Voyage humoristique, politique et philosophique au mont Pilat

Docteur Francus

- Albin Mazon -

XIII

La flore du Pilat

Comment il faut enseigner la botanique. – Le grand défilé floral des montagnes. – Le calendrier républicain. – Les herborisations de Claret de la Tourette. – Une famille de savants. – Quelques Flores de la région. – Travaux botaniques sur l’Ardèche. – Le docteur Perroud. – Les herbes des prairies. – L’airelle myrtille et ses usages. – Le myosotis. – La ronde des fleurs.

L’arrivée de l’abbé Jacques, qui consentit volontiers à se faire notre compagnon d’excursions, donna tout de suite à nos entretiens un caractère plus grave et plus scientifique. Lord Socrate parut enchanté de rencontrer un si savant cicérone, et comme l’abbé parlait parfaitement l’anglais, les relations devinrent très rapidement plus que courtoises, c’est-à-dire amicales, entre lui et nos deux insulaires. Miss Diana se félicitait d’avoir un botaniste pour répondre à ses questions et lui dire le nom et les vertus des plantes qu’elle cueillait avec ardeur dans l’immense prairie de la Grange.

L’abbé Jacques n’était pas de ces savants vulgaires qui, par pédantisme ou ignorance, semblent prendre à tâche, par des noms en us et des classifications barbares, de rebuter les néophytes. Il savait, au contraire, les initier tout doucement et agréablement à la science en ne disant, pour commencer à ceux qui l’écoutaient, que ce qui était de nature à les intéresser. Je me souviens qu’au collège, il nous avait appris à connaître la plupart des plantes à leur conformation extérieure, à leur physionomie et à leurs usages, bien avant d’aborder les classifications. Quand, plus tard, il nous enseigna celles-ci, la connaissance que nous avions déjà du monde végétal enlevait à cette étude tout ce qu’elle aurait eu sans cela de troublant et d’aride. Il aimait à appeler les plantes par leurs noms vulgaires qui, d’ailleurs, sont généralement caractéristiques et les dépeignent beaucoup mieux que leurs noms officiels. Il ouvrit sa boîte pour nous montrer sa récolte de la journée et de la veille. Nous y vîmes, entre autres individualités végétales plus ou moins rares du Pilat :

Des fleurs d’arnica, le souci des montagnes, qui passe pour le grand guérisseur des plaies ;

La busserolle ou raisin d’ours des Alpes, dont la baie rouge n’est pas meilleure que celle de l’arbousier ordinaire, déjà baptisé par Linné du nom d’unedo, parce qu’on n’a guère l’envie d’en manger plus d’une fois ;

Des gousses sèches du genêt purgatif, dont la fleur d’un beau jaune citron a une odeur de vanille (sorte de séné qui joue un grand rôle dans la médecine des campagnes) ;

Un grand laitron à fleur bleue ;

Le gypsophile des murs, au port grêle et aux fleurs roses rayées ;

La dame de onze heures (ornithogale), plante bulbeuse, au corymbe de fleurs blanches, vertes en dehors ;

Le lotier corniculé, dont les fleurs jaunes en capitules ressemblent à de petits sabots d’or ;

Le lycopode à massue, plante rampante, que les indigènes du temps de du Choul appelaient herbe déserte et qui passait pour éloigner le tonnerre et rendre inféconds les animaux qui en portaient sur eux ;

Le cacalia pétasite, dont les grandes feuilles cordiformes sont blanches en dessous ; cette plante aime les terrains humides et fleurit rarement ; les montagnards disent que lorsque ses feuilles fléchissent et s’abaissent, c’est un indice d’orage ;

De grandes gentianes jaunes et de petites gentianes bleues ;

Des cyclamens d’Europe, dont la souche charnue sert de vermifuge aux pourceaux ;

Des œillets du rouge le plus vif ;

Des aconits, des soldanelles, des lys martagon, des digitales, etc.

Le bleu, le jaune, le rouge sont les trois couleurs maîtresses de la flore des montagnes, et elles y apparaissent avec un éclat tout particulier et dans un désordre apparent où tout esprit contemplateur ne tarde pas à découvrir un art profond.

Les lichens abondent dans les bois du Pilat ; le nivalis, dont parle la Tourette, n’est autre sans doute que l’usnée barbue, dont les touffes glauques, pendant aux branches des sapins, servent aux enfants qui veulent se costumer en dieux marins, pour se faire des moustaches et des barbes vertes.

– Que vous êtes heureux, dis-je à l’abbé, de connaître toutes ces plantes aussi à fond que vous connaissiez autrefois les élèves de votre classe ! N’est-ce pas charmant de vivre ainsi dans l’intimité de ce monde fleuri, éphémère, mais éternellement renaissant ? Combien nous vous envions, nous profanes, qui ne connaissons que les gros, les décorés, les fonctionnaires, ceux qui ont uniforme et panache dans les jardins ou qui font du bruit dans les traités de botanique, tandis que vous savez distinguer et appeler par leur petit nom les humbles qui, souvent, rendent plus de services que les autres.

