Voyage dans le midi de l’Ardèche

Docteur Francus

- Albin Mazon -

XIII

Banne

La duchesse d’Uzès, concessionnaire de toutes les houillères de France. – Visite de M. de Genssane dans la région de Banne. – François Pierre de Tubeuf. – Les diverses concessions de Banne. – Les couches de Bessèges se prolongent-elles sous le sol ardéchois ? – M. de la Vernède. – L’histoire ancienne de Banne. – Le pariage de 1271. – Banne élevée au rang de ville et les démêlés qui en résultent. – Destruction du château de Banne en 1792. – Une matinée sur les ruines. – Bannelle et le quartier des Combres.

En 1688, dame Marie de Valois, veuve du duc de Joyeuse, fille unique et héritière du duc d’Angoulême, comte de Ponthieu et d’Alais, fit procéder à l’estimation cadastrale de son domaine. Le procès-verbal de cette opération mentionne de nombreuses mines aux environs d’Alais.

Connaissait-on alors les gisements houillers de Banne ? C’est ce que nous apprend aucun document de l’époque.

En 1701, M. du Hallay remit au conseil du Roi un mémoire sur l’état du commerce en général, dans lequel, après avoir constaté la miminution des bois et forêts, il ajoute :

« Nous avons des mines de charbon de terre en Anjou, en Auvergne et ailleurs, mais comme Mme la duchesse d’Uzès a eu la permission du Roi de disposer de toutes ces mines du royaume, elle a remis ces droits à des gens qui ont fatigué les propriétaires et les ont obligés d’abandonner ces mines. Ils se sont rendus seuls maîtres du débit de ces charbons, en sorte qu’ils n’en font tirer qu’autant qu’ils en peuvent débiter à un haut prix, qui empêche les raffineurs de s’en pourvoir et les oblige de brûler du bois. Cela peut passer pour une espèce de monopole très préjudiciable. Il serait donc très-utile que le Roi eût agréable de retirer le privilège donné à Mme d’Uzès, de permettre à tous les propriétaires des mines d’en tirer ou en faire tirer par qui bon leur semblerait (1)… »

Il s’agit ici de Marguerite d’Apcher, veuve de François de Crussol, duc d’Uzès. Nous ignorons si la concession que le Roi lui avait donnée pour toutes les houillères de France lui fut retirée et si cette dame avait cédé à quelque sous-concessionnaire les mines de Banne. La première donnée sur l’exploitation de ces dernières nous est fournie par un acte du notaire Martin des Salelles, en date du 30 mai 1733, d’où il résulte que le comte du Roure affermait alors ses mines de charbon de Banne, pour six ans, à raison de trois cent trente livres par an. Le fermier était Jean Gadilhe, du Puech. On voit que l’exploitation était fort rudimentaire.

L’attention des savants ne fut appelée sur la richesse des houillères du Gard et de l’Ardèche qu’en 1747, par un Mémoire de l’abbé de Sauvages à l’Académie des sciences. Cet ecclésiastique, que Buffon appelle un excellent observateur, signala à l’Académie l’existence bien déterminée de différentes mines de charbon de terre entre Anduze et Villefort, sur une étendue de dix lieues environ et principalement dans les environs d’Alais.

Vers la fin du règne de Louis XV, les Etats du Languedoc chargèrent M. de Genssane de parcourir la province pour en étudier les gisements miniers. Ce savant fit sa première tournée en 1769, et voici ce que nous trouvons, au sujet de Banne, dans le tome Ier de son ouvrage paru en 1775 :

« Il y a quantité de très bonnes mines de charbon de terre dans la paroisse de Banne au lieu appelé la Pigère ; il y a quelques années qu’on avait commencé l’exploitation de ces mines, mais elles furent abandonnées à cause des eaux qui y incommodaient beaucoup. Le sieur Tubeuf, sur notre avis, en a repris le travail par une galerie d’écoulement, qu’il a pratiquée au bas de la montagne, et qui l’a conduit à une veine de charbon de dix-huit pieds d’épaisseur et de meilleure qualité. »

Plus loin (2), M. de Genssane nous apprend que le sieur Tubeuf avait d’abord porté ses efforts du côté du Pont-St-Esprit, où il eut beaucoup de difficultés avec les propriétaires. D’ailleurs, le combustible minéral ne se trouvait là qu’en filons de peu d’importance et de mauvaise qualité. M. de Genssane engagea Tubeuf à choisir un meilleur terrain. C’est vers l’année 1773 qu’il paraît lui avoir désigné les couches du Mazel à Banne.

