Voyage dans le midi de l’Ardèche

Docteur Francus

- Albin Mazon -

VIII

Gravières et ses antiquités romaines

L’église de Gravières. – L’arbre de Jessé. – Un vieux four à poterie. – L’établissement romain du Mas-Dieu. – Temple ou usine ? – Le chemin de la Pontière. – La dîme aux Salelles et à Gravières. – Le fils de Samuel Sorbière, recteur d’une confrérie à Gravières. – Une émancipation au XVIIe siècle.

Nous allâmes, après déjeuner, visiter l’église de Gravières. Cette église est du XIe ou XIIe siècle, par conséquent romane, mais le clocher qui repose sur une chapelle latérale, et non sur la chapelle du maître-autel, est du XVIe siècle. La porte principale, qui est sur un côté de l’église et donne dans le cimetière, est de date récente et de style flamboyant. M. de Saint-Andéol fait remonter cette église à l’époque carlovingienne et croit que sa primitive porte est la porte de l’ancien prieuré (le presbytère actuel), qui est surmontée d’un fronton triangulaire à six moulures. La cuve des fonts-baptismaux présente aussi le caractère carlovingien. Mais le plus curieux monument que renferme l’église de Gravières est sans contredit le bas-relief sculpté que l’on aperçoit dans le chœur, encastré dans le mur à droite de l’autel. Le tableau, qui a deux mètres trente-trois centimètres de hauteur sur deux mètres quinze centimètres de largeur, est divisé en trois colonnes par trois lignes verticales.

La colonne du milieu contient l’arbre de Jessé. Les deux colonnes latérales comprennent chacune six petits tableaux.

Dans la colonne du milieu, Jessé figure comme un homme couché. L’arbre sort de son corps et se dresse en serpentant, avec un personnage dans chaque repli, jusqu’au sommet de la colonne où il s’épanouit en formant la figure de la Sainte-Vierge.

Les six tableaux de la colonne, à gauche du spectateur, représentent (en remontant de bas en haut) :

1° L’Annonciation : l’ange Gabriel est agenouillé et il est séparé de la Vierge par un vase d’où s’élance une tige de lys ;

2° La Naissance de Jésus-Christ : la Sainte-Vierge est couchée dans un lit et le berceau semble suspendu en l’air ; on aperçoit les têtes de l’âne et du bœuf ;

3° L’Adoration des Mages : la Sainte-Vierge est dans un lit à moitié redressé ; le petit Jésus est habillé ;

4° L’Entrée de Jésus à Jérusalem ;

5° La Trahison de Judas ;

6° Jésus sur la croix : la Sainte-Vierge et l’apôtre Saint-Jean sont au pied de la croix.

Les tableaux de la colonne de droite sont (toujours en remontant de bas en haut) :

7° Jésus descendu de la croix ;

8° La Descente aux Enfers : l’Enfer est personnifié par la gueule d’un monstre qui s’ouvre devant la croix du Sauveur, livrant passage aux âmes qu’il retenait prisonnières ;

9° La Résurrection : Jésus avec sa croix sort du tombeau autour duquel dorment trois soldats ;

10° L’Ascension : Jésus monte au ciel dans un nuage ; on aperçoit au-dessous les têtes des apôtres ;

11° La Pentecôte : le Saint-Esprit, sous la forme d’une colombe, plane sur la tête des apôtres et fait descendre sur eux des langues de feu ;

12° Jésus dans sa gloire.

Le monument a été horriblement mutilé pendant les guerres religieuses, et, si les sujets sont reconnaissables, les figures et beaucoup de détails ne le sont guère. Le curé a eu la bonne idée de faire peindre en bleu le fond de la pierre afin que les personnages se détachent mieux. On voit au premier aspect de ce vénérable débris qu’il remonte à une époque où l’art était naïf et primitif, époque probablement antérieure à la construction de l’église de Gravières, c’est-à-dire au XIIe siècle. Si, de plus, l’on observe que le monument est en pierre calcaire à grains fins, laquelle n’existe qu’à quelques lieues de là, tandis que l’église est en grès local, on est en droit de présumer que le bas-relief a fait partie d’un édifice plus ancien et a été placé là dans un but de conservation, lors de la construction de l’église de Gravières (1).