– Oui, dit l’abbé, tous ces végétaux, petits et grands, sont des amis. Je leur parle et ils me répondent, et je n’en finirais pas si j’essayais de répéter tout ce qu’ils m’ont appris. Mais vous n’en avez aujourd’hui qu’une idée imparfaite. Il faudrait venir ici au début du printemps et rester jusqu’à la fin de l’automne, pour bien voir le grand défilé des légions florales et se faire une idée de leur richesse et de leur variété. La fête du printemps commence même avant la fin de l’hiver, puisqu’on voit, dès le mois de février, les fleurs solitaires de la nivéole lutter de blancheur avec la neige ou se détacher éclatantes dans l’émeraude des prés.

En mars et avril, c’est le chœur des violettes et des boutons d’or qui chantent dans des gammes différentes le réveil de la terre. Les fleurs des prés, comme celles des arbres fruitiers, ont des reluisements d’or et d’argent et des étincellements de pierres précieuses, qui témoignent de l’opulence du grand maître de la nature.

Voici les narcisses, dont la corolle pâle est ornée d’un cercle d’or bordé de rouge ; le lys des vallées (muguet de mai), dont le vent agite les grelots d’argent ; le sceau de Salomon aux élégants cylindres l’anémone pulsatille, qui semble une tulipe violette dans les taillis ; le daphné mézéreon aux fleurs blanches et rosées, qui naissent de la branche même ; le trolle aux globes dorés ; l’ancolie aux formes étranges dont la tête bleue semble un casque bizarrement découpé ; le scille à deux feuilles, avec ses grappes de fleurs azurées ; le cytise des Alpes et une foule d’autres de toutes formes et de toutes nuances.

A ce concert de couleurs vives et tranchées, il faut joindre l’accompagnement des eaux chantantes et des brises printanières qui secouent les forêts et répandent au loin leurs pénétrantes senteurs.

Beaucoup de plantes restent fleuries tout l’été. La vipérine à la tige barbue, avec sa grappe terminale teintée de rose et de bleu, affecte un air hippocratique, comme si l’on croyait encore à son efficacité contre les morsures de serpents. La stellaire des bois déploie, de mai à juillet, ses beaux panicules blancs. La petite centaurée étale ses fleurettes de corymbes roses. L’épilobe à épis, laurier de Saint-Antoine, a aussi des grappes roses qu’elle aime à cacher dans les lieux frais : c’est à une de ses congénères du Mexique que nos jardins doivent le fuchsia. La spirée ulmaire, reine des prés, aux belles panicules blanches, d’où les chimistes ont extrait le salycilate de soude, ce merveilleux remède contre les douleurs rhumatismales, aime aussi les endroits humides. Les géraniums blancs ou roses, les millepertuis jaunes, veinés de rouge, les mauves roses et violettes, les polygalas aux fleurs blanches avec les anthères lilas, les chrysantèmes à disque jaune, étoilés de rayons blancs, le lychnis des bois ou compagnon rouge et mille autres, différents de port, de forme, d’odeur et de couleur, parent la montagne la plus grande partie de l’été.

L’aconit-napel, dont les beaux thyrses bleus font l’ornement des jardins, fleurit en août et septembre.

On trouve l’arnica en fleur, sur ces hautes montagnes, jusqu’au milieu du mois d’août, avec la fleur solitaire de la gentiane bleue, l’achillée au corymbe d’argent, la digitale pourprée, qui aime surtout les sols schisteux, le seseli des montagnes et d’autres espèces tardives.

Les fleurs violettes du colchique d’automne forment l’arrière-garde de l’armée de Flore et marquent dans les prairies la fin de la belle saison. Les floraisons varient naturellement selon l’altitude, l’abri et les variations atmosphériques, mais elles n’en suivent pas moins une règle générale, formant pour le montagnard qui l’aurait attentivement observée, une sorte de calendrier de Flore, aussi sûr et plus poétique que l’almanach de Mathieu Laensberg.

Cette idée de calendrier donna à Chabourdin l’idée de faire le panégyrique du fameux calendrier républicain de la Révolution, dont il s’efforça de démontrer la supériorité sur le calendrier grégorien, en louant hautement le Rappel, organe de l’illustre poète Victor Hugo, et les autres feuilles radicales qui continuent à se servir du calendrier républicain.

– Avouez, dit-il, que germinal, prairial, floréal pour le printemps, thermidor, messidor, fructidor pour l’été, sont bien autrement gracieux, poétiques et significatifs qu’avril, mai, juin, juillet, août et septembre. Et de même pour les six autres. Avouez enfin, qu’une fois l’habitude prise, ce qui n’est qu’une question de temps et de poigne administrative, le bon sens populaire n’aurait pu que gagner à une méthode si naturelle de désigner les saisons.

– Vous n’oubliez qu’une chose, lui répondit l’abbé, et ce n’est pas étonnant, puisque les savants de l’époque républicaine n’y ont pas songé eux-mêmes, et puisque le Rappel n’a pas encore eu l’air de s’en douter, c’est que ce calendrier n’a visé que la France ou, si vous voulez, la latitude de notre pays, et que son application devient impossible jusqu’à l’absurde, à mesure qu’on descend vers le sud ? Avez-vous réfléchi, par exemple, que notre mois de juillet (thermidor) correspond au janvier (nivôse) de l’Australie ? Auriez-vous la prétention d’imposer des appellations à contre-sens aux gens de l’autre hémisphère, ou bien vous résignez-vous à faire un calendrier particulier à chaque latitude, ce qui, vous en conviendrez, produirait un certain imbroglio dans les rapports du commerce international ?