« Dès le lendemain de cette conversation, je partis avec le sieur Tubeuf et l’emmenai au lieu de la Pigère, près des Vans. J’avais remarqué dans cet endroit une forte veine de très-bon charbon… On convint dès le même jour avec le propriétaire du terrain, qui offrit à M. Tubeuf toutes les aisances qui dépendaient de lui, et peu de jours après on y établit des mineurs. Cette mine, aujourd’hui en pleine exploitation (1778), est du plus grand secours dans tout le voisinage où ces charbons sont non-seulement employés à la cuisson des chaux et aux filatures des soies, mais où nombre d’habitants en font usage pour leur cuisine et autres usages domestiques (3). »

Tubeuf entreprit peu après l’exploitation des couches houillères de Montalet, près de St-Ambroix, et plus tard de celles du Mas des Bois, près d’Alais. Ce Tubeuf a été le grand initiateur de l’industrie houillère dans le bassin du Gard au XVIIIe siècle, comme M. Paulin Talabot l’a été de notre temps. M. Malinowski (4) nous apprend qu’il avait commencé un journal curieux, formant cinq gros volumes in-folio, qui existe entre les mains de ses héritiers à Alais. Le premier volume porte l’épigraphe suivante :

Ad majorem Dei gloriam
Virginisque Mariæ
Ego Franciscus Petrus de Tubeuf
operationes incepi die
martis 12 anno Dni 1770.

« Tubeuf est mort dans un pays lointain ; il ne reste de lui d’autres souvenirs dans la contrée qui avait été le théâtre de ses travaux, qu’un puits creusé à Rochebelle : le puits Tubeuf. On trouve aussi ce nom gravé dans une des coupes qui accompagnent la carte géologique de France, de MM. Dufrénoy et Elie de Beaumont. »

M. Malinowski se trompe. Banne a été moins ingrate qu’Alais à l’égard de son premier ingénieur, et la galerie creusée par Tubeuf à la Pigère n’a pas cessé de porter son nom. Nous voyons, par un rapport de l’abbé de Bréard que, de 1782 à 1783, l’extraction de la houille à Banne atteignit près de douze mille quintaux. On en faisait trois catégories qui se vendaient, savoir : Charbon à chaux, quatre livres le quintal ; charbon à forge, six livres ; charbon à fabrique, huit livres. Tout ce combustible était consommé dans, le diocèse de Viviers.


Au dessus de Banne, dans la direction du sud-ouest, surgit un mamelon très-régulier et couvert de châtaigniers qui porte le nom de Montgros. Ce cône vert en plein trias est, en quelque sorte, le pivot autour duquel s’étend en demi-cercle toute la région houillère de la contrée. Du haut de Montgros on aperçoit Bessèges, ou tout au moins la fumée qui s’en élève. L’espace intermédiaire est un joli bassin, formé, au pied de Montgros, par la vallée de Doulovy, et plus loin, par la vallée de Gagnères, qui fait la limite du Gard et de l’Ardèche. Les deux cours d’eau sont séparés par deux vertes arêtes, dont l’une est appelée le Bois-Noir, et l’autre les Salles-Fermouse. A l’extrémité de celle-ci, et presque à la naissance du bois commun donné à Banne vers 1606 par le comte du Roure, se trouve le hameau du Tambour qui, même avant le général Farre, n’a jamais fait grand bruit. Le beau Viaduc de dix-huit arches, qu’on aperçoit au loin Vers le sud, a été construit pour le tramway qui transporte le minerai des Salles-Fermouse. Les collines ensoleillées du Gard qui se donnent la main avec les montagnes bleues de la Lozère forment de ce côté, surtout le matin, un magnifique fond de tableau.

Au nord de ce bassin est celui de Pigère et Garde-Giral qui se relie au bassin du Mazel. Celui-ci se trouve, en allant sur Banne, entre Montgros et la montagne calcaire de Bannelle. On peut voir, au Mazel, sous la maison Gadilhe, une couche de minerai de fer affleurant le sol.

Un large plateau de grès sépare le mamelon de Montgros de la vallée de Doulovy et se prolonge jusqu’à la montagne de Bannelle. La plus grande partie de ce banc rocheux n’a encore été pénétrée que par les bruyères, les genévriers et les immortelles qui vivotent, les pauvres plantes, comme elles peuvent, dans ses fentes, mais on peut voir tout à côté comment se fait la décomposition du trias en bonne terre sablonneuse, car la partie la plus voisine du Mazel est devenue, sous l’action du temps, une magnifique châtaigneraie.

A Bannelle, les deux terrains, calcaire et triasique, se rencontrent pour ainsi dire nez à nez et nulle part on ne peut mieux les embrasser d’un seul coup d’œil et saisir la différence de leur physionomie : ici la roche marmoréenne, d’un gris éclatant, avec les stries vertes que font les yeuses dans les fentes du calcaire ; là, un terrain brun peint en rouge ou en violet, dans ses parties incultes, par les touffes de bruyères, et s’agitant en vagues vertes et reluisantes, dans la région des châtaigniers.


