celui-ci commença les travaux d’agrandissement qui ont donné à l’église sa forme et ses proportions actuelles. L’abbé Boisson mourut en 1835 et fut remplacé par l’abbé Deschanels qui présida pendant onze ans à l’œuvre du pèlerinage et de la reconstruction.

Mgr Guibert installa les Oblats à Notre-Dame en 1846. L’église, depuis lors, a triplé, ainsi que le nombre des pèlerins. Cette église, qui a trois nefs, porte la trace des agrandissements successifs qui l’ont élevée de l’état de simple chapelle au rang de basilique. Le style roman et le style gothique s’y coudoient fraternellement. La nécessité de faire accorder les nouvelles constructions avec les anciennes n’a pas permis de lui donner un cachet classique. Elle n’en constitue pas moins, dans son ensemble, un des plus beaux édifices religieux du Bas-Vivarais.

L’ancienne statue de Notre-Dame de Bon Secours est au fond d’une chapelle placée derrière le maître-autel. Elle est dans une tour extérieure qui reçoit le jour par en haut. La Vierge est dans les nuages. La tête qui était primitivement en bois fut remplacée par une tête de cire à l’époque du concordat. Depuis lors, les Oblats, ayant retrouvé l’ancienne tête en bois, l’ont rendue à la statue après une restauration qui malheureusement n’accuse pas une main artistique. La cérémonie du couronnement de la statue, qui a eu lieu le 22 août 1880, a été des plus imposantes.

Le même jour eut lieu l’inauguration de la nouvelle cloche pesant deux mille kilos. Le parrain fut M. le baron Chaurand, et la marraine Mme la marquise de la Garde de Chambonas. On lit sur la cloche cette onomatopée : Laudate Dominum in cymbalis bene sonantibus. On y voit aussi les armoiries des Oblats, ainsi que celles de la marquise de Chambonas et du baron Chaurand. Ces dernières se composent d’une ancre (l’espérance), de deux étoiles en haut et de trois fleurs de lys avec ces mots au bas : Deus Rex amici. Ah ! M. le baron, vous n’êtes guère de notre temps. Dieu a été mis au musée des antiques par M. Paul Bert et autres fortes têtes ; le Roy, celui qui est mort à Frohsdorff, s’y était mis lui-même, et, quant aux amis, s’ils sont changeants par des circonstances aussi changeantes, rappelons-nous, par le mot de Socrate, qu’il en était déjà de même sous la république athénienne.

Les armes de la maison de la Garde de Chambonas sont d’azur au chef d’argent.

Les armoiries des Oblats se composent d’une lance et d’une éponge croisées sur la croix, le tout relié par une couronne d’épines avec ces mots : Evangelizare pauperibus misit me.

La maison des Oblats de Notre-Dame de Bon Secours comprenait six missionnaires et un Juvenat, c’est-à-dire une petite pension de vingt-cinq ou trente enfants ou jeunes gens qui se destinaient à être Oblats. On sait que les décrets ont passé par là, et nous croyons inutile d’insister sur la fâcheuse impression qu’a produite dans toute la contrée la fermeture de cette maison.

Le sanctuaire de Notre-Dame de Bon Secours attire de soixante à quatre-vingt mille pèlerins par an. La moyenne des communions est de quatre à cinq mille le jour de la fête de la nativité (8 septembre). Le village de Notre-Dame et même celui de la Blachère n’ayant pas de logements suffisants, les pèlerins sont souvent obligés de coucher dans l’église ou en plein air.


Nous revînmes à la Jaujon, où nous déjeunâmes dans un cabaret de l’endroit. L’aubergiste nous raconta l’expulsion des Oblats, et il nous sembla que, quoique très républicain, ou du moins se croyant tel, ce brave homme n’était nullement satisfait d’une mesure dont le résultat – s’il y en a un – ne peut être que de diminuer le nombre des pèlerins qui sont pour le bourg de la Jaujon, aussi bien que pour celui de Notre-Dame, une source de petits profits.