L’esprit commercial de Chabourdin fut frappé de l’observation. Il se contenta de dire :

– Vous avez raison, cette fois, et je ne comprends pas que des journaux faits par des gens d’esprit, comme le Rappel, n’aient pas encore fait cette réflexion !

Le Pilat était jadis renommé par ses plantes médicinales, auxquelles on attribuait des cures merveilleuses. Jean Pélisson raconte qu’une sienne cousine « Etiennette Pélisson, veuve de M. Pierre Chaulvet, de Condrieu, nourrie au pied dudit mont Pilat, en connaît certaines de la racine desquelles il n’est playe qu’elle ne guérisse incontinent ».

On est moins crédule aujourd’hui. D’ailleurs, les progrès de la chimie ont singulièrement réduit l’usage des simples. Mais ici encore, il semble qu’on soit allé d’un excès à l’autre ; on a abandonné presque entièrement aux empiriques un domaine d’une richesse incalculable, et nous sommes convaincu que tôt ou tard une réaction s’opèrera sur ce point dans le monde médical.

M. Seytre prétend qu’on trouve à Fontclaire le rhododendron des Alpes mais l’abbé Jacques l’avait vainement cherché et il était convaincu que l’honorable patriarche de Doizieu s’était trompé.

Il avait aussi vainement cherché le magnifique seneçon argenté, dont une colonie venue, on ne sait comment, des Pyrénées, s’est implantée sur le Mézenc, et qu’on n’a pu, dit-on, acclimater ailleurs. Toute la plante est couverte d’un poil ras qui la fait paraître blanche. La fleur est d’un beau jaune.

Claret de la Tourette raconte qu’il passa trois journées à herboriser sur le Pilat (du 24 au 27 juillet 1769) et qu’il y constata l’existence « d’environ 540 espèces, dont 40 alpines très rares, 130 des montagnes subalpines, et enfin 370 qui viennent un peu partout, parce qu’elles sont médicales. »

Le catalogue des plantes du Pilat donné par la Tourette est assez incomplet, comme il l’avouait lui-même. M. Bravais, médecin à Annonay, publia, vers la fin du siècle dernier, une note dans laquelle il signalait quelques espèces omises. M. Bravais terminait en appelant l’attention sur la flore du Mézenc, alors inconnue ou à peu près, comme offrant bien plus de richesses botaniques en plantes alpines. On comprend, en effet, que le Mézenc, dont l’altitude atteint 1,774 mètres, renferme bon nombre de plantes alpines qui ne se trouvent pas au mont Pilat. Au reste, ni le vrai Ranunculus glacialis, ni le Rhododendron ne se rencontrent dans le centre de la France.

Louis Bravais, médecin à Annonay, avait été chef de clinique sous le docteur Récamier. Il communiqua au congrès scientifique de Lyon en 1841 un Examen de la disposition spiralée des parties des fleurs. En 1843, il publia, dans l’Annonéen, des Promenades dans un jardin botanique. Deux de ses enfants se sont fait un nom dans les sciences : ce sont l’abbé Camille Bravais, que M. Mulsant mentionne comme étant le savant de l’Ardèche qui a cultivé avec le plus de succès l’histoire naturelle (1), et Auguste Bravais, le courageux et savant officier de marine, membre de l’Académie des sciences, célèbre par ses expéditions scientifiques au pôle Nord et par ses observations au sommet du mont Blanc (les premières que l’on eût faites depuis Saussure). Auguste Bravais mourut prématurément en 1863. Sa veuve se fit religieuse, et c’est d’elle qu’il était question quand les journaux annonçaient, le 8 février 1885, la mort de la Sœur Marie-Madeleine de Jésus, mère assistante des Clarisses de Versailles.

M. Mulsant donne de la flore du Pilat un tableau plus complet que les précédentes. Mais la publication la plus récente sur ce sujet est le rapport de M. Lacroix sur l’herborisation que la Société botanique de France fit sur cette montagne en 1876, pendant la session extraordinaire tenue par cette Société à Lyon (2). Le docteur Saint-Lager a donné aussi, dans les Annales de la Société botanique de Lyon (1874), un aperçu de la géologie et de la botanique du Pilat.

On causa des Flores publiées dans les divers départements de notre région, et l’abbé eut le regret de constater que l’Ardèche était restée, sous ce rapport, bien en arrière de ses voisins. L’Auvergne a sa Flore, publiée par Delarbre en 1800. Il existe une Flore du Velay du docteur Hilaire Latourette, parue au Puy en 1848. La Flore du Dauphiné, de Mutel, est de la même époque. La Flore du Gard, de M. Pouzols, est de 1857. Il est fâcheux qu’on attende encore la Flore du Vivarais, alors que tous les botanistes qui ont visité ces montagnes reconnaissent y avoir trouvé, non seulement une sorte de résumé de toute la Flore française, à cause de la diversité des climats et des altitudes, mais encore bon nombre de plantes particulières ou assez rares. On peut consulter à cet égard les travaux de MM. Grenier et Godron dans la Flore de France. M. Jordan, le célèbre botaniste lyonnais, y a fait une ample moisson d’espèces nouvelles qu’il a décrites dans son Pugillus ou dans la Flore du Centre, de M. Boreau.