Il y a trois concessions de houille en exploitation dans la commune de Banne (outre une concession de minerai de fer non exploitée).

La première de ces trois concessions houillères, en date du 16 juillet 1822, donnée sous le nom de Pigère-et-Mazel à MM. Bayle, Garilhe et Thomas, de Banne, d’une superficie de cent quatorze hectares, fut rétrocédée plus tard à MM. Bergeron, Rivière de Larque et Colomb frères. En 1836, elle reçut une extension de soixante six hectares.

La seconde, dite des Salles-Fermouse, concédée aussi en 1822, à MM. Rivière de Larque et Thomas, de Banne, d’une superficie de deux cent soixante deux hectares, appartient aujourd’hui aux mêmes propriétaires que la première. Les deux concessions réunies forment ce qu’on appelle la Compagnie houillère de Banne.

La troisième, dite de Montgros, donnée en 1836 à MM. Colomb, Molines, Martin et Bayle, a changé aussi de propriétaires. Le président du conseil d’administration est actuellement M. Sabatier, de Nîmes, et l’ingénieur, M. Calas. On cite parmi les principaux actionnaires MM. Odilon Barrot, Vaschalde, de Bournet, etc.

Il y a une autre concession dite de Doulovy, non exploitée, donnée en 1836, et appartenant aujourd’hui à M. Pagèse de la Vernède.

La Compagnie houillère de Banne a extrait, en 1882, à elle seule, vingt-deux mille tonnes de houille. La compagnie de Montgros, qui en avait extrait jusqu’à ce jour quelques milliers par an, a cessé son exploitation jusqu’à nouvel ordre.

Le bassin houiller de Banne n’est qu’un fragment de la ligne de terrain houiller qui s’étend d’Alais aux Vans et probablement plus loin, terrain déposé par la mer cambrienne qui entourait les Cévennes. Malheureusement, ce dépôt a été très disloqué par les soulèvements et il en résulte des irrégularités qui rendent son exploitation difficile. La houille se trouve ici dans les dépressions du micaschiste. M. Dalmas croyait à son prolongement vers le nord et l’est sous le trias et sous les terrains jurassique et néocomien, et il était notamment très convaincu qu’on retrouverait la couche du Mazel sous les calcaires de Bannelle et du fort de Banne dans la direction des Vans et de Berrias.

« Le dépôt houiller du sud de l’Ardèche, dit-il quelque part, forme deux systèmes bien distincts. L’inférieur renferme les mines des Pinèdes (dont une partie dans le Gard et l’autre dans l’Ardèche), des Salles-Fermouse, de Doulovy, de Montgros et de Pigère. Sa puissance est de deux cent cinquante à trois cents mètres. Le système supérieur ne comprend que les mines du Mazel et sa puissance est de deux cent cinquante mètres environ. L’étage inférieur du premier système houiller est un conglomérat aurifère composé de fragments de schistes minacés et de quartz hyalin reliés ensemble par un ciment argileux jaunâtre. »

La grosse question, on le voit, est de savoir si, comme le croit M. Dalmas, et beaucoup d’autres avec lui, la couche de houille exploitée à Bessèges se prolonge sous les grès et les calcaires du sol ardéchois. Si une grande exploitation houillère doit naître dans l’Ardèche, Banne en est nécessairement la porte d’entrée. On comprend donc que plusieurs sondages y aient été pratiqués pour vérifier ces alléchantes conjectures. Les deux plus importants sont ceux de Chibasse et de Pigère.

Chibasse est au point de rencontre des trois communes de Banne, Naves et Chassagnes. Le sondage y fut effectué de 1873 à 1876, par les soins de MM. de Lafarge et sous la direction de M. Dalmas, dans la rivière de Granzon. Il fut poussé jusqu’à deux cent quarante-six mètres de profondeur. La sonde traversa l’oxfordien, le lias et toute l’assise supérieure et moyenne du trias. M. Dalmas pensait qu’à trente ou quarante mètres plus bas, on devait rencontrer la houille grasse de Bessèges. Mais les instruments employés avaient été construits en vue de roches moins résistantes et étaient devenus impropres à la continuation des travaux qui, malheureusement, n’ont pas été repris depuis.