Barbe détourna la conversation en faisant l’éloge d’un levreau qu’on venait de nous servir, et comme notre homme revenait sur le même sujet, Barbe, comme dérivatif suprême, soutint que s’il n’y avait pas eu de truffes l’hiver dernier, c’est que les lièvres les avaient mangées, ce qui leur donnait une chair plus parfumée que d’habitude.

Je lui demandai si ce penchant vicieux des lièvres pour les truffes n’était pas par hasard, un résultat de l’éducation des Jésuites, auquel cas on avait bien fait de les expulser. J’ajoutai que c’était sans doute pour quelque méfait semblable qu’on avait infligé le même sort aux Oblats.

Comme je parais avec autant de gravité que Barbe, l’aubergiste nous regardait tous deux avec effarement, se demandant sans doute s’il avait à faire à des fous ou à de trop profonds savants, ce qui parfois est tout comme.

– Ah ! dit-il enfin, je vous garantis que les habillés de soie – en parlant par respect – sont, avec les hommes, les seuls amateurs de truffes du pays et qu’ils l’étaient bien avant qu’il y eut des Oblats à Notre-Dame et des Jésuites à Lalouvesc.

L’église paroissiale de la Blachère a été reconstruite en 1824. Elle est à trois nefs ; celle du milieu appartient seule à l’ancienne église décrite par Monge. Le chapitre de Viviers percevait les deux tiers du bénéfice à la Blachère, comme aux Assions, Saint-Jean de Pourcharesse, Saint-André-Lachamp, Valgorge, etc. Le prieur avait le dernier tiers avec toutes les charges.


Nous prenons la route des Vans, laissant sur notre droite les montagnes de Planzolles, de Saint-André-Lachamp et de Payzac.

Saint-André-Lachamp, la paroisse-mère de Planzolles, a la réputation de guérir les estourils. On donne à l’officiant un coq blanc et le prix de la messe. Ce pèlerinage paraît fort ancien, puisque Monge écrivait en 1675 :

« L’église est dédiée à Saint-André, auquel le voisinage a grande dévotion et y vient faire quantité de vœux… »

Payzac se trouve dans la vallée de Salendre ou la Douce dont la plus vieille histoire nous a été conservée par le Cartulaire de Saint-Chaffre. Au Xe siècle, un vicomte du Gévaudan, nommé Etienne, donna à l’abbaye du Monastier, outre de riches propriétés à Langogne, un certain nombre de manses au lieu de Faugères (Felgerias) avec près, vignes et bois. Le manse était une terre correspondant au travail et à l’entretien d’une famille. Les moines vinrent donc s’établir à Faugères, c’est-à-dire, comme les Trappistes à Notre-Dame des Neiges, travailler et planter eux-mêmes, en même temps qu’ils évangélisaient les populations. Plus tard ils possédèrent aussi les deux églises voisines de Payzac et Saint-Genest de Bauzon dont ils furent probablement les fondateurs.

Il résulte d’un accord conclu le 18 octobre 1644 entre messire Guion de Jonchères, prieur de Langogne et de ses annexes de Faugères et de Saint-Genest de Bauzon, que le sieur Lavie, de Malarce, avait affermé les dîmes de blé et vin, perçues par le prieur à Saint-Genest, et de plus les rentes et censes et la moitié des lods, pour le terme de six ans, moyennant le payement de cent vingt-cinq charges de vin à la mesure de Langogne. Lavie devait rendre ce vin à Langogne au prix de quatre livres la charge. Lavie se plaignit d’avoir fait un mauvais marché, tant sur la qualité de vin à fournir que sur le prix fixé pour le transport, et sollicita des lettres royales pour résilier le contrat. La fin de l’acte, qui figure dans les registres du notaire Mourgues, est illisible.

Les prieurs de Saint-Genest et de Faugères étaient seigneurs de leurs paroisses. Ils y avaient leurs officiers avec toute justice et d’assez beaux revenus sur lesquels il fallait naturellement prélever la congrue du curé. Celui de Saint-Genest avait, outre des deux cents livres de congrue, environ dix-huit livres de legs pies pour lesquels il disait « des messes à proportion, suivant la taxe, à raison de huit sols. »

Le prieuré de Payzac, dont Mgr de Chambonas, évêque de Lodève, plus tard évêque de Viviers, était titulaire en 1675, pouvait valoir douze cents livres, mais il y en avait quatre cents à prélever pour le curé, le vicaire et autres charges.