En fait de travaux spéciaux sur la Flore de l’Ardèche, nous ne connaissons que les suivants :

Liste des plantes monocotylédones et dycotylédones qui croissent spontanément ou qui sont généralement cultivées dans l’Ardèche, arrangées d’après les systèmes de Jussieu et de Candolle, publiée par M. Bonnet des Claustres dans l’Annuaire de l’Ardèche de 1839 ;

Quelques herborisations dans les environs de Privas, par M. Personnat, dans le Bulletin de la Société des lettres et des sciences de l’Ardèche (1861) ;

3° Enfin, les Excursions botaniques dans l’Ardèche, du docteur Perroud, de Lyon, publiées récemment dans le Bulletin de la Société botanique lyonnaise. Elles comprennent les régions de Thueytz, Montpezat, le Teil et Rochemaure, le Coiron, Vallon et le Pont-d’Arc, Saint-Remèze et le Bourg-Saint-Andéol, Annonay, Satillieu et la Louvesc, le bois de Païolive, les Vans et Villefort, et enfin Serrières et Peyraud.

Les excursions du docteur Perroud dans l’Ardèche, surtout celle de la Louvesc, lui ont fourni l’occasion de constater une grande différence, non seulement entre la flore de la partie septentrionale et celle de la partie méridionale du département, ce qu’il était facile de prévoir, mais encore entre ces flores et celle du massif du Pilat, ce que ne pouvaient faire supposer ni l’identité de la composition chimique ni les altitudes à peu près les mêmes des deux systèmes montagneux.

Le docteur Perroud s’étonne de trouver dans les montagnes de gneiss qui bordent la route de Vals-les-Bains à Thueytz un certain nombre de plantes bien connues pour leur amour des sols siliceux, et, en même temps, d’abondantes touffes de buis.

Au Teil, il constate que la flore n’est pas exclusivement siliciphile, ce qui lui donne à penser que la silice y est fortement mélangée de carbonate de chaux.

Entre le Teil et Joviac, il remarque de belles touffes de buis sur les grès (?) qui forment le sol de cette région, à côté de nombreux pieds de bruyère commune et de bruyère à balais, ce qui montre la complexité de composition chimique du terrain et la présence d’une certaine quantité d’éléments calcaires au milieu des roches siliceuses qui le constituent.

Notons, en passant, que cette présence du calcaire dans le sol de la région du Teil, qui a pu étonner un Lyonnais, n’a jamais fait de doute pour aucun géologue de nos contrées. Les couches calcaires sur la rive vivaraise du Rhône commencent à Lavoulte, et ce sont les bruyères, plantes des terrains siliceux, et non pas les buis, produits accoutumés du terrain calcaire, qui sont l’exception dans cette région de l’Ardèche. Les calcaires néocomiens règnent de Baïx à Viviers et servent à la fabrication de cette puissante chaux hydraulique de Lafarge, dont l’exportation s’étend aujourd’hui à toutes les parties du monde. Ajoutons à ce propos que, d’après les savants, la supériorité de cette fameuse chaux tiendrait précisément à ce que le silicate de chaux y est accompagné d’une certaine quantité de chaux libre, laquelle est regardée, par les gens compétents, comme nécessaire pour former, avec l’acide carbonique, un bouclier protecteur du carbonate de chaux.

Le docteur Perroud signale, parmi les espèces rares qu’il a trouvées dans l’Ardèche :

L’antirrhitium asarinum, dans les environs de Neyrac et aux ruines de Pourcheyrolles, avec la campanula rotundifolia, la digitale pourprée et la silène saxifrage ;

Le notochlaema squammosa, l’une des rares fougères de France, qu’on trouve près du pont du Doux, à Tournon, et aussi à Mayres, Vals et près des Vans

Le saxifraga pedatifida, une des raretés de la flore européenne, qui pousse dans les micaschistes de la Plagne d’Elze, près du Mas-de-l’Air, entre les Vans et Villefort. Cette espèce est indiquée dans la Lozère, près de Villefort, à Ponteils, au bois du Faux des armes, et à Florac ; dans le Gard, à Lesperon, à Concoule, à Lourette, près du Vigan ; dans l’Hérault, au Caroux, dans le vallon d’Eric ; et enfin dans l’Ardèche, sur les rochers d’Avran (sans doute le rocher d’Abraham, près de Mayres) ;

Le cytisos hirsutus, dans le vallon de Malecombe, près de Peyraud ;

Enfin le carduus vivariensis qui, sur le bord des lieux incultes, dresse ses calathides solitaires sur ses pédicules tomenteux. Si les savants, et surtout les botanistes, n’étaient pas des gens essentiellement graves, on pourrait soupçonner de malice le docteur Jourdan qui, le premier, a attaché le nom du Vivarais à un chardon mais que les braves gens de ce pays se tranquillisent, le carduus vivariensis n’est pas le privilège exclusif de l’Ardèche. Le docteur Perroud constate, en effet, que sa spécialité s’étend « aux massifs montagneux de la Lozère et des Cévennes, du Gard et de l’Hérault. On le retrouve aussi dans quelques localités de l’Aveyron, du Cantal et des Pyrénées-Orientales. »