L’autre sondage, entrepris à Pigère, vers la même époque, par M. Vaschalde, des Vans, fut poussé jusqu’à trois cent trente mètres. Il traversa la couche houillère, mais la trouva dérangée par de nombreuses failles et non exploitable. M. Delmas avait prévu ce résultat, ainsi que celui des sondages Merle, aux Avelas, et Pagèse de la Vernède, à Sauvas, parce que le bouleversement des couches sur ces divers points est visible, tandis que l’absence de tout dérangement des terrains à Chibasse permettait, suivant lui, d’espérer une issue favorable. M. Gabriel de Mortillet, qui a visité les lieux, partageait, dit-on, l’avis de M. Dalmas. Si la tentative était reprise et couronnée de succès, l’exploitation de la houille serait grandement facilitée sur ce point par les dispositions du terrain qui est absolument plat entre Chibasse et le chemin de fer.

En 1877, la compagnie de Montgros a commencé les travaux du puits St-Maxime et, à quelque distance de là, une galerie de St-Joseph. On a récemment découvert, au puits St-Maxime, un filet de houille grasse de vingt-cinq centimètres d’épaisseur qui paraît un indice assuré de la proximité des grandes couches houillères. La compagnie de Montgros a néanmoins suspendu, depuis, ses travaux de sondage.

Le puis creusé par M. de la Vernède (concession de Doulovy) est près du viaduc à dix-huit arches. Il a atteint trois cent trente mètres de profondeur et les travaux, dit-on, continuent au moyen d’une machine très-puissante, mais ils n’ont pas donné jusqu’ici de résultats.

On célèbre chaque année à Banne la fête de Ste-Barbe, patronne des mineurs. Chacune des deux compagnies fait célébrer une messe spéciale et les mineurs y assistent tous avec un recueillement qui contraste avec la réputation internationaliste et anticléricale trop généralement attribuée aux ouvriers mineurs. Il est vrai que la plupart des mineurs de Banne sont des gens du pays qu’il ne faut pas confondre avec la population nomade qui forme le personnel d’un trop grand nombre de centres industriels. La compagnie houillère de Banne a transporté sa caisse et ses bureaux à St-Paul à cause du chemin de fer, mais elle a jugé, avec raison, qu’il n’était pas juste de déplacer le lieu de la célébration religieuse de sa fête, d’autant que les deux concessions qu’elle exploite sont tout entières dans la paroisse de Banne.

La rivière de Gagnères, que nous apercevons au loin, va rejoindre la Cèze au bout de l’horizon. On nous raconte que les orpailleurs ont disparu, parce qu’ils ne faisaient pas leurs frais. Un métier plus avantageux, pour celui qui l’exerce comme aussi pour la masse du public, est celui que fait un riche propriétaire de Malbosc, M. de la Vernède. Cet honorable compatriote, au lieu de mettre ses économies en valeurs mobilières plus ou moins sujettes à caution, les place en achats de terrains incultes dont il fait le reboisement. Il paraît qu’on n’a jamais coupé un arbre dans ses domaines. C’est un noble et intelligent exemple que nous recommandons vivement à tous ceux qui ont le moyen de l’imiter.


L’ancien village fortifié qui s’étend au sud-ouest au pied du château, et qu’on ne peut apercevoir de la plaine de Jalès, s’appelle le Fort de Banne.

L’église est au village de Banne, situé à trois ou quatre cents mètres de distance. Cette église est due à feu M. l’abbé Pertus, qui fut pendant quarante ans curé de cette paroisse et y a laissé un souvenir profond. Elle est à trois nefs et les fioritures de pierre, qui caractérisent le style gothique, y abondent aussi bien à la façade qu’à l’intérieur. Le clocher seul n’est pas en rapport avec le reste de l’édifice, et nous ne sommes pas étonné que la population se préoccupe de couronner dignement l’œuvre de M. Pertus par une flèche digne de l’église. Nous l’engageons toutefois à ajouter à la flèche un bon paratonnerre pour la soustraire aux dangereuses familiarités de la foudre.

Banne a toujours fait partie du diocèse de Viviers. Son église était un prieuré uni à la commanderie de Jalès et dépendant de l’officialité de Sablières. La dîme s’y payait au treizain des blés en gerbe, des légumes, du millet en grains ; pour les raisins, on les portait à la cuve du fermier. Le dîmeur prélevait, en outre, un agneau sur huit ; au-dessous de ce nombre, il était dû un denier par tête. Les châtaignes n’étaient pas dîmées ; par suite d’un accord passé avec les commandeurs de Jalès, les habitants de Banne payaient annuellement cent soixante livres, et à ce prix ils étaient libérés de l’impôt des châtaignes.

Le curé actuel de Banne est M. l’abbé Mollier, l’auteur du très intéressant ouvrage intitulé : Recherches sur Villeneuve-de-Berg et le Bas-Vivarais.

La paroisse de Banne comprenait autrefois la commune de St-Paul qui s’appelait le Travers de Banne. La métairie des Lèbres appartenait aux comtes du Roure. Celle de Larque était un fief en partie noble.