Rey (Jacques-Marie), connu sous le nom de Ray de Saint-Geniès, né à Saint-Genest-de-Bauzon en 1712, fut un des écrivains militaires distingués de son temps. Rey avait été destiné à l’état ecclésiastique, mais son penchant l’entraîna vers l’état militaire. Il fut lieutenant de milice dans le bataillon de Privas, et se signala dans la guerre de 1741. Il était lieutenant des grenadiers royaux du bataillon de Corbeil lors du siège de Berg-op-Zoom en 1747. Son capitaine ayant été tué, il prit le commandement de la compagnie qui se maintint dans la grande lunette dont les ennemis s’étaient déjà emparés et parvint à les déloger. Ce fait d’armes lui valut le grade de capitaine et une pension de trois cents livres sur le trésor royal. Rey servit avec la même distinction dans la guerre de 1756 où il fut nommé commandant d’un bataillon de grenadiers. Après une action où il attira les regards du maréchal de Broglie, celui-ci lui offrit une pension de six cents livres ou la croix de Saint-Louis. Il préféra la pension en disant qu’elle lui aiderait à mériter la croix qu’il obtint, en effet, bientôt après sur la demande de son général.

Pendant la paix, Rey voulut faire profiter les jeunes militaires français de son expérience de la vie des camps et publia :

L’Art de la guerre pratique, 2 volumes, Paris, 1755 ;

Histoire militaire de Louis-le-Juste, 2 volumes, Paris, 1755 ;

Histoire militaire de Louis-le-Grand, 3 volumes, Paris, 1755 ;

L’officier partisan, 2 vol. Paris 1763 à 1766 ;

Stratagèmes de guerre des Français, avec les plus belles actions militaires depuis le commencement de la monarchie jusqu’à présent (suite de l’Officier partisan), 6 vol. Paris, 1769 ;

A la suite d’une grave maladie, Rey résolut de s’instruire des vérités fondamentales de la religion. Les écrits de Mgr Abelly, évêque de Rodez, le portèrent à composer un ouvrage intitulé : Essai d’instructions des plus importantes vérités de la religion chrétienne, qui est resté manuscrit.

Rey quitta le service militaire en 1773 avec le grade de lieutenant-colonel d’infanterie et une pension de sept cents livres, outre celle de six cents sur la cassette du Roi que lui avait fait accorder le maréchal de Broglie. Il mourut à Paris le 16 mars 1777.

Les ouvrages militaires de Rey furent envoyés à tous les princes de l’Europe. Frédéric-le-Grand en fit l’éloge dans une lettre adressée à l’auteur, et l’empereur Joseph joignit à une lettre flatteuse une médaille d’or du poids de dix louis. Ces lettres et la médaille, ainsi que les manuscrits, étaient autrefois entre les mains de son neveu, M. l’abbé Rey, ancien chanoine de Viviers et principal du collège d’Aubenas, qui les laissa à son parent, M. Rey, maire de Saint-Genest-de-Bauzon (1).

Des souvenirs plus modernes se rattachent à Payzac. Deux membres de nos assemblées politiques, l’avocat Garilhe et le baron Chaurand, sont sortis de deux maisons contigües du village des Chanels.

Le premier, né à Payzac en 1760 et mort à Largentière en 1829, siégea à la Convention et au Conseil des Cinq-Cents, dans les rangs des modérés. Tous ceux qui l’ont connu rendent hommage à son caractère et à sa profonde érudition comme jurisconsulte. M. de Valgorge dit que son opinion faisait loi à la cour de Nîmes. M. Garilhe est l’arrière grand-père maternel de M. Ernest Blachère.

