Grâce pour les alouettes ! – Le chasseur de… renards. – La pomme de terre, ses origines. – La pomme de terre, marchandise courante sur le marché d’Annonay au XVIIe siècle. – Les disettes supprimées par la pomme de terre et le libre-échange. – Un nouveau dessin de miss Diana.
Le plateau qui est au sommet de la montée s’appelle la Barbanche ; mais il est encore plus connu sous le nom de Plateau des Chasseurs, à cause de l’habitude qu’ont les Stéphanois de venir y prendre les alouettes au miroir.
En entendant ce détail donné par le conducteur, miss Diana prit naturellement la défense des alouettes, comme elle avait pris celle des hirondelles, et je fis chorus avec elle. Pauvres petites bêtes ! pourquoi ne les comprendrait-on pas dans les mesures administratives qui interdisent la chasse aux petits oiseaux ? Elles mangent si peu et il y a si peu à manger dans leur cadavre ! D’ailleurs, elles se nourrissent surtout de vers et d’insectes, et, à ce titre, les agriculteurs devraient prendre leur défense contre les chasseurs. L’alouette a encore d’autres droits à être mieux traitée qu’elle ne l’est par une nation qui se prétend républicaine : c’est que personne, dans le monde des oiseaux, n’aime la liberté autant qu’elle, et la preuve, c’est qu’étant mise en cage, elle finit toujours par se casser la tête contre les parois en cherchant à s’envoler. Rappelons-nous enfin que l’alouette était l’emblème de nos pères les Gaulois. Voilà bien des raisons sérieuses en faveur de notre petite protégée mais les préfets ont bien autre chose à penser, et le meilleur moyen pour cette dernière d’obtenir leur protection serait probablement, – puisqu’on la dit capable d’imiter la voix humaine, – d’apprendre à crier : Vive la République ! ou bien : Vive les écoles laïques !
On vient aussi sur ce plateau chasser les oiseaux de passage : les ramiers, les canards, les bécasses et une foule d’autres voyageurs emplumés. C’est surtout en octobre et novembre, suivant la précocité de l’hiver, qu’ont lieu ces aggressions à main armée contre les malheureux touristes aériens qui volent vers les Nice ou les Menton de leur monde.
Miss Diana déclara, d’un ton très convaincu, que de pareils actes de brigandage devraient être punis. Chabourdin sourit, mais discrètement, car il cherchait à plaire à la jeune Anglaise.
Un petit incident captiva peu après notre attention : une nuée d’oiseaux de toute espèce, où l’on distinguait des merles et des geais, sortit d’un bouquet d’arbres et se mit à voler au-dessus des broussailles et des rochers, avec une animation et des cris extraordinaires.
– Il se passe quelque chose d’insolite de ce côté, dit Chabourdin.
– Je suppose, dit le conducteur, que les oiseaux ont découvert un hibou, un renard ou une fouine : c’est leur manière de faire l’accompagnement à un ennemi.
Presqu’en même temps on entendit un coup de fusil.
– Ah ! dit miss Diana, je le pensais bien ! le véritable ennemi de toutes ces pauvres bêtes, c’est l’homme !
Et, emportée par son indignation, la jeune fille fit arrêter la voiture et s’avança résolûment vers l’endroit d’où était parti le coup de fusil.
Lord Socrate ne parut nullement surpris et inquiet de ce mouvement. Il se disposait à suivre sa fille, mais en voyant que j’avais déjà sauté à terre pour l’accompagner, il resta avec Chabourdin.
Nous nous dirigeâmes vers le bouquet d’arbres, d’où les oiseaux s’éloignaient maintenant avec épouvante.
Bientôt l’homme du coup de fusil apparut et je reconnus, non sans étonnement, un ancien camarade du collège d’Annonay.
– Monsieur, lui cria l’Anglaise, dès qu’il fut à la portée de la voix, c’est indigne ! Comment n’avez-vous pas honte d’assassiner des bêtes inoffensives ?
La colère la rendait charmante. Le chasseur n’y comprenait rien et son air semblait dire : Quel méfait ai-je donc commis ?