L’étymologie de Banne (en latin Bana) paraît être le mot patois bono (corne) francisé encore tous les jours en banne. Sans cela, pourquoi Banne aurait-elle une corne dans ses armoiries ? C’est pour cela qu’on doit, à mon avis, écrire Banne sans s. Mais d’où lui vient cette corne ? Nous serions tenté de croire que les anciens considéraient les montagnes comme autant de cornes, et c’est ainsi qu’après avoir appelé Banne le mamelon où s’éleva leur premier village (le Fort de Banne) ils appelèrent les deux hauteurs voisines Bannelle et Banne-Vieille (dont on a fait depuis Bonne-Vieille).

Banne a une antiquité historique respectable. Des chartes mentionnent Arnaud de Banne (1181), Hugues de Banne (1203), Bernard de Banne parti pour la Palestine avec St-Louis (1248).

Le pariage de Banne, qui précéda de deux ans celui de Naves, fut conclu le 26 janvier 1271 par Philippe le Hardi. Il fut convenu, dans l’acte, que la juridiction du château et du territoire de Banne serait divisée en huit parts indivises qui appartiendraient :

La première, au Roi ;

La deuxième, par moitié, à noble Dragonnet de Châteauneuf et à Arnaud de Jalès, chevalier ;

La troisième, à Regordan de Naves, chevalier ;

La quatrième, à Jaucelin du Pradal ;

La cinquième, à Pierre de Banne, damoiseau ;

La sixième, à Astorg d’Auriol, chevalier ;

La septième, par moitié, à Guillaume de Busis, chevalier, et à Pierre de Beauvoir, son gendre ;

La huitième, à Guigon, Bernard et Guillaume de Banne, frères, pour une moitié, et à Arnaud de Banne, leur cousin, pour l’autre.

Il fut encore convenu que le juge royal et le notaire ou greffier du bailliage supérieur d’Uzès le seraient aussi de la cour commune de Banne et que leurs appointements seraient payés en commun par les coseigneurs. Parmi les témoins de cet acte, dans lequel Guillaume Boisse, viguier d’Uzès, représentait le Roi, nous voyons figurer frère Bertrand de Chateauneuf, commandeur de Jalès, et Pierre de Cornillon, damoiseau.

En 1485, le Roi convoqua tous les nobles de la sénéchaussée de Beaucaire pour la défense de l’Etat contre le duc d’Orléans ligué avec les ducs de Bretagne et de Bourbonnais. Beaucoup ne répondirent pas à l’appel. D’où la saisie des fiefs de Naves et Banne (5).

La généalogie de la maison de Banne a été faite sans interruption, de l’an 1400 jusqu’à nos jours. L’abbé Rouchier y rattache le chanoine Jacques de Banne, auteur des mémoires sur l’église de Viviers. Vers 1600, la seigneurie de Banne était passée aux du Roure. A partir de cette époque, on trouve la maison de Banne divisée en deux branches principales, celle des barons d’Avéjan, au diocèse d’Uzès, et celle des Banne de Boissy, coseigneurs de St-Montan, dont descendait le chanoine chroniqueur (6).

La communauté de Banne fut élevée au rang de ville par lettres-patentes du 24 mars 1653 adressées aux Etats-Généraux du Languedoc et au Parlement de Toulouse. La mesure fut déterminée par les démarches du comte du Roure qui, dit la lettre royale, « nous a fait dire et remontrer que le bourg de Banne à lui appartenant, se trouvant situé en un des meilleurs et plus beaux endroits du Vivarais, clos de murailles et composé de bon nombre d’habitants catholiques, construit de belles maisons et orné d’un des plus forts châteaux et plus considérables dudit pays, nos prédécesseurs rois auraient établi, à certains jours de l’année, des foires et marchés audit bourg de Banne, dans lequel les prédécesseurs dudit sieur comte de Roure ayant toujours fait leur principal domicile et résidence ordinaire, ils se serait par ce moyen accru de temps en temps, et particulièrement depuis peu, de telle sorte qu’il est aussi grand et plus qu’aucunes villes dudit pays, et qu’il serait avantageux à notre service et au bien de nos sujets dudit pays d’orner le lieu de Banne du titre de ville pour jouir des droits, immunités, privilèges et prérogatives dont jouissent les autres villes dudit pays… »

Parmi ces droits était celui pour les consuls de porter le chaperon rouge, et d’être reçus tant à l’assemblée générale des Etats du Languedoc, qu’aux assemblées du pays de Vivarais.