Garilhe avait donné dans les idées nouvelles, au grand désespoir de son père, royaliste endurci. Lorsque ce dernier apprit que son fils avait été emprisonné avec les soixante-treize députés signalés dans le fameux rapport d’Amar (3 octobre 1793), il lui écrivit une lettre où on lit cette phrase : « Je ne puis croire qu’un patriote comme vous ait été mis en prison… » Ceux des soixante-treize qui ne furent pas guillotinés, comme Brissot, Gensonné et Vergniaud, ou qui ne parvinrent pas à s’échapper, comme Gamon, restèrent en prison quatorze mois, jusqu’au 8 décembre 1794.

Le père du conventionnel Garilhe s’étant refusé à démolir les tours de son château de Chabrolières, un ancien cloître construit par les moines de Mazan, les autorités firent procéder à cet acte de vandalisme, aux frais bien entendu de Garilhe. Voici le reçu, délivré à cette occasion par le maire de Planzolles, avec toutes ses licences grammaticales et orthographiques :

« Jès reçu du françois Jouisseint domestique du citoyen Garilhe du lieu Dechanel paroisse de payzat la somme de deux cens vingt livre pour la démolition des marques disstintives de royauté seigneirale du chateau de Chambroulière que la municipalité de planzolles a été oblizé de le faire sous la requisition du directoire du distrit du tanargues il a été effassé tous les marques distintives de royauté conformément à la loi après avoir réquery le citoyen Garille pandent deux fois suivant la deliberation du consel général de la ditte commune les massons ont été touché dix livre par jour les adjudant six livre par jour je lui ai delivré le present recu le treizieme aout mil sept cent quatre vingt treze lan 2 de la république francaise une et indivisible. Pellet maire ».

A cette époque tourmentée, on avait à souffrir à la fois des patriotes et des royalistes, chouans ou chauffeurs. Un jour, le château de Chabriolières fut envahi par une bande de ces derniers. Le vieux Garilhe fut sommé de préparer une somme de … qu’on viendrait toucher dans quelques jours. « Si, à cette date, dit-on, vous n’avez pas la somme demandée, nous mettrons le feu au château. – Mettez-le tout de suite, répondit Garilhe, car ni aujourd’hui ni ce jour-là je n’aurai cet argent à vous remettre ». Le chef fut si frappé de la résolution avec laquelle ces paroles furent prononcées qu’il partit avec sa bande et ne revint plus.


Nous n’apprendrons rien à personne en disant que le baron Chaurand est un chaud royaliste et surtout un ardent clérical. A Versailles, il faisait partie de la fraction de l’extrême-droite appelée les Chevau-légers, parce qu’elle se réunissait dans l’impasse de ce nom. On se rappelle cet incident d’une des plus orageuses séances de l’Assemblée où l’excellent baron, voulant arracher de la tribune un autre chevau-léger, lui cria : « Au nom du Saint-Père, M. de Belcastel, revenez ici ! »

Le baron Chaurand était un des députés les plus exacts et les plus consciencieux de l’Assemblée. Il n’a pas manqué une seule séance. Il lisait toute cette masse de documents que reçoivent nos législateurs et approfondissait toutes les questions soumises à son jugement. On peut bien dire qu’à ce point de vue, il fut un phénomène, car il est notoire qu’un trop grand nombre de membres de nos Assemblées ignorent le premier mot de la plupart des questions qui leur sont soumises et se décident par l’opinion du voisin qui souvent n’en sait pas davantage. C’est une des raisons pour lesquelles nous faisons une si belle politique. Le baron Chaurand n’a qu’un défaut, c’est de ne pas être de son temps, c’est-à-dire de ne pas tenir assez compte des modifications incessantes que la marche des événements et des idées apporte dans les esprits comme dans les formes gouvernementales. La vraie sagesse politique n’est plus dans la fidélité à outrance à un passé mort que la foi aveugle à un avenir problématique, mais la juste perception des nécessités de l’époque combinée avec la pratique des principes supérieurs du droit et de la justice. Il n’est que juste, d’ailleurs, de reconnaître dans ces vieux types de légitimistes une loyauté et des allures chevaleresques qui, pour les faire encore plus ressembler à d’antiques et précieuses médailles, ne leur gagnent pas moins la considération et la sympathie générales, outre qu’au point de vue des relations sociales ils sont ordinairement bien supérieurs à ceux qui prétendent les remplacer. Le baron Chaurand n’était certainement pas considéré à Versailles comme le plus pratique des hommes d’Etat, mais il était estimé de tout le monde.