L’abbé Jacques, qui avait connu Etienne Mulsant, nous raconta que l’auteur des Souvenirs du mont Pilat avait été élevé chez les Oratoriens de Tournon, et que c’est dans l’Ardèche que son esprit s’était ouvert à l’amour de la botanique, puisqu’il y commença son premier herbier à l’âge de quinze ans. Cet herbier, qui a été donné à l’Institut des Frères de Sainte-Marie, à Saint-Chamond, contenait, outre la désignation spécifique des plantes et leur synonymie, une courte indication de leurs propriétés médicinales et industrielles. C’est sur ce modèle que nous voudrions voir écrire une Flore de l’Ardèche, et il nous semble qu’elle ne peut être bien faite que par ou avec la collaboration de quelqu’un du pays, car il est essentiel d’y introduire toutes les appellations locales des plantes indigènes, ainsi que les usages qu’en font les habitants et les traditions raisonnables ou absurdes qui s’y rattachent.

La Flore du Velay, d’Hilaire Latourette, a réalisé, mais trop maigrement, ce programme. Nous avons été frappé, en la parcourant, des analogies qui existent entre les noms et les usages des plantes dans le Vivarais et le Velay.

Un abbé de la Drôme, M. Moutier, a publié récemment, dans le Bulletin d’archéologie de Valence, un petit glossaire patois des végétaux du Dauphiné. Il serait à désirer que cet exemple fût suivi dans toutes nos provinces. Il y aurait déjà un curieux travail de rapprochement à faire entre les noms vulgaires donnés aux végétaux de l’autre côté du Rhône et ceux qu’ils portent dans le Vivarais, le Forez et le Velay.

L’Ardèche, réunissant sur un tout petit espace les terrains, les altitudes et les climats les plus divers, peut être considérée, au point de vue botanique, comme un abrégé de la France entière. A Viviers et au Bourg-Saint-Andéol, c’est la végétation provençale avec les lauriers-roses en pleine terre, s’entremêlant à la zone de la vigne et du mûrier ; c’est aussi le royaume des labiées odorantes que butinent les abeilles sur les Gras (causses vivaroises) pour en former un miel sans pareil (Orgnac, Bidon et Saint-Remèze). Puis vient la région des châtaigniers, qui correspond à l’altitude préférée des crucifères et des ombellifères, avec une température moyenne de zéro en hiver et de 15° en été. Ce grand amphithéâtre végétal est couronné par les bois de hêtres et de sapins, que domine encore la région des saxifrages et des mousses, avec les grands pâturages qui vont jusqu’au sommet du Mézenc, où commencent les plantes alpines.

Soulavie (3) voulait qu’on établît en France trois grands jardins botaniques : à Montpellier, pour les plantes des pays chauds ; à Paris pour la zone tempérée, et sur le Mézenc pour les plantes alpines. Cette idée, fort raisonnable à la fin du siècle dernier, semble avoir perdu, depuis, son à propos, à cause de la facilité des voyages, attendu qu’il est plus facile aujourd’hui d’atteindre les glaciers des Alpes que les hauteurs du Mézenc ; mais l’Ardèche n’en reste pas moins, dans son ensemble, le pays où l’on peut, en moins de temps, voir défiler sous ses yeux la totalité de la flore française et comparer de plus près la diversité des productions végétales de notre pays. Et c’est là ce qui nous fait regretter encore plus l’absence d’une Flore du Vivarais.

L’abbé nous fit voir, dans la plupart des plantes sauvages, l’origine des espèces cultivées, que l’homme a, pour ainsi dire, apprivoisées et accommodées à son agrément ou à ses besoins.

– Dernièrement, dit alors le chasseur, je visitais un des premiers établissements d’horticulture de notre région, celui des Bonnefont, d’Annonay (4). Or, en visitant la serre et les jardins, j’éprouvais, moi, habitué des montagnes, le sentiment de quelqu’un qui revoit une foule de connaissances ayant plus ou moins changé d’habits ou d’allures, comme qui dirait des paysannes endimanchées. En regardant plus attentivement les fleurs, j’aurais pu dire à chacune d’elles : Je te connais, beau masque, mais je t’aimais encore mieux dans ta simplicité et ta vigueur sauvage sur le Pilat.

L’abbé nous montra, dans la structure des plantes, la sollicitude de la Providence, qui a pourvu la plupart d’entre elles d’un appareil défensif, sans lequel elles ne rempliraient pas les fonctions auxquelles répond leur existence. Mille tribus d’insectes ou autres animaux sont toujours prêtes à les dévorer. Les unes se défendent par des poils, par l’aspérité de leur tige ou par l’amertume de leur suc. D’autres suintent une glu où s’empêtrent les pattes de leurs ennemis. D’autres les endorment ou les empoisonnent. Et plus une plante est sauvage, mieux elle est pourvue de défenses naturelles, tandis que les espèces cultivées les perdent, comme si elles s’en remettaient alors à l’homme du soin de les protéger.

Mais ce n’est pas seulement à l’égard des plantes que la sollicitude de la Providence se manifeste dans le règne végétal, car celui-ci fait la contrepartie de la respiration des animaux, en restituant à l’air l’oxygène que nous avons usé, et, sans les plantes, l’atmosphère, saturée d’acide carbonique, serait irrespirable pour l’homme et les animaux.