Ces lettres patentes furent enregistrées aux Etats du Languedoc le 15 décembre 1655 – « attendu qu’elles n’augmentent pas le nombre des lieux qui ont le droit d’entrer à leur tour à l’assemblée du Languedoc et aux assiettes et Etats particuliers du pays de Vivarais ». Malheureusement, deux ans après, le Roi, oubliant qu’il dépassait ainsi le nombre des villes ayant droit d’entrée aux Etats de la province, accorda par lettres patentes de mars 1557 à Boulogne les mêmes droits dont Privas avait été déchu à la suite de la révolte. De là, conflit.

Les Etats du Languedoc étant réunis à Pézenas en octobre suivant, le syndic général rappela qu’on avait admis Banne parce que cela n’augmentait pas le nombre des lieux qui ont droit d’assister aux Etats ; que le Vivarais ayant été composé de tout temps de huit villes capitales, il n’y en avait plus que sept depuis que Privas s’en était rendu indigne par sa défection en 1629, et qu’on n’avait pas en conséquence fait d’objection au remplacement de Privas par Banne ; que néanmoins, dans les derniers Etats du Vivarais tenus au Bourg en 1656, le consul de Boulogne avait disputé l’entrée au consul de Banne et avait été admis par augmentation de voix ; que les Etats généraux de la province ne devaient pas admettre cette augmentation. Le syndic conclut finalement au maintien de Banne pour l’entrée à son tour dans les Etats du Languedoc et pour l’entrée annuelle aux Etats du Vivarais. A quoi adhéra l’assemblée. Mais le conseil d’Etat, par un arrêté du 19 décembre 1659, en confirmant les villes de Boulogne et Banne dans les droits et privilèges résultant des lettres-patentes de 1653 et 1657, réserva aux consuls de Boulogne, à l’exclusion de ceux de Banne, le droit d’entrer aux Etats de Languedoc et aux Etats particuliers du Vivarais. Cet arrêt fut enregistré par les Etats du Languedoc le 18 février 1661.

La région de Jalès fut mise sur le qui-vive en 1703, par une tentative des Camisards, qui brûlèrent plusieurs églises des environs, entre autres celle de St-Laurent. Ne serait-ce pas l’église de la Maisonneuve, dédiée à St-Laurent ? La nouvelle église est due aux soins de M. Colomb, aujourd’hui aumônier de l’hôpital de Largentière. La ville de Banne prit ses précautions. La porte de l’église fut murée et un poste de trente hommes bien armés fut installé au château. Cela suffit pour prévenir toute rencontre fâcheuse. On sait d’ailleurs que les fanatiques, sous les ordres de Jean Cavalier, n’eurent qu’un court triomphe sur la lisière méridionale du Vivarais. Vainqueurs, le 10 février 1703, du comte du Roure qu’ils avaient surpris à Vagnas, ils furent mis en complète déroute le lendemain par le brigadier de Julien et rentrèrent dans les Cévennes du Gard pour n’en plus sortir.

Des troubles d’un autre genre survinrent dans le pays vers 1783. Des individus masqués parcoururent les campagnes et brûlèrent les papiers de bon nombre d’hommes d’affaires. Bien que Soulavie accuse les Anglais d’avoir organisé ce mouvement, il est infiniment probable que les abus des gens de procédure en furent sinon l’unique, au moins la principale cause. Beaucoup de gens de Banne prirent part à ces désordres appelés un peu pompeusement par quelques-uns l’insurrection des Masques armés. Plusieurs individus furent jugés et pendus, les uns à Villeneuve-de-Berg, les autres au point culminant de l’ancienne route de Banne aux Vans qu’on appelle encore los poutencios (les potences).

L’année 1792 vit de plus graves orages. On sait les incidents qui amenèrent la destruction du château de Banne. Cette somptueuse demeure des comtes du Roure n’était pas habitée depuis longtemps par ses maîtres retenus à la cour ou ailleurs par les hautes charges dont ils étaient investis, quand un groupe de royalistes exaltés vint s’y installer en juillet 1792. L’autorité de Joyeuse envoya une compagnie de soldats et deux brigades de gendarmerie qui l’occupèrent sans résistance. Les gendarmes, en faisant des battues aux environs, arrêtèrent peu après trois ou quatre royalistes, agents du comte de Saillans, qui organisait la contre-révolution dans le pays. Saillans, qui roulait de grands projets (puisqu’il ne s’agissait de rien moins que de soulever la Haute-Loire avec l’Ardèche et la Lozère, pour donner la main à Lyon révolté et se concerter ensuite avec la Vendée), se laissa entraîner par cet incident à précipiter son entrée en campagne. Pour délivrer ses amis, il vint assiéger le château de Banne. Après une assez longue résistance, la garnison, manquant de vivres, rendit la place et se retira aux Vans. Banne devint alors le centre d’une révolte ouverte. Le gouvernement s’émut et le général d’Albignac marcha sur Banne. La résistance était impossible et Saillans ne la tenta pas. Il évacua le château et les gardes nationaux triomphants l’incendièrent. La flamme avait trente mètres de hauteur. L’incendie dura dix jours. Le général d’Albignac empêcha non sans peine les soldats de faire subir au village le même sort qu’au château.