L’église de St-Victor de Gravières fut cédée par l’évêque d’Uzès en 1096 aux abbés de St-Ruff, avec celles de St-Martin de Chambonas et de St-Jacques de Naves, mais en 1200 l’abbé de St-Ruff, dom Falcon, rétrocéda ces trois églises à l’évêché d’Uzès. L’acte de rétrocession fut passé dans le cloître d’Uzès, et parmi les témoins figure le célèbre Pierre de Castelnau, archidiacre de Maguelonne, compagnon de St-Dominique, légat du Saint-Siège, dont le meurtre occasionna, en 1208, la croisade contre les Albigeois. Le cimetière primitif était au-dessous du cimetière actuel. On y trouva, lors de l’aménagement de ce dernier, des fosses creusées dans le grès et reproduisant grossièrement la forme du corps. Elles étaient recouvertes de lauzes.

Le curé de Gravières possède un vieil émail de Limoges représentant Ponce-Pilate à qui les Juifs amènent le Christ et qui, malgré les supplications de sa femme, le leur livre, en se lavant les mains. Toutes les figures ont une remarquable expression. L’émail doit être du commencement du XVIe siècle et nous paraît avoir une véritable valeur.

Gravières souffrit des guerres de religion. L’église fut pillée et saccagée et la cloche mise en pièces. Les protestants détruisirent, de plus, le moulin vieux qui dépendait du prieuré. Mais ils ne purent faire de prosélytes à Gravières, car tous les testaments qui figurent dans les actes de notaire de la localité portent des professions de foi catholique.

Des registres de notaire de Gravières, en signalant l’épidémie de 1630, nous apprennent ce détail caractéristique que, pour éviter la contagion, des testaments étaient dictés par les malades d’une rive du Chassezac au notaire installé sur l’autre rive. On peut voir, à ce propos, dans Ménard (2) la curieuse histoire de la désinfection de Nîmes par un prêtre muni de quinze chaudrons dans lequel il faisait bouillir une foule de plantes aromatiques.

– Les Romains, nous dit Pélican, avaient des établissements dans mon royaume. Je vous en montrerai des traces au Mas-Dieu.

Il nous conduisit vers le Coudoulas. A quelques mètres de la chapelle de quartz est une sorte de chalet servant de sacristie. En creusant pour ses fondements, on découvrit une voûte en grosses briques, formant un four à poterie d’époque gallo-romaine, semblable à ceux qu’on a découverts à Montans, près de Gaillac (Tarn), à Vichy et sur d’autres points de la France. Ce four consiste en une sorte de petit corridor entièrement engagé dans la terre, de six mètres de longueur sur un mètre vingt de largeur, il était recouvert, à la hauteur d’un mètre, d’une voûte unie sous laquelle on plaçait le feu. La seconde moitié était recouverte d’une série de petits arcs doubleaux en briques, distancés entre eux d’environ vingt centimètres, de manière à former une sorte de voûte à claire voie pour le passage de la chaleur. Il a été malheureusement impossible de conserver ces voûtes et ces arcs doubleaux ; les briques, amollies par leur long séjour dans la terre, s’affaissèrent d’elles-mêmes lors du déblaiement. Toutefois, ce qui reste suffit amplement pour indiquer la construction primitive. Le four en question se trouve sous le parquet même de la sacristie.

Les déblais ont fourni une multitude de débris d’objets de toutes sortes, notamment bon nombre de fragments de vases en terre cuite très fine avec des bas reliefs représentant des chasses ou des scènes mythologiques. Ce sont de très beaux spécimens de poterie dite Samienne, dont la fabrication ne peut se rapporter qu’à l’époque de la grande prospérité de l’art céramique dans les Gaules, c’est-à-dire au ive siècle de l’ère chrétienne, ce qui correspond, d’ailleurs, comme on le verra, à la date des médailles trouvées au Mas-Dieu. On a découvert encore en cet endroit la partie concave (en basalte) d’un moulin à bras, et nous devons ajouter qu’un autre fragment de moulin à bras, également en pierre basaltique, a été trouvé dans un puits au Mas-Dieu.