Aussi frappé de la beauté et de la distinction de son interlocutrice que surpris de l’étrangeté de l’aventure, il s’avança de l’air le plus courtois pour savoir ce qu’on lui voulait.
Je pris la parole, pour épargner une nouvelle sortie à mon aimable compagne, et j’expliquai à mon ancien condisciple l’horreur qu’inspirait à beaucoup de personnes en Angleterre, et même en France, la chasse aux petits oiseaux.
– Mais, s’écria le chasseur, moins sincère peut-être que désireux de se ménager un meilleur accueil, je ne fais pas la chasse aux oiseaux. Je fais ce que les plus respectables personnages se permettent, de l’autre côté de la Manche, je poursuis l’ennemi des poules et des colombes : je chasse le renard !
Saisissant la balle au bond, je rappelai à miss Diana la manifestation aérienne dont nous venions d’être témoins et qui confirmait la présence du terrible ennemi de toute la gent ailée, en même temps que la sincérité du chasseur.
Ces paroles dissipèrent les nuages qui chargeaient le front de l’Anglaise.
– Oh monsieur, dit-elle alors, c’est bien différent, et je regrette mon injuste soupçon ; mais, au moins, l’avez-vous atteint le renard ?
– Hélas ! belle dame, répondit le chasseur, nous ne sommes pas outillés, ici, comme vous l’êtes en Angleterre, pour avoir raison d’un aussi rusé coquin, et mon chien n’a pas encore pu trouver la piste de son terrier. – Ici, Vesta !
Une magnifique chienne au poil blanc, taché de noir, accourut à cet appel.
Tandis que miss Diana retournait auprès de son père, je renouai avec le chasseur une connaissance interrompue depuis le collège, c’est-à-dire depuis une trentaine d’années.
Je racontai ma rencontre avec lord Socrate et Chabourdin, et notre partie improvisée au mont Pilat.
– Le Pilat ! s’écria le chasseur, mais c’est mon domaine, je dirais presque mon royaume. Personne n’en connaît mieux les coins et les recoins, les hommes et les bêtes. Et s’il plait à cette charmante Anglaise, à son respectable père… et à ses non moins respectables compagnons de m’agréer comme guide, je me mets à votre disposition. Et je jure, ajouta-t-il, enlevant comiquement la main d’un air solennel, par saint Hubert et sa meute céleste, de ne pas chasser, pendant tout ce temps, autre chose que le renard ! Il est bien entendu, ajouta-t-il, pour les oreilles de la blonde insulaire, que je n’ai jamais chassé d’autre gibier.
– Qui pourrait en douter ? fis-je en riant.
En regagnant la voiture, nous trouvâmes l’Anglais et Chabourdin, que miss Diana avait rejoints, en contemplation devant un champ de pommes de terre à fleur violette. Ces pommes de terre, qui ont aussi la peau violette, sont les plus délicates et en même temps les plus communes sur les hauteurs, en Forez comme en Vivarais. Partout, dans ces régions, l’œil se repose agréablement sur de vastes champs de solanées dont la brune verdure est constellée de fleurs d’un violet purpurin, tandis que les espèces à fleur blanche règnent presque exclusivement dans les régions inférieures.
Je présentai mon ami, le chasseur de renards, à lord Socrate et à Chabourdin, en leur faisant part de l’offre aimable qu’il nous faisait de nous guider sur le mont Pilat, offre qui fut naturellement acceptée.
Mais l’Anglais paraissait absorbé par les solanées. Il nous demanda quelles étaient les différentes espèces cultivées dans la contrée.
Le chasseur répondit qu’on ne distinguait guère les pommes de terre dans nos pays qu’en pommes de la montagne et en pommes de la plaine, les premières aussi supérieures aux secondes que le froment l’est au seigle, le marron à la châtaigne, le café à la chicorée et le bon vin à la piquette…
– Ou encore, continua Chabourdin, le vin de la maison Balanchard à celui des maisons rivales.
Nous nous inclinâmes tous en signe d’assentiment.
Les explications que nous donna lord Socrate montraient qu’il avait étudié, d’une façon spéciale, le précieux tubercule. Les agriculteurs ne s’accordent guère sur la façon de classer les pommes de terre. Les uns les distinguent en patraques, parmentières et vitelottes, selon que leur forme est sphérique, ovoïde ou cylindrique.