Nous passâmes, Barbe et moi, toute la matinée du lendemain sur les ruines du château de Banne, avec le manuscrit du notaire Fabrégat qui contient la description détaillée de l’édifice et en raconte la destruction (7). La façade principale, avec la grande cour d’honneur, était judicieusement exposée au midi, c’est-à-dire qu’elle regardait le Fort de Banne situé à ses pieds en tournant le dos à la plaine de Jalès. Les écuries étaient également au sud sous la cour d’honneur ; l’eau y venait en abondance de la source qui s’arrête aujourd’hui au milieu de la place du village et le chroniqueur nous apprend qu’il y avait une magnifique mangeoire.

Le premier étage contenait, entr’autres pièces remarquables : au midi, le grand salon et le théâtre ; au nord, la chambre de la comtesse et celle du roi Hérode, ainsi nommée d’une fresque représentant Hérode et le massacre des innocents. Il n’y avait qu’une petite chapelle au deuxième étage. Le donjon ou tour du nord, attenant à un petit champ appelé la Vignette, était carré : les deux autres tours au sud étaient rondes. Les prisons étaient à l’est et les caves au nord. D’après la tradition, il y avait autant de fenêtres que de jours dans l’année, mais nous avons eu l’occasion de dire ce qu’il faut penser de cette légende.

En face de la Vignette, et séparé du château par le jardin, au milieu duquel la fontaine jaillissait dans un grand bassin rond, se trouvait le Martinet, où, dit-on, le seigneur battait autrefois monnaie.

De tout ce magnifique édifice, il ne reste aujourd’hui que les écuries et quelques pans de murs qui permettent à peine de se rendre compte de l’importance de l’édifice et de sa disposition générale. Les chèvres broutent la lavande et la marjolaine, le thym et la bourrache, à la place où étaient le salon, le théâtre et la salle du roi Hérode. Nous aperçûmes même un corbeau sortant de la tour carrée, ce qui réalise pleinement la parole prophétique que le chroniqueur local met dans la bouche du comte du Roure quittant pour la dernière fois sa demeure seigneuriale :

Adieu, château de Banne ! Adieu, belle maison ; un jour les corbeaux y nicheront !


Du château de Banne on a le plus magnifique spectacle que l’on puisse imaginer. Tout le Bas-Vivarais, pour ainsi dire, s’épanouit sous l’œil du touriste. C’est une vraie lanterne magique. On aperçoit, en effet, en allant du nord à l’est et au sud :

Malarce, comme un point blanc dans les arbres ;

La route qui monte des Vans à Peyre ;

St-Pierre-le-Déchausselat, perché sur sa montagne avec sa couronne de bois de châtaigniers ;

St-Jean-de-Pourcharesse, reconnaissable à son clocher et à son couvent de Dominicains ;

St-Hippolyte-de-Brès.

Le Tanargue forme de ce côté le fond du tableau.

Puis viennent les collines de Payzac, de Planzolles et de St-André-la Champ ;

La tour de Brison et la Champ-du-Cros surgissant comme des fantômes derrière la colline des Assions ;

La Blachère et Notre-Dame-de-Bon-Secours entre lesquelles apparaissent au loin le clocher de Chassiers, la tour de Tauriers et la chapelle blanche de Notre-Dame de Tout-Bien (près de Tauriers).

Le défilé continue par la tour de Montréal avec Gourdon et l’Escrinet pour fond de tableau.

Voici maintenant, à des distances diverses, les tours de St-Laurent-sous-Coiron et de Mirabel, la Roche Sampzon, la dent de Rez, les Serres de Barjac, les ruines du château de St-Sauveur.

Sous nos pieds enfin, une plaine accidentée d’où surgissent les clochers de la Maisonneuve, Grospierres, Berrias, Beaulieu, Comps, traversée d’un bout à l’autre par le chemin de fer dont on peut suivre la fumée presque sans interruption de St-Paul à Ruoms, c’est-à-dire sur un espace de vingt kilomètres.

Le beau domaine de M. Pagès, au nord, nous sert de repère pour reconnaître la source de la Dragonnière (rivière de Berrias).