Pélican nous fit observer que le sol de tout ce quartier était on ne peut plus favorable à la confection des briques. M. Mansard, le fondateur de l’établissement de Bellevue (près Laurac), ayant visité Gravières, déclara qu’il aurait choisi ce point pour s’y installer, s’il l’avait connu plus tôt. En descendant vers le Mas-Dieu, par la rive gauche du Coudoulas, on voit pour ainsi dire à chaque pas des fragments de briques et de poteries, ainsi qu’une foule de ces petits cubes rectangulaires qui caractérisent le petit appareil romain. Il fallut un quart d’heure pour arriver au Mas-Dieu, délicieuse île de verdure, ombragée de châtaigniers, restée intacte entre les deux branches pierreuses du Coudoulas. Pélican nous raconta tout au long histoire des découvertes faites au Mas-Dieu.

Une tradition locale portait qu’un trésor existait entre le Rouqueyrol (rocher des Salelles) et la montagne de Gravières. On disait aussi qu’il avait eu un établissement religieux au Mas-Dieu, que des cloches y étaient enfouies et qu’en frappant du pied le sol on en faisait sortir un grondement sonore. Il y a une trentaine d’années, l’abbé Canaud eut l’idée de creuser en cet endroit et mit à jour une grosse pierre de grès taillée et percée au milieu d’une ouverture circulaire. Il aurait bien voulu continuer les fouilles, mais l’argent lui manquait. Quant au propriétaire du terrain, la vue de la pierre taillée ne lui avait donné qu’une idée, c’était de la prendre pour l’utiliser dans son habitation. Fort heureusement, de grandes pluies survinrent, le Coudoulas roula beaucoup d’eau et de cailloux et fit rentrer la pierre dans l’ombre et dans l’oubli.

M. Canaud avait pris la pierre en question pour la table d’un dolmen. Il en avait parlé à plusieurs personnes, en sorte que, dans ces dernières années, la Société archéologique des Vans décida de faire des fouilles en cet endroit. Grâce aux indications de l’abbé Canaud, le pseudo-dolmen fut vite retrouvé. Une pierre semblable, recouverte d’une autre pierre percée, dont les ouvertures correspondaient, fut mise à jour à un mètre de distance, le tout reposant sur deux murs romains de petit appareil, dont l’écartement formait une sorte de canal sans issue. A côté de ces pierres, on découvrit une large couche de béton romain supportant deux grandes dalles en pierres plates, ayant à l’un des bords une forte rainure. D’autres tranchées firent reconnaître divers murs, les uns en petit appareil romain, les autres de construction grossière. Des débris de mosaïques, d’urnes et une cinquantaine de pièces de monnaie, remontant toutes au IIIe ou à la première moitié du IVe siècle de l’ère chrétienne, furent recueillis dans le sol. Une de ces monnaies, la seule qui soit en or, porte la figure d’Hercule avec l’inscription : Herculi Deusoniensi, et paraît fort rare. Quelle bonne fortune la découverte de cette pièce eût été pour le président Delichères qui voyait dans le vieil édifice de Desaignes le temple d’Hercule Deusonien ! Une dizaine de pierres sont en argent et les autres en bronze.

Le résultat de ces premières fouilles est consigné dans un rapport de M. Odilon Barrot, publié en 1876 dans une feuille locale. M. Odilon Barrot, ayant acheté depuis le Mas-Dieu, a fait continuer les travaux dont le résultat a été des plus satisfaisants. On a mis à découvert une nouvelle ligne de pierres percées, celles-là d’un trou carré, reposant comme les premières sur deux murs romains. Cette nouvelle ligne parallèle à l’ancienne est à deux mètres de distance, et à un mètre en contre-bas. Les deux lignes de pierres percées semblent former deux gradins qui dominent une sorte de grand bassin carré dont les murs sont en petit appareil romain. Nous avons ouï-dire qu’on avait trouvé depuis deux gradins du même genre sur le côté opposé du bassin.