Les prairies du Pilat donnent un foin très renommé. Les cochers estiment qu’il vaut de l’avoine pour leurs chevaux, qui, effectivement, paraissent fort en apprécier la saveur. Claret de la Tourette avait déjà remarqué que l’ombellifère connu sous le nom de Meum, et que les paysans appellent Cithre, ne se trouve nulle part en aussi grande quantité. L’abbé nous y montra la phléole des Alpes, à épillets purpurins, assez semblable du reste à la phléole des prés, le Timothy Grass des Anglais ; des avoines sauvages fort jaunâtres la bistorte, aux épis roses, si recherchée des vaches ; la fétuque, très aimée des moutons ; des poas, des trèfles, des scabieuses, des plantins, etc. La flouve (anthoxantum odoratum) nous y parut aussi fort abondante, et peut-être est-ce en grande partie au meum et à la flouve que le foin du Pilat, comme celui des hautes montagnes du Vivarais, doit ses qualités.

On sait que le meilleur foin est celui des terres légères, fraîches sans être humides, des hautes montagnes, et l’on sait aussi que l’ensemble des herbes de nos prairies naturelles est composé surtout de graminées, de légumineuses et de synanthérées.

La plupart des plantes du bas pays se retrouvent au Pilat, mais souvent avec une allure différente et des couleurs plus éclatantes, sans doute parce qu’elles sont plus près du ciel et respirent un air plus vif, peut-être aussi parce six ou huit mois de repos fécond sous la neige leur donnent plus de vie le reste de l’année. On voit là telle véronique, potentille ou campanule, qui a l’apparence d’une plante exotique. Les fleurs bleues des borraginées y brillent comme des yeux vivants sous des sourcils de verdure.

Les plantes les plus nuisibles aux prairies sont l’anémone des Alpes (d’ailleurs assez rare au Pilat), la grande gentiane et l’hellébore blanc.

Des conversations à bâtons rompus coupaient souvent notre promenade.

– Connaissez-vous, monsieur, dit l’abbé à Chabourdin, cette plante qui dresse, au milieu des herbes, son beau thyrse de fleurs bleues ?

– Non.

– C’est l’aconit, un poison dont les animaux ne veulent pas, mais que les homœopathes préconisent à doses tellement infinitésimales qu’on peut les regarder comme destinées à agir simplement sur l’imagination, ce qui d’ailleurs, n’est pas si sot. Et celle-ci ?

– Elle a mauvais air aussi ; ce doit être encore un poison.

– Oui, c’est le varaïre, ou hellébore blanc ; voilà deux poisons, mais il y en a bien d’autres dans les prés.

L’Anglais intervint :

– Savez-vous, M. Chabourdin, que si les animaux étaient aussi bêtes que nous, ils seraient bien vite empoisonnés ?

– Heureusement, répondit gravement le commis-voyageur, ils ont l’instinct pour les préserver, comme nous avons, nous, la raison et la science.

– Etes-vous bien sûr, dit l’Anglais, que nous ayons la raison et la science ? Quant à cette science innée des animaux que vous appelez l’instinct, je serais curieux de savoir qui la leur a donnée ?

– Personne, c’est la Nature qui agit en eux.

– Quelle belle chose que la Nature ! dit le chasseur, qui vint se mêler à la conversation ; mais savez-vous, M. Chabourdin, que vous faites du plagiat et que Molière pourrait vous attaquer devant la Société des gens de lettres. Pourquoi l’opium fait-il dormir ? dit un de ses personnages. – Parce qu’il a la vertu dormitive, répond l’autre. On vous demande qui a donné l’instinct aux animaux. Vous répondez qu’il est naturel chez eux. On pourrait vous demander pourquoi c’est naturel chez eux, comment il se fait qu’ils soient, sous ce rapport, plus savants que les hommes, ou bien qui a fait la Nature. Mais tout cela nous mènerait trop loin.

– Avouez au moins, dit l’abbé, que cette nature est pleine d’intelligence et de sollicitude pour les animaux ; cela se voit jusque dans le foin qu’on leur donne. Ce foin comprend, en effet, bon nombre d’herbes malfaisantes dont il serait impossible de faire le triage, et les animaux seraient encore plus exposés à s’empoisonner si elles gardaient à l’état de foin leurs propriétés funestes. Or, voyez comme les choses sont bien combinées la plupart des poisons sont volatils, en sorte que les animaux, déjà préservés par leur instinct, ou simplement par un odorat plus subtil que le nôtre, du poison quand la plante est fraîche, le sont par la disparition du poison quand elle a passé à l’état de foin.

– Il est certain, dit Chabourdin, qu’il y a quelque chose là-dessous et que nous entendrons par Nature une foule de choses inexplicables.

– Celle-ci, par exemple, M. Chabourdin, que, bien que nous soyons ici en plein pays granitique, les écrevisses ne manquent pas dans les fontaines du Pilat, et qu’elles y trouvent les éléments de leur enveloppe calcaire tout comme si elles vivaient dans les calcaires du Bas-Vivarais. De même pour les poules, M. Chabourdin elles font des œufs à la grange du Pilat tout comme au Bourg-Saint-Andéol, et les coquilles en sont les mêmes partout, c’est-à-dire qu’il entre dans leur composition tout autant de carbonate de chaux ici que là-bas.