Le docteur Scipion Paysan, de Payzac, mort à Aix en décembre 1882, était un savant aussi distingué que modeste, et de plus, un homme bon et honnête dans toute l’acceptation du mot. Le docteur Paysan, après avoir fait ses études à Montpellier, avait été successivement interne des hôpitaux d’Avignon, de Marseille, d’Aix. Il fut nommé chirurgien-major de l’hôpital d’Aix en récompense de ses services et de sa belle conduite pendant le choléra de 1836. Il était correspondant de l’Académie de médecine de Paris et a publié un certain nombre de mémoires scientifiques.

Un beau trait du docteur Paysan que racontait l’autre jour la Semaine religieuse de Viviers et que nous sommes heureux de reproduire :

Une religieuse se présente dans son cabinet par une froide soirée de décembre en 1867. Le docteur écoute ému le récit des misères auxquelles il faudrait venir en aide. Soudain il se lève, saisit une couronne de quatorze médailles d’or, prix et récompenses d’autant de concours dans lesquels il avait été lauréat, les verse dans la sébile de la quêteuse interdite et l’oblige à les emporter.

On remarque sur la place de l’église de Payzac une chapelle sépulcrale construite, il y a trente ans, sur les plans de M. Bossan, architecte de l’église de la Louvesc et de l’église de Fourvière. Au-dessous de la chapelle sont de vastes caveaux dans lesquels sont placés les cercueils des membres de la famille du baron Chaurand. La chapelle est surmontée de quatre statues en pierre de grandeur naturelle dues au ciseau de M. Fabisch, professeur de sculpture à l’école des Beaux-Arts de Lyon, représentant la scène du Calvaire. Une descente de la Croix dans le tympan de la porte et un Christ au tombeau, du même sculpteur, sont des œuvres d’art fort remarquables ; la chapelle est entourée des stations du chemin de la Croix.

Il résulte de nombreux actes de notaires et entr’autres des registres des aïeux du baron Chaurand, qui ont exercé ces fonctions à Payzac de 1693 à 1780, que la seigneurie du village des Chanels appartenait aux Basalgète de Langogne. Le curé actuel de Langogne est un descendant de cette famille.

Certains vignobles de Payzac se font remarquer par une végétation luxuriante accompagnée d’une abondante récolte : ce sont les excellents effets du sulfure de carbone dont la vertu antiphylloxérique s’est manifestée à Payzac comme au Bourg-Saint-Andéol de la façon la plus décisive.

La route de Payzac à Saint-Laurent traverse, au-dessus du village des Chanels, un endroit appelé la Croix des Peyrous qui est une ancienne station gallo-romaine, à en juger par la grande quantité de débris de tuiles à rebords et de pierres de petit appareil romain que l’on y remarque sur un espace assez considérable, outre celles qui ont servi à la construction des murs de soutènement voisins. La tradition locale parle d’une ville qui existait en cet endroit. Les paysans racontent volontiers qu’un propriétaire y trouva un jour, en creusant son champ, un pot plein de vieilles monnaies. Je me souviens d’avoir vu une sorte d’auge en grès, extraite d’un point au-dessus de la route, qui avait l’air d’un petit sarcophage. Il est bien probable que des fouilles opérées en cet endroit donneraient d’intéressants résultats, d’autant que les curieux ont été toujours plus rares dans la contrée que du côté d’Aps ou du Châtelet. La plus grande partie de ces ruines appartient à l’abbé Paysan, curé de Brès.