Les objets extraits du Mas-Dieu constituent déjà un petit musée que l’on peut voir chez M. Odilon Barrot. L’un des plus intéressants est un anneau sigillaire dans le chaton duquel se trouve incrustée une pierre de couleur vert-obscur rappelant les pierres des scarabées des tombeaux égyptiens. Sur cette pièce sont gravées cinq figures symboliques qui paraissent être :

1° Au milieu, un épi de blé ; 2° A droite, un poisson ; 3° A gauche, une colombe ; 4° Au-dessous du poisson, une gerbe de blé ; 5° Au-dessus de la colombe, un pain.

Le choix de ces emblèmes, dont les trois premiers au moins étaient fréquemment employés par les premiers chrétiens, jusqu’à l’époque de Constantin, c’est-à-dire jusqu’à l’époque où ils eurent la liberté de culte, fait supposer une origine chrétienne. Si cette conclusion était confirmée par un examen plus approfondi de l’objet, on aurait la preuve de l’établissement du christianisme à Gravières, dès les premiers siècles de l’Eglise. Une autre découverte intéressante est celle d’une lampe portant en relief une croix pattée.

Il existait donc autrefois au Mas-Dieu un établissement romain d’une certaine importance, mais quelle en était la destination ? Voilà ce que personne n’a encore su déterminer. M. Odilon Barrot, qui y avait vu d’abord une usine pour la fabrication de la céramique, semble avoir abandonné depuis cette supposition.

Un autre de nos compatriotes y a vu un temple de Diane, mais sans apporter, que nous sachions, à l’appui de cette hypothèse, aucune raison bien sérieuse. Quoi qu’il en soit, l’établissement en question fut détruit, vers le milieu ou la fin du IVe siècle, par une inondation subite semblable à celle qui a épouvanté en 1878 la ville de Largentière. Le Coudoulas dut emporter toute la partie extérieure de l’édifice et recouvrit le reste de sable et de gravier. L’usine, temple ou villa, s’abîma dans la terre comme un navire dans la mer. Le souvenir même s’en perdit et un châtaignier trois ou quatre fois séculaire put pousser à l’endroit même où l’on a fait les curieuses découvertes que nous venons de signaler.

Il est à remarquer qu’une voie muletière très ancienne, qu’on appelait le chemin de la Pontière parce qu’elle traversait le Chassezac à la passerelle de ce nom, reliait autrefois les deux grandes voies romaines qui ont été remplacées, l’une par la route de Peyre et l’autre par la route de Villefort à travers Barre. Ce sentier, dont on voit un reste au Mas-Dieu, laissait à sa gauche l’établissement inconnu dont nous venons de parler. De l’autre côté, à droite, est un champ gazonné qu’on appelle encore le Cimetière, où l’on a trouvé de nombreuses substructions. Les fouilles sont à environ trois cents mètres du lit actuel de Chassezac. Entre la chapelle de quartz et le Mas-Dieu est une vieille maison appelée Chazelles (Casellae). Les derniers travaux ont eu pour objet le curage d’un puits entièrement comblé et dont il ne restait à la surface aucune apparence. On est arrivé à une profondeur d’une douzaine de mètres, mais là il a fallu s’arrêter à cause de l’eau.


Nous allâmes visiter les Salelles et sa belle église gothique. Il existait autrefois une tour au nord de l’église sur un petit monticule qu’on appelle encore le Chaylard ou le Chastelas.

Pélican nous raconta en quoi consistait autrefois la dîme que les habitants des Salelles payaient à leur prieur. Là comme ailleurs, cet impôt fut l’objet de longues contestations qui aboutirent à la transaction suivante :

« Savoir : que les vins, bleds, olives et chanvres seraient à l’onzain ; les chastaignes, au treizain ; la laine, au quinzain ; chevreaux, poulets, cochons et agneaux, aux anciennes coutumes. Et seront dimés les vins aux tonneaux étant tirés de la cuve, logés dans les tonneaux prieursiens et clavissiens, les blés et gerbes sur la terre, les chastaignes étant séchées avant que les blanchir, les olives étant cueillies, les chanvres étant aussi sur la terre arrachés, et tout sans aucune fraude. – Et pour le regard du foin et autres fruits croissant sur ladite paroisse autres que lesdits exposés, ne seront tenus payer aucun droit de dîme. »