C’est du château de Banne que l’on peut le mieux saisir l’ensemble du bois de Païolive. Ce nom est aujourd’hui réservé à la partie de la forêt de blocs calcaires qui s’étend entre les Vans, Chassagnes, Casteljau, Banne et Berrias, mais, au point de vue géologique comme à celui de la physionomie extérieure des lieux, le bois de Païolive commence à la montagne de Bannelle (qui est comme un coin calcaire enfoncé dans les terrains du trias et donne l’idée d’une proue de navire dont la poupe est ensablée), comprend St-Alban, Ruoms, la Beaume, Chauzon, Vogué, Lussas, et se prolonge même sous le Coiron jusqu’à Alissas et au Gras des environs de Privas.

Les trois éminences de Bannelle, Plan-Redon et Banne-Vieille, avec le quartier des Combres, forment, dans tous les cas, un petit bois de Païolive, séparé de l’autre par la rivière de Granzon, la route des Vans et les défrichements qui ont suivi, mais qui ne le cède en rien pour la sauvagerie pittoresque à la métropole.

Nous visitâmes le quartier des Combres sous Banne-Vieille. Il est bien moins inculte qu’on ne pourrait le croire à distance. Les mûriers, les oliviers et les figuiers y jaillissent pour ainsi dire par toutes les fissures du calcaire. – C’est merveille de voir l’arbre vivant dompter la roche aride. Mais c’était bien plus merveilleux autrefois quand un cep de vigne s’élançait superbe et chargé de raisins de chacun de ces vases naturels, remplis de la terre grasse que forme le calcaire décomposé. C’est de là que venait ce vin de Banne si justement renommé. Comment diable un pareil nectar pouvait-il sortir de là ? C’était – n’en déplaise à MM. les athées – un véritable miracle de chaque année, un miracle tout aussi étonnant (si l’on n’en avait pas l’habitude) que celui des noces de Cana – car faire du vin avec de l’eau, surtout au siècle des marchands de vin, est assurément bien moins difficile que de faire du vin – et songez-y, du vin de Banne – avec de l’argile, du soleil et des roches brûlantes. Le nommé Dieu, comme disent les collectivistes, osait ainsi faire des miracles au nez de tout le monde – quelle audace ! Ne vous fâchez plus, braves gens, le phylloxéra y a mis bon ordre. L’air, le soleil, le rocher, l’argile sont toujours là, mais, au lieu de raisins, là où les arbres manquent, il ne vient plus que des buis, des ronces, des foouterlo (aristoloches) ou des tithymales.

M. de Genssane avait visité évidemment ce quartier des Combres, quand il rendait l’hommage suivant aux paysans vivarois :

« Tout le territoire, depuis Banne et Berrias jusques sur les hauteurs des Vans, est hérissé de roches calcaires entassées les unes sur les autres, et ce qu’il y a d’étonnant, c’est que le peuple de ces cantons est tellement laborieux qu’il profite des moindres intervalles que ces roches laissent entre elles pour y planter un mûrier ou deux ou trois ceps de vigne qui y réussissent passablement. »

La baoumo del cura, où le curé de Banne, M. Velay, de Vernon, se cacha pendant deux ans sous la Révolution, est au quartier des Combres, au milieu d’un mur à pic, et l’on ne peut accéder à l’ouverture qui est, d’ailleurs, peu apparente, qu’en y descendant par une échelle de corde. Une vieille femme arrivait chaque nuit au sommet du rocher et descendait au prisonnier des provisions au moyen d’un panier suspendu à une corde. Les paysans de Banne portèrent et plantèrent, il y a quelques années, au sommet de Banne-Vieille, une croix de mission. Ce fut un vrai tour de force où le saccol joua son rôle. Aussi cette croix fut-elle largement arrosée par le bon vin d’alors.

La nouvelle route de Berrias aux Vans a fait subir au bois de Païolive une nouvelle amputation. Par cette tranchée, les vulgaires voyageurs de diligence peuvent maintenant se faire une idée de ses pittoresques perspectives, et les bons habitants des Vans peuvent, sans beaucoup de peine, y aller faire pâquette, c’est-à-dire dîner, boire et danser sur l’herbe le dimanche de l’octave de Pâques.

  1. Correspondance des contrôleurs généraux des finances avec les intendants des provinces, publiée par M. de Boislisle, t. 2, appendice page 498.
  2. Histoire naturelle de la province du Languedoc, t. 1, p. 161.
  3. Idem. t. 4, p. 38.
  4. Essai historique sur l’origine et le développement progressif de l’exploitation du charbon de terre dans le bassin houiller du Gard_. – Alais 1869.
  5. Ménard, Hist. de Nîmes, t. 4, livre XI.
  6. Bulletin de la Société des Lettres, des Sciences et des Arts de l’Ardèche, 1866.
  7. Ce manuscrit, laissé par l’auteur à l’abbé Pertus, a été reproduit dans le Bas-Vivarais, juillet 1859, et dans l’Echo de l’Ardèche, mars 1864.