D’autres, s’attachant à la couleur autant qu’à la forme, croient que la pomme de terre provient de trois types primordiaux, qui seraient la rouge-longue, la grosse-blanche et la grosse-jaune, mais notre interlocuteur pensait que la violette de Hollande, celle que nous avions sous les yeux, est tout aussi primordiale que les trois autres, et il soutenait que les variétés connues (dont le nombre dépasse, dit-on, cinq cents), dépendaient surtout des conditions de terrain et de climat, lesquelles, avec le temps, finissent toujours par opérer la transformation des espèces. Et il en voyait la preuve dans le fait même de la présence de la violette sur nos hauteurs montagneuses, où certainement, vu les habitudes routinières des montagnards, elle n’aurait pas pris une pareille extension, si l’on voulait y voir l’importation d’une culture supérieure plutôt que l’œuvre de la nature.
Nous parlâmes ensuite de l’origine de la pomme de terre et de l’ancienneté de sa culture dans nos contrées, et, sur ce point, la conversation mit en lumière des faits d’un véritable intérêt et peu ou point connus.
Il est généralement admis que la pomme de terre a été apportée du Pérou par les Espagnols au XVIe siècle. Elle se répandit d’abord en Bourgogne et en Franche-Comté. Charles-Quint l’introduisit en Allemagne et John Hawkins en Irlande. En 1588, elle était cultivée dans les environs d’Arras, et, quand Walter Raleigh, venant de Virginie, la présenta comme une nouveauté en Europe vers 1625, elle était connue dans un certain nombre de provinces de la France, notamment en Dauphiné, où elle avait été, paraît-il, apportée de Suisse.
Il est certain, fis-je observer, qu’elle n’était pas inconnue dans nos contrées, puisqu’il en est question dans le Théâtre d’Agriculture d’Olivier de Serres, qui vivait de 1539 à 1619. Le terme de cartoufle qu’il emploie fait supposer que la pomme de terre est arrivée dans le Sud-Est de la France, en passant par l’Allemagne. Après avoir décrit sa culture, le père de l’agriculture française dit que « le fruit ne se prépare pas si bien à l’air que dans la terre, se conformant en cela aux véritables truffes, auxquelles les cartoufles ressemblent en figure, non pas si bien en couleur, qu’elles ont plus claire que les truffes, l’escorce non raboteuse, mais lisse et déliée. Voilà en quoi ces fruits diffèrent l’un de l’autre. Quant au goust, le cuisinier les appreste de telle sorte qu’on y reconnaît peu de diversité de l’un à l’autre. »
– Oh ! oh ! dit Chabourdin, voilà qui prouve que votre Olivier de Serres n’était pas gourmet !
Je continuai en rappelant que vers la même époque un nommé Gaspard Bauhin (1) cherchait à propager la culture de la pomme de terre dans les Vosges et aux environs de Lyon – et, vu les relations également intimes qui unissaient le Vivarais au Lyonnais et au Dauphiné, il est assez difficile de savoir de laquelle de ces deux provinces la pomme de terre est venue dans les Cévennes. La mention de ce végétal par Olivier de Serres fait présumer le Dauphiné ; mais l’initiative de Bauhin permet aussi de supposer le Lyonnais, surtout si l’on tient compte de la tradition locale, indiquée dans une lettre du curé de Saint-Alban-d’Ay, en Vivarais, à Dom Bourotte, d’après laquelle c’est dans cette commune que les premières pommes de terre auraient été semées en Vivarais.
Ce qu’il y a de bien certain, dit le chasseur, c’est que les pommes de terre sont beaucoup plus anciennes au Pilat que vous ne le supposez sans doute. La preuve en est dans le livre de raison du notaire Tourton (2), qui, pendant toute la seconde moitié du XVIIe siècle, mentionne la pomme de terre comme étant une marchandise courante sur le marché d’Annonay. On y voit figurer chaque année sa propre récolte de truffes blanches et le prix de ce tubercule dans la région.