– C’est, en effet, assez singulier, dit le commis-voyageur.

– Quant à moi, dis-je, je suis surtout frappé de la sollicitude de la nature pour la santé du roi des animaux, et, sans être un profond botaniste comme M. l’abbé, je vois fort bien que les plantes médicinales ont été réparties sur la terre en raison des maladies régnantes. Vous nous avez parlé, M. Chabourdin, de votre robuste santé et nous vous en félicitons avec l’espoir que la Nature vous la conservera longtemps. N’avez-vous pas cependant quelquefois des rhumes ?

– Hélas ! qui en est exempt ?

– Vous devez donc être fort reconnaissant à la Nature, qui a mis partout des plantes de cette intéressante famille qu’on appelle les borraginées, en y suppléant, dans le Nord, par les lichens. Tous ces végétaux ont une vertu pectorale et adoucissante, malgré l’aspect rébarbatif qui provient de leurs poils ou piquants. Ce sont les bourrus bienfaisants de la botanique, outre qu’on mange leurs fleurs en salade comme les capucines, ce que vous ne saviez peut-être pas, M. Chabourdin !

Un montagnard vint à passer ; il portait des sabots.

– Où achetez-vous ces sabots, mon brave ?

– A Doizieu.

– De quel bois sont-ils faits ?

– De verne (aulne).

– Pourquoi le verne plutôt qu’un autre bois ?

– Parce que ce bois est léger et qu’il n’y a jamais ni vers ni insectes.

– Ne dirait-on pas, dis-je à Chabourdin, que la Nature a fait venir les vernes précisément dans tous les endroits humides où l’on a besoin de sabots, de même qu’elle fait pousser les bourraches et les guimauves partout où l’on s’enrhume ?

– Inclinons-nous, dit Chabourdin, devant les mystères de la Nature !

Après avoir énuméré les arbres et les arbustes du Pilat, la Tourette ajoute « On y cueille des fraises jusqu’à la fin du mois de novembre. L’airelle est commune ; les bergers en ramassent le fruit dans tous les bois : c’est une baie légèrement acide, assez agréable au goût, fraîche à la bouche et très rafraichissante ; on en porte souvent à St-Etienne. »

L’airelle, déjà mentionnée par du Choul, abonde, non-seulement dans les bois du Pilat, mais aussi sur toutes les hantes montagnes du Vivarais, du Forez et de l’Auvergne.

Les botanistes en distinguent quatre espèces qui, toutes, se trouvent au mont Pilat :

Deux à baies rouges qui sont : la coussinette ou canneberge (vaccinium oxyccoccus), airelle des pays du Nord, dont les Russes font une boisson de couleur rosacée, rafraîchissante et anti-scorbutique : on la trouve à Praveilles, au sommet du Grand-Bois ; – et la vigne du Mont-Ida (vaccinium vitis Idœœ ou bien airelle du Renard), assez commune sur tous nos plateaux de bruyère, dont elle fait l’ornement par ses fleurs, son fruit rouge et son feuillage toujours vert ;

Et deux à baies bleues, qui sont l’airelle des marais (vaccinium uliginosum), commune dans les Alpes et qu’on trouve près de la source du Gier, et l’airelle myrtille (vaccinium myrtillus), la meilleure sans contredit, en même temps que la plus commune des quatre airelles du Pilat.

L’airelle myrtille est un arbuste qui atteint tout au plus un pied de hauteur, d’un feuillage très élégamment découpé, avec des grappes de fleurs blanches un peu rosées, en grelots, auxquelles succèdent des baies rondes d’un bleu à nuance pourpre noirâtre, de la grosseur d’une petite cerise, qui ont une chair violette légèrement acide. On ramasse ces fruits, sur le Pilat, avec une sorte de rateau appelé peigne, fait avec quatre planchettes dont l’inférieure est armée de dents serrées. Une partie des fruits est vendue, à l’état frais, à Saint-Etienne et à Annonay. D’autres en font une boisson que boivent les paysans à défaut de vin et qu’on avait essayé de vendre aux ouvriers stéphanois et lyonnais ; il paraît que l’octroi est venu couper les ailes à cette industrie.

On se sert encore du fruit de l’airelle pour colorer les vins légers et leur donner un goût piquant qui en relève la qualité. Depuis qu’on fait du vin avec des raisins secs, l’airelle paraît jouer un rôle plus considérable pour la coloration de ce liquide, et l’on nous assure que les marchands de vins de Paris en reçoivent maintenant de véritables chargements qui leur sont expédiés de la Forêt-Noire.

En 1886, passant à la Louvesc, nous aperçûmes dans une cour de grands tas d’airelles que l’on faisait sécher au soleil sur des toiles goudronnées. Les leveurs achètent l’airelle fraîche à un sol la livre et la revendent sèche à 1 fr. le kilo.

La récolte étant partout libre comme celle des champignons, les enfants se font là un petit revenu assuré, car la demande ne fait jamais défaut, et les trois leveurs de la Louvesc ne peuvent suffire aux demandes des épiciers de Marseille et de Lyon. L’un d’eux avait expédié, l’année précédente, trente balles d’airelle sèche. La balle, qui pèse deux quintaux, se vend de 200 à 300 fr., selon la rareté.