Une transaction analogue fut passée le 20 décembre 1616 entre les habitants de Gravières et leur prieur, Jacques du Roure, seigneur de St-André. Il fut convenu qu’ils payeraient la douzième partie des blés, légumes et millets ; la onzième partie du vin ; la treizième partie des châtaignes fraîches et olives ; la dixième partie des agneaux, chevreaux et laines. Là où il n’y avait que trois agneaux et chevreaux, les habitants n’étaient tenus de donner qu’une obole pour chacun ; s’il y en avait quatre, ils devaient payer la moitié d’un agneau ou d’un chevreau. Sur chaque ventrée de truie nourricière, le prieur avait droit à deux cochons qu’il était tenu de prendre dans sept semaines. Tout habitant ayant des couvées de poulets était tenu d’en donner un au prieur. On payait le douzième des oignons, aulx, porreaux et choux. Ceux qui nourrissaient des veaux avaient à payer un denier par tête d’animal. Les prés existants ne payaient rien, mais les prés nouveaux formés de terres portant dîmes étaient tenus de donner la dixième partie du foin. Aucune dîme pour les cheneviers, rabiers, pommes, poires, noix ni autre fruictage.

Il résulte des reconnaissances féodales consenties ou renouvelées par les habitants de Gravières qu’il y avait de nombreux seigneurs ayant des fiefs dans cette paroisse. Pélican nous en cita une quinzaine :

Les la Garde Malbos, du château de la Tour ;

Les Fustier, seigneurs de Lafigère et de Combret ;

Les prieurs de Gravières ;

Le chapitre de Mende ;

Les prieurs de St-Loup (près de Villefort), dépendant de l’abbaye de St-Gilles ;

Les prieurs de Bonnevaux, dépendant de l’abbaye de St-Ruff, de Valence ;

La commanderie de Jalès ;

La commanderie de Gap-Français en Gévaudan ;

Les Isard de Montjeu, seigneurs barons de Coursoules, Chassagnes, Castenet, coseigneurs des Vans ;

Les Grimoard de Beauvoir du Roure (de Barjac et Banne);

Les prieurs de St-Jacques de Naves ;

Les la Garde, marquis de Chambonas ;

Les du Faget, coseigneurs de Casteljau, les Vans et Naves ;

Les d’Hilaire, seigneurs de Champvert ;

Les Châteauvieux, coseigneurs de Naves, etc.

Aucun seigneur ne figure dans les anciens documents avec le titre de seigneur de Gravières.

On trouve dans les registres du notaire Mourgues deux actes concernant le fils du célèbre ministre protestant, Samuel Sorbière. D’après M. Firmin Boissin, Samuel Sorbière serait né à Grospierres, tandis que tous les historiens le font naître à St-Ambroix le 17 septembre 1615. Sa mère, Louise Petit, était la sœur du célèbre professeur calviniste Samuel Petit (3). Ayant perdu son père et sa mère fort jeune, il fut recueilli par son oncle « qui l’éleva avec soin dans la connaissance des lettres humaines ». Samuel Sorbière étudia la médecine, exerça quelque temps en Hollande, puis revint en France, dirigea le collège d’Orange, se convertit au catholicisme, se lia avec plusieurs savants (tels que Patin, Hobbes, Baluse, Gassendi) dont il était l’intermédiaire, et fut nommé en 1660 historiographe du roi. Il avait adopté la philosophie de Gassendi et de Hobbes. Il publia les œuvres du premier avec sa vie (Lyon 1636) et traduisit plusieurs ouvrages du second, ainsi que l’Utopie de Morus. Ménard, après avoir énuméré ses principaux ouvrages, qui sont au nombre de trente-quatre, ajoute :