Je constatai, de mon côté, l’extension que la culture de la pomme de terre avait prise dans le Vivarais, le Velay (et sans doute aussi le Forez) par le témoignage des curés de la contrée dans leurs réponses aux auteurs de l’Histoire du Languedoc (1759 à 1762) que nous a conservées la Collection du Languedoc.
Il suffira de citer quelques-uns de ces témoignages : le curé de Saint-Maurice-sous-Chalançon indique parmi les productions de sa paroisse « les truffes rouges ou pommes de terre ».
Le curé de Saint-Michel de Chabrillanoux écrit : « Une récolte qui est fort utile pour les pauvres est celle des truffes rouges ».
Le curé de Saint-Etienne-du-Serre dit que sa paroisse produit quantité de « truffes ou pommes de terre ».
Le curé de Saint-Péray signale aussi, parmi les productions de sa paroisse, « beaucoup de truffes ou topinambours, dont les habitants font la plus grande partie de leur nourriture pendant tout l’hiver (3) ».
Il est à noter que toutes les localités où la culture de la truffe blanche ou rouge, c’est-à-dire de la pomme de terre, est signalée, sont en dehors de la zone calcaire et truffière du Vivarais, où vient la véritable truffe, la truffe noire, qui n’est guère connue à Paris que sous le nom de truffe du Périgord (4).
La pomme de terre était également cultivée dans le Velay au milieu du siècle dernier, notamment au Chambon, à Chaspinhac, Coubon, Craponne, Freycenet-Lacuche, Montusclat, Saint-Didier-la-Seauve, Saint-Hostien, le Monastier, Saint-Julien-Chapteuil, Saint-Julien-d’Ance, Saint-Romain-Lachalm, Saint-Voy, Tence, Yssingeaux, etc., etc., ainsi qu’il résulte des lettres des curés de ces paroisses à Dom Bourotte et d’autres documents authentiques publiés par les Tablettes du Velay et l’Inventaire des Archives de la Haute-Loire (5). Le curé de Saint-Front, sous le Mézenc, écrit en 1760 : « Beaucoup de truffoles ou pommes de terre ; depuis nombre d’années, les truffoles ont sauvé la vie à nombre des habitants à cause de la disette de blé qui y arrive fort souvent. »
Le manuscrit des Annales d’Annonay constate qu’il y eut en 1767 une abondante récolte de pommes de terre, qui fut d’un grand secours pour la population.
La Tourette, dont le Voyage au Mont Pilat parut à Avignon en 1770, dit que la pomme de terre était alors cultivée à Pilat et dans tout le Lyonnais.
Parmentier, dont le premier mémoire n’est que de 1773, est donc venu bien après nos braves paysans de l’Ardèche et du Pilat, ce qui, d’ailleurs, ne doit pas diminuer notre gratitude à son égard, car il eut la gloire, qui n’est pas mince, de populariser la pomme de terre en France et de vaincre les derniers obstacles que l’ignorance ou certains préjugés opposaient à l’extension de cette précieuse culture : beaucoup de gens croyaient, en effet, que la pomme de terre donnait la lèpre !
– Avez-vous remarqué, dit l’Anglais, de quelle façon la Providence sait parfois faire sortir le bien du mal ? Sans la guerre où Parmentier fut fait prisonnier et sans la famine de 1771, qui fit sentir en France la nécessité de rechercher de nouvelles substances alimentaires, ce pharmacien illustre n’aurait probablement jamais apprécié la pomme de terre comme elle le mérite, et sa popularisation en France, tout au moins, eût été encore ajournée, ce qui eût empêché plus de naissances que plusieurs guerres ne pouvaient occasionner de morts. La pomme de terre vit sous tous les climats, de préférence cependant dans les climats tempérés comme le vôtre, et nous nous étonnons, en Angleterre, que les Français n’en tirent pas un meilleur parti (6). Je ne lui fais qu’un reproche, c’est de servir au gin qui empoisonne tant de fidèles sujets de la reine mais ce n’est pas sa faute. De quoi n’abuse-t-on pas en ce monde ? Cette réserve faite, je revendique pour mes compatriotes l’honneur d’avoir trouvé le meilleur emploi de la divine solanée : la viande rôtie, avec la pomme de terre sera toujours un régal des dieux, l’aliment qui convient le mieux à nos pauvres estomacs.