La même année, passant à Saint-Bonnet-le-Froid, nous apprîmes que, de cette commune, pendant la saison, on expédiait chaque semaine une quarantaine de quintaux d’airelle fraîche à Lyon. Nous devons avouer que le vin d’airelle, qu’on nous fit goûter à Saint-Bonnet, nous parut assez fade, mais on nous affirma qu’il était rafraîchissant et ne fatiguait jamais. On le fait à mesure des besoins, en y ajoutant du sucre.

L’été dernier, au Mont-Dore, le guide qui nous accompagnait au Puy-de-Sancy, nous racontait que l’airelle (qui est appelée bleuet dans le pays, à cause de la couleur de ses baies) sert à faire une boisson qui remplace le vin pour les pauvres gens pendant la saison d’hiver. Pour la confection de cette boisson, on ajoute environ trois litres d’eau-de-vie et cinq kilogrammes de sucre par cent vingt litres de jus d’airelle. Les paysans du Mont-Dore en avaient fait environ deux cents hectolitres pendant l’hiver précédent.

En Suède, l’airelle est employée pour teindre en violet toiles et papiers.

Cette plante tient aussi, en France et ailleurs, une assez grande place dans la médecine des hauteurs. La décoction de ses baies donne une tisane dont on vante les effets, et ces mêmes baies, pilées avec du sel, forment un excellent cataplasme surtout pour faire passer le lait des femmes. En remplaçant le sel par le sucre, on fait des confitures et des sirops. Les habitants de l’Amérique septentrionale préparent avec l’airelle de Pensylvanie des tourteaux de confiture qui se conservent plusieurs années. Les montagnards des Vosges préparent aussi de ces confitures à la façon américaine ; ils tirent encore de ce fruit un sirop rafraîchissant, et le font entrer dans des tartes en guise de raisin de Corinthe.

Pour avoir l’airelle fraîche, les Vosgiens conservent les baies dans de fortes bouteilles dont le bouchon est maintenu par des fils de fer, à cause de la fermentation qui se produit. On les fait cuire au bain-marie pendant une heure ou deux. Dans l’hiver, le contenu de ces bouteilles est employé pour des tartes ou des confitures. L’airelle forme avec la mirabelle (petite prune jaune) et la guetsche (pruneau allongé) le grand élément des conserves des pays lorrains.

Les Vosgiens donnent à l’airelle le nom de brimbelle. En Franche-Comté, on l’appelle bluebacco (baie bleue), ce qui est peut-être un souvenir de la conquête espagnole.

A Saint-Agrève, on se sert des confitures d’airelles pour couper la diarrhée des enfants.

En Vivarais et en Forez, l’airelle ne se trouve guère au-dessous des altitudes de 1,000 mètres. Dans le Nord, elle vient à des altitudes bien moins élevées, puisqu’elle est très-abondante sur deux points de la forêt de Montmorency, dont l’altitude ne dépasse pas 300 mètres, savoir près de la taverne de Jules-César, qui est à demi-lieue de Saint-Leu-Taverny, et aux abords du Trou-d’Enfer, entre Andilly et Montlignon. A cette faible altitude, elle nous a paru plus drue, avec des feuilles plus développées et la baie moins âpre que sur les hauteurs des Vosges ou des Cévennes.

Un fanatique du mont Pilat, M. Seytre de la Charbouze, qui ne cache pas son enthousiasme pour l’airelle, conseille de la manger comme la fraise et la framboise avec du sucre et du vin vieux, ou bien en tourteau noir, comme en Amérique. Il prétend qu’elle guérit toutes les maladies des intestins : la dyssenterie, le choléra, la fièvre typhoïde et le typhus.

– Qu’en dites-vous, docteur ? demanda l’Anglais.

– Je me garderai, répondis-je, de contester les vertus de l’airelle ; mais je crois qu’on se porterait mieux en l’imitant qu’en la mangeant, c’est-à-dire en vivant au grand air et loin du contact empoisonné des hommes.

Le chasseur avait cueilli une belle branche de myosotis qu’il offrit à miss Diana. Celle-ci l’accepta avec un gracieux sourire, en disant que cette fleur méritait bien, par son bleu de ciel et son élégant feuillage, d’avoir été choisie comme emblème des purs souvenirs.

Un moment après, Chabourdin ayant voulu offrir, lui aussi, sa branche de myosotis, miss Diana, tout en le remerciant poliment, lui expliqua gravement que les savants avaient donné un bien vilain nom à cette plante en l’appelant Oreille de souris, à cause de la forme de ses feuilles, car telle est la signification de myosotis.

Cette diversité de nuance, dans l’accueil fait à deux branches de la même fleur, fit sourire l’abbé Jacques lui-même.

Le commis-voyageur parut, d’ailleurs, trouver une compensation à ce petit mécompte, en retrouvant de nouveau ses traits dans le dernier dessin de la jeune Anglaise : il y était fort bien représenté au milieu d’une ronde de fleurs, ayant des pieds comme des enfants, qui lui barraient le passage en lui demandant le mot de passe.

  1. Souvenirs du Mont Pilat, t. 2, p. 126.
  2. Voir le t. 23 du Bulletin de cette Société.
  3. Histoire naturelle de la France méridionale, t. 8.
  4. Cet important établissement est dirigé aujourd’hui par M. Gabriel du Sert.