« Le peu d’attache qu’avait Samuel Sorbière pour les biens de la fortune lui fit négliger le soin d’en amasser. Aussi laissa-t-il un patrimoine peu considérable. Ce fut son fils unique qui le recueillit et qui se maria dans le lieu de Gravières, au diocèse d’Uzès (4). »

Il résulte des actes du notaire Mourgues qu’Henri de Sorbière vint épouser à Gravières demoiselle Jeanne de Chabaud de Bournet, fille de Joachim de Chabaud de la Broutière, sieur de Bournet (paroisse de Grospierres) et de demoiselle Catin Privat de Garilhe, notaire au lieu de Chazalette (paroisse de Gravières). Par le premier de ces actes, daté du 1er septembre 1680, Henri Sorbière cède à Jean Blisson, marchand de Barjac, tous les droits qu’il a ou peut avoir au pays de Hollande sur les biens délaissés par son grand-père, feu Daniel de Raynaud. Par le second, en date du 5 juillet 1681, il institue sa femme Jeanne de Chabaud son héritière universelle, en stipulant formellement que son beau-père ne doit avoir aucun usufruit sur son héritage. Dans les registres de la municipalité de Gravières, Henri Sorbière figure comme maire perpétuel de Gravières. Il était, de plus, recteur de la confrérie du St-Sacrement.

Les Sorbière étaient fort bien apparentés, s’il faut en juger par un passage de l’Histoire des pasteurs du Désert, de Napoléon Peyrat qui, parlant de Jean Cavalier, mort, comme on sait, gouverneur de l’île de Wight, en Angleterre, ajoute :

« Il avait épousé en Hollande la fille aînée de la fameuse Mme Dunoyer, de Nîmes, et, chose étrange, le guerrier camisard devint par son mariage arrière-petit-fils de Samuel Petit, neveu des Pères Coton et Lachaise et presque beau-frère de Voltaire (5). »

Henri Sorbière habitait avec sa femme la maison de sa belle-mère à Chazalette, qui est la maison mère de tous les Privat Garilhe (de Gravières, Payzac et Largentière). Le nom primitif de cette ancienne famille est Privat. On ignore à quelle époque celui de Garilhe y fut ajouté.


A propos de vieux actes de notaires, Pélican en lut un – car il avait toujours sa poche bourrée de notes sur les affaires de son royaume – relatant une émancipation.

« 1636 – 16 mai – A Villefort… en présence de nous Lapierre, notaire royal et maître François Marie, baillif de la cour ordinaire du mandement d’Altier, s’est présenté Vidal Pons, paroisse d’Altier, lequel aurait représenté audit sieur baillif que Pierre, son fils, aurait acquis, par son travail, servant les maîtres, quelques commodités et moyens, et afin de lui donner courage d’en acquérir davantage, il est en volonté de l’émanciper… En signe de laquelle émancipation ledit Vidal Pons, tenant les mains jointes dudit Pierre Pons son dit fils entre les siennes, les luy a lachées, de quoy ledit Pierre Pons, ayant la tête recouverte, en a très humblement remercié son père et requis ledit baillif lui octroyer acte de ladite émancipation… »

Hélas ! par le temps qui court, on ne fait pas tant de cérémonies pour s’affranchir de l’autorité paternelle. Le respect s’en va. Mais la force, la considération et le repos du pays s’en vont aussi. Tout cela ne tiendrait-il pas à la même cause ?

  1. Voir pour la description détaillée de ce curieux monument l’article publié par l’abbé Canaud dans le Bulletin du comité de l’art chrétien, de Nîmes, 1881.
  2. Histoire de Nîmes, t. 5, p. 510.
  3. Samuel Petit, ministre protestant, né à Nîmes en 1594, mort en 1643, professa dans sa ville natale la théologie, le grec et l’hébreu, et publia, entr’autres ouvrages d’érudition, un excellent commentaire sur les lois d’Athènes, Leges atticœ (Paris 1635).
  4. Histoire de Nîmes, t. 6, p. 183.
  5. M. de Coston m’écrit : « La famille de Mme du Noyer née Coton, de Nîmes, n’a rien de commun avec celle du P. Coton, du Forez ; autre province, autre religion. Simple similitude de nom ».