Diana avait cueilli une fleur de solanée. Elle la mit à la boutonnière de son père, en lui rappelant que, pour encourager l’utile propagande de Parmentier, toute la cour de Louis XVI prit un jour cette décoration. Chacun s’empressa d’imiter cet exemple. Lord Socrate saisit l’occasion pour célébrer les bienfaits du libre-échange, cette grande réforme européenne opérée par l’Angleterre qui, dit-il, a complété la révolution du bien être général, commencée par la pomme de terre.
Qui n’a été frappé, dit-il, de la fréquence des disettes et des épidémies dans l’histoire, l’une portant l’autre ? Grâce à la reine des solanées, aux facilités de transport, et surtout à la liberté du commerce, notre siècle a vu se réaliser sur ce point une amélioration immense.
Sans doute on n’a pas supprimé la grêle, les excès de chaud et de froid, de pluie et de sécheresse, et il y aura toujours des mauvaises récoltes, mais elles ne frappent que des espaces limités, et la vapeur et le libre-échange ne permettent plus le retour de véritables disettes. S’il y a encore des gens qui meurent de faim, il y en a peu et il est rare qu’il n’y ait pas de leur faute. Je ne méprise pas les grands arbres et les fleurs des jardins. Tous les végétaux ont leur utilité et leur poésie mais j’avoue que Cérès me touche plus que Flore. Les champs de blé et de pommes de terre se présentent toujours à mon esprit comme les grands nourriciers de la masse humaine, ceux à qui nous devons le plus de reconnaissance. Si les Romains avaient connu la pomme de terre, ils lui auraient certainement élevé des autels, en la personnifiant dans quelque déesse supérieure à toutes les autres. Ils auraient sans doute élevé aussi au rang des dieux Richard Cobden, qui a fait prévaloir la liberté du commerce, et Stéphenson, qui est le véritable inventeur de la navigation à vapeur et des chemins de fer.
Je protestai, au nom de notre pays, contre la part exclusive faite à Stéphenson dans la création de l’industrie des chemins de fer, en rappelant que l’invention de la chaudière tubulaire, c’est-à-dire de l’instrument essentiel de la locomotion à vapeur à grande vitesse, appartenait à Marc Seguin, et lord Socrate s’empressa de reconnaître que le génie français avait largement contribué à l’immense révolution économique opérée depuis un demi-siècle dans la physionomie du monde civilisé.
Pendant que nous dissertions, miss Diana crayonnait dans son album, en portant ses regards alternativement sur le commis-voyageur et sur une pomme de terre que le chasseur venait d’extraire du sol.
On sait que le précieux tubercule, qui n’est pas, en botanique, ce qu’on appelle un fruit, mais un simple renflement de la tige souterraine, est garni d’un certain nombre de bourgeons, lesquels, mis en terre, sont le germe de plants nouveaux.
– Avez-vous vu semer des pommes de terre ? demanda lord Socrate à Chabourdin.
– Oui, et j’ai remarqué qu’un tubercule, coupé en plusieurs morceaux, pouvait produire autant de plants qu’il avait d’yeux.
– Avez-vous jamais vu un de ces yeux se tromper et, au lieu de pomme de terre, produire, par exemple, un lilas ou un poirier
– Non, dit Chabourdin, mais pourquoi m’en étonner ? La Nature a mis dans tous ces germes le pouvoir de se reproduire, et ils en usent.
A ce moment, miss Diana me passa son album, et Chabourdin, lui-même, ne put s’empêcher de rire en voyant le dessin que venait de crayonner la fille d’Albion.
Il était fort bien représenté au milieu de la page, en face de la grosse pomme de terre qui le regardait de tous ses yeux, avec ces mots au bas : Observe and try to understand (7) !
– Ce que je comprends le mieux, dit galamment Chabourdin, c’est que miss Socrate dessine avec infiniment d’esprit et qu’on ne peut qu’être honoré de se trouver au bout de son crayon.