Une maison isolée dans ce quartier porte le nom de mas Killard ou Quilliard. Quelques-uns croient que ce mot est une corruption de Chillard ou Cheylard désignant un vieux château, mais d’autres – qui pourraient bien avoir raison – donnent à ce mot une origine moins noble et beaucoup plus réaliste. Du temps où les vins de la contrée étaient transportés dans la Haute-Loire à dos de mulets, les muletiers avaient, au centre des communes vinicoles, des stations choisies où ils laissaient leurs mulets, pendant qu’ils allaient goûter le vin dans les caves et en débattre le prix. Suivant le mot patois, ils quillaient leurs mulets, c’est-à-dire qu’ils les plaçaient comme des quilles immobiles ; le Quilliard était un de ces endroits, et de là son nom.

Quant au mot Peyrous, on peut raisonnablement supposer qu’il vient des petites pierres d’appareil romain qui abondent sur ce point, car peyrous en patois a précisément le sens de petites pierres ayant une forme régulière.

D’autres, toutefois, faisant observer que l’existence en cet endroit de nombreux débris de poteries et de terre noire calcinée ou mêlée de charbon indique un four à poterie, et rappelant qu’on appelle encore dans le pays Payreou les étameurs et chaudronnier auvergnats, pensent qu’il faut voir là l’ancien quartier des potiers ou autres fabricants d’ustensiles de ménage, et affirment, d’ailleurs, que la prononciation patoise se rapproche plus de Payroux que de Peyrous.

La route d’Aubenas aux Vans suit la grande vallée transversale, parallèle au Rhône, qui coupe tous les cours d’eau du Bas-Vivarais, et que sépare du Rhône la muraille de coteaux calcaires appelée dans l’Ardèche le Maillaguès ou les Gras, et plus loin les Causses. – Y aurait-il eu là autrefois un fleuve, parallèle au Rhône, annihilé plus tard par le creusement de la vallée du Rhône à un niveau inférieur au sien et rendu ensuite plus ou moins méconnaissable par les soulèvements et les ravinements ? Je ne crois pas que les géologues aient tiré parfaitement au clair l’origine de cette singulière vallée, mais je sais bien que cela ne préoccupe guère les voituriers qui cheminent tous les jours sur ce problème géologique.

Cette vallée marque aussi, du moins de Joyeuse à Saint-André de Cruzières, la bande de terrain, appartenant autrefois à l’évêché d’Uzès, qui séparait de l’évêché de Viviers les paroisses de Banne, Brahic, Malbosc et Courry, lesquelles formaient ainsi une espèce d’îlot au milieu du diocèse d’Uzès.

Les paroisses de l’Ardèche qui dépendaient autrefois du diocèse d’Uzès sont : Les Vans, Naves, Chambonas, Chassagnes, Berrias, Chandolas, Casteljau, Beaulieu, Saint-André et Saint-Sauveur de Cruzières, Orgnac et Gravières. – Le centre religieux le plus important était Gravières, qui formait un doyenné, c’est-à-dire une sorte de sous-diocèse comprenant quatorze paroisses, savoir : Bonnevaux, Concoules, Malons et Ponteils qui font aujourd’hui partie du diocèse de Nîmes ; Saint-André-Cap-Cèze et Villefort, qui ont été réunis au diocèse de Mende ; et enfin Beaulieu, Berrias, Casteljau, Chambonas, Chandolas, Naves, Gravières et les Vans, qui sont aujourd’hui du diocèse de Viviers.

Des deux cent neuf paroisses de l’ancien diocèse d’Uzès, quinze ont passé au diocèse de Viviers. – Ce sont, outre les huit ci-dessus mentionnées, Orgnac, Saint-Martin de la Pierre (St-Martin d’Ardèche), Saint-André et Saint-Sauveur de Cruzières, Saint-Geniès et Saint-Privat de Claisse (paroisses supprimées).

  1. Cette note sur Rey nous vient de M. Dubois, En la reproduisant, nous devons faire des plus expresses réserves sur l’origine vivaroise de cet écrivain militaire, dont tous les ouvrages sont signés Ray de St-Geniès et non pas Rey de Saint-Genest, et que, d’ailleurs, toutes les biographies générales font naître à Saint-Geniez, dans le diocèse de Rodez.